Y a‑t-​il un droit naturel à la liberté religieuse ?

Le Concile Vatican II enseigne que la liberté religieuse :
 » consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. »
Dignitatis Humanae n°2

Cette décla­ra­tion contre­dit les ensei­gne­ments du magis­tère tra­di­tion­nel. Elle reprend des pro­po­si­tions condam­nées par le magis­tère, en par­ti­cu­lier dans l’encyclique Quanta cura : « La liber­té de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme. Ce droit doit être pro­cla­mé et garan­ti par la loi dans toute socié­té bien orga­ni­sée ». Ou encore : « la meilleure condi­tion de la socié­té est celle où on ne recon­naît pas au pou­voir le devoir de répri­mer par des peines légales les vio­la­tions de la reli­gion catho­lique, si ce n’est dans la mesure où la tran­quilli­té publique le demande »[1].

Pourtant cer­tains textes anté­rieurs au concile Vatican II ne pourraient-​ils pas être consi­dé­rés comme des pré­pa­ra­tions plus ou moins éloi­gnées à ce que celui-​là affir­me­ra ? C’est ce que le Concile pré­ten­dait lui-​même : « Traitant de cette liber­té reli­gieuse, le Saint Concile entend déve­lop­per la doc­trine des Souverains Pontifes les plus récents sur les droits invio­lables de la per­sonne humaine et l’ordre juri­dique de la socié­té »[2].

Il y a tout d’abord des textes qui, bien qu’ils traitent de la tolé­rance reli­gieuse, semblent annon­cer le droit de ne pas être empê­ché dont parle la décla­ra­tion Dignitatis humanæ. Ainsi dans l’allocution Ci Riesce, le pape Pie XII dit :

Peut-​il se faire que, dans des cir­cons­tances déter­mi­nées, Il [Dieu] ne donne aux hommes aucun com­man­de­ment, n’impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de répri­mer ce qui est faux et erro­né ? Un regard sur la réa­li­té auto­rise une réponse affirmative.

Discours à des juristes ita­liens (6 décembre 1953) dans Documents Pontificaux de Sa Sainteté Pie XII (désor­mais noté DP), éd. Saint Augustin, tome 15 : 1953, p. 615

Contre les tota­li­ta­rismes, les papes ont par ailleurs ensei­gné que la per­sonne humaine avait des droits inalié­nables sur les­quels l’État n’avait aucun pou­voir. Ainsi le pape Pie XII dans son radio mes­sage de Noël 1942 disait qu’il fal­lait protéger

le res­pect et l’exercice pra­tique des droits fon­da­men­taux de la per­sonne, à savoir : le droit à main­te­nir et à déve­lop­per la vie cor­po­relle, intel­lec­tuelle et morale, en par­ti­cu­lier le droit à une for­ma­tion et à une édu­ca­tion reli­gieuses ; le droit au culte de Dieu, pri­vé et public, y com­pris l’action cha­ri­table religieuse.

Pie XII, Message de Noël du 24 décembre 1942, dans La paix inté­rieure des nations (désor­mais noté PIN), col­lec­tion « Les ensei­gne­ments pon­ti­fi­caux » par les moines de Solesmes, Desclée, 1962, n° 803–804.

1. Nature et dignité humaine

A. Liberté & dignité

1. Libre-​arbitre et liberté morale

Le libre-​arbitre est une pro­prié­té de la volon­té qui, étant ordon­née au bien uni­ver­sel, n’est pas déter­mi­née à tel ou tel bien. Elle domine les biens par­ti­cu­liers (indif­fe­ren­tia domi­na­trix volun­ta­tis cir­ca objec­tum non ex omni parte bonus)[1] et doit donc se déter­mi­ner elle-​même indé­pen­dam­ment de toute néces­si­té intérieure.

