Une conception collégiale de l’Église vue comme communion

Dans la « Préface » au livre J’accuse le Concile, Mgr Lefebvre signale « les équi­voques et les ambi­guï­tés » du fameux Concile pas­to­ral. Il y a certes par­mi les textes de Vatican II des pas­sages mal­heu­reu­se­ment dénués de toute équi­voque et dont le sens est suf­fi­sam­ment clair, pour qu’il s’avère impos­sible de les conci­lier avec la Tradition.

Ainsi en va-​t-​il de la décla­ra­tion Dignitatis humanæ sur la liber­té reli­gieuse, du décret Unitatis redin­te­gra­tio sur l’œcuménisme ou même du n° 8 de Lumen gen­tium, avec le sub­sis­tit. Mais il faut bien recon­naître aus­si qu’à la dif­fé­rence de ces trois pas­sages, émi­nem­ment pro­blé­ma­tiques, la doc­trine de Vatican II sur la col­lé­gia­li­té en reste pour une bonne part au niveau de l’ambiguïté. Et c’est d’ailleurs ce qui en rend l’analyse si dif­fi­cile, si déli­cate. Et dans les objec­tions que nous avons pu pré­sen­ter au Saint-​Siège, selon la ligne tra­cée par Mgr Lefebvre, nous avons d’ailleurs pris soin de bien faire cette dis­tinc­tion entre des textes évi­dem­ment contraires à la Tradition et d’autres textes qui sont sur­tout ambigus.

Je vou­drais vous mon­trer ici d’une part com­ment cette ambi­guï­té est le ves­tige, l’indice ou si vous pré­fé­rez le témoi­gnage d’une ten­ta­tive avor­tée, qui, si elle eût réus­si, aurait ren­ver­sé la consti­tu­tion divine de l’Église et abou­ti à l’affirmation claire et nette d’une héré­sie. Et d’autre part, je vou­drais vous mon­trer aus­si com­ment cette ambi­guï­té demeure dan­ge­reuse et fina­le­ment inac­cep­table, elle aus­si, dans la mesure où, à elle seule, elle met déjà en doute l’un des points déci­sifs de la doc­trine tra­di­tion­nelle. Pour syn­thé­ti­ser aus­si clai­re­ment que pos­sible cette ques­tion, je retien­drai donc ici quatre points. Premièrement, prise dans la lettre iso­lée du n° 22 de Lumen gen­tium, la doc­trine de Vatican II sur la col­lé­gia­li­té n’est pas direc­te­ment contraire à la Tradition, mais seule­ment équi­voque et ambi­guë. Deuxièmement, prise dans tout le contexte du cha­pitre III de Lumen gen­tium, la doc­trine de Vatican II sur la col­lé­gia­li­té atteste l’échec d’une manœuvre qui aurait dû abou­tir à nier la consti­tu­tion divine de l’Église. Troisièmement, même si la Nota præ­via a empê­ché cette néga­tion d’aboutir, elle n’a pas réus­si à sor­tir le texte final de l’ambiguïté, lequel met alors en doute ce que le concile Vatican I avait déjà cla­ri­fié et impo­sé à la croyance. Enfin qua­triè­me­ment, le magis­tère pos­té­rieur au Concile dis­sipe l’ambiguïté en recou­rant à l’idée de l’Église communion.

1. Une doctrine à première vue indécise

Voyons donc pour com­men­cer la lettre indé­cise de Lumen gen­tium, au n° 22.

Ce n° 22 de Lumen gen­tium dit pré­ci­sé­ment : « L’Ordre des évêques […] consti­tue, lui aus­si [en plus du pape consi­dé­ré seul], en union avec [« una cum »] le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de [« num­quam sine »] ce chef, le sujet d’un pou­voir suprême et plé­nier sur toute l’Église ». La même doc­trine est enté­ri­née par le Nouveau Code de Droit cano­nique de 1983, au canon 336 :

« Le col­lège des évêques dont le chef est le pon­tife suprême et dont les évêques sont les membres en ver­tu de la consé­cra­tion sacra­men­telle et par la com­mu­nion hié­rar­chique entre le chef et les membres du col­lège, et dans lequel se per­pé­tue le corps apos­to­lique, est lui aus­si en union avec son chef et jamais sans lui, sujet du pou­voir suprême et plé­nier sur l’Église tout entière ».

De prime abord, ce pas­sage sug­gère très for­te­ment qu’il y a dans l’Église une dis­tinc­tion numé­rique entre deux sujets du pou­voir suprême, et qu’elle se situe entre d’une part le pape seul, consi­dé­ré en dehors du col­lège et sans celui-​ci, et d’autre part le col­lège incluant tou­jours son chef. Il est vrai que dans la Tradition la dis­tinc­tion est faite entre deux modes d’exercice du pou­voir suprême. On a par­fois appe­lé cela la théo­rie du double sujet inadé­qua­te­ment dis­tinct, et il suf­fit de s’entendre sur le sens des mots. Mais il n’existe pas de dis­tinc­tion entre deux sujets adé­qua­te­ment dis­tincts, au sens où il y aurait non seule­ment deux modes d’exercice du pou­voir pour un seul sujet, mais aus­si deux sujet pos­ses­seurs du même pouvoir.

Ceci dit, au moment même du concile Vatican II, le rap­por­teur de la com­mis­sion théo­lo­gique char­gée d’élucider le sens du texte pro­po­sé aux amen­de­ments des pères, Mgr Parente, a clai­re­ment pré­ci­sé l’intention du Saint Siège : « Il ne s’agit pas de tran­cher la ques­tion regar­dant l’unicité ou la plu­ra­li­té du sujet ». La com­mis­sion dira aus­si (en réponse à cer­tains modi ou pro­po­si­tions d’amendement) : « La par­ti­cule « quoque » (aus­si) [uti­li­sée pour dis­tin­guer le col­lège avec le pape du pape sans le col­lège et indi­quer que cha­cun repré­sente un sujet dis­tinct de l’autre] cette par­ti­cule ne dirime pas la ques­tion au sujet de l’unicité ou de la dua­li­té du sujet ». Autrement dit, la dis­tinc­tion qui est posée peut s’entendre aus­si bien au sens tra­di­tion­nel d’une dis­tinc­tion entre deux modes d’exercice du pou­voir qu’au sens nou­veau et non-​traditionnel d’une dis­tinc­tion entre deux sujets pos­ses­seurs du pou­voir. L’expression est donc, de la volon­té même de ceux qui l’ont adop­tée, ambi­va­lente. Et c’est jus­te­ment pour­quoi, au moment même du Concile et depuis, ce texte a fait l’objet de trois inter­pré­ta­tions différentes.

1) On trouve une pre­mière inter­pré­ta­tion qui entend cette incise dans le sens tra­di­tion­nel, et consi­dère qu’il n’y a qu’un seul sujet du pri­mat, qui est le pape, et deux moda­li­tés d’exercice, le pape com­mu­ni­quant dans le deuxième cas son propre pou­voir au col­lège. On trouve cette inter­pré­ta­tion au moment même du concile Vatican II ou peu après chez le car­di­nal Dino Staffa [1], chez Mgr Ugo Lattanzi [2] qui repré­sentent tous deux la pen­sée des membres du Cœtus inter­na­tio­na­lis patrum, l’aile conser­va­trice et résis­tante des pères conci­liaires. Mais il faut bien noter que ces deux théo­lo­giens ont par­fai­te­ment conscience d’interpréter ain­si le texte, à l’encontre de sa propre logique, c’est-à-dire de le cor­ri­ger. Mgr Staffa estime que ce texte, pris dans tout son contexte, va dans un sens oppo­sé à la Tradition. L’explication qu’ils donnent n’est donc pas celle du concile, mais celle du concile réin­ter­pré­té à la lumière de la Tradition. Après le Concile, on retrouve cette inter­pré­ta­tion dans le livre de l’abbé Dulac sur la col­lé­gia­li­té [3], mais il semble bien qu’ici en revanche la lec­ture soit plus opti­miste : l’abbé Dulac ne semble pas se rendre compte que le contexte du n° 22 de Lumen gen­tium appelle une lec­ture qui n’est pas tra­di­tion­nelle et il estime même que la Nota præ­via cor­rige par­fai­te­ment ce texte de Lumen gen­tium. Jusque dans les der­nières années, cette exé­gèse a sur­vé­cu chez Mgr Gherardini et l’équipe coré­dac­trice de la revue Divinitas [4].

