Paul VI

262e pape ; de 1963 à 1978

8 décembre 1975

Lettre encyclique Evangelii Nuntiandi

Sur l'évangélisation dans le monde moderne

Table des matières

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 8 décembre 1975,
en la solen­ni­té de l’Immaculée-​Conception de la Bienheureuse
Vierge Marie, trei­zième année de notre Pontificat.

Vénérables Frères et chers Fils, Salut et Bénédiction Apostolique

Encouragement par­ti­cu­lier à l’évangélisation

1. L’effort pour annon­cer l’Evangile aux hommes de notre temps, exal­tés par l’espérance mais en même temps tra­vaillés sou­vent par la peur et l’angoisse, est sans nul doute un ser­vice ren­du à la com­mu­nau­té des chré­tiens, mais aus­si à toute l’humanité.

C’est pour­quoi le devoir de confir­mer les frères, que Nous avons reçu du Seigneur avec la charge de Successeur de Pierre((Cf. Lc 22, 32.)), et qui est pour Nous une « pré­oc­cu­pa­tion quo­ti­dienne »((2 Co 11, 28.)), un pro­gramme de vie et d’action, et un enga­ge­ment fon­da­men­tal de notre pon­ti­fi­cat, ce devoir Nous paraît encore plus noble et néces­saire lorsqu’il s’agit d’encourager nos frères dans la mis­sion d’évangélisateurs pour que, en ces temps d’incertitude et de désar­roi, ils l’accomplissent avec tou­jours plus d’amour, de zèle et de joie.

A l’occasion de trois événements

2. C’est bien ce que Nous vou­lons faire ici, au terme de cette Année Sainte au long de laquelle l’Eglise, « ten­due de tout son effort vers la pré­di­ca­tion de l’Evangile à tous les hommes »((Concile oecu­mé­nique Vatican II, Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad Gentes, n. 1 : AAS 58 (1966), p. 947.)), n’a vou­lu rien d’autre qu’accomplir son office de mes­sa­gère de la Bonne Nouvelle de Jésus-​Christ, pro­cla­mée à par­tir de deux consignes fon­da­men­tales : « Revêtez l’homme nou­veau »((Cf. Ep 4, 24 ; 2, 15 ; Col 3, 10 ; Ga 3, 27 ; Rm 13, 14 ; 2 Co 5, 17.)) et « Laissez-​vous récon­ci­lier avec Dieu »((2 Co 5, 20.))

Nous vou­lons le faire en ce dixième anni­ver­saire de la clô­ture du Concile Vatican II dont les objec­tifs se résument, en défi­ni­tive, en un seul : rendre l’Eglise du XXe siècle encore plus apte à annon­cer l’Evangile à l’humanité du XXe siècle.

Nous vou­lons le faire un an après la IIIe Assemblée géné­rale du Synode des Evêques — consa­crée, on le sait, à l’évangélisation — , d’autant plus que cela Nous a été deman­dé par les Pères syno­daux eux-​mêmes. En effet, à l’issue de cette mémo­rable Assemblée, ils ont déci­dé de remettre au Pasteur de l’Eglise uni­ver­selle, avec beau­coup de confiance et de sim­pli­ci­té, le fruit de tout leur labeur, décla­rant qu’ils atten­daient du Pape un élan nou­veau, capable de créer, dans une Eglise encore plus enra­ci­née dans la force et la puis­sance immor­telles de la Pentecôte, des temps nou­veaux d’évangélisation((Cf. Paul VI, Allocution pour la clô­ture de la troi­sième Assemblée géné­rale du Synode des Évêques (26 octobre 1974) : AAS 66 (1974), pp. 634–635, 637.)).

Thème sou­vent sou­li­gné au cours de notre pontificat

3. Ce thème de l’évangélisation, Nous en avons sou­li­gné l’importance à plu­sieurs reprises, bien avant les jour­nées du Synode. « Les condi­tions de la socié­té — disions-​Nous au Sacré Collège des Cardinaux, le 22 juin 1973 — nous obligent tous à révi­ser les méthodes, à cher­cher par tous les moyens à étu­dier com­ment faire arri­ver à l’homme moderne le mes­sage chré­tien dans lequel il peut trou­ver la réponse à ses inter­ro­ga­tions et la force pour son enga­ge­ment de soli­da­ri­té humaine ».((AAS 65 (1973), p. 383.)) Et Nous ajou­tions que pour don­ner une réponse valable aux exi­gences du Concile qui nous inter­pellent, il faut abso­lu­ment nous mettre en face d’un patri­moine de foi que l’Église a le devoir de pré­ser­ver dans sa pure­té intan­gible, mais le devoir aus­si de pré­sen­ter aux hommes de notre temps, autant que pos­sible, d’une façon com­pré­hen­sible et persuasive.

Dans la ligne du Synode de 1974

4. Cette fidé­li­té à un mes­sage dont nous sommes les ser­vi­teurs, et aux per­sonnes à qui nous devons le trans­mettre intact et vivant, est l’axe cen­tral de l’évangélisation. Elle pose trois ques­tions brû­lantes, que le Synode de 1974 a eues constam­ment devant les yeux :

— Qu’est deve­nue, de nos jours, cette éner­gie cachée de la Bonne Nouvelle, capable de frap­per pro­fon­dé­ment la conscience de l’homme ?

— Jusqu’à quel point et com­ment cette force évan­gé­lique est-​elle en mesure de trans­for­mer vrai­ment l’homme de ce siècle ?

— Suivant quelles méthodes faut-​il pro­cla­mer l’Evangile pour que sa puis­sance soit efficace ?

Ces inter­ro­ga­tions expli­citent, au fond, la ques­tion fon­da­men­tale que l’Eglise se pose aujourd’hui et que l’on pour­rait tra­duire ain­si : après le Concile et grâce au Concile, qui a été pour elle une heure de Dieu en ce tour­nant de l’histoire, l’Eglise se trouve-​t-​elle, oui ou non, plus apte à annon­cer l’Evangile et à l’insérer dans le cœur de l’homme avec convic­tion, liber­té d’esprit et efficacité ?

Invitation à la réflexion

5. Nous voyons tous l’urgence de don­ner à cette ques­tion une réponse loyale, humble, cou­ra­geuse, et d’agir en conséquence.

Dans notre « sol­li­ci­tude pour toutes les Eglises »((2 Co 11, 28.)), Nous vou­drions aider nos frères et fils à répondre à ces inter­pel­la­tions. Puissent nos paroles, qui vou­draient être, à par­tir des richesses du Synode, une réflexion sur l’évangélisation, invi­ter à la même réflexion tout le Peuple de Dieu ras­sem­blé dans l’Eglise, et ser­vir d’élan nou­veau à tous, spé­cia­le­ment à ceux « qui peinent à la parole et à l’enseignement »,((1 Tm 5, 17.)) afin que cha­cun d’eux soit « un fidèle dis­pen­sa­teur de la Parole de véri­té »((2 Tm 2 , 15.)), fasse œuvre de pré­di­ca­teur de l’Evangile et s’acquitte à la per­fec­tion de son ministère.

Une telle Exhortation Nous est appa­rue capi­tale, car la pré­sen­ta­tion du mes­sage évan­gé­lique n’est pas pour l’Eglise une contri­bu­tion facul­ta­tive : c’est le devoir qui lui incombe, par man­dat du Seigneur Jésus, afin que les hommes puissent croire et être sau­vés. Oui, ce mes­sage est néces­saire. Il est unique. Il ne sau­rait être rem­pla­cé. Il ne souffre ni indif­fé­rence, ni syn­cré­tisme, ni accom­mo­da­tion. C’est le salut des hommes qui est en cause. C’est la beau­té de la Révélation qu’il repré­sente. Il com­porte une sagesse qui n’est pas de ce monde. Il est capable de sus­ci­ter, par lui-​même, la foi, une foi qui repose sur la puis­sance de Dieu((Cf. 1 Co 2, 5.)). Il est la Vérité. Il mérite que l’apôtre y consacre tout son temps, toutes ses éner­gies, y sacri­fie, au besoin, sa propre vie.

I – DU CHRIST ÉVANGÉLISATEUR À UNE ÉGLISE ÉVANGÉLISATRICE

Témoignage et mis­sion de Jésus

6. Le témoi­gnage que le Seigneur donne de lui-​même et que saint Luc a recueilli dans son Evangile — « Je dois annon­cer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu »((Lc 4, 43.)) — a sans doute une grande por­tée, car il défi­nit d’un mot toute la mis­sion de Jésus : « Pour cela j’ai été envoyé »((Ibid.)). Ces paroles prennent toute leur signi­fi­ca­tion si on les rap­proche des ver­sets anté­rieurs où le Christ venait de s’appliquer à lui-​même le mot du pro­phète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consa­cré par l’onction. Il m’a envoyé por­ter la Bonne Nouvelle aux pauvres »((Lc 4, 18 ; cf. Is 61, 1.)).

Proclamer de ville en ville, sur­tout aux plus pauvres qui sont sou­vent les plus accueillants, la joyeuse annonce de l’accomplissement des pro­messes et de l’Alliance pro­po­sées par Dieu, telle est la mis­sion pour laquelle Jésus se déclare envoyé par le Père. Et tous les aspects de son Mystère — l’Incarnation elle-​même, les miracles, l’enseignement, le ras­sem­ble­ment des dis­ciples, l’envoi des Douze, la croix et la résur­rec­tion, la per­ma­nence de sa pré­sence au milieu des siens — font par­tie de son acti­vi­té évangélisatrice.