La liber­té morale concerne l’usage du libre-​arbitre qui, ayant pour objet le bien, ne se tourne vers le mal que par défaillance. Le péché n’est tout au plus qu’un signe de l’existence du libre-​arbitre, comme la mala­die est un signe que l’animal est vivant. Mais la liber­té morale ne se défi­nit pas par rap­port au péché (pas plus que la vie ne se défi­nit par rap­port à la mala­die)[2]

2. Lois civiles

L’homme n’est pas un indi­vi­du iso­lé. Par nature il vit en socié­té et donc ne peut atteindre sa propre fin qu’en cher­chant le bien com­mun de cette socié­té. La loi éter­nelle, qui est la règle suprême, doit être par­ti­cu­la­ri­sée par l’autorité de la socié­té. Voilà pour­quoi le pape Léon XIII donne cette défi­ni­tion de la liber­té que Mgr Lefebvre qua­li­fiait de « plé­nière »[3] :

Dans une socié­té d’hommes, la liber­té digne de ce nom ne consiste pas à faire tout ce qui nous plaît : ce serait dans l’État une confu­sion extrême, un trouble qui abou­ti­rait à l’op­pres­sion ; la liber­té consiste en ce que, par le secours des lois civiles, nous puis­sions plus aisé­ment vivre selon les pres­crip­tions de la loi éternelle.

« ut per leges civiles expe­di­tius pos­sis secun­dum legis æternæ præs­crip­ta vivere » (Léon XIII, ency­clique Libertas, dans PIN n°185).

3. Dignité humaine

Il existe dans la nature humaine une digni­té que l’on appe­ler « radi­cale » ou « onto­lo­gique » en rai­son de son carac­tère spirituel.

La digni­té, fai­sant réfé­rence à la bon­té, sera plus jus­te­ment attri­bué en rai­son de l’agir bon et ver­tueux qu’en rai­son de la simple nature. C’est la digni­té morale ou opé­ra­tive. Ainsi saint Thomas enseigne que

Par le péché l’homme s’écarte de l’ordre pres­crit par la rai­son ; c’est pour­quoi il déchoit de la digni­té humaine qui consiste à naître libre et à exis­ter pour soi ; il tombe ain­si dans la ser­vi­tude qui est celle des bêtes, de telle sorte que l’on peut dis­po­ser de lui selon qu’il est utile aux autres, selon le Psaume (49, 21) : “L’homme, dans son orgueil ne l’a pas com­pris ; il est des­cen­du au rang des bêtes ; il leur est deve­nu semblable” .

2–2, q. 64, art. 2, ad 3um.

Le magis­tère de l’Eglise a assu­mé cet enseignement :

La liber­té, cet élé­ment de per­fec­tion pour l’homme, doit s’ap­pli­quer à ce qui est vrai et à ce qui est bon (…) Si l’in­tel­li­gence adhère à des opi­nions fausses, si la volon­té choi­sit le mal et s’y attache, ni l’une ni l’autre n’at­teint sa per­fec­tion, toutes deux déchoient de leur digni­té native et se cor­rompent. Il n’est donc pas per­mis de mettre au jour et d’ex­po­ser aux yeux des hommes ce qui est contraire à la ver­tu et à la véri­té, et bien moins encore de pla­cer cette licence sous la tutelle et la pro­tec­tion des lois.

Léon XIII, ency­clique Immortale Dei du 1er novembre 1885, dans PIN n°149.

2. Le magistère conciliaire

A. Le concile Vatican II

1. D’un droit naturel à un droit civil

Le concile Vatican II ne recon­naît pas de droit natu­rel au faux culte, mais un droit natu­rel de ne pas être empê­ché par quelque pou­voir humain que ce soit.

Selon lui, c’est un droit natu­rel, et non pas seule­ment un droit civil, car il est fon­dé « dans la digni­té même de la per­sonne humaine » et oblige donc tou­jours et par­tout. Il ne s’agit pas d’un droit à être tolé­ré puisque la tolé­rance ne peut être l’objet d’un droit natu­rel, étant essen­tiel­le­ment dépen­dante des cir­cons­tances particulières.

Ce droit natu­rel doit être recon­nu par la loi : « ce droit de la per­sonne humaine à la liber­té reli­gieuse dans l’ordre juri­dique de la socié­té doit être recon­nu de telle manière qu’il consti­tue un droit civil » (Dignitatis humanæ n° 2a). C’est l’État qui doit faire en sorte que « nul ne soit for­cé d’agir contre sa conscience, ni empê­ché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en pri­vé comme en public, seul ou asso­cié à d’autres » (ibi­dem). Ce serait donc un devoir pour l’État de ne pas empê­cher les faux cultes, mais de leur accor­der la même liber­té qu’à l’Église.