2) On trouve ensuite une inter­pré­ta­tion dia­mé­tra­le­ment oppo­sée, qui ne se satis­fait pas non plus de l’ambiguïté radi­cale du texte, mais qui la dis­sipe dans le sens d’un col­lé­gia­lisme pur et simple, c’est-à-dire dans le sens de la vieille erreur déjà condam­née par le concile Vatican I, l’erreur du gal­li­ca­nisme épis­co­pal. Dans cette optique, il n’y a tou­jours qu’un seul sujet du pri­mat, mais ce n’est plus le pape, c’est le Collège au sein duquel le pape n’est qu’un pri­mus inter pares, un porte-​parole ou un pré­sident d’assemblée. Au moment du Concile, les par­ti­sans de cette expli­ca­tion fai­saient par­tie de l’aile pro­gres­siste. Ce sont pour la plu­part des théo­lo­giens de la nou­velle théo­lo­gie, qui ont influen­cé les pères conci­liaires : les domi­ni­cains Yves Congar et Edouard Schillebeeckx, les jésuites Karl Rahner et Olivier Semmelroth, ain­si que Joseph Ratzinger, qui était en ce moment le dis­ciple de Rahner. C’est l’explication que l’on retrouve en grande par­tie (même si ce n’est pas la seule qui soit sug­gé­rée) dans les com­men­taires offi­ciels des textes du concile Vatican II publiés aux édi­tions du Cerf sous la res­pon­sa­bi­li­té du père Congar. Après le Concile, on retrouve cette expli­ca­tion chez les jeunes théo­lo­giens des années 1990–2000, qui sont les dis­ciples de Congar, en par­ti­cu­lier, celle du fran­çais Laurent Vuillemin (2003) et de l’italien Alfonso Carrasco Rouco (1990). Le pre­mier est issu du milieu de l’Institut catho­lique de Paris, tan­dis que le second est un dis­ciple du domi­ni­cain Charles Morerod (lui-​même dis­ciple de Charles Journet et Georges Cottier) et son tra­vail est le fruit de ses études menées à la facul­té de Fribourg, en Suisse.

3) Enfin, on trouve une expli­ca­tion qui suit scru­pu­leu­se­ment le sens lit­té­ral et le plus obvie du texte. On y voit deux sujets dis­tincts d’un seul et même pou­voir suprême. Les par­ti­sans de cette expli­ca­tion sont aujourd’hui les plus nom­breux et le père béné­dic­tin Dupré La Tour, dans une étude exhaus­tive parue en 2004 sur la ques­tion, consi­dère que c’est actuel­le­ment l’opinion la plus com­mune. C’était au moment du Concile l’opinion défen­due par le père Umberto Betti (lequel fut fait car­di­nal par le pape Benoît XVI). Dans l’après-concile, deux théo­lo­giens se sont signa­lés pour avoir défen­du cette thèse, l’italien Giovanni Francesco Ghirlanda et le fran­çais Charles Boyer.

Nous aurions donc affaire ici à ce que l’on appelle une ques­tion libre­ment dis­pu­tée. Cela se trouve lorsque le magis­tère affirme une par­tie seule­ment de la véri­té, sans se pro­non­cer sur tous les autres points. En l’occurrence, Vatican II aurait vou­lu affir­mer que le corps des évêques a son rôle à jouer dans le gou­ver­ne­ment de l’Église, aux côtés du pape, mais sans vou­loir tran­cher si ce rôle des évêques aux côtés du pape revient à ce qu’il y ait dans l’Église deux sujets du pou­voir suprême ou un seul.

2. Une doctrine qui risque de tourner le dos à la Tradition.

Cependant, et ce sera l’objet de notre deuxième point, à y regar­der de plus près, la logique qui a pré­si­dé à l’élaboration des textes incli­nait net­te­ment en faveur de la deuxième opi­nion, celle où il y a un seul sujet du pou­voir suprême, à savoir le Collège, le pape n’étant que son porte parole jouis­sant comme tel d’une simple pri­mau­té d’honneur. Ceci devient mani­feste si nous exa­mi­nons le double contexte, dans lequel s’inscrit le n° 22 de Lumen gen­tium, contexte pro­chain et contexte éloigné.

2.1. Le contexte prochain du n° 22 de Lumen gentium : le § 4 de la Nota prævia 

Tel qu’éclairci par le § 4 de la Nota præ­via, le texte de Lumen gen­tium dépasse déjà la simple ambi­guï­té, dans le sens de la néga­tion plus ouverte de Vatican I. Ce § 4 de la Nota præ­via, pré­cise en effet que le Collège existe en per­ma­nence, dans son être même, et pas seule­ment dans son exer­cice, comme sujet lui aus­si (donc comme un autre sujet dis­tinct du pape seul). Distinction est faite entre cette exis­tence per­ma­nente d’un sujet juri­dique pos­ses­seur du pou­voir et l’exercice de ce pou­voir. Cet exer­cice n’est pas per­ma­nent ; il a lieu seule­ment par inter­valles ; il requiert le consen­te­ment du pape. Mais le Collège sujet juri­dique habi­li­té à exer­cer le pou­voir existe quant à lui en permanence.

Il y a là trois dif­fé­rences de taille entre le texte de Lumen gen­tium éclair­ci par la Nota præ­via et la Tradition. La Tradition enseigne : a) qu’il y a un seul sujet du pri­mat et seule­ment deux modes d’exercice, soli­taire ou col­lé­gial ; b) que le mode col­lé­gial est extra­or­di­naire ; c) que le mode col­lé­gial a lieu sur l’ordre du pape, et exclu­si­ve­ment dans la mesure où il en décide par voie d’autorité. Lumen gen­tium 22 éclair­ci par le § 4 de la Nota énonce : a) qu’il y a deux sujets du pri­mat, le pape seul et le col­lège avec le pape comme chef ; b) que le sujet col­lé­gial est ordi­naire et per­ma­nent ; c) que l’action du sujet col­lé­gial a lieu par inter­valles, avec le consen­te­ment du pape. Ce consen­te­ment du pape est seule­ment requis pour que le Collège puisse agir, mais ce n’est pas le pape qui donne l’existence au Collège pour en faire le sujet tem­po­raire de l’exercice de son propre pou­voir, en le fai­sant par­ti­ci­per à ses actes.

Même si le § 3 de la Nota præ­via insiste sur l’existence et l’indépendance abso­lue de l’autre sujet du pou­voir, le pape seul, on peut sim­ple­ment en conclure que le texte de Lumen gen­tium ne renie pas l’enseignement de Vatican I sur le point pré­cis où il est dit que le suc­ces­seur de saint Pierre est le sujet du pri­mat. Mais avec le § 4 de la même Nota præ­viaLumen gen­tium n’affirme plus que le suc­ces­seur de saint Pierre soit l’unique sujet du pri­mat. Le sujet per­ma­nent du pri­mat est double : d’un côté le pape seul ; de l’autre le col­lège avec le pape qui en est le chef.