Jésus, pre­mier Evangélisateur

7. Bien sou­vent au cours du Synode, les Evêques ont rap­pe­lé cette véri­té : Jésus lui-​même, Evangile de Dieu((Cf. Mc 1,1 ; Rm 1, 1–3.)), a été le tout pre­mier et le plus grand évan­gé­li­sa­teur. Il l’a été jusqu’au bout : jusqu’à la per­fec­tion, jusqu’au sacri­fice de sa vie terrestre.

Evangéliser : quelle signi­fi­ca­tion cet impé­ra­tif a‑t-​il eue pour le Christ ? Il n’est certes pas aisé d’exprimer, dans une syn­thèse com­plète, le sens, le conte­nu, les modes de l’évangélisation telle que Jésus la conce­vait et l’a réa­li­sée. D’ailleurs une telle syn­thèse ne pour­ra jamais être ter­mi­née. Qu’il Nous suf­fise de rap­pe­ler quelques aspects essentiels.

L’annonce du Règne de Dieu

8. Evangélisateur, le Christ annonce tout d’abord un Règne, le Règne de Dieu, tel­le­ment impor­tant que, par rap­port à lui, tout devient « le reste », qui est « don­né par sur­croît »((Cf. Mt 6, 33.)). Seul le Règne est donc abso­lu et il rela­ti­vise tout ce qui n’est pas lui. Le Seigneur se plai­ra à décrire sous mille formes diverses le bon­heur d’appartenir à ce Règne, bon­heur para­doxal fait de choses que le monde rejette((Cf. Mt 5, 3–12.)) ; les exi­gences du Règne et sa charte((Cf. Mt 5–7.)), les hérauts du Règne((Cf. Mt 10.)), ses mystères((Cf. Mt 13.)), ses enfants((Cf. Mt 18.)), la vigi­lance et la fidé­li­té deman­dées à qui­conque attend son avè­ne­ment définitif((Cf. Mt 24–25.)).

L’annonce du Salut libérateur

9. Comme noyau et centre de sa Bonne Nouvelle, le Christ annonce le salut, ce grand don de Dieu qui est libé­ra­tion de tout ce qui opprime l’homme mais qui est sur­tout libé­ra­tion du péché et du Malin, dans la joie de connaître Dieu et d’être connu de lui, de le voir, d’être livré à lui. Tout cela com­mence durant la vie du Christ, est défi­ni­ti­ve­ment acquis par sa mort et sa résur­rec­tion, mais doit être patiem­ment conduit au cours de l’histoire, pour être plei­ne­ment réa­li­sé au jour de l’Avènement défi­ni­tif du Christ, dont nul ne sait quand il aura lieu, sauf le Père((Cf. Mt 24, 36 ; Ac l, 7 ; 1 Tm 5, 1–2.)).

Au prix d’un effort crucifiant

10. Ce Règne et ce salut, mots-​clés de l’évangélisation de Jésus-​Christ, tout homme peut les rece­voir comme grâce et misé­ri­corde, et pour­tant simul­ta­né­ment cha­cun doit les conqué­rir par la force — ils appar­tiennent aux vio­lents, dit le Seigneur((Cf. Mt 11, 12 ; Lc 16, 16.)) — par la fatigue et la souf­france, par une vie selon l’Evangile, par le renon­ce­ment et la croix, par l’esprit des béa­ti­tudes. Mais, avant tout, cha­cun les conquiert moyen­nant un total ren­ver­se­ment inté­rieur que l’Evangile désigne sous le nom de « meta­noia », une conver­sion radi­cale, un chan­ge­ment pro­fond du regard et du cœur.((Cf. Mt 4, 17.))

Prédication infa­ti­gable

11. Cette pro­cla­ma­tion du Royaume de Dieu, le Christ l’accomplit par la pré­di­ca­tion infa­ti­gable d’une parole dont on dira qu’elle ne trouve d’égale nulle part ailleurs : « Voilà un ensei­gne­ment nou­veau, don­né avec auto­ri­té ! »((Mc 1, 27.)) ; « Et tous lui ren­daient témoi­gnage et étaient en admi­ra­tion devant les paroles pleines de grâce qui sor­taient de sa bouche »((Lc 4, 22.)) ; « Jamais homme n’a par­lé comme cet homme ! »((Jn 7, 46.)). Ses paroles dévoilent le secret de Dieu, son des­sein et sa pro­messe, et changent par là le cœur de l’homme et son destin.

Avec des signes évangéliques

12. Mais il réa­lise éga­le­ment cette pro­cla­ma­tion par d’innombrables signes qui font la stu­peur des foules et en même temps les entraînent vers lui pour le voir, l’écouter et se lais­ser trans­for­mer par lui : malades gué­ris, eau chan­gée en vin, pain mul­ti­plié, morts qui reviennent à la vie. Et entre tous, le signe auquel il donne une grande impor­tance : les petits, les pauvres sont évan­gé­li­sés, deviennent ses dis­ciples, se réunissent « en son Nom » dans la grande com­mu­nau­té de ceux qui croient en lui. Car ce Jésus qui décla­rait : « Je dois annon­cer la bonne nou­velle du Royaume de Dieu »((Lc 4, 43.)) est le même Jésus dont Jean l’Evangéliste disait qu’il était venu et devait mou­rir « pour ras­sem­bler dans l’unité les enfants de Dieu dis­per­sés »((Jn 11, 52.)). Ainsi achève-​t-​il sa révé­la­tion, en la com­plé­tant et en la confir­mant, par toute la mani­fes­ta­tion qu’il fait de lui-​même, par paroles et œuvres, par signes et miracles, et plus par­ti­cu­liè­re­ment par sa mort, par sa résur­rec­tion et par l’envoi de l’Esprit de Vérité((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Constitution dog­ma­tique sur la Révélation divine Dei Verbum, n. 4 : AAS 58 (1966), pp. 818–819.)).

Pour une com­mu­nau­té évan­gé­li­sée et évangélisatrice

13. Ceux qui accueillent avec sin­cé­ri­té la Bonne Nouvelle, par la force de cet accueil et de la foi par­ta­gée, se réunissent donc au Nom de Jésus pour cher­cher ensemble le Règne, le construire, le vivre. Ils consti­tuent une com­mu­nau­té qui est à son tour évan­gé­li­sa­trice. L’ordre don­né aux Douze — « Allez, pro­cla­mez la Bonne Nouvelle » — vaut aus­si, quoique d’une façon dif­fé­rente, pour tous les chré­tiens. C’est bien pour cela que Pierre appelle ces der­niers « un peuple acquis en vue d’annoncer les mer­veilles » de Dieu((1 P 2 9.)), ces mêmes mer­veilles que cha­cun a pu écou­ter dans sa propre langue((Cf. Ac 2, 11.)). Du reste, la Bonne Nouvelle du Règne qui vient et qui a com­men­cé est pour tous les hommes de tous les temps. Ceux qui l’ont reçue, ceux qu’elle ras­semble dans la com­mu­nau­té du salut, peuvent et doivent la com­mu­ni­quer et la diffuser.

Evangélisation, voca­tion propre de l’Eglise

14. L’Eglise le sait. Elle a une vive conscience que la parole du Sauveur — « Je dois annon­cer la bonne nou­velle du Royaume de Dieu »((Lc 4, 43.)) — s’applique en toute véri­té à elle. Elle ajoute volon­tiers avec saint Paul : « Pour moi, évan­gé­li­ser ce n’est pas un titre de gloire, c’est une obli­ga­tion. Malheur à moi se je n’évangélise pas ! »((1 Co 9, 16.)). C’est avec joie et récon­fort que Nous avons enten­du, au terme de la grande assem­blée d’octobre 1974, ces paroles lumi­neuses : « Nous vou­lons confir­mer une fois de plus que la tâche d’évangéliser tous les hommes consti­tue la mis­sion essen­tielle de l’Eglise »((Déclaration des Pères du Synode, n. 4 : L’Osservatore Romano (27 octobre 1974), p. 6.)), tâche et mis­sion que les muta­tions vastes et pro­fondes de la socié­té actuelle ne rendent que plus urgentes. Evangéliser est, en effet, la grâce et la voca­tion propre de l’Eglise, son iden­ti­té la plus pro­fonde. Elle existe pour évan­gé­li­ser, c’est-à-dire pour prê­cher et ensei­gner, être le canal du don de la grâce, récon­ci­lier les pécheurs avec Dieu, per­pé­tuer le sacri­fice du christ dans la sainte messe, qui est le mémo­rial de sa mort et de sa résur­rec­tion glorieuse.

Liens réci­proques entre l’Eglise et l’évangélisation

15. Quiconque relit dans le Nouveau Testament les ori­gines de l’Eglise suit pas à pas son his­toire et la regarde vivre et agir, voit qu’elle est liée à l’évangélisation par ce qu’elle a de plus intime.

— L’Eglise naît de l’action évan­gé­li­sa­trice de Jésus et des Douze. Elle en est le fruit nor­mal, vou­lu, le plus immé­diat et le plus visible : « Allez donc, de toutes les nations faites des dis­ciples »((Mt 28, 19.)). Or, « ceux qui accueillirent la Parole furent bap­ti­sés et envi­ron trois mille se sont réunis à eux… Et le Seigneur aug­men­tait tous les jours ceux qui embras­saient le Salut »((Ac 2, 41.47.)).