Or c’est ce qu’ont condam­né tous les papes. Nous citions le pape Pie IX, citons Léon XIII :

La liber­té de culte, consi­dé­rée dans son rap­port à la socié­té, est fon­dée sur ce prin­cipe que l’État, même dans une nation catho­lique, n’est tenu de pro­fes­ser ou de favo­ri­ser aucun culte ; il doit res­ter indif­fé­rent au regard de tous et en tenir un compte juri­di­que­ment égal. Il n’est pas ques­tion ici de cette tolé­rance de fait, qui en des cir­cons­tances don­nées, peut être concé­dée aux cultes dis­si­dents ; mais bien de la recon­nais­sance accor­dée à ceux-​ci, droits mêmes qui n’appartiennent qu’à l’unique vraie reli­gion, que Dieu a éta­blie dans le monde et a dési­gnée par des carac­tères et des signes clairs et pré­cis, pour que tous puissent la recon­naître comme telle et l’embrasser. Aussi bien, une telle liber­té place-​t-​elle sur la même ligne la véri­té et l’erreur, la foi et l’hérésie, l’Église de Jésus-​Christ et une quel­conque ins­ti­tu­tion humaine.

Lettre E giun­to à l’empereur du Brésil, 19 juillet 1889, dans PIN n° 234 et 235.

2. L’État devant la vérité et les erreurs religieuses

Selon le concile Vatican II, la vie reli­gieuse de la per­sonne humaine échappe à l’autorité de l’État qui, tou­jours selon lui, est inca­pable d’interdire un culte reli­gieux au seul motif qu’il serait faux. L’ordre social en effet joui­rait d’une cer­taine auto­no­mie par rap­port au droit posi­tif divi­ne­ment révé­lé. L’État ne pour­rait inter­dire une mani­fes­ta­tion reli­gieuse qu’en rai­son « de l’ordre public »[7] ou de la « mora­li­té publique »[8] c’est-à-dire en rai­son de motifs extrin­sèques. La véri­té ou la faus­se­té de la reli­gion n’interviendrait nul­le­ment dans l’action de l’État par rap­port à la vie religieuse.

En outre, par nature, les actes reli­gieux par les­quels, en pri­vé ou publi­que­ment, l’homme s’ordonne à Dieu en ver­tu d’une déci­sion per­son­nelle, trans­cendent l’ordre ter­restre et tem­po­rel des choses. Le pou­voir civil, dont la fin propre est de pour­voir au bien com­mun tem­po­rel, doit donc, certes, recon­naître et favo­ri­ser la vie reli­gieuse des citoyens, mais il faut dire qu’il dépasse ses limites s’il s’arroge le droit de diri­ger ou d’empêcher les actes religieux.

Dignitatis Humanae n°3e

Cette affir­ma­tion revien­drait à dire que l’Église s’est trom­pée pen­dant des siècles en exi­geant de l’État pré­ci­sé­ment le contraire. En 1953 encore, sous le pape Pie XII, le pro­to­cole final du concor­dat avec l’Espagne sta­tuait : « On n’autorisera pas d’autres céré­mo­nies ni d’autres mani­fes­ta­tions que celles de la reli­gion catholique ».

Il faut au contraire dire que dès que la vie reli­gieuse se mani­feste par des actes exté­rieurs, elle devient cause d’édification ou de scan­dale. L’État peut donc empê­cher les actes reli­gieux qui nuisent au bien com­mun tem­po­rel (en lui-​même et dans son ordi­na­tion au bien com­mun éter­nel) en vio­lant le culte ou la doc­trine de la reli­gion catho­lique. C’est ain­si que le pape Pie IX condam­nait cette pro­po­si­tion : « la meilleure condi­tion de la socié­té est celle où on ne recon­naît pas au pou­voir le devoir de répri­mer par des peines légales les vio­la­tions de la reli­gion catho­lique, si ce n’est dans la mesure où la tran­quilli­té publique le demande.[9]

Par ailleurs l’État est lui aus­si une créa­ture qui doit recon­nais­sance, culte, et sou­mis­sion à Dieu. Comment un droit natu­rel pourrait-​il l’obliger à lais­ser liber­té aux fausses reli­gions et ain­si à vio­ler le droit strict que Dieu pos­sède sur lui ? Comment pourrait-​il mettre sur un pied d’égalité ces fausses reli­gions et Notre Seigneur Jésus-​Christ à qui tout pou­voir a été don­né au ciel et sur la terre (cf. Mat 28, 18), sans com­mettre une faute grave de lèse-​majesté ? Le devoir de l’État est de recon­naître la royau­té du Christ et d’empêcher, autant que faire se peut, le mal de l’erreur reli­gieuse de se répandre.