2.2. Le contexte éloigné : la sacramentalité de l’épiscopat

2.2.1) La sacramentalité au sens traditionnel

Le pre­mier sché­ma pro­po­sé par le car­di­nal Ottaviani en 1962 trai­tait de la sacra­men­ta­li­té de l’épiscopat et de la consti­tu­tion hié­rar­chique de l’Église en deux cha­pitres dif­fé­rents et indé­pen­dants. Cette dif­fé­rence était celle qui existe entre deux pou­voirs. Car l’évêque peut s’entendre en deux sens : soit comme le sujet d’un pou­voir d’ordre soit comme le sujet d’un pou­voir de juri­dic­tion. L’Église se com­pose d’une seule et même hié­rar­chie, mais dont les membres sont inves­tis de deux pou­voirs dis­tincts. Le Code de 1917 le dit clai­re­ment au § 3 du canon 108 : « D’institution divine, la sacrée hié­rar­chie en tant que fon­dée sur le pou­voir d’ordre, se com­pose des évêques, des prêtres et des ministres ; en tant que fon­dée sur le pou­voir de juri­dic­tion, elle com­prend le pon­ti­fi­cat suprême et l’épiscopat subor­don­né ». Et le canon 109 expli­cite encore cette dis­tinc­tion, en indi­quant qu’il existe une dif­fé­rence dans la manière dont les pou­voirs sont acquis.

« Ceux qui sont admis dans la hié­rar­chie ecclé­sias­tique sont consti­tués dans les degrés du pou­voir d’ordre par la sainte ordi­na­tion ; [le pape est éta­bli] dans le sou­ve­rain pon­ti­fi­cat, direc­te­ment par droit divin, moyen­nant élec­tion légi­time et accep­ta­tion de l’élection ; [les évêques sont éta­blis] dans les autres degrés de juri­dic­tion, par la mis­sion canonique ».

Cette dis­tinc­tion se véri­fie à plus forte rai­son si on admet que l’épiscopat est une par­tie du sacre­ment de l’ordre : dans ce cas, il ne sau­rait pro­duire que ce qui est signi­fié par la forme du sacre. Or la forme néces­saire et suf­fi­sante pour pro­duire ex opere ope­ra­to l’épiscopat, telle que Pie XII l’a défi­nie dans Sacramentum ordi­nis en 1947, implique sans doute pos­sible que l’épiscopat pro­duit par le sacre cor­res­pond à l’épiscopat pou­voir d’ordre, c’est-à-dire au munus sanc­ti­fi­can­di, à l’exclusion de l’épiscopat pou­voir de juri­dic­tion, qui ne sau­rait quant à lui être pro­duit par le sacre sinon comme une pure puis­sance, en appel de son acte enti­ta­tif [5]. Nous savons d’autre part que la juri­dic­tion est confé­rée aux évêques par un acte de la volon­té du pape : ain­si l’enseigne Pie XII dans Ad sina­rum gen­tem (1954) et Ad apos­to­lo­rum prin­ci­pis (1958), repre­nant l’enseignement de Mystici cor­po­ris (1943). Les termes même employés dans ce der­nier docu­ment sont très clairs et visent une véri­table col­la­tion du pou­voir en soi, et non pas une simple déter­mi­na­tion du pou­voir dans son exer­cice [6].

Il résulte de cet ensei­gne­ment que si les évêques reçoivent tous, y com­pris le pape, leur pou­voir d’ordre direc­te­ment de Dieu, moyen­nant le rite d’une consé­cra­tion, en revanche, le seul sujet du pou­voir de juri­dic­tion qui le reçoive direc­te­ment de Dieu est le pape. Les autres évêques reçoivent leur juri­dic­tion direc­te­ment du pape, non de Dieu. Et le pape, puisqu’il ne reçoit pas sa juri­dic­tion par le rite d’une consé­cra­tion, peut la pos­sé­der sans être encore revê­tu du pou­voir d’ordre épis­co­pal. On voit bien que tel est le cas lors de l’élection à la papau­té d’un clerc qui n’aurait pas été encore consa­cré évêque : le Code de 1917 pré­voit qu’en ce cas l’élu est inves­ti de la papau­té dès l’acceptation de son élec­tion, et avant même d’avoir reçu le pou­voir d’ordre épis­co­pal [7].

Cette dis­tinc­tion très nette entre pou­voir d’ordre et pou­voir de juri­dic­tion signi­fie pre­miè­re­ment que les évêques et le pape par­tagent éga­le­ment le même pou­voir de sanc­ti­fier et elle signi­fie deuxiè­me­ment que les évêques et le pape ne par­tagent pas éga­le­ment le pou­voir de gou­ver­ner et d’enseigner, les évêques rece­vant un pou­voir subor­don­né et res­treint à une par­tie du trou­peau, le pape rece­vant quant à lui un pou­voir suprême et uni­ver­sel, le pou­voir de paître les agneaux et les bre­bis, c’est-à-dire le trou­peau tout entier de l’Église. Le concile Vatican I résume cette situa­tion, qui est celle de la consti­tu­tion divine de l’Église en uti­li­sant une for­mule très expres­sive : les évêques paissent et gou­vernent cha­cun indi­vi­duel­le­ment le trou­peau par­ti­cu­lier qui leur a été assi­gné (sin­gu­li sin­gu­los sibi assi­gna­tos greges pas­cunt et regunt) dans la dépen­dance d’un seul pas­teur suprême (sub uno sum­mo pas­tore).

C’est jus­te­ment cette dis­tinc­tion for­melle entre l’ordre et la juri­dic­tion qui a été éva­cuée dans le texte défi­ni­tif de Lumen gen­tium.

2.2.2) La sacramentalité au sens nouveau de Vatican II

Le texte fina­le­ment adop­té en 1964 traite les deux ques­tions de la sacra­men­ta­li­té de l’épiscopat et de la col­lé­gia­li­té au même endroit, c’est-à-dire au cha­pitre 3 de Lumen gen­tium, n° 19–22 : après avoir posé en prin­cipe que la fonc­tion apos­to­lique est de nature col­lé­giale, au n° 19, et que cette fonc­tion doit se per­pé­tuer, au n° 20, on traite au n° 21 de la sacra­men­ta­li­té de l’épiscopat, juste avant d’en venir à la ques­tion de la col­lé­gia­li­té de l’épiscopat, au n° 22. Il y a donc ici une pen­sée unique et qui pro­cède de façon rigou­reu­se­ment logique. En effet, le n° 22 énonce une consé­quence ; on est consti­tué membre du col­lège épis­co­pal, sujet juri­dique du pou­voir suprême, en ver­tu de la consé­cra­tion sacra­men­telle et par la com­mu­nion hié­rar­chique qui existe entre la tête et les membres du Collège. Le n° 21 énonce le prin­cipe dont découle cette consé­quence ; la consé­cra­tion épis­co­pale confère non seule­ment la charge de sanc­ti­fier mais aus­si la charge d’enseigner et de gou­ver­ner, les­quelles, de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la com­mu­nion hié­rar­chique, avec la tête et les membres du Collège.

Le n° 21 de Lumen gen­tium com­mence par affir­mer que le sujet qui suc­cède aux apôtres dans l’exercice du « munus guber­nan­di Ecclesiam » est l’ « ordo sacra­tus epi­sco­po­rum ». C’est jus­te­ment pour l’expliquer que ce n° 21 énonce la thèse de la sacra­men­ta­li­té de l’épiscopat en disant expli­ci­te­ment que la consé­cra­tion épis­co­pale donne à la fois le « munus sanc­ti­fi­can­di » et le « munus guber­nan­di » [8]. Il y a donc une confu­sion entre l’ordre et la juri­dic­tion. Dans le com­men­taire authen­tique contem­po­rain du texte de Lumen gen­tium, Joseph Ratzinger recon­naît que c’est une nou­veau­té étran­gère à la théo­lo­gie catho­lique tra­di­tion­nelle [9]. Le « munus sanc­ti­fi­can­di » est sans doute un pou­voir don­né en acte par la consé­cra­tion, et qui peut s’exercer tel quel. Mais dans l’optique tra­di­tion­nelle, il n’en va pas ain­si des deux autres pou­voirs, qui com­posent la juri­dic­tion. Ces deux pou­voirs sont don­nés par la consé­cra­tion en puis­sance et ne peuvent pas s’exercer tels quels : il faut qu’ils soient ame­nés à l’acte par la mis­sion cano­nique que donne le pape. Or ici tout se passe comme si le sacre don­nait la juri­dic­tion en acte [10].

