Entretien de Mgr Guido Pozzo à L’Homme nouveau du 18 novembre 2009

Comment envisagez-​vous votre rôle au sein de la Commission Ecclesia Dei ?

La fonc­tion du secré­taire de la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei est décrite pour l’essentiel dans le motu pro­prio Ecclesiæ uni­ta­tem : le secré­taire aide le car­di­nal pré­sident à diri­ger et gui­der la Commission. Celle-​ci ayant son propre orga­ni­gramme, le secré­taire aide le pré­sident dans la direc­tion du per­son­nel et dans le soin des affaires géné­rales de la Commission.

Avez-​vous été éton­né ou sur­pris d’être nom­mé secré­taire de cette Commission ?

Ce fut une belle et joyeuse sur­prise d’apprendre la nou­velle de ma nomi­na­tion par le Saint-​Père. Vers lui vont ma pro­fonde gra­ti­tude et mon obéis­sance incon­di­tion­nelle. Je lui suis lié éga­le­ment par une affec­tion toute inté­rieure, du fait de notre longue col­la­bo­ra­tion au sein de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, à l’époque où celui qui était encore le car­di­nal Ratzinger en était pré­fet. Envers le car­di­nal William Levada, élu pré­sident de la Commission pon­ti­fi­cale, avec lequel j’ai col­la­bo­ré au dicas­tère pour la Doctrine de la foi de 2005 à 2009, je suis éga­le­ment recon­nais­sant pour la confiance et l’estime que j’ai tou­jours per­çues de sa part à mon égard. J’ai tou­jours mani­fes­té inté­rêt et sen­si­bi­li­té spi­ri­tuelle pour la litur­gie gré­go­rienne, de même que je suis sen­sible – cela ne date pas d’aujourd’hui – aux pro­blèmes et aux contro­verses théo­lo­giques liés à l’interprétation du concile Vatican II et à la néces­si­té de réta­blir et de ren­for­cer la tra­di­tion et l’identité catho­liques dans notre civilisation.

Le fait que la Commission soit désor­mais rat­ta­chée à la Congrégation pour la Doctrine de la foi change-​t-​il pro­fon­dé­ment quelque chose quant à sa mission ?

La spé­ci­fi­ci­té de la struc­ture de la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei, à la lumière du motu pro­prio Ecclesiæ uni­ta­tem de juillet 2009, vient du fait qu’elle est étroi­te­ment liée à la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Le car­di­nal pré­sident est le car­di­nal pré­fet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et ses membres sont les car­di­naux et arche­vêques membres de la même Congrégation. Je dirai que la Commission pon­ti­fi­cale, d’une part, a été ren­for­cée, d’autre part, qu’elle a vu aug­men­ter les obli­ga­tions qui lui sont assignées.

Le rôle de la Commission se limite-​t-​il désor­mais à trai­ter de la ques­tion des négo­cia­tions avec la Fraternité Saint-​Pie X ? Et dans ce cas que deviennent les ins­ti­tuts Ecclesia Dei ?

Les devoirs que la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei a reçus, tout d’abord du motu pro­prio de Jean-​Paul II de 1988, et par la suite inté­grés par le motu pro­prio de Benoît XVI Summorum pon­ti­fi­cum, demeurent inchan­gés. Les com­pé­tences de la Commission en ce qui regarde l’application des dis­po­si­tions du motu pro­prio Summorum pon­ti­fi­cum concer­nant la forme antique du rite romain sont plei­ne­ment confir­mées. De la même façon est confir­mée, en ver­tu des facul­tés attri­buées à la Commission par les Souverains Pontifes, la mis­sion d’exercer au nom du Saint-​Siège l’autorité sur divers Instituts et Communautés reli­gieuses éri­gés par cette même Commission qui ont pour rite la forme extra­or­di­naire de la litur­gie romaine et pra­tiquent les tra­di­tions pré­cé­dentes de la vie reli­gieuse. À cela est venue s’ajouter, avec le motu pro­prio Ecclesiæ uni­ta­tem, la charge de trai­ter les ques­tions doc­tri­nales rela­tives aux dif­fi­cul­tés qui sub­sistent encore avec la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X pour rejoindre la pleine communion.