Notre-​Seigneur n’est pas facul­ta­tif. Le Pape Pie XI ensei­gnait que le mépris dont il est l’objet était la source de tous les maux dont souffre le monde moderne :

Dans la pre­mière Encyclique qu’au début de Notre Pontificat Nous adres­sions aux évêques du monde entier, Nous recher­chions la cause intime des cala­mi­tés contre les­quelles, sous Nos yeux, se débat, acca­blé, le genre humain. Or, il Nous en sou­vient, Nous pro­cla­mions ouver­te­ment deux choses : l’une, que ce débor­de­ment de maux sur l’univers pro­ve­nait de ce que la plu­part des hommes avaient écar­té Jésus-​Christ et sa loi très sainte des habi­tudes de leur vie indi­vi­duelle aus­si bien que de leur vie fami­liale et de leur vie publique ; l’autre, que jamais ne pour­rait luire une ferme espé­rance de paix durable entre les peuples tant que les indi­vi­dus et les nations refu­se­raient de recon­naître et de pro­cla­mer la sou­ve­rai­ne­té de Notre Sauveur. C’est pour­quoi, après avoir affir­mé qu’il fal­lait cher­cher la paix du Christ par le règne du Christ, Nous avons décla­ré Notre inten­tion d’y tra­vailler dans toute la mesure de Nos forces ; par le règne du Christ, disions-​Nous, car, pour rame­ner et conso­li­der la paix, Nous ne voyions pas de moyen plus effi­cace que de res­tau­rer la sou­ve­rai­ne­té de Notre-Seigneur.

Pie XI, ency­clique Quas Primas, dans PIN n° 521.

B. Le pape Benoît XVI

1. La simple religion naturelle

Le pape Benoît XVI expli­cite toute sa pen­sée sur ce sujet dans un Discours aux juristes catho­liques ita­liens du 9 décembre 2006, ain­si que dans l’exhortation Ecclesia in Medio Oriente du 14 sep­tembre 2012. Le pape insiste sur le fait qu’il y a une juste auto­no­mie de la socié­té civile par rap­port aux dif­fé­rentes tra­di­tions reli­gieuses et par rap­port à l’Église, mais pas par rap­port à l’ordre moral de la loi natu­relle. « Ces valeurs, avant d’être chré­tiennes, sont humaines, c’est-à-dire qu’elles ne laissent pas indif­fé­rente et silen­cieuse l’Église, qui a le devoir de pro­cla­mer avec fer­me­té la véri­té sur l’homme et sur son des­tin »[10] Ou encore : « Affirmer pour autant que ces droits ne sont que des droits chré­tiens de l’homme, n’est pas juste. Ils sont sim­ple­ment des droits exi­gés par la digni­té de toute per­sonne humaine et de tout citoyen quels que soient ses ori­gines, ses convic­tions reli­gieuses et ses choix poli­tiques »[11].

C’est ain­si que cette auto­no­mie doit se défi­nir comme une « saine laï­ci­té » qui non seule­ment n’exclut pas l’intervention de l’Église et des reli­gions, mais l’exige même parce que la reli­gion est le fon­de­ment qui donne à la loi morale son carac­tère abso­lu. La reli­gion doit être recon­nue comme une orga­ni­sa­tion d’utilité publique ayant le droit d’intervenir sur le ter­rain social. « Il s’agit de mon­trer que sans Dieu, l’homme est per­du et que l’exclusion de la reli­gion de la vie sociale, en par­ti­cu­lier la mar­gi­na­li­sa­tion du chris­tia­nisme, mine les bases mêmes de la coexis­tence humaine »[12].

La liber­té des reli­gions dont parle le pape Benoît XVI est au ser­vice de leur plus petit déno­mi­na­teur com­mun, d’un fond qui leur serait com­mun. Or les papes dans le pas­sé ont pu par­ler d’un droit abs­trait à rendre un culte à Dieu, mais ils se sont tou­jours bien gar­dés de pré­tendre qu’il pour­rait exis­ter une simple reli­gion natu­relle qui se retrou­ve­rait dans toutes les reli­gions. Pour eux concrè­te­ment, seul le culte catho­lique était agréable à Dieu, et seul il avait gar­dé les élé­ments sains de la « reli­gion naturelle ».

