François et Mohammed discutent devant une mosquée… ou l’éternel retour d’un non dialogue

Il n’est pas nou­veau de voir les papes depuis une cin­quan­taine d’années nous res­ser­vir en per­ma­nence l’argument de la liber­té reli­gieuse dès qu’il s’agit de par­ler de la confes­sion­na­li­té des États pour la dénon­cer. Si avec une ardeur et un zèle tout « apos­to­lique » la hié­rar­chie de notre époque a détruit métho­di­que­ment l’un des fon­de­ments de la civi­li­sa­tion catho­lique, elle a aus­si mili­té auprès d’États non-​catholiques pour qu’ils acceptent eux aus­si d’adopter les prin­cipes énon­cés en Dignitatis Humanae.

En visite au Maroc le pape François vient rap­pe­ler les normes du reli­gieu­se­ment cor­rect à un inter­lo­cu­teur musul­man, le monarque ché­ri­fien Mohammed VI com­man­deur des croyants de son pays :

« Dans le res­pect de nos dif­fé­rences, la foi en Dieu nous conduit, en effet, à recon­naître l’éminente digni­té de tout être humain, ain­si que ses droits inalié­nables. Nous croyons que Dieu a créé les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en digni­té et qu’il les a appe­lés à vivre en frères et à répandre les valeurs du bien, de la cha­ri­té et de la paix. Voilà pour­quoi, la liber­té de conscience et la liber­té reli­gieuse – qui ne se limitent pas à la seule liber­té de culte mais qui doivent per­mettre à cha­cun de vivre selon sa propre convic­tion reli­gieuse – sont insé­pa­ra­ble­ment liées à la digni­té humaine. Dans cet esprit, il nous faut tou­jours pas­ser de la simple tolé­rance au res­pect et à l’estime d’autrui. » (Discours sur l’esplanade de la Tour Hassan, Rabat, 30 mars 2019)

Le sou­ve­rain maro­cain n’a pas man­qué de contrer fine­ment son interlocuteur

« En tant que Commandeur des Croyants, Je ne peux par­ler de Terre d’Islam, comme si n’y vivaient que des musul­mans. Je veille, effec­ti­ve­ment, au libre exer­cice des reli­gions du Livre et Je le garan­tis. Je pro­tège les juifs maro­cains et les chré­tiens d’autres pays qui vivent au Maroc. »

Cet extrait du dis­cours du monarque rap­pelle les prin­cipes d’action de ce der­nier. Juridiquement les juifs et les chré­tiens ont un sta­tut dans l’Islam. Le roi s’engage donc à le res­pec­ter, peut-​être dans un sens plus large que l’usage d’autres nations musul­manes, comme l’Arabie Saoudite par exemple. Quant aux autres « reli­gions », il n’en parle même pas. Ainsi son dis­cours se fonde, non sur les droits de l’homme, mais sur la tra­di­tion juri­dique isla­mique. Notons bien qu’il n’est pas ques­tion pour le roi d’envisager une chré­tien­té indi­gène au Maroc. Le chris­tia­nisme ne peut être qu’une reli­gion d’étrangers rési­dant sur le ter­ri­toire. Implicitement il refuse le droit aux Marocains d’être autre chose que des musul­mans ou des juifs.

Face à un Islam qui ne cède rien sur le fond, les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques conti­nuent de faire la sourde oreille et font sem­blant de croire que les prin­cipes délé­tères de la liber­té reli­gieuse sont adop­tés par toutes les par­ties en pré­sence. Quels qu’aient pu être les effets dra­ma­tiques de la liber­té reli­gieuse pour la dif­fu­sion du catho­li­cisme, les dif­fé­rents pon­tifes qui se suc­cèdent sur la chaire de Pierre conti­nuent de se rendre sourds jusqu’au point de ne pas entendre ce que leurs inter­lo­cu­teurs disent. Est-​il si attrayant le dia­logue de gens qui font sem­blant de par­ler le même langage ?

Source : Abbé Renaud de Sainte-​Marie pour La Porte Latine