— Née par consé­quent de la mis­sion, l’Eglise est à son tour envoyée par Jésus. L’Eglise reste dans le monde lorsque le Seigneur de gloire retourne au Père. Elle reste comme un signe à la fois opaque et lumi­neux d’une nou­velle pré­sence de Jésus, de son départ et de sa per­ma­nence. Elle le pro­longe et le conti­nue. Or, c’est avant tout sa mis­sion et sa condi­tion d’évangélisateur qu’elle est appe­lée à continuer((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Constitution dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 8 : AAS 57 (1965), p. 11 ; Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, n. 5 : AAS 58 (1966), pp. 951–952.)). Car la com­mu­nau­té des chré­tiens n’est jamais close en elle-​même. En elle la vie intime — vie de prière, écoute de la Parole et de l’enseignement des Apôtres, cha­ri­té fra­ter­nelle vécue, pain partagé((Cf. Ac 2, 42–46 ; 4, 32–35 ; 5, 12–16.)) — n’a tout son sens que lorsqu’elle devient témoi­gnage, pro­voque l’admiration et la conver­sion, se fait pré­di­ca­tion et annonce de la Bonne Nouvelle. C’est ain­si toute l’Eglise qui reçoit mis­sion d’évangéliser, et l’œuvre de cha­cun est impor­tante pour le tout.

— Evangélisatrice, l’Eglise com­mence par s’évangéliser elle-​même. Communauté de croyants, com­mu­nau­té de l’espérance vécue et com­mu­ni­quée, com­mu­nau­té d’amour fra­ter­nel, elle a besoin d’écouter sans cesse ce qu’elle doit croire, ses rai­sons d’espérer, le com­man­de­ment nou­veau de l’amour. Peuple de Dieu immer­gé dans le monde, et sou­vent ten­té par les idoles, elle a tou­jours besoin d’entendre pro­cla­mer les grandes œuvres de Dieu((Cf. Ac 2, 11 ; 1 P 2, 9.)) qui l’ont conver­tie au Seigneur, d’être à nou­veau convo­quée par lui et réunie. Cela veut dire, en un mot, qu’elle a tou­jours besoin d’être évan­gé­li­sée, si elle veut gar­der fraî­cheur, élan et force pour annon­cer l’Evangile. Le Concile Vatican II a rappelé((Cf. Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, nn. 5, 11–12 : AAS 58 (1966), pp. 951–952, 959–961.)) et le Synode de 1974 a for­te­ment repris ce thème de l’Eglise qui s’évangélise par une conver­sion et une réno­va­tion constantes, pour évan­gé­li­ser le monde avec crédibilité.

— L’Eglise est dépo­si­taire de la Bonne Nouvelle à annon­cer. Les pro­messes de l’Alliance Nouvelle en Jésus-​Christ, l’enseignement du Seigneur et des Apôtres, la Parole de vie, les sources de la grâce et de la béni­gni­té de Dieu, le che­min du salut, tout cela lui a été confié. C’est le conte­nu de l’Evangile, et donc de l’évangélisation, qu’elle garde comme un dépôt vivant et pré­cieux, non pour le tenir caché mais pour le communiquer.

— Envoyée et évan­gé­li­sée, l’Eglise elle-​même envoie des évan­gé­li­sa­teurs. Elle met dans leur bouche la Parole qui sauve, elle leur explique le mes­sage dont elle-​même est dépo­si­taire, elle leur donne le man­dat qu’elle-même a reçu et les envoie prê­cher. Prêcher non leurs propres per­sonnes ou leurs idées per­son­nelles1, mais un Evangile dont ni eux ni elle ne sont maîtres et pro­prié­taires abso­lus pour en dis­po­ser à leur gré, mais dont ils sont ministres pour le trans­mettre avec une extrême fidélité.

L’Eglise, insé­pa­rable du Christ

16. Il y a donc un lien pro­fond entre le Christ, l’Eglise et l’évangélisation. Pendant ce «  tem­pus Ecclesiae », c’est l’Eglise qui a la tâche d’évangéliser. Cette tâche ne s’accomplit pas sans elle, encore moins contre elle.

Il convient certes de le rap­pe­ler à un moment où, non sans dou­leur, Nous pou­vons entendre des per­sonnes, que Nous vou­lons croire bien inten­tion­nées mais cer­tai­ne­ment déso­rien­tées dans leur esprit, répé­ter qu’elles pré­tendent aimer le Christ mais sans l’Eglise, écou­ter le Christ mais non l’Eglise, être au Christ mais en dehors de l’Eglise. L’absurde de cette dicho­to­mie appa­raît net­te­ment dans cette parole de l’Evangile : « Qui vous rejette, me rejette »((Lc 10, 16 ; cf. S Cyprien, De uni­tate Ecclesiae, 14 ; PL 4, 527 ; S Augustin, Enarrat. 88, ser­mo, 2, 14 : PL 37, 1140 ; S. Jean Chrysostome, Hom. de cap­to Eutropio, 6 : PG 52, 402.)). Et com­ment vou­loir aimer le Christ sans aimer l’Eglise, si le plus beau témoi­gnage ren­du au Christ est celui de saint Paul : « Il a aimé l’Eglise, il s’est livré pour Elle » ?((Ep 5, 25.))

II – QU’EST-CE QU’ÉVANGÉLISER ?

Complexité de l’action évangélisatrice

17. Dans l’action évan­gé­li­sa­trice de l’Eglise, il y a cer­tai­ne­ment des élé­ments et des aspects à rete­nir. Certains sont tel­le­ment impor­tants que l’on aura ten­dance à les iden­ti­fier sim­ple­ment avec l’évangélisation. L’on a pu ain­si défi­nir l’évangélisation en termes d’annonce du Christ à ceux qui l’ignorent, de pré­di­ca­tion, de caté­chèse, de bap­tême et d’autres sacre­ments à conférer.

Aucune défi­ni­tion par­tielle et frag­men­taire ne donne rai­son de la réa­li­té riche, com­plexe et dyna­mique qu’est l’évangélisation, sinon au risque de l’appauvrir et même de la muti­ler. Il est impos­sible de la sai­sir si l’on ne cherche pas à embras­ser du regard tous ses élé­ments essentiels.

Ces élé­ments for­te­ment sou­li­gnés au cours de Synode, on les appro­fon­dit sou­vent encore, ces temps-​ci, sous l’influence du tra­vail syno­dal. Nous nous réjouis­sons de ce qu’ils se situent, au fond, dans la ligne de ceux que le Concile Vatican II nous a trans­mis, sur­tout dans les Constitutions Lumen gen­tium, Gaudium et spes et dans le Décret Ad gentes.

Renouvellement de l’humanité…

18. Evangéliser, pour l’Eglise, c’est por­ter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, trans­for­mer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-​même : « Voici que je fais l’univers nou­veau ! »((Ap 21, 5 ; cf. 2 Co 5, 17 ; Ga 6, 15.)). Mais il n’y a pas d’humanité nou­velle s’il n’y a pas d’abord d’hommes nou­veaux, de la nou­veau­té du baptême((Cf. Rm 6, 4.)) et de la vie selon l’Evangile((Cf. Ep 4, 23–24 ; Col 3, 9–10.)). Le but de l’évangélisation est donc bien ce chan­ge­ment inté­rieur et, s’il fal­lait le tra­duire d’un mot, le plus juste serait de dire que l’Eglise évan­gé­lise lorsque, par la seule puis­sance divine du Message qu’elle proclame((Cf. Rm 1, 16 ; 1 Co 1, 18 ; 2,4.)), elle cherche à conver­tir en même temps la conscience per­son­nelle et col­lec­tive des hommes, l’activité dans laquelle ils s’engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs.

…et des zones d’humanité

19. Des zones d’humanité qui se trans­forment : pour l’Eglise il ne s’agit pas seule­ment de prê­cher l’Evangile dans des tranches géo­gra­phiques tou­jours plus vastes ou à des popu­la­tions tou­jours plus mas­sives, mais aus­si d’atteindre et comme de bou­le­ver­ser par la force de l’Evangile les cri­tères de juge­ment, les valeurs déter­mi­nantes, les points d’intérêt, les lignes de pen­sée, les sources ins­pi­ra­trices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en contraste avec la Parole de Dieu et le des­sein du salut.

Evangélisation des cultures

20. Nous pour­rions expri­mer tout cela en disant : il importe d’évangéliser — non pas de façon déco­ra­tive, comme par un ver­nis super­fi­ciel, mais de façon vitale, en pro­fon­deur et jusque dans leurs racines — la culture et les cultures de l’homme, dans le sens riche et large que ces termes ont dans Gaudium et spes2, par­tant tou­jours de la per­sonne et reve­nant tou­jours aux rap­ports des per­sonnes entre elles et avec Dieu.

L’Evangile, et donc l’évangélisation, ne s’identifient certes pas avec la culture, et sont indé­pen­dants à l’égard de toutes les cultures. Et pour­tant le Règne que l’Evangile annonce est vécu par des hommes pro­fon­dé­ment liés à une culture, et la construc­tion du Royaume ne peut pas ne pas emprun­ter des élé­ments de la culture et des cultures humaines. Indépendants à l’égard des cultures, Evangile et évan­gé­li­sa­tion ne sont pas néces­sai­re­ment incom­pa­tibles avec elles, mais capables de les impré­gner toutes sans s’asservir à aucune.