Ce double pou­voir d’ordre et de juri­dic­tion appar­tient en propre à tout évêque sacré, quelle que soit la déter­mi­na­tion ulté­rieure don­née par l’autorité hié­rar­chique ; car ce pou­voir est reçu immé­dia­te­ment du Christ par la consé­cra­tion, et en ver­tu du sacre­ment qui agit ex opere ope­ra­to. En toute logique, l’intervention de l’autorité hié­rar­chique aura seule­ment pour effet d’en pré­ci­ser le domaine d’application ; elle n’aura pas pour effet de le cau­ser essen­tiel­le­ment, dans son être même de pou­voir et se bor­ne­ra à déter­mi­ner seule­ment les condi­tions de son exer­cice, c’est-à-dire son exten­sion. Remarquons aus­si que ni le texte de Lumen gen­tium ni celui de la Nota præ­via ne pré­cisent quelle est cette auto­ri­té hié­rar­chique qui doit inter­ve­nir pour déter­mi­ner juri­di­que­ment l’exercice du pou­voir épis­co­pal : on ne voit pas clai­re­ment s’il s’agit du pape seul ou du pape dans et avec le Collège.

Deux consé­quences résultent de cette concep­tion nou­velle. Elles ont d’ailleurs été indi­quées au pape Paul VI au moment même du Concile, avant la pro­mul­ga­tion du texte défi­ni­tif de Lumen gen­tium. Entrevoyant le dan­ger, les pères du Cœtus ont pris la parole pour pro­tes­ter et cette pro­tes­ta­tion trouve comme son der­nier écho dans la fameuse Note rédi­gée en leur nom à tous par le car­di­nal Larraona, le 18 octobre 1964 [11]. Cette Note insiste donc sur deux points.

Premièrement, si on suit cette nou­velle concep­tion, le pri­mat du pape est non seule­ment enta­mé, mais même vidé de son conte­nu. Le pri­mat de juri­dic­tion du pape est nié pour être rem­pla­cé par un pri­mat d’honneur. En effet, le pri­mat ne découle pas d’un sacre­ment, mais d’une élec­tion. Or, si l’on pose en prin­cipe que le pou­voir de juri­dic­tion est confé­ré de manière néces­saire et suf­fi­sante par le sacre, tous les évêques par­tagent le même pou­voir de juri­dic­tion, suprême et uni­ver­sel, en ver­tu de leur sacre, qui les consti­tue comme par­ties du Collège, sujet juri­dique de ce pou­voir de suprême et uni­ver­selle juri­dic­tion. Et l’évêque de Rome, dési­gné comme chef de ce Collège moyen­nant une élec­tion, ne sau­rait se voir attri­buer en l’occurrence qu’une simple pri­mau­té d’honneur, qui n’ajoute rien, dans la ligne de la juri­dic­tion, à ce qu’il pos­sède déjà en ver­tu de son sacre [12]. « Ou, en posant la ques­tion qui est à la base de celles-​là, est-​ce que le pri­mat de juri­dic­tion peut pro­ve­nir de la consé­cra­tion épis­co­pale, étant don­né qu’elle est la même pour tout évêque ? Pourrait-​il pro­ve­nir d’une autre source, sans par là néces­si­ter une réa­li­té juri­dique jux­ta­po­sée à celle d’origine sacra­men­telle ? Cette seconde réa­li­té serait-​elle alors aus­si « épis­co­pale » que la pre­mière, du même genre et de la même espèce ? » [13].

Deuxièmement, si la consé­cra­tion épis­co­pale confère en acte le pou­voir de juri­dic­tion, celui-​ci sera tou­jours valide dans son exer­cice ; le pape pour­ra tout au plus rendre illi­cite son exer­cice, n’étant pas la source radi­cale dont pro­cède l’essence de ce pou­voir. De fait, le texte de Lumen gen­tium ne pré­cise pas si l’exercice du pou­voir de juri­dic­tion serait licite ou non sans la com­mu­nion hié­rar­chique, donc dans le schisme (et dans une remarque de la Nota præ­via, il est même pré­ci­sé que le Concile n’a pas vou­lu trai­ter de cette dif­fi­cul­té [14] ). Mais en toute logique, le triple pou­voir serait illi­cite seule­ment, et non pas inva­lide. Les sectes schis­ma­tiques (comme les ortho­doxes) où la consé­cra­tion épis­co­pale reste valide confè­re­raient ain­si à leur sujet un pou­voir de juri­dic­tion à part entière : il est alors logique de par­ler de véri­tables « églises par­ti­cu­lières » pour dési­gner ces groupes schis­ma­tiques [15].

Les pères du Cœtus ont donc bien sai­si l’enjeu de ce texte. Face à leur pro­tes­ta­tion, le pape Paul VI se vit obli­gé de rajou­ter une Note expli­ca­tive, la fameuse Nota præ­via, dont nous allons à pré­sent éva­luer l’impact. Ce sera l’objet de notre troi­sième point.

3. Un texte de compromis, grevé d’une lourde hypothèque

Dans l’immédiat, Mgr Lefebvre [16] s’est mon­tré rela­ti­ve­ment satis­fait de cet ajout, puisque le § 1 de la Nota præ­via annule quand même la pre­mière des deux consé­quences dénon­cées par la Note du car­di­nal Larraona. Il est dit en effet que l’expression du Collège ne doit pas s’entendre au sens stric­te­ment juri­dique d’un groupe d’égaux qui délé­gue­raient leur pou­voir à leur pré­sident. Cette expres­sion entend dési­gner un groupe stable, dont la struc­ture et l’autorité doivent être déduites de la Révélation. Moyennant quoi, il reste pos­sible de lire le cha­pitre III de Lumen gen­tium en confor­mi­té avec le dogme du pri­mat de juri­dic­tion de l’évêque de Rome. Mgr Lefebvre com­mente ce fait de la manière sui­vante : « L’Esprit Saint veillait et il faut lire atten­ti­ve­ment la Note expli­ca­tive pour se rendre compte que ce mes­sage est vrai­ment des­cen­du du Ciel. […] La struc­ture tra­di­tion­nelle de l’Église est donc sau­ve­gar­dée, comme le pape lui-​même l’affirma dans son dis­cours de clô­ture, au moins dans les textes » [17]. Ce § 1 de la Nota præ­via a donc évi­té le pire, c’est-à-dire l’affirmation expli­cite, au moins dans les textes du Concile, d’une héré­sie contraire à la consti­tu­tion divine de l’Église.

Si l’on s’en tient à la teneur lit­té­rale de ce cha­pitre III, cor­ri­gé par la Nota præ­via, on peut donc y voir un texte de com­pro­mis. Ce com­pro­mis a pré­va­lu au lieu de l’affirmation franche et nette de la thèse col­lé­gia­liste, grâce à la résis­tance des pères du Cœtus. Ce résul­tat est assez bien décrit par l’appréciation qu’en donne Romano Amerio, dans son étude sur les varia­tions de l’Église conci­laire, Iota unum, paru en 1987, vingt ans après les faits.