Par ailleurs cette façon de par­ler de la liber­té reli­gieuse la can­tonne posi­ti­ve­ment dans l’ordre natu­rel des choses. C’est mécon­naître la royau­té sociale de Notre-​Seigneur et oublier que les fausses reli­gions, par le seul fait qu’elles détournent de l’Église catho­lique, entraînent les âmes en enfer. C’est du natu­ra­lisme. Le pape saint Pie X condam­nait la thèse de la sépa­ra­tion de l’Église et de l’État en ces termes :

Cette thèse est la néga­tion très claire de l’ordre sur­na­tu­rel ; elle limite, en effet, l’action de l’État à la seule pour­suite de la pros­pé­ri­té publique durant cette vie, qui n’est que la rai­son pro­chaine des socié­tés poli­tiques, et elle ne s’occupe en aucune façon, comme lui étant étran­gère, de leur rai­son der­nière qui est la béa­ti­tude éter­nelle pro­po­sée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin.

Saint Pie X, ency­clique Vehementer nos du 11 février 1906.

2. Droit à l’apostasie

Par ailleurs pour Benoît XVI, si l’homme reli­gieux c’est « qui­conque croit en Dieu et à sa pré­sence trans­cen­dante dans le monde[13]», la liber­té reli­gieuse, elle, s’étend jusqu’au rejet de la religion :

Toute per­sonne doit pou­voir exer­cer libre­ment le droit de pro­fes­ser et de mani­fes­ter indi­vi­duel­le­ment ou de manière com­mu­nau­taire, sa reli­gion ou sa foi, aus­si bien en public qu’en pri­vé, dans l’enseignement et dans la pra­tique, dans les publi­ca­tions, dans le culte et dans l’observance des rites. Elle ne devrait pas ren­con­trer d’obstacles si elle désire, éven­tuel­le­ment, adhé­rer à une autre reli­gion ou n’en pro­fes­ser aucune.

Benoît XVI, dis­cours du 1er jan­vier 2011.

L’enseignement du pape [émé­rite] dépasse-​t-​il celui du concile Vatican II ? En tous les cas, aucun texte du magis­tère anté­rieur ne pour­ra être cité pour défendre ce qui pour un catho­lique cor­res­pond à une l’apostasie.

Conclusion : discontinuité entre le magistère constant de l’Église et le magistère conciliaire

L’allocution Ci Riesce où le pape Pie XII affirme qu’il peut se faire qu’il n’y ait « aucun droit d’empêcher et de répri­mer ce qui est faux et erro­né » est la même où il affirme (nous l’avons cité plus haut) : « ce qui ne répond pas à la véri­té ou la loi morale n’a objec­ti­ve­ment aucun droit à l’existence, ni à la pro­pa­gande, ni à l’action ». Le pape ne parle donc pas de droit natu­rel à de ne pas être empê­ché par quelque pou­voir humain que ce soit, mais affirme sim­ple­ment qu’il ne revient pas aux indi­vi­dus d’empêcher des mani­fes­ta­tions publiques, et que, dans cer­taines cir­cons­tances, l’État lui-​même doit tolé­rer les faux cultes en leur attri­buant un droit civil à l’existence.

Quant à voir entre les droits humains énon­cés par le magis­tère tra­di­tion­nel et le droit à la liber­té reli­gieuse une conti­nui­té, la ques­tion a été réglée depuis long­temps. Dans les Doutes sur la liber­té reli­gieuse que Mgr Lefebvre envoyait à Rome en 1987, cette ques­tion du droit sub­jec­tif à la liber­té de la vraie reli­gion ensei­gnée par les papes d’avant le Concile est lon­gue­ment étu­diée. Déjà cer­tains avaient cru voir dans cette doc­trine tra­di­tion­nelle un moyen de com­prendre la liber­té reli­gieuse de Vatican II. La réponse de Mgr Lefebvre est sans appel. La voici :

Prétendre que le magis­tère de l’Église puisse tirer de cette doc­trine catho­lique et de la conti­nui­té inva­riable de ses affir­ma­tions dans la bouche des papes, comme par un ‘déve­lop­pe­ment homo­gène’, une doc­trine d’un droit objec­tif à la liber­té reli­gieuse qui appar­tien­drait indis­tinc­te­ment aux adeptes de toutes les reli­gions, c’est une erreur, une absur­di­té, une impos­ture, une héré­sie, puisqu’elle attri­bue à l’Église la capa­ci­té de se contre­dire, un impié­téenfin, puisqu’elle condamne l’Église à nous men­tir sans ver­gogne en disant : ‘rassurez-​vous, il y a conti­nui­té’ alors qu’il y a au contraire rup­ture évidente.

