Commentaire du décret Unitatis Redintegratio du 21 novembre 1964.
Un vieux mot
Le vocable œcuménisme vient du grec et contient deux idées. La première est celle d’universalité (c’est le sens de l’expression concile œcuménique), la seconde connote l’unité. Entendu dans un sens catholique, l’œcuménisme est l’effort que fait l’Église pour donner aux catholiques une unité visible et profonde, enracinée dans les paroles de Notre Seigneur : « Demeurez en moi et moi en vous » [1] et dans sa prière : « Père saint, gardez dans votre nom ceux que vous m’avez donnés afin qu’ils ne fassent qu’un comme nous » [2], « Et je leur ai donné la gloire que vous m’avez donnée, afin qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux, et vous en moi, afin qu’ils soient parfaitement un » [3]. Cette unité découle nécessairement de l’apostolat (« cet évangile du royaume sera prêché dans le monde entier… » [4] qui consiste à convertir les âmes et à les faire rentrer dans le bercail, i.e. dans la « grande famille » qu’est l’Église selon les paroles de Notre Seigneur : « Je ne prie pas seulement pour eux, mais aussi pour ceux qui, par leur prédication que, eux aussi, ils soient un en nous, afin que le monde croie que vous m’avez envoyé » [5]. L’œcuménisme catholique est donc le mouvement par lequel l’Eglise s’efforce de convertir les âmes du monde entier afin de les faire rentrer dans l’unité de l’Eglise, unité de la foi, des sacrements (culte) et du gouvernement. L’unité est le corollaire et le support de cette œcuménicité ou universalité.
Une idée nouvelle
Mais il existe une histoire de l’œcuménisme moderne. Ses bases se trouvent chez les protestants. Dès le XIX° siècle (mais en fait, historiquement, l’on pourrait remonter beaucoup plus loin dans le temps), les églises protestantes (principalement en Prusse et en Belgique) cherchent à s’unir et à mettre en commun leurs idées. Le but est de trouver une certaine unité entre eux. On appelait ce mouvement l’unionisme. A la suite de ces contacts est fondé en 1948 le Conseil Œcuménique des Eglises (COE) qui recherche un consensus autour de Notre Seigneur Dieu et Sauveur selon les Ecritures. Une assemblée se réunit tous les cinq ou six ans. Lors du congrès d’Evanston en 1954, l’archevêque de Chicago s’opposera formellement à ce que des observateurs catholiques assistent à ce congrès. Les églises orthodoxes entreront dans ce conseil en 1961. Il appert donc que l’œcuménisme est essentiellement un essai d’unité entre chrétiens seulement. Jusque-là, pas question de parler des religions non-chrétiennes : hindouisme, judaïsme, islam. Cette recherche d’unité entre chrétiens va trouver un terrain favorable chez plusieurs religieux catholiques. N’est-ce pas en effet un moyen de faire entendre la voix de l’Église ? N’est-ce pas une forme d’apostolat ?
Des noms !
On trouve tout d’abord les écrits de Teilhard de Chardin. Son idée maîtresse est la recherche d’une unité humaine dans le Christ au sein d’une évolution homogène. Mais concrètement, c’est au cardinal Mercier, primat de Belgique et archevêque de Malines, que l’on doit la première démarche du côté catholique. Il eut l’audacieuse idée de réunir anglicans et catholiques en de célèbres colloques connus sous le nom de conversations de Malines. Il y en eut cinq entre 1921 et 1925. La mort du cardinal mettra fin à ces réunions. D’ailleurs, Pie XI, dans son encyclique Mortalium animos (1928) rendra sans suite ces projets. Le cardinal Mercier avait un conseiller du nom de Lambert Beauduin. C’est lui qui fut l’âme du grand œuvre de l’œcuménisme et insuffla cet esprit à son maître. Ardent promoteur de l’unité avec les anglicans et les orthodoxes, il fut exilé par Rome. Il eut comme protecteur durant sa période d’exil un certain Roncalli, futur Jean XXIII. S’il désirait une maturation, c’était du côté des catholiques qui devaient se rendre compte des richesses de l’Orient chrétien et « éveiller [en eux] un profond sentiment de culpabilité à cause des fautes commises au cours de l’histoire, notamment à l’époque des Croisades » [6]. Vint alors l’abbé Paul Couturier (1881–1963) qui sera le grand apôtre de cet œcuménisme [7]. Actif et sans repos, soumettant tous ses projets à son évêque le cardinal Gerlier, il se dépensa sans compter auprès des orthodoxes, des anglicans et des réformés. Il définissait d’ailleurs son travail comme une « parrallélaboration ». Il est à l’origine de la semaine de l’unité chrétienne en 1934, « fondement de l’œcuménisme » selon ses propres mots, et de nombreux dialogues entre catholiques et réformés ou catholiques et anglicans. Mais le grand nom du concile est celui de Congar. Imbus de Couturier, il déploie sa thèse de l’œcuménisme dans son maître ouvrage : Chrétiens désunis (1937).