« La « Note préa­lable » (Nota præ­via) rejette l’interprétation clas­sique de la col­lé­gia­li­té, selon laquelle le sujet du pou­voir suprême dans l’Église est le pape seul, qui la par­tage, lorsqu’il le veut, avec l’universalité des évêques réunis en Concile par lui et tou­jours selon laquelle le pou­voir suprême ne devient col­lé­gial que com­mu­ni­qué par le pape à son gré (ad nutum). La « Note préa­lable » rejette pareille­ment le sen­ti­ment des nova­teurs, selon lequel le sujet du pou­voir suprême dans l’Église est le col­lège épis­co­pal uni au pape, et non sans le pape qui en est le chef, mais en telle sorte que, lorsque le pape exerce, même à lui seul, le pou­voir suprême, il le fait pré­ci­sé­ment en tant que chef dudit col­lège et donc comme repré­sen­tant ce col­lège, qu’il est obli­gé de consul­ter pour en expri­mer le sen­ti­ment. C’est la théo­rie cal­quée sur celle qui veut que toute auto­ri­té doive son pou­voir à la mul­ti­tude : théo­rie dif­fi­cile à conci­lier avec la consti­tu­tion divine de l’Église. En réfu­tant les deux théo­ries, la Nota præ­via main­tient fer­me­ment que le pou­voir suprême appar­tient en effet au col­lège des évêques unis à leur chef, mais que le chef peut l’exercer indé­pen­dam­ment du col­lège, tan­dis que le col­lège ne peut l’exercer indé­pen­dam­ment du chef. Vatican II était donc enclin à se déta­cher de la stricte conti­nui­té avec la tra­di­tion et à se don­ner des formes, des moda­li­tés, des pro­cé­dés hors série » [18].

La réflexion est inté­res­sante, car elle montre bien que ce com­pro­mis a intro­duit l’ambiguïté que nous avons signa­lée en com­men­çant. Si elle a évi­té le pire, l’initiative des pères du Cœtus n’a pas réus­si à impo­ser l’affirmation claire et nette de la doc­trine tra­di­tion­nelle. Ce fut un simple coup de frein sur la route qui condui­sait tout droit vers l’hérésie. Et faute de mieux, on s’est conten­té de recu­ler, en res­tant sim­ple­ment dans l’indécision et dans l’ambiguïté. Cette ambi­guï­té est grave, car elle ouvre la porte à la néga­tion de l’enseignement du magis­tère ordi­naire uni­ver­sel sur l’unicité du sujet du pou­voir suprême et uni­ver­sel de juri­dic­tion. Lors du concile Vatican I, la consti­tu­tion Pastor æter­nus (DS 3053–3054) énon­çait en effet :

« C’est à cette doc­trine si évi­dente des Saintes Ecritures, telle qu’elle a tou­jours été com­prise par l’Église, que s’opposent ouver­te­ment les sen­tences dévoyées de ceux qui, per­ver­tis­sant la forme de gou­ver­ne­ment ins­ti­tuée par le Christ dans Son Église, nient que seul saint Pierre a été pour­vu d’un véri­table et propre Primat de juri­dic­tion, qui le met à la tête de tous les autres apôtres, qu’ils soient pris cha­cun iso­lé­ment ou tous ensemble réunis » [19].

Cette doc­trine tra­di­tion­nelle, que le concile Vatican I pré­sente comme hors de dis­cus­sion, est pré­sen­tée par le concile Vatican II comme matière à dis­cus­sion. Ainsi que l’a indi­qué Mgr Parente, il est tout à fait légi­time de lire le texte du n° 22 de Lumen gen­tium comme s’il y avait un double sujet pos­ses­seur du pou­voir suprême dans l’Église. Et nous avons même mon­tré com­ment le § 4 de la Nota præ­via accré­dite cette inter­pré­ta­tion. On peut au moins dire de ce point de vue que, loin d’avoir accom­pli une cla­ri­fi­ca­tion, l’enseignement du der­nier concile repré­sente plu­tôt un obs­cur­cis­se­ment et une véri­table régression.

Cet obs­cur­cis­se­ment est en lui-​même inac­cep­table, puisque le simple fait de pou­voir dou­ter d’une véri­té déjà impo­sée par le magis­tère favo­rise gran­de­ment l’hérésie. L’erreur, qui n’avait pu s’imposer au moment du Concile, pour­ra en pro­fi­ter pour réap­pa­raître ensuite dans les faits. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est pas­sé avec le Nouveau Code de 1983. Celui-​ci ne reprend pas la Nota præ­via et va donc beau­coup plus net­te­ment dans le sens de l’erreur que les textes du Concile avaient évi­té d’affirmer expli­ci­te­ment. C’est pour­quoi Mgr Lefebvre a don­né un juge­ment assez sévère [20] sur cette expres­sion cano­nique de la col­lé­gia­li­té [21]. Le Nouveau Code de 1983 est en effet cen­sé tra­duire dans un lan­gage légis­la­tif l’ecclésiologie conci­liaire [22]. C’est donc lui qui donne la juste inter­pré­ta­tion du cha­pitre III de Lumen gen­tium. Or, dans le texte qui pro­mulgue cette nou­velle légis­la­tion, Jean-​Paul II affirme plus pré­ci­sé­ment ce qui suit : « Parmi les élé­ments qui carac­té­risent l’image réelle et authen­tique de l’Église, il nous faut mettre en relief sur­tout […] la doc­trine qui montre l’Église comme une com­mu­nion et qui, par consé­quent, indique quelles sortes de rela­tions réci­proques doivent exis­ter entre […] la col­lé­gia­li­té et la pri­mau­té » [23]. L’enseignement du cha­pitre III de Lumen gen­tium doit donc s’entendre dans la logique d’une Église com­mu­nion, et non dans la logique d’une Église monar­chique. Selon les dires mêmes de Jean-​Paul II, pro­mul­ga­teur du Nouveau Code, il convient donc d’interpréter Vatican II dans un sens col­lé­gia­liste parce que l’Église a été redé­fi­nie comme une com­mu­nion. La doc­trine de Lumen gen­tium sur la col­lé­gia­li­té est une consé­quence ; la nou­velle défi­ni­tion de l’Église com­mu­nion en est le principe.

Ce der­nier point méri­te­rait d’être déve­lop­pé pour lui-​même, ce qui dépas­se­rait le cadre de cet expo­sé. Signalons au moins, dans un qua­trième et der­nier point, rapi­de­ment et en guise de conclu­sion, une idée inté­res­sante. Cette idée n’explique pas tout, mais elle nous donne quand même un éclai­rage et nous per­met de sai­sir la ten­dance fon­cière qui anime de l’intérieur la doc­trine de la collégialité.