La rup­ture entre Evangile et culture est sans doute le drame de notre époque, comme ce fut aus­si celui d’autres époques. Aussi faut-​il faire tous les efforts en vue d’une géné­reuse évan­gé­li­sa­tion de la culture, plus exac­te­ment des cultures. Elles doivent être régé­né­rées par l’impact de la Bonne Nouvelle. Mais cet impact ne se pro­dui­ra pas si la Bonne Nouvelle n’est pas proclamée.

Importance pri­mor­diale du témoi­gnage de vie

21. L’Evangile doit être pro­cla­mé d’abord par un témoi­gnage. Voici un chré­tien ou un groupe de chré­tiens qui, au sein de la com­mu­nau­té humaine dans laquelle ils vivent, mani­festent leur capa­ci­té de com­pré­hen­sion et d’accueil, leur com­mu­nion de vie et de des­tin avec les autres, leur soli­da­ri­té dans les efforts de tous pour tout ce qui est noble et bon. Voici que, en outre, ils rayonnent, d’une façon toute simple et spon­ta­née, leur foi en des valeurs qui sont au-​delà des valeurs cou­rantes, et leur espé­rance en quelque chose qu’on ne voit pas, dont on n’oserait pas rêver. Par ce témoi­gnage sans paroles, ces chré­tiens font mon­ter, dans le cœur de ceux qui les voient vivre, des ques­tions irré­sis­tibles : Pourquoi sont-​ils ain­si ? Pourquoi vivent-​ils de la sorte ? Qu’est-ce — ou qui est-​ce — qui les ins­pire ? Pourquoi sont-​ils au milieu de nous ? Un tel témoi­gnage est déjà pro­cla­ma­tion silen­cieuse mais très forte et effi­cace de la Bonne Nouvelle. Il y a là un geste ini­tial d’évangélisation. Les ques­tions que voi­là seront peut-​être les pre­mières que se pose­ront beau­coup de non chré­tiens, qu’ils soient des gens à qui le Christ n’avait jamais été annon­cé, des bap­ti­sés non pra­ti­quants, des gens qui vivent en chré­tien­té mais selon des prin­cipes nul­le­ment chré­tiens, ou des gens qui cherchent, non sans souf­france, quelque chose ou Quelqu’un qu’ils devinent sans pou­voir le nom­mer. D’autres ques­tions sur­gi­ront, plus pro­fondes et plus enga­geantes, pro­vo­quées par ce témoi­gnage qui com­porte pré­sence, par­ti­ci­pa­tion, soli­da­ri­té, et qui est un élé­ment essen­tiel, géné­ra­le­ment le tout pre­mier, dans l’évangélisation((Cf. Tertullien, Apologeticum, 39 : CCL I, pp. 150–153 ; Minucius Félix, Octavius, 9 et 31 : CSLP, Turin 1963, pp. 11–13, 47–48.)).

A ce témoi­gnage, tous les chré­tiens sont appe­lés et peuvent être, sous cet aspect, de véri­tables évan­gé­li­sa­teurs. Nous pen­sons spé­cia­le­ment à la res­pon­sa­bi­li­té qui revient aux migrants dans les pays qui les reçoivent.

Nécessité d’une annonce explicite

22. Et cepen­dant cela reste tou­jours insuf­fi­sant, car le plus beau témoi­gnage se révé­le­ra à la longue impuis­sant s’il n’est pas éclai­ré, jus­ti­fié — ce que Pierre appe­lait don­ner « les rai­sons de son espé­rance »((1 P 3, 15.)) —, expli­ci­té par une annonce claire, sans équi­voque, du Seigneur Jésus. La Bonne Nouvelle pro­cla­mée par le témoi­gnage de vie devra donc être tôt ou tard pro­cla­mée par la parole de vie. Il n’y a pas d’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les pro­messes, le Règne, le mys­tère de Jésus de Nazareth Fils de Dieu ne sont pas annoncés.

L’histoire de l’Eglise, depuis le dis­cours de Pierre le matin de Pentecôte, s’entremêle et se confond avec l’histoire de cette annonce. À chaque nou­velle étape de l’histoire humaine, l’Eglise, constam­ment tra­vaillée par le désir d’évangéliser, n’a qu’une han­tise : qui envoyer annon­cer le mys­tère de Jésus ? Dans quel lan­gage annon­cer ce mys­tère ? Comment faire pour qu’il reten­tisse et arrive à tous ceux qui doivent l’écouter ? Cette annonce — kérygme, pré­di­ca­tion ou caté­chèse — prend une telle place dans l’évangélisation qu’elle en est sou­vent deve­nue syno­nyme. Elle n’en est cepen­dant qu’un aspect.

Pour une adhé­sion vitale et communautaire

23. L’annonce, en effet, n’acquiert toute sa dimen­sion que lorsqu’elle est enten­due, accueillie, assi­mi­lée et lorsqu’elle fait sur­gir dans celui qui l’a ain­si reçue une adhé­sion du cœur. Adhésion aux véri­tés que, par misé­ri­corde, le Seigneur a révé­lées, oui. Mais plus encore, adhé­sion au pro­gramme de vie — vie désor­mais trans­for­mée — qu’il pro­pose. Adhésion, en un mot, au Règne, c’est-à-dire au « monde nou­veau », au nou­vel état de chose, à la nou­velle manière d’être, de vivre, de vivre ensemble, que l’Evangile inau­gure. Une telle adhé­sion, qui ne peut pas demeu­rer abs­traite et dés­in­car­née, se révèle concrè­te­ment par une entrée pal­pable, visible, dans une com­mu­nau­té de fidèles. Ainsi donc, ceux dont la vie s’est trans­for­mée pénètrent dans une com­mu­nau­té qui est elle-​même signe de la trans­for­ma­tion, signe de la nou­veau­té de vie : c’est l’Eglise, sacre­ment visible du salut((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Constitution dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium, nn. 1, 9 et 48 : AAS 57 (1965), pp. 5, 12–14, 53–54 ; Constitution pas­to­rale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 42 et 45 : AAS 58 (1966), pp. 1060–1061, 1065–1066 ; Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, nn. 1 et 5 : AAS 58 (1966), pp. 947, 951–952.)). Mais à son tour, l’entrée dans la com­mu­nau­té ecclé­siale s’exprimera à tra­vers beau­coup d’autres signes qui pro­longent et déploient le signe de l’Eglise. Dans le dyna­misme de l’évangélisation, celui qui accueille l’Evangile comme Parole qui sauve((Cf. Rm 1, 16 ; 1 Co 1, 18.)) le tra­duit nor­ma­le­ment en ces gestes sacra­men­tels : adhé­sion à l’Eglise, accueil des sacre­ments qui mani­festent et sou­tiennent cette adhé­sion, par la grâce qu’ils confèrent.

Entraînant un nou­vel apostolat

24. Finalement, celui qui a été évan­gé­li­sé évan­gé­lise à son tour. C’est là le test de véri­té, la pierre de touche de l’évangélisation : Il est impen­sable qu’un homme ait accueilli la Parole et se soit don­né au Règne sans deve­nir quelqu’un qui témoigne et annonce à son tour.

Au terme de ces consi­dé­ra­tions sur les sens de l’évangélisation, une der­nière obser­va­tion, que Nous esti­mons éclai­rante pour les réflexions qui suivent, doit être formulée.

L’évangélisation, avons-​Nous dit, est une démarche com­plexe, aux élé­ments variés : renou­veau de l’humanité, témoi­gnage, annonce expli­cite, adhé­sion du cœur, entrée dans la com­mu­nau­té, accueil des signes, ini­tia­tive d’apostolat. Ces élé­ments peuvent appa­raître contras­tants, voire exclu­sifs. Ils sont en réa­li­té com­plé­men­taires et mutuel­le­ment enri­chis­sants. Il faut tou­jours envi­sa­ger cha­cun d’eux dans son inté­gra­tion aux autres. La valeur du récent Synode a été de nous avoir constam­ment invi­tés à com­po­ser ces élé­ments, plu­tôt qu’à les oppo­ser entre eux, pour avoir la pleine com­pré­hen­sion de l’activité évan­gé­li­sa­trice de l’Eglise.

C’est cette vision glo­bale que Nous vou­lons main­te­nant expo­ser, en exa­mi­nant le conte­nu de l’Evangélisation, les moyens d’évangéliser, en pré­ci­sant à qui s’adresse l’annonce évan­gé­lique et qui en a aujourd’hui la charge.

III – LE CONTENU DE L’ÉVANGÉLISATION

Contenu essen­tiel et élé­ments secondaires

25. Dans le mes­sage que l’Eglise annonce, il y a certes beau­coup d’éléments secon­daires. Leur pré­sen­ta­tion dépend for­te­ment des cir­cons­tances chan­geantes. Ils changent aus­si. Mais il y a le conte­nu essen­tiel, la sub­stance vivante, qu’on ne pour­rait modi­fier ni pas­ser sous silence sans déna­tu­rer gra­ve­ment l’évangélisation elle-même.