Doutes sur la liber­té reli­gieuse envoyés à Rome par Mgr Lefebvre en 1987, ouvrage qu’il appe­lait « un docu­ment fon­da­men­tal sur cette ques­tion de vie ou de mort pour l’Eglise ».

Abbé Thierry Gaudray, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Source : Vu de Haut n°20, « Vatican II, les points de rup­ture : actes du col­loque des 10 et 11 novembre 2012 ». Vu de haut est la revue de l’Institut Universitaire Saint-​Pie X.

Notes de bas de page

  1. Enchiridion sym­bo­lo­rum, defi­ni­tio­num et decla­ra­tio­num, auc­tore Henrico Denzinger, edi­tio XII quam para­vit Clemens Bannwart, Fribourg, Herder, 1921 (désor­mais noté Dz) n° 1690 et 1689[]
  2. Dignitatis humanæ n° 1c[]
  3. Définition tirée de Saint Thomas d’Aquin, Somme théo­lo­gique, 1–2, q.10, a.2.[]
  4. « Ad ratio­nem libe­ri arbi­trii non per­ti­net ut inde­ter­mi­nate se habeat ad bonum vel ad malum : quia libe­rum arbi­trium per se in bonum ordi­na­tum est, cum bonum sit objec­tum volun­ta­tis, nec in malum ten­dit nisi prop­ter ali­quem defec­tum, quia appre­hen­di­tur ut bonum ; cum non sit volun­tas aut elec­tio nisi boni, aut appa­ren­tis boni : et ideo ubi per­fec­tis­si­mum est libe­rum arbi­trium, ibi in malum ten­dere non potest, quia imper­fec­tum esse non potest. Sed hoc ad liber­ta­tem arbi­trii per­ti­net ut actio­nem ali­quam facere vel non facere pos­sit, et hoc Deo conve­nit ; bona enim quæ facit potest non facere ; nec tamen malum facere potest » (Saint Thomas, Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 ad 2).[]
  5. Mgr Lefebvre, Ils l’ont décou­ron­né, éd. Fideliter, Escurolles, 1987,  p. 34.[]
  6. Pie XII, Discours à des juristes ita­liens (6 décembre 1953) dans DP, p. 616.[]
  7. Dignitatis humanæ n° 2[]
  8. Dignitatis humanæ n° 7[]
  9. Proposition condam­née dans l’encyclique Quanta cura, Dz 1689.[]
  10. Benoît XVI, dis­cours aux juristes catho­liques ita­liens du 9 décembre 2006.[]
  11. Benoît XVI, exhor­ta­tion Ecclesia in Medio Oriente du 14 sep­tembre 2012.[]
  12. Benoît XVI, ibi­dem.[]
  13. Benoît XVI, dis­cours aux juristes catho­liques ita­liens du 9 décembre 2006.[]

Notes de bas de page

  1. Définition tirée de Saint Thomas d’Aquin, Somme théo­lo­gique, 1–2, q.10, a.2.[]
  2. « Ad ratio­nem libe­ri arbi­trii non per­ti­net ut inde­ter­mi­nate se habeat ad bonum vel ad malum : quia libe­rum arbi­trium per se in bonum ordi­na­tum est, cum bonum sit objec­tum volun­ta­tis, nec in malum ten­dit nisi prop­ter ali­quem defec­tum, quia appre­hen­di­tur ut bonum ; cum non sit volun­tas aut elec­tio nisi boni, aut appa­ren­tis boni : et ideo ubi per­fec­tis­si­mum est libe­rum arbi­trium, ibi in malum ten­dere non potest, quia imper­fec­tum esse non potest. Sed hoc ad liber­ta­tem arbi­trii per­ti­net ut actio­nem ali­quam facere vel non facere pos­sit, et hoc Deo conve­nit ; bona enim quæ facit potest non facere ; nec tamen malum facere potest » (Saint Thomas, Super Sent., lib. 2 d. 25 q. 1 a. 1 ad 2).[]
  3. Mgr Lefebvre, Ils l’ont décou­ron­né, éd. Fideliter, Escurolles, 1987,  p. 34.[]