La paix
De tous ces mouvements entre chrétiens, il ressort principalement que le ton de l’opposition veut être écarté. La dureté de la Contre-Réforme, issue disent-ils de l’obscurantisme et de la scolastique du Moyen Age, n’est plus de mise : on veut désormais un dialogue ou l’on cherche à se comprendre mutuellement, à découvrir les richesses de chacun, dans un climat de charité et d’équilibre. Le travail qui résulte alors est une synthèse [8] qui permet de retrouver toutes les valeurs authentiques chrétiennes. C’est ce discours que l’on fera entendre au Concile, à travers le décret Unitatis Redintegratio, et que l’on ne cesse d’ailleurs d’entendre encore aujourd’hui.
Le plan
Le plan du décret Unitatis redintegratio est cohérent. Le texte est composé de trois parties. La première énonce les principes catholiques de l’œcuménisme ; la seconde très logiquement se penche sur l’exercice de l’œcuménisme. Enfin, la troisième partie s’arrête particulièrement sur les églises et communautés ecclésiales séparées du siège apostolique romain (il s’agit notamment des orientaux).
Analyse
Ce qui ressort, à côté de propositions tout à fait catholiques, c’est un double problème. Le premier est celui de la confusion acte/puissance qui fait de l’Eglise une réalité en puissance, en devenir, donc en mouvement ou en construction permanente [9]. Le deuxième problème est une humanisation de la religion en ce sens que chez les dissidents, il faut toujours incorporer ce qu’il y a d’humain pour le rendre plus humain. Bref le facteur d’œcuménisme n’a rien de surnaturel. Enfin, l’édification de la vérité doit se faire dans la charité, ce qui est précisément l’humanitarisme : la foi n’est plus fondement de la charité, mais c’est l’inverse.
Ce document est hélas un vaste compromis entre la doctrine chrétienne et la doctrine libérale. Il est typique du modernisme en ceci qu’il correspond parfaitement à la description qu’en faisait saint Pie X : lisez un paragraphe, vous croirez lire un catholique, tournez la page et vous verrez le libéral.
Allez comprendre…
Bornons-nous à relever dans ce document quelques points litigieux. Le premier réside dans le flou des contradictions apparentes et difficiles à lever. En effet, à côté de propositions catholiques, on trouve des phrases plus qu’ambiguës. « Il est permis, bien plus, il est souhaitable que les catholiques s’associent pour prier avec les frères séparés » [10]. « Il n’est pas permis de considérer la communicatio in sacris comme un moyen à employer sans discernement pour établir l’unité des chrétiens » [11]. Permis ? Pas permis ?
« Les Églises et Communautés ecclésiales qui, à l’époque de la grande crise commencée en Occident, à la fin du moyen âge ou dans la suite, furent séparées du Siège apostolique romain, demeurent unies à l’Église catholique par une affinité particulière et par des relations dues à la longue durée de vie du peuple chrétien dans la communion ecclésiastique au cours des siècles passés » [12]. Séparées ? Unies ?
L’Église une galaxie nébuleuse
Un autre problème se cache dans ce texte. Il s’agit de l’expression de « plénitude ». Plusieurs fois en effet, le concile affirme que les chrétiens (non catholiques) ne sont pas en pleine communion avec l’Église du Christ. L’expression a ceci de maladroit qu’elle laisse toujours supposer de façon floue qu’il existe par conséquent un certain lien entre chrétiens et catholiques qui les fait cohabiter dans une espèce de communion absolument pas définie. « Des communautés considérables furent séparées de la pleine communion » [13]. « En effet, ceux qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême, se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Église catholique » [14].
Ces textes laissent à penser qu’il existerait un tertium quid, une voie moyenne, un no man’s land entre ceux qui sont dans l’Église et ceux qui n’y sont pas, comme si l’on pouvait appartenir à l’Église sans en faire partie… Il ne s’agit plus alors d’une différence essentielle entre catholiques et non catholiques, mais d’une différence de degrés.
Du respect s’il vous plait
La conséquence est claire : il faut alors respecter les valeurs que l’on trouve chez les chrétiens, estimer ces hommes, dialoguer avec eux en mettant de côté tout ce pourrait opposer et ainsi se retrouver sur un même pied d’égalité.