Témoignage ren­du à l’amour du Père

26. Il n’est pas super­flu de le rap­pe­ler : évan­gé­li­ser est tout d’abord témoi­gner, de façon simple et directe, du Dieu révé­lé par Jésus-​Christ, dans l’Esprit Saint. Témoigner que dans son Fils il a aimé le monde ; que dans son Verbe Incarné il a don­né l’être à toute chose et a appe­lé les hommes à la vie éter­nelle. Cette attes­ta­tion de Dieu rejoin­dra peut-​être pour beau­coup le Dieu inconnu((Cf. Ac 17, 22–23.)) qu’ils adorent sans lui don­ner un nom, ou qu’ils cherchent par un appel secret du cœur lorsqu’ils font l’expérience de la vacui­té de toutes les idoles. Mais elle est plei­ne­ment évan­gé­li­sa­trice en mani­fes­tant que, pour l’homme, le Créateur n’est pas une puis­sance ano­nyme et loin­taine : il est Père. « Nous sommes appe­lés fils de Dieu, nous le sommes effec­ti­ve­ment »((1 Jn 3, 1 ; cf. Rm 8, 14–17.)) et nous sommes donc frères les uns des autres en Dieu.

Au centre du mes­sage : le salut en Jésus-Christ

27. L’évangélisation contien­dra aus­si tou­jours — base, centre et som­met à la fois de son dyna­misme — une claire pro­cla­ma­tion que, en Jésus-​Christ, le Fils de Dieu fait homme, mort et res­sus­ci­té, le salut est offert à tout homme, comme don de grâce et misé­ri­corde de Dieu.((Cf. Ep 2, 8 ; Rm 1, 16. Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Declaratio ad fidem tuen­dam in mys­te­ria Incarnationis et SS. Trinitatis a qui­bus­dam recen­ti­bus erro­ri­bus (21 février 1972) : AAS 64 (1972), pp. 237–241.)) Et non pas un salut imma­nent, à la mesure des besoins maté­riels ou même spi­ri­tuels s’épuisant dans le cadre de l’existence tem­po­relle et s’identifiant tota­le­ment avec les dési­rs, les espoirs, les affaires et les com­bats tem­po­rels, mais un salut qui déborde toutes ces limites pour s’accomplir dans une com­mu­nion avec le seul Absolu, celui de Dieu : salut trans­cen­dant, escha­to­lo­gique, qui a certes son com­men­ce­ment en cette vie, mais qui s’accomplit dans l’éternité.

Sous le signe de l’espérance

28. L’évangélisation par consé­quent ne peut pas ne pas conte­nir l’annonce pro­phé­tique d’un au-​delà, voca­tion pro­fonde et défi­ni­tive de l’homme à la fois en conti­nui­té et en dis­con­ti­nui­té avec la situa­tion pré­sente : au-​delà du temps et de l’histoire, au-​delà de la réa­li­té de ce monde dont la figure passe, et des choses de ce monde dont une dimen­sion cachée se mani­fes­te­ra un jour ; au-​delà de l’homme lui-​même dont le véri­table des­tin ne s’épuise pas dans son visage tem­po­rel mais sera révé­lé dans la vie future.((Cf. 1 Jn 3, 2 ; Rm 8, 29 ; Ph 3, 20–21. Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Constitution dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium, nn. 48–51 : AAS 57 (1965), pp. 53–58.)) L’évangélisation contient donc aus­si la pré­di­ca­tion de l’espérance dans les pro­messes faites par Dieu dans la nou­velle alliance en Jésus-​Christ ; la pré­di­ca­tion de l’amour de Dieu envers nous et de notre amour pour Dieu ; la pré­di­ca­tion de l’amour fra­ter­nel pour tous les hommes — capa­ci­té de don et de par­don, de renon­ce­ment, d’aide aux frères — qui, déri­vant de l’amour de Dieu, est le noyau de l’evangile ; la pré­di­ca­tion du mys­tère du mal et de la recherche active du bien. Prédication, éga­le­ment, et celle-​ci est tou­jours urgente, de la recherche de Dieu lui-​même à tra­vers la com­mu­nion avec ce signe visible de la ren­contre de Dieu qu’est l’eglise de Jésus-​Christ, et cette com­mu­nion s’exprime à son tour par la mise en œuvre de ces autres signes du Christ vivant et agis­sant dans l’Eglise que sont les sacre­ments. Vivre de la sorte les sacre­ments, de façon à mener leur célé­bra­tion à une véri­table plé­ni­tude, n’est pas, comme cer­tains le pré­ten­draient, mettre un obs­tacle à l’évangélisation ou en accep­ter une dévia­tion, c’est lui don­ner toute son ampleur. Car la tota­li­té de l’évangélisation, au-​delà de la pré­di­ca­tion d’un mes­sage, consiste à implan­ter l’Eglise, laquelle n’existe pas sans cette res­pi­ra­tion qu’est la vie sacra­men­telle culmi­nant dans l’Eucharistie.((Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Declaratio cir­ca Catholicam Doctrinam de Ecclesia contra non­nul­los errores hodier­nos tuen­dam (24 juin 1973) : AAS 65 (1973), pp. 396–408.))

Message concer­nant toute la vie

29. Mais l’évangélisation ne serait pas com­plète si elle ne tenait pas compte des rap­ports concrets et per­ma­nents qui existent entre l’evangile et la vie, per­son­nelle et sociale, de l’homme. C’est pour­quoi l’évangélisation com­porte un mes­sage expli­cite, adap­té aux diverses situa­tions, constam­ment actua­li­sé, sur les droits et les devoirs de toute per­sonne humaine, sur la vie fami­liale sans laquelle l’épanouissement per­son­nel n’est guère possible,((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Constitution pas­to­rale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 47–52 : AAS 58 (1966), pp. 1067–1074 ; Paul VI, Encyclique Humanae vitae ; AAS 60 (1968) pp. 481–503.)) sur la vie en com­mun dans la socié­té, sur la vie inter­na­tio­nale, la paix, la jus­tice, le déve­lop­pe­ment ; un mes­sage par­ti­cu­liè­re­ment vigou­reux de nos jours sur la libération.

Un mes­sage de libération

30. On sait en quels termes en ont par­lé, au récent Synode, de nom­breux Evêques de tous les conti­nents, sur­tout les Evêques du Tiers-​Monde, avec un accent pas­to­ral où vibrait la voix de mil­lions de fils de l’Eglise qui forment ces peuples. Peuples enga­gés, avec toute leur éner­gie, dans l’effort et le com­bat de dépas­se­ment de tout ce qui les condamne à res­ter en marge de la vie : famines, mala­dies chro­niques, anal­pha­bé­tisme, pau­pé­risme, injus­tices dans les rap­ports inter­na­tio­naux et spé­cia­le­ment dans les échanges com­mer­ciaux, situa­tions de néo-​colonialisme éco­no­mique et cultu­rel par­fois aus­si cruel que l’ancien colo­nia­lisme poli­tique. L’Eglise, ont répé­té les Evêques, a le devoir d’annoncer la libé­ra­tion de mil­lions d’êtres humains, beau­coup d’entre eux étant ses propres enfants ; le devoir d’aider cette libé­ra­tion à naître, de témoi­gner pour elle, de faire qu’elle soit totale. Cela n’est pas étran­ger à l’évangélisation.

En rap­port néces­saire avec la pro­mo­tion humaine

31. Entre évan­gé­li­sa­tion et pro­mo­tion humaine — déve­lop­pe­ment, libé­ra­tion — il y a en effet des liens pro­fonds. Liens d’ordre anthro­po­lo­gique, parce que l’homme à évan­gé­li­ser n’est pas un être abs­trait, mais qu’il est sujet aux ques­tions sociales et éco­no­miques. Liens d’ordre théo­lo­gique, puisqu’on ne peut pas dis­so­cier le plan de la créa­tion du plan de la Rédemption qui, lui, atteint les situa­tions très concrètes de l’injustice à com­battre et de la jus­tice à res­tau­rer. Liens de cet ordre émi­nem­ment évan­gé­lique qui est celui de la cha­ri­té : Comment en effet pro­cla­mer le com­man­de­ment nou­veau sans pro­mou­voir dans la jus­tice et la paix la véri­table, l’authentique crois­sance de l’homme ? Nous avons tenu à le signa­ler Nous-​même en rap­pe­lant qu’il est impos­sible d’accepter « que l’œuvre d’évangélisation puisse ou doive négli­ger les ques­tions extrê­me­ment graves, tel­le­ment agi­tées aujourd’hui, concer­nant la jus­tice, la libé­ra­tion, le déve­lop­pe­ment et la paix dans le monde. Si cela arri­vait, ce serait igno­rer la doc­trine de l’Evangile sur l’amour envers le pro­chain qui souffre ou est dans le besoin ».((Allocution pour l’ou­ver­ture de la troi­sième Assemblée géné­rale du Synode des Evêques (27 sep­tembre 1974) : AAS 66 (1974), p 562.))

Eh bien, les mêmes voix qui avec zèle, intel­li­gence et cou­rage ont abor­dé au cours du Synode ce thème brû­lant, ont, à notre grande joie, four­ni les prin­cipes illu­mi­na­teurs pour bien sai­sir la por­tée et le sens pro­fond de la libé­ra­tion telle que l’a annon­cée et réa­li­sée Jésus de Nazareth et telle que l’Eglise la prêche.