Comment évaluez-​vous l’application du motu pro­prio Summorum pon­ti­fi­cum aujourd’hui dans le monde, en Europe et par­ti­cu­liè­re­ment en France ?

De façon géné­rale il me semble qu’à deux ans de la publi­ca­tion de Summorum pon­ti­fi­cum la situa­tion est plu­tôt diver­si­fiée. Généraliser ou sim­pli­fier serait ici injuste. Peut-​être en France et dans la zone centre-​nord de l’Europe les pro­blèmes sont-​ils plus aigus, mais dans une période tran­si­toire, des réac­tions d’ordre psy­cho­lo­gique et des inter­ro­ga­tions sont bien com­pré­hen­sibles. Les dif­fi­cul­tés de répondre aux exi­gences des fidèles qui demandent la célé­bra­tion de la sainte messe dans la forme extra­or­di­naire sont dues par­fois à des atti­tudes d’hostilité ou à des pré­ju­gés, d’autres fois à des obs­tacles d’ordre pra­tique, comme l’insuffisance du cler­gé, la dif­fi­cul­té de trou­ver des prêtres capables de célé­brer digne­ment selon le rite ancien. En outre, on a peine à voir com­ment har­mo­ni­ser la pas­to­rale et la caté­chèse de la célé­bra­tion des sacre­ments dans le rite ancien avec la pas­to­rale et la caté­chèse ordi­naires des paroisses. Il est clair que les évêques et les prêtres sont exhor­tés à bien accueillir les légi­times exi­gences des fidèles, selon les normes éta­blies par le motu pro­prio, puisqu’il ne s’agit pas d’une conces­sion faite aux fidèles, mais d’un droit des fidèles de pou­voir accé­der à la litur­gie grégorienne.

D’autre part, il est évident qu’il faut être réa­listes et opé­rer avec le doig­té néces­saire, parce qu’il s’agit aus­si de faire œuvre de for­ma­tion et d’éducation dans la pers­pec­tive intro­duite par le pape Benoît XVI avec Summorum pon­ti­fi­cum. On est invi­té à consi­dé­rer les deux formes (de la litur­gie) comme deux usages de l’unique rite litur­gique, et donc de ne pas les voir en oppo­si­tion, mais au contraire comme expres­sions de l’unité sub­stan­tielle de la litur­gie. Nous sommes tous appe­lés à rece­voir la for­ma men­tis sur laquelle est fon­dé le motu pro­prio : étant tou­jours prio­ri­taire la conti­nui­té de l’histoire de foi de l’Église (lex cre­den­di et lex oran­di). Le renou­veau du concile Vatican II est à com­prendre en conti­nui­té avec la grande tra­di­tion doc­tri­nale de l’Église. Dans l’histoire de la litur­gie, il y a crois­sance et déve­lop­pe­ment inté­rieurs, mais il faut repous­ser toute rup­ture ou dis­con­ti­nui­té avec le pas­sé. Le patri­moine et le tré­sor spi­ri­tuel de la richesse litur­gique inclus dans la forme antique du mis­sel romain, ren­dus visibles de façon spé­ciale dans l’usage antique du rite, ne doivent pas res­ter en marge de la vie ecclé­siale, mais doivent être jus­te­ment pro­mus et appré­ciés dans les dio­cèses et les diverses réa­li­tés ecclésiales.

Beaucoup de demandes de messes célé­brées selon la forme extra­or­di­naire ne semblent pas pou­voir débou­cher en rai­son d’un refus des curés ou des Ordinaires. Y a‑t-​il un recours pos­sible auprès de votre Commission ?