4. En guise de conclusion : la collégialité, pierre de touche de la nouvelle ecclésiologie

L’idée de l’Église com­mu­nion se trouve à pro­fu­sion dans les textes du magis­tère post­con­ci­liaire. Le plus repré­sen­ta­tif d’entre eux est la Lettre Communionis notio, de la sacrée Congrégation pour la doc­trine de la foi, en date du 28 mai 1992. Je retien­drai seule­ment ici un pas­sage essen­tiel, celui du n° 17. C’est un pas­sage auquel feront écho la Déclaration Dominus Jesus de 2000 et les Réponses sur le Subsistit de 2007. On retrouve à chaque fois la même idée selon laquelle « l’Église une, sainte, catho­lique et apos­to­lique est vrai­ment pré­sente dans toute célé­bra­tion valide de l’eucharistie ». Benoît XVI énonce d’ailleurs le même prin­cipe dans l’Exhortation Sacramentum cari­ta­tis de 2007, lorsqu’il affirme que « l’eucharistie est consti­tu­tive de l’être et de l’agir de l’Église » [24]. Cette idée en amène une autre. Si la com­mu­nion de l’Église trouve son centre dans la célé­bra­tion valide de l’eucharistie, alors « cette com­mu­nion existe spé­cia­le­ment avec les églises orien­tales ortho­doxes qui, bien que sépa­rées du Siège de Pierre, […] méritent le titre d’églises par­ti­cu­lières. En effet, par la célé­bra­tion de l’eucharistie du Seigneur dans ces églises par­ti­cu­lières, l’Église de Dieu s’édifie et gran­dit » [25]. On s’empresse aus­si­tôt de pré­ci­ser que « puisque la com­mu­nion avec l’Église uni­ver­selle, repré­sen­tée par le Successeur de Pierre, n’est pas un com­plé­ment exté­rieur à l’Église par­ti­cu­lière, mais un de ses élé­ments consti­tu­tifs internes, la situa­tion de ces véné­rables com­mu­nau­tés chré­tiennes implique aus­si une bles­sure de leur condi­tion d’église par­ti­cu­lière ». Mais le prin­cipe de base reste posé : la com­mu­nion de l’Église résulte d’abord et avant tout de la célé­bra­tion valide de l’eucharistie. L’absence de la pri­mau­té du suc­ces­seur de Pierre a sim­ple­ment pour effet une bles­sure, qui rend la com­mu­nion moins par­faite. Cette absence n’a pas pour effet une mort, qui vien­drait anéan­tir on ne peut plus radi­ca­le­ment l’unité de l’Église.

Moyennant quoi nous sommes confron­tés au dilemme sui­vant. Si cette pri­mau­té est une véri­table pri­mau­té de juri­dic­tion, au sens de Vatican I, alors l’enseignement du magis­tère post-​conciliaire est inepte, inco­hé­rent et contra­dic­toire. En revanche, si cette pri­mau­té est une simple pri­mau­té d’honneur, dans un sens condam­né par Vatican I et que le § 1 de la Nota præ­via a vou­lu reje­ter, alors, l’enseignement du post-​concile est par­fai­te­ment clair, logique et cohé­rent. Je ter­mi­ne­rai là-​dessus, en vous lais­sant le soin de choi­sir. Mais je vous ferais remar­quer aus­si que, dans les deux cas, vous aurez de sérieuses rai­sons pour refu­ser ce prin­cipe de la col­lé­gia­li­té, tel qu’il a été expli­ci­té par le post-concile.

Abbé Jean-​Michel Gleize

Source : Vu de Haut n°20, « Vatican II, les points de rup­ture : actes du col­loque des 10 et 11 novembre 2012 ». Vu de haut est la revue de l’Institut Universitaire Saint-​Pie X.