Sans réduc­tion ni ambiguïté

32. Il ne faut pas nous cacher, en effet, que beau­coup de chré­tiens géné­reux, sen­sibles aux ques­tions dra­ma­tiques que recouvre le pro­blème de la libé­ra­tion, en vou­lant enga­ger l’Eglise dans l’effort de libé­ra­tion, ont fré­quem­ment la ten­ta­tion de réduire sa mis­sion aux dimen­sions d’un pro­jet sim­ple­ment tem­po­rel ; ses buts à une visée anthro­po­cen­trique ; le salut dont elle est mes­sa­gère et sacre­ment, à un bien-​être maté­riel ; son acti­vi­té, oubliant toute pré­oc­cu­pa­tion spi­ri­tuelle et reli­gieuse, à des ini­tia­tives d’ordre poli­tique ou social. Mais s’il en était ain­si, l’Eglise per­drait sa signi­fi­ca­tion fon­cière. Son mes­sage de libé­ra­tion n’aurait plus aucune ori­gi­na­li­té et fini­rait par être faci­le­ment acca­pa­ré et mani­pu­lé par des sys­tèmes idéo­lo­giques et des par­tis poli­tiques. Elle n’aurait plus d’autorité pour annon­cer, comme de la part de Dieu, la libé­ra­tion. C’est pour­quoi nous avons vou­lu sou­li­gner dans la même allo­cu­tion à l’ouverture de la troi­sième Assemblée syno­dale « la néces­si­té de réaf­fir­mer clai­re­ment la fina­li­té spé­ci­fi­que­ment reli­gieuse de l’évangélisation. Cette der­nière per­drait sa rai­son d’être si elle s’écartait de l’axe reli­gieux qui la dirige : le Règne de Dieu avant toute autre chose, dans son sens plei­ne­ment théo­lo­gique ».((Ibid.))

La libé­ra­tion évangélique…

33. De la libé­ra­tion que l’évangélisation annonce et s’efforce de mettre en œuvre, il faut dire plutôt :

— elle ne peut pas se can­ton­ner dans la simple et res­treinte dimen­sion éco­no­mique, poli­tique, sociale ou cultu­relle, mais elle doit viser l’homme tout entier, dans toutes ses dimen­sions, jusque et y com­pris dans son ouver­ture vers l’absolu, même l’Absolu de Dieu ;

— elle est donc rat­ta­chée à une cer­taine concep­tion de l’homme, à une anthro­po­lo­gie qu’elle ne peut jamais sacri­fier aux exi­gences d’une quel­conque stra­té­gie, d’une praxis ou d’une effi­ca­ci­té à court terme.

…axée sur le Règne de Dieu

34. C’est pour­quoi, en prê­chant la libé­ra­tion et en s’associant à ceux qui oeuvrent et souffrent pour elle, l’Eglise — sans accep­ter de cir­cons­crire sa mis­sion au seul domaine du reli­gieux, en se dés­in­té­res­sant des pro­blèmes tem­po­rels de l’homme — réaf­firme la pri­mau­té de sa voca­tion spi­ri­tuelle, elle refuse de rem­pla­cer l’annonce du Règne par la pro­cla­ma­tion des libé­ra­tions humaines, et elle pro­clame que même sa contri­bu­tion à la libé­ra­tion est incom­plète si elle néglige d’annoncer le salut en Jésus-Christ.

Sur une vision évan­gé­lique de l’homme…

35. L’Eglise rap­proche mais n’identifie jamais libé­ra­tion humaine et salut en Jésus-​Christ, car elle sait par révé­la­tion, par expé­rience his­to­rique et par réflexion de foi que toute notion de libé­ra­tion n’est pas for­cé­ment cohé­rente et com­pa­tible avec une vision évan­gé­lique de l’homme, des choses et des évé­ne­ments ; elle sait qu’il ne suf­fit pas d’instaurer la libé­ra­tion, de créer le bien-​être et le déve­lop­pe­ment, pour que le Règne de Dieu arrive.

Bien plus, l’Eglise a la ferme convic­tion que toute libé­ra­tion tem­po­relle, toute libé­ra­tion poli­tique — même si elle s’efforce de trou­ver sa jus­ti­fi­ca­tion dans telle ou telle page de l’Ancien ou de Nouveau Testament, même si elle réclame pour ses pos­tu­lats idéo­lo­giques et ses normes d’action l’autorité des don­nées et des conclu­sions théo­lo­giques, même si elle pré­tend être la théo­lo­gie pour aujourd’hui — porte en elle-​même le germe de sa propre néga­tion et déchoit de l’idéal qu’elle se pro­pose, tant que ses motifs pro­fonds ne sont pas ceux de la jus­tice dans la cha­ri­té, tant que l’élan qui l’entraîne n’a pas de dimen­sion vrai­ment spi­ri­tuelle et que son but final n’est pas le salut et la béa­ti­tude en Dieu.

…com­por­tant une néces­saire conversion…

36. L’Eglise tient certes comme impor­tant et urgent de bâtir des struc­tures plus humaines, plus justes, plus res­pec­tueuses des droits de la per­sonne, moins oppres­sives et moins asser­vis­santes, mais elle est consciente que les meilleures struc­tures, les sys­tèmes les mieux conçus deviennent vite inhu­mains si les pentes inhu­maines du cœur de l’homme ne sont pas assai­nies, s’il n’y a pas une conver­sion du cœur et du regard de ceux qui vivent dans ces struc­tures ou les commandent.

…excluant la violence

37. L’Eglise ne peut pas accep­ter la vio­lence, sur­tout la force des armes — incon­trô­lable lorsqu’elle se déchaîne — et la mort de qui que ce soit, comme che­min de libé­ra­tion, car elle sait que la vio­lence appelle tou­jours la vio­lence et engendre irré­sis­ti­ble­ment de nou­velles formes d’oppression et d’esclavage sou­vent plus lourdes que celles dont elle pré­ten­dait libé­rer. Nous l’avons dit clai­re­ment au cours de notre voyage en Colombie : « Permettez enfin que Nous vous exhor­tions à ne pas mettre votre confiance dans la vio­lence et dans la révo­lu­tion ; c’est contraire à l’esprit chré­tien, et cela peut aus­si retar­der, et non favo­ri­ser, l’élévation sociale à laquelle vous aspi­rez à bon droit ».((Allocution aux “Campesinos” (23 août 1968) : AAS 60 (1969), p. 623.)) « Nous devons dire et réaf­fir­mer que la vio­lence n’est ni chré­tienne ni évan­gé­lique et que les chan­ge­ments brusques ou vio­lents des struc­tures seraient fal­la­cieux, inef­fi­caces en eux-​mêmes et cer­tai­ne­ment non conformes à la digni­té du peuple ».((Paul VI, Allocution pro­non­cée à Bogota, pour la “Journée du Développement” (23 août 1968) : AAS 60, p 627 ; cf. S Augustin, Epistola 229, 2 : PL 33, 1020.))

Contribution spé­ci­fique de l’Eglise

38. Ceci dit, Nous nous réjouis­sons que l’Eglise prenne une conscience tou­jours plus vive de la façon propre, fon­ciè­re­ment évan­gé­lique, qu’elle a de col­la­bo­rer à la libé­ra­tion des hommes. Et que fait-​elle ? Elle cherche de plus en plus à sus­ci­ter de nom­breux chré­tiens qui se donnent à la libé­ra­tion des autres. Elle four­nit à ces chré­tiens « libé­ra­teurs » une ins­pi­ra­tion de foi, une moti­va­tion d’amour fra­ter­nel, un ensei­gne­ment social auquel le vrai chré­tien ne peut pas ne pas être atten­tif mais qu’il doit poser à la base de sa sagesse et de son expé­rience pour le tra­duire concrè­te­ment en des caté­go­ries d’action, de par­ti­ci­pa­tion et d’engagement. Tout cela, sans se confondre avec des atti­tudes tac­tiques ni avec le ser­vice d’un sys­tème poli­tique, doit carac­té­ri­ser l’élan du chré­tien enga­gé. L’Eglise s’efforce d’insérer tou­jours le com­bat chré­tien pour la libé­ra­tion dans le des­sein glo­bal du salut qu’elle annonce elle-même.

Ce que Nous venons de rap­pe­ler ici émerge plus d’une fois dans les débats du Synode. Nous avions d’ailleurs vou­lu consa­crer à ce thème quelques mots d’éclaircissement dans l’allocution que Nous adres­sions aux Pères à l’issue de l’Assemblée.((Allocution pour la clô­ture de la troi­sième Assemblée géné­rale du Synode des Evêques (26 octobre 1974) : AAS 66 (1974), p. 637.))

Toutes ces consi­dé­ra­tions devraient aider, il faut l’espérer, à évi­ter l’ambiguïté que revêt très sou­vent le mot « libé­ra­tion » dans les idéo­lo­gies, les sys­tèmes ou les groupes poli­tiques. La libé­ra­tion que pro­clame et pré­pare l’évangélisation est celle que le Christ lui-​même a annon­cée à l’homme par son sacrifice.

La liber­té religieuse

39. De cette juste libé­ra­tion liée à l’évangélisation, qui cherche pré­ci­sé­ment à réa­li­ser des struc­tures sau­ve­gar­dant la liber­té humaine, on ne peut sépa­rer la néces­si­té d’assurer tous les droits fon­da­men­taux de l’homme, par­mi les­quels la liber­té reli­gieuse tient une place de pre­mière impor­tance. Nous avons récem­ment par­lé de l’actualité de ce pro­blème, en rele­vant « com­bien de chré­tiens, aujourd’hui encore, sont étouf­fés par une oppres­sion sys­té­ma­tique parce qu’ils sont chré­tiens, parce qu’ils sont catho­liques ! Le drame de la fidé­li­té au Christ et de la liber­té reli­gieuse conti­nue, même s’il est camou­flé der­rière des décla­ra­tions caté­go­riques en faveur des droits de la per­sonne humaine et de la socié­té ».((Allocution à l’Audience géné­rale du 15 octobre 1975 : cf. L’Osservatore Romano du 17 octobre 1975, p. 1.))

