Le 10 août 1519, un bûcheron, Jean de la Baume, gravit le mont Verdaille. Il commença sa journée par une prière, avant de se mettre au travail ; à peine s’était-il relevé qu’une nuée lui apparut, découvrant la Vierge Marie avec l’Enfant Jésus dans les bras, qu’entouraient Saint Bernard de Clairvaux et l’Archange Saint Michel. Notre Dame était debout, les pieds sur un croissant de lune. Elle s’adressa à Jean en ces termes :
« Je suis la Vierge Marie. Allez dire au clergé et aux consuls de Cotignac de me bâtir ici même une église, sous le vocable de Notre-Dame de Grâces ; et qu’on y vienne en procession, pour recevoir les dons que je veux y répandre. »
Et la vision disparut. Jean garda pour lui le message, ce qui lui valut la même vision et la même demande, le lendemain 11 août, au même endroit où il était revenu pour achever sa coupe de bois. Cette deuxième vision le décida à descendre au village sans attendre, pour transmettre la demande de Notre Dame. Tout de suite, la population comme les édiles, jouissant d’une foi catholique très vive, accordèrent crédit au message céleste transmis par le pieux et sérieux bûcheron, et décidèrent d’élever une petite chapelle à l’endroit des apparitions.
Après une grande procession de toute la paroisse, clergé et syndics en tête, au mont Verdaille, les travaux de construction commencèrent et, le 14 septembre 1519, jour de la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, les bâtisseurs, « commençant les fondations de cette église, trouvèrent en terre grande quantité d’ossements, des clous, des ferrailles, des boîtes d’ivoire et une boule de beau cristal, ce qui leur fit croire qu’il y avait là des martyrs enterrés » (rapport de l’an 1665).
L’approbation ecclésiastique ne se fit pas attendre : dès le 17 mars 1521, le pape Léon X, par un décret aujourd’hui perdu, accordait une série de privilèges à ce nouveau sanctuaire marial provençal. L’affluence des pèlerins à Cotignac fut tout de suite importante, et ne se démentit pas durant deux siècles et demi, jusqu’à la révolution de 1789. Les grâces obtenues des mains de Marie par les pèlerins furent extrêmement nombreuses, et le village de Cotignac lui-même fut constamment préservé de la peste, même en la terrible année 1720 où cette maladie fit de terribles ravages en Provence.
En 1692, un pèlerin notait que le sanctuaire regorgeait de « monuments particuliers » (il désigne ici de toute évidence des ex-voto) pour les « maladies guéries, les morts et naufrages évités … et une infinité d’autres bienfaits obtenus. »
Parmi cette multitude de grâces, la plus retentissante fut accordée au roi Louis XIII et à la reine Anne d’Autriche et, en leurs personnes, à toute la France : ce fut la naissance d’un héritier pour la Couronne de France. Le roi et la reine, qui s’étaient mariés en 1615, n’avaient toujours pas d’enfant en 1637 ; alors intervint directement Notre-Dame de Grâces.
Le 27 octobre 1637, tandis qu’il était en prière, le Frère Fiacre, augustin déchaussé de Paris, eut une soudaine révélation intérieure : la reine devait demander publiquement qu’on fît en son nom trois neuvaines de prières à la Sainte Vierge, et un fils lui serait donné : la première neuvaine en l’honneur de Notre-Dame de Grâces en Provence, la seconde de Notre Dame de Paris, la cathédrale, et la troisième de Notre Dame des Victoires, l’église de son couvent. Mais les supérieurs du Frère furent sceptiques et lui interdirent d’en parler, à moins d’apporter une preuve irréfutable.
Six jours plus tard, le 3 novembre à deux heures du matin, le Frère Fiacre, dans sa cellule, fut tiré de sa prière par des cris d’enfant, et se retrouva en face de la Vierge Marie qui lui montra dans ses bras un enfant vagissant, en lui disant :
« N’ayez pas peur, je suis la Mère de Dieu et l’enfant que vous voyez est le Dauphin que Dieu veut donner à la France. »
Et la vision disparut, puis se manifesta à nouveau un court moment, en silence. Deux heures plus tard, Notre Dame apparut seule et dit :
« Ne doutez plus, mon enfant, de ce que vous avez déclaré à votre confesseur. Pour marquer que je veux que l’on avertisse la reine de faire trois neuvaines en mon honneur, voilà la même image qui est à Notre-Dame de Grâces de Provence, et la façon de l’église. »
Et Frère Fiacre vit avec précision le tableau ainsi que le chœur de l’église du sanctuaire ; il en informa immédiatement ses supérieurs qui, comme lui, ne s’étaient jamais rendu à Cotignac. On consulta des amis qui avaient fait le pèlerinage : les descriptions concordaient parfaitement.
Informée très rapidement, la reine se mit à croire en la réalisation de ces promesses du Ciel transmises par le Frère Fiacre qui commença les trois neuvaines le 8 novembre 1637, et les acheva le 5 décembre, soit neuf mois exactement avant la naissance du futur Louis XIV, que ses parents prénommèrent « Louis Dieudonné » (c’est-à-dire « donné par Dieu »), et qui vint au monde le 5 septembre 1638. Louis XIII lui-même reconnut la puissante intercession de la Reine des Cieux dans la naissance de son fils, et n’hésita pas à écrire, dans sa lettre aux ambassadeurs annonçant l’heureux événement :
« Tout ce qui a précédé la délivrance de la reine, le peu de durée de son travail et toutes les circonstances de la naissance du Dauphin font voir que ce fils lui est donné de Dieu par la puissante intercession de la Sainte Vierge. »
Cette grâce insigne accordée au couple royal est l’une des causes du « vœu de Louis XIII », signé par le roi le 10 février 1638 puis enregistré comme loi, et qui consacrait la France à la Sainte Vierge. C’est ce vœu que nous renouvelons chaque année le 15 août, en la fête de l’Assomption.
Louis XIV et sa mère Anne d’Autriche vinrent en personne en pèlerinage d’action de grâces à Cotignac le 21 février 1660, et le roi offrit alors au sanctuaire sa bague en or et un long cordon de moire bleue céleste que portaient les membres du prestigieux ordre de chevalerie du Saint Esprit dont le roi était le Grand Maître.
Et en 1667, un an après la mort d’Anne d’Autriche, Louis XIV fit apposer une plaque dans l’église du sanctuaire de Cotignac, en mémoire de sa mère, rappelant qu’il fut « donné à son peuple par les vœux qu’Anne d’Autriche, reine de France, sa mère, fit dans cette église ». Cette plaque se trouve encore actuellement dans le sanctuaire Notre-Dame de Grâces.
Abbé Fabrice Delestre
Extrait du Parvis n° 58 de mai-juin 2013