La pro­cé­dure indi­quée par le motu pro­prio doit être res­pec­tée. Les fidèles doivent tout d’abord s’adresser au curé et, s’il y a des dif­fi­cul­tés, à l’évêque. C’est seule­ment dans le cas où sur­gi­raient des objec­tions ou des empê­che­ments de la part de l’évêque pour l’application du motu pro­prio, que les fidèles pour­raient se tour­ner vers la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei ; d’ailleurs l’évêque lui-​même peut s’adresser à la Commission au sujet des dif­fi­cul­tés qui sur­gi­raient pour divers motifs, afin que la Commission puisse offrir son aide et ses sug­ges­tions. Il faut cepen­dant bien pré­ci­ser que la façon de pro­cé­der de la Commission est ins­ti­tu­tion­nelle, comme pour tout autre orga­nisme de la Curie romaine. Les inter­lo­cu­teurs de la Commission sont les ordi­naires, évêques et supé­rieurs reli­gieux. Les fidèles qui le jugent oppor­tun peuvent envoyer des infor­ma­tions et signa­ler d’éventuels pro­blèmes et dif­fi­cul­tés à la Commission pon­ti­fi­cale, laquelle se réserve de son côté le soin d’examiner et de déci­der si et de quelle façon il faut pro­cé­der, en contact avec l’ordinaire du lieu.

Un docu­ment d’interprétation du motu pro­prio avait été annon­cé voi­ci plu­sieurs mois. Paraîtra-​t-​il prochainement ?

À l’article 11 du motu pro­prio on dit entre autres que « cette Commission a la forme, les charges et les normes que le Pontife Romain vou­dra lui attri­buer ». Une ins­truc­tion devrait suivre oppor­tu­né­ment pour pré­ci­ser cer­tains aspects concer­nant la com­pé­tence de la Commission pon­ti­fi­cale et l’application de quelques dis­po­si­tions nor­ma­tives. Le pro­jet est à l’étude.

D’une manière plus géné­rale, votre tra­vail s’insère-t-il dans le cadre éven­tuel d’une « réforme de la réforme » ?

L’idée d’une « réforme de la réforme litur­gique » a été sug­gé­rée à plu­sieurs reprises par celui qui était alors le car­di­nal Ratzinger. Si je me sou­viens bien, il ajou­tait que cette réforme ne serait pas le résul­tat d’un tra­vail de bureau d’une Commission d’experts, mais qu’elle deman­de­rait une matu­ra­tion dans la vie et la réa­li­té ecclé­siale tout entière.

Je pense qu’au point où on en est arri­vé, il est essen­tiel d’agir dans la ligne qu’indiquait le Saint-​Père dans la lettre de pré­sen­ta­tion du motu pro­prio sur l’usage de la litur­gie romaine anté­rieure à la réforme de 1970, à savoir que « les deux formes de l’usage du rite romain peuvent s’enrichir mutuel­le­ment » et que « ce qui était sacré pour les géné­ra­tions pré­cé­dentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrou­ver tota­le­ment inter­dit, voire consi­dé­ré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conser­ver les richesses qui ont gran­di dans la foi et dans la prière de l’Église, et de leur don­ner leur juste place ». C’est ain­si que s’est expri­mé le Saint-​Père. Promouvoir cette ligne signi­fie alors contri­buer effec­ti­ve­ment à cette matu­ra­tion dans la vie et dans la conscience litur­gique qui pour­rait por­ter, dans un ave­nir pas trop loin­tain, à une « réforme de la réforme ». Ce qui est essen­tiel aujourd’hui pour récu­pé­rer le sens pro­fond de la litur­gie catho­lique, dans les deux usages du mis­sel romain, c’est le carac­tère sacré de l’action litur­gique, le carac­tère cen­tral du prêtre comme média­teur entre Dieu et le peuple chré­tien, le carac­tère sacri­fi­ciel de la sainte messe, comme dimen­sion pri­mor­diale de laquelle dérive la dimen­sion de communion.

Étrangement la Commission char­gée de l’application du motu pro­prio Summorum pon­ti­fi­cum a gar­dé son nom dû au pré­cé­dent motu pro­prio. Y a‑t-​il une rai­son à cette permanence ?

Je suis d’avis que la rai­son se trouve dans la conti­nui­té sub­stan­tielle de cette ins­ti­tu­tion, en tenant compte de l’opportunité de sa mise à jour, et des néces­saires inté­gra­tions dues aux contin­gences du moment his­to­rique ecclésial.

Recueilli par Philippe Maxence