Notes de bas de page
  1. Dino Staffa, « De col­le­gia­li epi­sco­pa­tus ratione » dans Divinitas n° 8 (1964), p. 3–61.[]
  2. Ugo Lattanzi, « De nexu agnos­cen­do inter epi­sco­pale conse­cra­tio­nem et sacra Ecclesiœ mune­ra », dans Divinitas n° 9 (1965), p. 393–414.[]
  3. Raymond Dulac, La Collégialité épis­co­pale au deuxième concile du Vatican, Les Éditions du Cèdre, Paris, 1979.[]
  4. Bruno Gherardini, La Chiesa, Mistero e Servizio, ter­za edi­zione, Biblioteca delle Scienze reli­giose, Roma, 1994, p. 274–275. Nous disons bien « jusque dans ces der­nières années », puisque la 3e livrai­son de la revue pour 2008, pré­sente un article de Mgr Gherardini inti­tu­lé « Il Vaticano II sot­to giu­di­zio », p. 320–328, au cours duquel le théo­lo­gien romain rejoint l’analyse plus sévère et plus lucide de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint-​Pie X (p. 325–326 : « Introdotto da un sub­jec­tum quoque (è esso pure soget­to) che mette il Collegio sul­lo stes­so pia­no del Papa, l’a pari ope­ra un insos­te­ni­bile inno­va­zione ris­pet­to alla strut­tu­ra pira­mi­dale del­la Chisa, al concet­to di Collegio di per sé sempre com­pos­to da mem­bri di pari gra­do e all’assurdo d’una potes­tà pie­na supre­ma uni­ver­sale nelle mani di due dis­tin­ti tito­la­ri »).[]
  5. Bruno Gherardini, La Chiesa, Mistero e Servizio, ter­za edi­zione, Biblioteca delle Scienze reli­giose, Roma, 1994, p. 274–275. Nous disons bien « jusque dans ces der­nières années », puisque la 3livrai­son de la revue pour 2008, pré­sente un article de Mgr Gherardini inti­tu­lé « Il Vaticano II sot­to giu­di­zio », p. 320–328, au cours duquel le théo­lo­gien romain rejoint l’analyse plus sévère et plus lucide de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint-​Pie X (p. 325–326 : « Introdotto da un sub­jec­tum quoque (è esso pure soget­to) che mette il Collegio sul­lo stes­so pia­no del Papa, l’a pari ope­ra un insos­te­ni­bile inno­va­zione ris­pet­to alla strut­tu­ra pira­mi­dale del­la Chisa, al concet­to di Collegio di per sé sempre com­pos­to da mem­bri di pari gra­do e all’assurdo d’una potes­tà pie­na supre­ma uni­ver­sale nelle mani di due dis­tin­ti tito­la­ri »).[]
  6. « Les évêques […] en ce qui concerne leur propre dio­cèse, cha­cun en vrai Pasteur, fait paître et gou­verne au nom du Christ le trou­peau qui lui est assi­gné. Pourtant dans leur gou­ver­ne­ment, ils ne sont pas plei­ne­ment indé­pen­dants, mais ils sont sou­mis à l’autorité légi­time du Pontife romain, et s’ils jouissent du pou­voir ordi­naire de juri­dic­tion, ce pou­voir leur est immé­dia­te­ment com­mu­ni­qué par le Souverain Pontife [imme­diate sibi ab eodem Pontifice imper­ti­ta] » (DS 3804).[]
  7. Tel est bien le cas puisque selon le droit fixé par saint Pie X en 1904, les hon­neurs sont ren­dus au pape dès l’élection et avant le sacre éven­tuel.[]
  8. « Cum munere sanc­ti­fi­can­di, mune­ra quoque confert docen­di et regen­di quæ tamen natu­ra sua non­ni­si in hie­rar­chi­ca com­mu­nione cum Collegii capite et mem­bris exer­ce­ri pos­sunt ». Dans son com­men­taire de ce texte de la consti­tu­tion, le père Lécuyer consi­dère comme une « évi­dence » que cette consé­cra­tion confère les charges d’enseigner et de gou­ver­ner en même temps que la charge de sanc­ti­fier. « L’affirmation du deuxième concile du Vatican porte donc direc­te­ment sur les fonc­tions d’enseignement et de gou­ver­ne­ment qui elles aus­si sont confé­rées par cette consé­cra­tion. Ceci appa­raît d’ailleurs avec évi­dence à qui­conque a étu­dié les textes litur­giques concer­nant la consé­cra­tion épis­co­pale » (Joseph Lécuyer, « L’épiscopat comme sacre­ment » dans L’Église de Vatican II, tome 3, Cerf, col­lec­tion Unam sanc­tam, 51c, p. 751).[]
  9. « Une évo­lu­tion d’une por­tée dif­fi­cile à pré­voir s’exprime dans ces deux affir­ma­tions. En effet, la rigide ligne de démar­ca­tion qui s’était inter­po­sée depuis des siècles dans l’esprit de la plu­part des théo­lo­giens occi­den­taux entre le pou­voir d’ordre et le pou­voir de juri­dic­tion devient fran­chis­sable et le lien étroit entre les deux réa­li­tés qui n’en sont qu’une au fond appa­raît à la vue. La sépa­ra­tion des deux était la rai­son pour laquelle la théo­lo­gie du Moyen-​âge croyait devoir refu­ser de recon­naître un carac­tère sacra­men­tel à la consé­cra­tion épis­co­pale. Elle fut aus­si le point de départ de la posi­tion dif­fé­rente que prit le droit, à pro­pos de la struc­ture de l’Église latine au deuxième mil­lé­naire par com­pa­rai­son avec le pre­mier. Enfin, elle a été un fac­teur déter­mi­nant dans le déve­lop­pe­ment des rap­ports entre le pape et les évêques, car à la longue elle mena­çait d’étouffer le sen­ti­ment col­lé­gial de l’époque patris­tique. » (Joseph Ratzinger, « La col­lé­gia­li­té : déve­lop­pe­ment théo­lo­gique » dans L’Église de Vatican II, tome 3, Cerf, col­lec­tion Unam sanc­tam, 51c, p. 751).[]
  10. On pour­rait faire ins­tance, car la Nota præ­via explique que le terme de « munus » a été choi­si par oppo­si­tion à « poten­tia expe­di­ta ». Nota præ­via, n° 2 : « In conse­cra­tione datur onto­lo­gi­ca par­ti­ci­pa­tio sacro­rum mune­rum, ut indu­bie constat ex Traditione, etiam litur­gi­ca. Consulto adhi­be­tur voca­bu­lum mune­rum, non vero potes­ta­tum, quia hæc ulti­ma vox de potes­tate ad actum expe­di­ta intel­li­gi pos­set. Ut vero talis expe­di­ta potes­tas habea­tur, acce­dere debet cano­ni­ca seu iuri­di­ca deter­mi­na­tio per auc­to­ri­ta­tem hie­rar­chi­cam. Quæ deter­mi­na­tio potes­ta­tis consis­tere potest in conces­sione par­ti­cu­la­ris offi­cii vel in assi­gna­tione sub­di­to­rum, et datur iux­ta nor­mas a supre­ma auc­to­ri­tate adpro­ba­tas. Huiusmodi ulte­rior nor­ma ex natu­ra rei requi­ri­tur, quia agi­tur de mune­ri­bus quæ a plu­ri­bus subiec­tis, hie­rar­chice ex volun­tate Christi coope­ran­ti­bus, exer­ce­ri debent. Evidens est quod hæc « com­mu­nio » in vita Ecclesiæ secun­dum adiunc­ta tem­po­rum appli­ca­ta est, prius­quam in iure velut codi­fi­ca­ta fue­rit ». Mais pour­tant, ce terme est indis­tinc­te­ment appli­qué pour dési­gner et l’ordre et la juri­dic­tion. La confu­sion est donc main­te­nue, même si on admet que le sacre donne les pou­voirs en puis­sance, du moins dans un pre­mier temps. Et de fait, il semble bien que ce qui est don­né en puis­sance est en puis­sance non à l’acte enti­ta­tif mais à l’acte opé­ra­tif. Dans la logique de Vatican II, le sacre donne bel et bien le triple munus dans son essence de pou­voir. Tandis que dans la logique de Trente, le sacre donne le munus sanc­ti­fi­can­di en puis­sance à l’acte opé­ra­tif et donne le munus docen­di et le munus guber­nan­di en puis­sance à l’acte enti­ta­tif.[]
  11. Mgr Lefebvre, J’accuse le Concile, Editions Saint-​Gabriel, 1976, p. 60–63.[]
  12. Cette consé­quence est d’ailleurs par­fai­te­ment assu­mée dans le nou­veau droit réfor­mé par Paul VI, selon lequel l’élu non encore sacré évêque n’est effec­ti­ve­ment pape et chef du Collège qu’après sa consé­cra­tion. Cf. la Constitution apos­to­lique Romano Pontifici eli­gen­do du 1er octobre 1975, n° 89 : « Si elec­tus cha­rac­tere epi­sco­pa­li careat, obse­quium et obœ­dien­tia eidem præ­ben­tur et nun­tius popu­lo per­fer­tur tan­tum post­quam ipse ordi­na­tus Episcopus est » ; canon 332 § 1 du nou­veau Code de 1983. Le Conclave actuel ne se ter­mine qu’avec le sacre (Romano Pontifici eli­gen­do, n° 90–91).[]
  13. Alfonso Carrasco Rouco, Le Primat de l’évêque de Rome. Essai sur la cohé­rence ecclé­sio­lo­gique et cano­nique du pri­mat de juri­dic­tion, Editions Universitaires, Fribourg, Suisse, 1990, p. 70.[]
  14. Nota præ­via, NB final : « Sine com­mu­nione hie­rar­chi­ca munus sacramentale-​ontologicum, quod dis­tin­guen­dum est ab aspec­tu canonico-​iuridico, exer­ce­ri non potest. Commissio autem cen­suit non intran­dum esse in quæs­tiones de licei­tate et vali­di­tate, quæ relin­quun­tur dis­cep­ta­tio­ni theo­lo­go­rum, in spe­cie quod atti­net ad potes­ta­tem quæ de fac­to apud Orientales seiunc­tos exer­ce­tur, et de cuius expli­ca­tione variæ exs­tant sen­ten­tiæ ».[]