IV – LES VOIES DE L’ÉVANGÉLISATION

A la recherche de moyens adaptés

40. L’importance évi­dente du conte­nu de l’évangélisation ne doit pas cacher l’importance des voies et des moyens.

Cette ques­tion du « com­ment évan­gé­li­ser » reste tou­jours actuelle parce que les façons d’évangéliser varient sui­vant les diverses cir­cons­tances de temps, de lieu, de culture, et qu’elles offrent par là un cer­tain défi à notre capa­ci­té de décou­vrir et d’adapter.

A nous spé­cia­le­ment, Pasteurs dans l’Eglise, incombe le sou­ci de recréer avec audace et sagesse en toute fidé­li­té à son conte­nu, les modes les plus adap­tés et les plus effi­caces pour com­mu­ni­quer le mes­sage évan­gé­lique aux hommes de notre temps. Qu’il Nous suf­fise, dans cette réflexion, de rap­pe­ler quelques voies qui, pour une rai­son ou pour une autre, ont une impor­tance fondamentale.

Le témoi­gnage de la vie

41. Et d’abord, sans répé­ter tout ce que Nous avons déjà rap­pe­lé plus haut, il est bon de sou­li­gner ceci : pour l’Eglise, le témoi­gnage d’une vie authen­ti­que­ment chré­tienne, livrée à Dieu dans une com­mu­nion que rien ne doit inter­rompre mais éga­le­ment don­née au pro­chain avec un zèle sans limite, est le pre­mier moyen d’évangélisation. « L’homme contem­po­rain écoute plus volon­tiers les témoins que les maîtres — disions-​Nous récem­ment à un groupe de laïcs — ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins ».((Allocution aux membres du Conseil des Laïcs (2 octobre 1974) : AAS 66 (1974), p. 568)) Saint Pierre l’exprimait bien lorsqu’il évo­quait le spec­tacle d’une vie pure et res­pec­tueuse, « gagnant sans paroles même ceux qui refusent de croire à la Parole ».((Cf. 1 P 3, 1.)) C’est donc par sa conduite, par sa vie, que l’Eglise évan­gé­li­se­ra tout d’abord le monde, c’est-à-dire par son témoi­gnage vécu de fidé­li­té au Seigneur Jésus, de pau­vre­té et déta­che­ment, de liber­té face aux pou­voirs de ce monde, en un mot, de sainteté.

Une pré­di­ca­tion vivante

42. Il n’est pas super­flu de sou­li­gner, ensuite, la por­tée et la néces­si­té de la pré­di­ca­tion. « Comment croire sans l’avoir enten­du ? Et com­ment entendre sans pré­di­ca­teur ? (…) Car la foi naît de la pré­di­ca­tion et la pré­di­ca­tion se fait par la parole du Christ ».((Rm 10, 14. 17.)) Cette loi posée un jour par l’Apôtre Paul garde encore aujourd’hui toute sa force.

Oui, elle est tou­jours indis­pen­sable, la pré­di­ca­tion, cette pro­cla­ma­tion ver­bale d’un mes­sage. Nous savons bien que l’homme moderne ras­sa­sié de dis­cours se révèle sou­vent fati­gué d’entendre et, pire encore, immu­ni­sé contre la parole. Nous connais­sons aus­si les idées de nom­breux psy­cho­logues et socio­logues, les­quels affirment que l’homme moderne a dépas­sé la civi­li­sa­tion du verbe, désor­mais inef­fi­cace et inutile, et qu’il vit aujourd’hui dans la civi­li­sa­tion de l’image. Ces faits devraient nous pous­ser, certes, à mettre en œuvre dans la trans­mis­sion du mes­sage évan­gé­lique les moyens modernes sus­ci­tés par cette civi­li­sa­tion. Des efforts très valables, d’ailleurs, ont été déjà accom­plis dans cette ligne. Nous ne pou­vons que les louer et les encou­ra­ger pour qu’ils se déve­loppent encore davan­tage. La fatigue que pro­voquent aujourd’hui tant de dis­cours vides et l’actualité de bien d’autres formes de com­mu­ni­ca­tion ne doivent cepen­dant pas dimi­nuer la ver­tu per­ma­nente de la parole ni faire perdre confiance en elle. La parole reste tou­jours actuelle, sur­tout lorsqu’elle est por­teuse de la puis­sance de Dieu.((Cf. 1 Co 2, 1–5.)) C’est pour­quoi reste lui aus­si d’actualité l’axiome de saint Paul : « La foi vient de ce qu’on entend »((Rm 10, 17.)) : c’est la Parole enten­due qui conduit à croire.

Liturgie de la Parole

43. Cette pré­di­ca­tion évan­gé­li­sa­trice prend plu­sieurs formes que le zèle ins­pi­re­ra de recréer presque à l’infini. Ils sont effec­ti­ve­ment innom­brables, les évé­ne­ments de la vie et les situa­tions humaines qui offrent l’occasion d’une annonce dis­crète mais mar­quante de ce que le Seigneur a à dire dans cette cir­cons­tance. Il suf­fit d’avoir une vraie sen­si­bi­li­té spi­ri­tuelle pour lire dans les évé­ne­ments le mes­sage de Dieu. Mais, à un moment où la litur­gie renou­ve­lée par le Concile a beau­coup valo­ri­sé la « litur­gie de la Parole », ce serait une erreur de ne pas voir dans l’homélie un ins­tru­ment valable et très adap­té d’évangélisation. Il faut certes connaître et mettre à pro­fit les exi­gences et les pos­si­bi­li­tés de l’homélie pour qu’elle acquière toute son effi­ca­ci­té pas­to­rale. Mais il faut sur­tout en être convain­cu et s’y don­ner avec amour. Cette pré­di­ca­tion sin­gu­liè­re­ment insé­rée dans la célé­bra­tion eucha­ris­tique, dont elle reçoit force et vigueur par­ti­cu­lières, a cer­tai­ne­ment un rôle spé­cial dans l’évangélisation, dans la mesure où elle exprime la foi pro­fonde du ministre sacré qui prêche et où elle est impré­gnée d’amour. Les fidèles ras­sem­blés pour être une Eglise pas­cale célé­brant la fête du Seigneur pré­sent au milieu d’eux attendent beau­coup de cette pré­di­ca­tion et de fait en reçoivent beau­coup de fruits, pour­vu qu’elle soit simple, claire, directe, adap­tée, pro­fon­dé­ment atta­chée à l’enseignement évan­gé­lique et fidèle au Magistère de l’Eglise, ani­mée d’une ardeur apos­to­lique équi­li­brée qui lui vient de son carac­tère propre, pleine d’espérance, nour­ris­sante pour la foi, géné­ra­trice de paix et d’unité. Maintes com­mu­nau­tés parois­siales ou autres vivent et se conso­lident grâce à l’homélie de chaque dimanche, lorsqu’elle a ces qualités.

Ajoutons que, grâce au même renou­vel­le­ment de la litur­gie, la célé­bra­tion eucha­ris­tique n’est pas le seul moment appro­prié pour l’homélie. Celle-​ci trouve sa place et ne doit pas être négli­gée dans la célé­bra­tion de tous les sacre­ments, ou encore au cours de para-​liturgies, dans le cadre d’assemblées de fidèles. Elle sera tou­jours une occa­sion pri­vi­lé­giée pour com­mu­ni­quer la Parole du Seigneur.

La caté­chèse

44. Une voie à ne pas négli­ger dans l’évangélisation est celle de l’enseignement caté­ché­tique. L’intelligence, sur­tout celle des enfants et des ado­les­cents, a besoin d’apprendre, moyen­nant un ensei­gne­ment reli­gieux sys­té­ma­tique, les don­nées fon­da­men­tales, le conte­nu vivant de la véri­té que Dieu a vou­lu nous trans­mettre et que l’Eglise a cher­ché à expri­mer de façon tou­jours plus riche, au cours de sa longue his­toire. Que cet ensei­gne­ment doive être don­né pour édu­quer des habi­tudes de vie chré­tienne et non pour demeu­rer seule­ment intel­lec­tuel, per­sonne ne le contes­te­ra. Assurément, l’effort d’évangélisation gagne­ra beau­coup, au plan de l’enseignement caté­ché­tique don­né à l’église, dans les écoles là où cela est pos­sible, en tout cas dans les foyers chré­tiens, si les caté­chètes dis­posent de textes appro­priés, mis à jour avec sagesse et com­pé­tence, sous l’autorité des Évêques. Les méthodes devront être adap­tées à l’âge, à la culture, à la capa­ci­té des per­sonnes, en cher­chant tou­jours à fixer dans la mémoire, l’intelligence et le cœur, les véri­tés essen­tielles qui devront impré­gner la vie tout entière. Il faut sur­tout pré­pa­rer de bons caté­chètes — caté­chistes parois­siaux, ins­ti­tu­teurs, parents — sou­cieux de se per­fec­tion­ner dans cet art supé­rieur, indis­pen­sable et exi­geant de l’enseignement reli­gieux. D’ailleurs, sans qu’il faille négli­ger en quoi que ce soit la for­ma­tion des enfants, on observe que les condi­tions actuelles rendent tou­jours plus urgent l’enseignement caté­ché­tique, sous la forme d’un caté­chu­mé­nat, pour de nom­breux jeunes et adultes qui, tou­chés par la grâce, découvrent peu à peu le visage du Christ et éprouvent le besoin de se don­ner à Lui.