« Ceux qui naissent aujourd’hui dans de telles Communautés, et qui vivent de la foi au Christ, ne peuvent être accusés de péché de division et l’Église catholique les entoure de respect fraternel et de charité » [15].
« Assurément, des divergences variées entre eux et l’Église catholique sur des questions doctrinales, parfois disciplinaires, ou sur la structure de l’Église, constituent nombre d’obstacles, parfois fort graves, à la pleine communion ecclésiale. Le Mouvement œcuménique tend à les surmonter. Néanmoins, justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ, ils portent à juste titre le nom de Chrétiens et les fils de l’Église catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur » [16].
« Ensuite au cours de réunions de Chrétiens de diverses Églises ou Communautés, organisées dans un esprit religieux, le « dialogue » mené par des experts bien informés, où chacun explique à fond la doctrine de sa Communauté et montre de façon claire ce qui la caractérise. Par ce dialogue, tous acquièrent une connaissance plus véritable, en même temps qu’une estime plus juste, de l’enseignement et de la vie de chaque Communauté » [17].
« Pour obtenir ce résultat, un moyen fécond est de se réunir pour traiter surtout de questions théologiques, où tous se comportent d’égal à égal entre eux… » [18].
Voilà de quoi endormir les bonnes consciences dans l’indifférence : le salut ne vient plus exclusivement de l’Église, on peut le trouver ailleurs. « De même, beaucoup de gestes sacrés de la religion chrétienne s’accomplissent chez nos frères séparés, et, de manières différentes, selon la situation diverse de chaque Église ou Communauté, ils peuvent certainement produire effectivement la vie de la grâce, et l’on doit reconnaître qu’ils ouvrent l’entrée de la communion du salut. En conséquence, ces Églises et Communautés séparées, bien que nous les croyions victimes de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut dont la force dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique » [19].
Un texte proche de l’hérésie
L’erreur contenue dans ces textes consiste finalement à dire que l’Église n’est pas une en acte mais en puissance, en devenir, donc en mouvement ou en construction permanente [20]. Autrement dit, elle construit son unité et ne peut le faire qu’en se tournant vers les chrétiens dissidents. Or nier cette unité, c’est nier la perfection de l’Église, c’est donc la croire imparfaite donc non divine. Ce qui a pour conséquence la repentance ou demande de pardon… « Par une humble prière, nous devons demander pardon à Dieu et aux frères séparés » [21].
Et puis il faut toujours incorporer ce qu’il y a d’humain pour le rendre plus humain. Bref le facteur d’œcuménisme n’a rien de surnaturel : l’édification de la “vérité” doit se faire dans la “charité”, ce qui est précisément l’humanitarisme. Pour eux, la foi n’est plus fondement de la charité, mais c’est l’inverse.
D’après un article de l’abbé Gabriel Billecocq, prêtre de la Fraternité Saint Pie X, initialement paru dans la revue Fideliter.
- Jn 15, 4.[↩]
- Jn 17, 11.[↩]
- Jn 17, 22.[↩]
- Mt 24, 14.[↩]
- Jn 17, 20–21.[↩]
- Maurice Villain, Introduction à l’œcuménisme, Église vivante, Casterman, p.217. [↩]
- L’œuvre magistrale de cet ecclésiastique lazariste est condensée dans son livre qui est en même temps son testament Prière et unité chrétienne.[↩]
- Le terme est de Maurice Villain dans l’ouvrage cité ci avant, p. 243.[↩]
- Cette conception est typique de la pensée philosophique moderne, principalement chez les existentialistes, mais aussi chez Blondel pour qui la vie n’est pas acte, mais action, et chez Bergson pour qui le mouvement est substance des choses.[↩]
- U.R. n° 8[↩]
- U.R. n° 8.[↩]
- U.R. n° 19.[↩]
- U.R. n° 3.[↩]
- U.R. n° 3.[↩]
- U.R. n° 3.[↩]
- U.R. n° 3.[↩]
- U.R. n° 4. Il s’agit des initiatives demandées par le texte en vue de l’unité des chrétiens et définissant ainsi le « Mouvement œcuménique ».[↩]
- U.R. n° 9.[↩]
- U.R. n° 3.[↩]
- Cette conception est typique de la pensée philosophique moderne, principalement chez les existentialistes, mais aussi chez Blondel pour qui la vie n’est pas acte, mais action, et chez Bergson pour qui le mouvement est substance des choses.[↩]
- U.R. n° 7.[↩]