  15. 4e dubium des Responsa de 2007 : « Puisque ces Églises, bien que sépa­rées, ont de vrais sacre­ments, sur­tout en ver­tu de la suc­ces­sion apos­to­lique, le Sacerdoce et l’Eucharistie, qui les unissent inti­me­ment à nous, elles méritent le titre d’Églises par­ti­cu­lières et locales, et sont appe­lées Églises sœurs des Églises par­ti­cu­lières catho­liques » ; Déclaration Dominus Jesus, n° 17 : « Les Églises qui, quoique sans com­mu­nion par­faite avec l’Église catho­lique, lui res­tent cepen­dant unies par des liens très étroits comme la suc­ces­sion apos­to­lique et l’Eucharistie valide, sont de véri­tables Églises par­ti­cu­lières ».[]
  16. Mgr Lefebvre, J’accuse le Concile, 1976, p. 24–28 ; p. 52–71 ; Un évêque parle, p. 48–50 et 59–63 ; « Pour demeu­rer bon catho­lique faudrait-​il deve­nir pro­tes­tant ? » dans Lettres pas­to­rales et écrits, Fideliter, 1989, p. 190–192 ; « Un peu de lumière sur la crise de l’Église » dans ibi­dem, p. 277–281 ; Mgr Tissier de Mallerais, Marcel Lefebvre, une vie, Clovis, 2002, p. 316–319.[]
  17. Voir Un évêque parle, p. 48.[]
  18. Romano Amerio, Iota unum, 1987, p. 82–83.[]
  19. « Le pou­voir du pape s’identifie avec le pou­voir tout entier de l’Église uni­ver­selle, et les autres pou­voirs sont des par­ti­ci­pa­tions du sien. Car le pape avec l’Église n’a pas plus de pou­voir que s’il est consi­dé­ré seul, bien que le pou­voir du pape et celui de l’Église consti­tuent plu­sieurs pou­voirs par rap­port au pou­voir du pape seul » (Cajetan, Traité sur la com­pa­rai­son entre le pou­voir du pape et celui du concile, cha­pitre 9, n° 137). Même idée au cha­pitre 6, au n° 75 : « Le pape avec le reste de toute l’Église ne dis­pose pas d’un pou­voir de juri­dic­tion spi­ri­tuel plus grand que celui qu’il a lui-​même, lorsqu’il est consi­dé­ré seul. Parce que son pou­voir ren­ferme en lui-​même les pou­voirs que pos­sèdent tous les autres, comme leur cause uni­ver­selle. En effet, il n’y a aucun pou­voir de juri­dic­tion dans l’Église que le pape ne pos­sède pas » ; et encore au même cha­pitre, n° 78 : « Notre Sauveur répand son pou­voir en pre­mier lieu dans la tête, et par la tête dans le reste du corps comme on l’a dit et comme on va encore le dire. D’où il res­sort que l’Église entière n’a pas reçu un pou­voir sur le pape pris iso­lé­ment, et d’où il res­sort aus­si à l’inverse que le pape pris avec tout le reste de l’Église ne font pas plus de pou­voir mais plu­sieurs pou­voirs ». Voir aus­si Billot, De Deo tri­no, thèse 27, ad 5, p. 538.[]
  20. Conférences du 18 jan­vier 1983 ; 15 mars 1983 ; du 19 décembre 1983 ; du 9 juin 1988 ; confé­rence sur la nou­velle ecclé­sio­lo­gie don­née au Séminaire d’Ecône le 5 juin 1986.[]
  21. « Le nou­veau Droit Canon pro­fesse sur­tout la col­lé­gia­li­té, n’est-ce pas, dans les rap­ports. Collégialité dans les rap­ports entre les églises, les églises locales et les églises uni­ver­selles, et entre les auto­ri­tés, entre les évêques et le pape. Et bien, dans le nou­veau Droit, il y a deux pou­voirs suprêmes de l’Église. Il y a le pou­voir du pape qui a le pou­voir suprême, et ensuite le pape avec les évêques. Il y a donc deux sujets ordi­naires du pou­voir suprême et total dans l’Église » (15 mars 1983) ; « Il n’y a pas de col­lé­gia­li­té habi­tuelle, per­ma­nente. Ça n’existe pas, ça ne peut pas exis­ter parce que ça ferait échec au pou­voir. Quel est celui qui va exer­cer le pou­voir ? Le pape avec les évêques, ou le pape tout seul ? Il ne peut pas y avoir deux auto­ri­tés paral­lèles, ce n’est pas pos­sible. Notre-​Seigneur n’a pas fait une ins­ti­tu­tion qui n’est pas viable » (19 décembre 1983).[]
  22. Mgr Lefebvre, Conférences du 18 jan­vier 1983 : « Je lisais le nou­veau Droit Canon, ces temps-​ci. C’est expli­cite dans la pré­sen­ta­tion du Droit Canon : le nou­veau code est fait dans le but de faire pas­ser dans un lan­gage cano­nique l’ecclésiologie conci­liaire. Qu’est-ce que ça veut dire, cela ? Le nou­veau code est fait pour faire pas­ser en lan­gage légal, cano­nique l’ecclésiologie conci­liaire. Donc ils disent, quelques lignes plus loin, que c’est une nou­veau­té. C’est une nou­veau­té. Alors com­ment peut-​il y avoir une ecclé­sio­lo­gie conci­liaire ? Qu’est-ce que c’est que cette ecclé­sio­lo­gie ? Est-​ce que tout à coup, en 1963 ou 4, au temps qu’on a dis­cu­té de l’Église, l’Église s’est tout à coup décou­verte, au Concile ? Est-​ce que l’Église n’existait pas depuis 2000 ans ? […] L’ecclésiologie nou­velle est construite, est for­gée sur les idées pro­tes­tantes pour évi­ter les objec­tions des pro­tes­tants. Les pro­tes­tants ne peuvent pas sup­por­ter la pri­mau­té du pape, alors on a essayé de noyer la pri­mau­té du pape, la supé­rio­ri­té du pape, dans la col­lé­gia­li­té. Et vous avez main­te­nant deux sujets de pou­voir suprême. Allez com­prendre quelque chose… Comment peut-​il y avoir deux sujets de pou­voir suprême ?… ».[]
  23. Jean-​Paul II, Constitution apos­to­lique Sacræ dis­ci­plinæ leges du 25 jan­vier 1983 : « Fundamentalis illa ratio novi­ta­tis, quæ, a tra­di­tione legi­fe­ra Ecclesiæ num­quam dis­ce­dens, repe­ri­tur in Concilio Vaticano II, præ­ser­tim quod spec­tat ad eius eccle­sio­lo­gi­cam doc­tri­nam, effi­ciat etiam ratio­nem novi­ta­tis in novo Codice. Ex ele­men­tis autem, quæ veram ac pro­priam Ecclesiæ ima­gi­nem expri­munt, hæc sunt præ­ci­pue recen­sen­da : doc­tri­na qua Ecclesia ut Populus Dei, et auc­to­ri­tas hie­rar­chi­ca uti ser­vi­tium pro­po­ni­tur ; doc­tri­na præ­te­rea quæ Ecclesiam uti com­mu­nio­nem osten­dit ac proinde mutuas sta­tuit neces­si­tu­dines quæ inter Ecclesiam par­ti­cu­la­rem et uni­ver­sa­lem, atque inter col­le­gia­li­ta­tem ac pri­ma­tum inter­ce­dere debent ; item doc­tri­na qua omnia mem­bra Populi Dei, modo sibi pro­prio, tri­plex Christi munus par­ti­ci­pant, sacer­do­tale sci­li­cet pro­phe­ti­cum atque regale, cui doc­trinæ ea etiam adnec­ti­tur, quæ respi­cit offi­cia ac jura chris­ti­fi­de­lium, ac nomi­na­tim lai­co­rum ; stu­dium denique ab Ecclesia in œcu­me­nis­mum impen­den­dum ».[]
  24. Benoît XVI, Exhortation post­sy­no­dale Sacramentum cari­ta­tis du 22 février 2007, n° 15 : « L’Eucharistie est donc consti­tu­tive de l’être et de l’agir de l’Église. C’est pour­quoi l’Antiquité chré­tienne dési­gnait par la même expres­sion, Corpus Christi, le corps né de la Vierge Marie, le Corps eucha­ris­tique et le Corps ecclé­sial du Christ. Cette don­née bien pré­sente dans la tra­di­tion nous aide à faire gran­dir en nous la conscience du carac­tère insé­pa­rable du Christ et de l’Église. Le Seigneur Jésus, en s’offrant lui-​même pour nous en sacri­fice, a annon­cé à l’avance dans ce don, de manière effi­cace, le mys­tère de l’Église. Il est signi­fi­ca­tif que la deuxième prière eucha­ris­tique, en invo­quant le Paraclet, for­mule en ces termes la prière pour l’unité de l’Église : « Qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons ras­sem­blés par l’Esprit Saint en un seul corps ». Ce pas­sage fait bien com­prendre com­ment la res du Sacrement de l’Eucharistie est l’unité des fidèles dans la com­mu­nion ecclé­siale. L’Eucharistie se montre ain­si à la racine de l’Église comme mys­tère de com­mu­nion (cf. la Somme théo­lo­gique de saint Thomas d’Aquin, 3a pars, ques­tion 80, article 4) ». L’Église serait donc le Corps du Christ par ana­lo­gie d’attribution avec l’eucharistie. Mais nous devons nier le double pré­sup­po­sé, qui est cen­sé auto­ri­ser cette ana­lo­gie. En effet, dans le pas­sage cité par le pape, saint Thomas enseigne pré­ci­sé­ment que l’eucharistie est le simple signe et non le signe effi­cace, c’est-à-dire à la fois signe et cause effi­ciente, de l’Église. Et d’autre part, saint Thomas entend ici par « Église » la com­mu­nion invi­sible des saints, non la socié­té visible et hié­rar­chique.[]
  25. Communionis notio, n° 17.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Jean-​Michel Gleize est pro­fes­seur d’a­po­lo­gé­tique, d’ec­clé­sio­lo­gie et de dogme au Séminaire Saint-​Pie X d’Écône. Il est le prin­ci­pal contri­bu­teur du Courrier de Rome. Il a par­ti­ci­pé aux dis­cus­sions doc­tri­nales entre Rome et la FSSPX entre 2009 et 2011.