Utilisation des mass media

45. Dans notre siècle mar­qué par les mass media ou moyens de com­mu­ni­ca­tion sociale, la pre­mière annonce, la caté­chèse ou l’approfondissement ulté­rieur de la foi, ne peuvent pas se pas­ser de ces moyens, comme Nous l’avons déjà souligné.

Mis au ser­vice de l’Evangile, ils sont capables d’étendre presque à l’infini le champ d’écoute de la Parole de Dieu, et ils font arri­ver la Bonne Nouvelle à des mil­lions de per­sonnes. L’Eglise se sen­ti­rait cou­pable devant son Seigneur si elle ne met­tait pas en œuvre ces puis­sants moyens que l’intelligence humaine rend chaque jour plus per­fec­tion­nés. C’est par eux qu’elle « pro­clame sur les toits »((Cf. Mt 10, 27 ; Lc 12, 3.)) le mes­sage dont elle est dépo­si­taire. En eux elle trouve une ver­sion moderne et effi­cace de la chaire. Grâce à eux elle réus­sit à par­ler aux masses.

Cependant l’usage des moyens de com­mu­ni­ca­tion sociale pour l’évangélisation pré­sente un défi : c’est que le mes­sage évan­gé­lique devrait, à tra­vers eux, arri­ver à des foules d’hommes, mais avec la capa­ci­té de per­cer la conscience de cha­cun, de se dépo­ser dans le cœur de cha­cun comme s’il était unique, avec tout ce qu’il a de plus sin­gu­lier et per­son­nel, et de recueillir en sa faveur une adhé­sion, un enga­ge­ment tout à fait personnels.

Indispensable contact personnel

46. C’est pour­quoi, à côté de cette pro­cla­ma­tion de l’Evangile sous forme géné­rale, l’autre forme de sa trans­mis­sion, de per­sonne à per­sonne, reste valide et impor­tante. Le Seigneur l’a sou­vent pra­ti­quée — les conver­sa­tions avec Nicodème, Zachée, la Samaritaine, Simon le pha­ri­sien, par exemple, l’attestent —, les Apôtres aus­si. Y aurait-​il au fond une autre manière de livrer l’Evangile, que de trans­mettre à un autre sa propre expé­rience de la foi ? Il ne fau­drait pas que l’urgence d’annoncer la Bonne Nouvelle aux masses d’hommes fasse oublier cette forme d’annonce par laquelle la conscience per­son­nelle d’un homme est atteinte, tou­chée par une parole tout à fait extra­or­di­naire qu’il reçoit d’un autre. Nous ne sau­rions dire le bien fait par les prêtres qui, à tra­vers le sacre­ment de la péni­tence ou à tra­vers le dia­logue pas­to­ral, se montrent prêts à gui­der les per­sonnes dans les voies de l’Evangile, à les affer­mir dans leur effort, à les rele­ver si elles sont tom­bées, à les assis­ter tou­jours avec dis­cer­ne­ment et disponibilité.

Le rôle des sacrements

47. Par ailleurs, on n’insistera jamais assez sur le fait que l’évangélisation ne s’épuise pas dans la pré­di­ca­tion et l’enseignement d’une doc­trine. Car elle doit atteindre la vie : la vie natu­relle à laquelle elle donne un sens nou­veau, grâce aux pers­pec­tives évan­gé­liques qu’elle lui ouvre ; et la vie sur­na­tu­relle, qui n’est pas la néga­tion, mais la puri­fi­ca­tion et l’élévation de la vie naturelle.

Cette vie sur­na­tu­relle trouve son expres­sion vivante dans les sept sacre­ments et dans l’admirable rayon­ne­ment de grâce et de sain­te­té qui est le leur.

L’évangélisation déploie ain­si toute sa richesse lorsqu’elle réa­lise la liai­son la plus intime, et mieux encore une inter­com­mu­ni­ca­tion jamais inter­rom­pue, entre la parole et les sacre­ments. En un cer­tain sens, c’est une équi­voque que d’opposer, comme on le fait par­fois, l’évangélisation à la sacra­men­ta­li­sa­tion. Il est bien vrai qu’une cer­taine façon de confé­rer les sacre­ments, sans un solide appui de la caté­chèse de ces mêmes sacre­ments et d’une caté­chèse glo­bale, fini­rait par les pri­ver en grande par­tie de leur effi­ca­ci­té. Le rôle de l’évangélisation est pré­ci­sé­ment d’éduquer tel­le­ment dans la foi qu’elle conduise chaque chré­tien à vivre — et non à rece­voir pas­si­ve­ment, ou à subir — les sacre­ments comme de véri­tables sacre­ments de la foi.

La pié­té populaire

48. Ici Nous tou­chons à un aspect de l’évangélisation qui ne peut pas lais­ser insen­sible. Nous vou­lons par­ler de cette réa­li­té que l’on désigne sou­vent aujourd’hui du terme de reli­gio­si­té populaire.

Aussi bien dans les régions où l’Eglise est implan­tée depuis des siècles que là où elle est en voie d’implantation, on trouve chez le peuple des expres­sions par­ti­cu­lières de la recherche de Dieu et de la foi. Regardées long­temps comme moins pures, quel­que­fois dédai­gnées, ces expres­sions font aujourd’hui un peu par­tout l’objet d’une redé­cou­verte. Les Evêques en ont appro­fon­di la signi­fi­ca­tion, au cours du récent Synode, avec un réa­lisme pas­to­ral et un zèle remarquables.

La reli­gio­si­té popu­laire, on peut le dire, a cer­tai­ne­ment ses limites. Elle est fré­quem­ment ouverte à la péné­tra­tion de maintes défor­ma­tions de la reli­gion voire de super­sti­tions. Elle reste sou­vent au niveau de mani­fes­ta­tions cultu­relles sans enga­ger une véri­table adhé­sion de foi. Elle peut même mener à la for­ma­tion de sectes et mettre en dan­ger la vraie com­mu­nau­té ecclésiale.

Mais si elle est bien orien­tée, sur­tout par une péda­go­gie d’évangélisation, elle est riche de valeurs. Elle tra­duit une soif de Dieu que seuls les simples et les pauvres peuvent connaître. Elle rend capable de géné­ro­si­té et de sacri­fice jusqu’à l’héroïsme, lorsqu’il s’agit de mani­fes­ter la foi. Elle com­porte un sens aigu d’attributs pro­fonds de Dieu : la pater­ni­té, la rovi­dence, la pré­sence amou­reuse et constante. Elle engendre des atti­tudes inté­rieures rare­ment obser­vées ailleurs au même degré : patience, sens de la croix dans la vie quo­ti­dienne, déta­che­ment, ouver­ture aux autres, dévo­tion. En rai­son de ces aspects, Nous l’appelons volon­tiers « pié­té popu­laire », c’est-à-dire reli­gion du peuple, plu­tôt que religiosité.

La cha­ri­té pas­to­rale doit dic­ter, à tous ceux que le Seigneur a pla­cés comme chefs de com­mu­nau­tés ecclé­siales, les normes de conduite à l’égard de cette réa­li­té, à la fois si riche et si mena­cée. Avant tout, il faut y être sen­sible, savoir per­ce­voir ses dimen­sions inté­rieures et ses valeurs indé­niables, être dis­po­sé à l’aider à dépas­ser ses risques de dévia­tion. Bien orien­tée, cette reli­gio­si­té popu­laire peut être de plus en plus, pour nos masses popu­laires, une vraie ren­contre avec Dieu en Jésus-Christ.

V – LES DESTINATAIRES DE L’ÉVANGÉLISATION

Une des­ti­na­tion universelle

49. Les der­nières paroles de Jésus dans l’Evangile de Marc confèrent à l’évangélisation, dont le Seigneur charge les Apôtres, une uni­ver­sa­li­té sans fron­tières : « Allez par le monde entier, pro­cla­mez l’Evangile à toutes les créa­tures ».((Mc 16, 15.))

Les Douze et la pre­mière géné­ra­tion de chré­tiens ont bien com­pris la leçon de ce texte et d’autres sem­blables ; ils en ont fait un pro­gramme d’action. La per­sé­cu­tion elle-​même, en dis­per­sant les Apôtres, a contri­bué à dis­sé­mi­ner la Parole et à implan­ter l’Eglise dans des régions tou­jours plus loin­taines. L’admission de Paul au rang des Apôtres et son cha­risme de pré­di­ca­teur de l’Avènement de Jésus-​Christ aux païens — non juifs — a encore sou­li­gné l’universalisme.

Malgré tous les obstacles

50. Au long de vingt siècles d’histoire, les géné­ra­tions chré­tiennes ont affron­té pério­di­que­ment divers obs­tacles à cette mis­sion uni­ver­sa­liste : d’un côté, de la part des évan­gé­li­sa­teurs eux-​mêmes, la ten­ta­tion de rétré­cir sous dif­fé­rents pré­textes leur champ d’action mis­sion­naire et d’autre part, les résis­tances sou­vent humai­ne­ment insur­mon­tables de ceux à qui s’adresse l’évangélisateur. Par ailleurs, Nous devons consta­ter avec tris­tesse que l’œuvre évan­gé­li­sa­trice de l’Eglise est for­te­ment contra­riée, sinon empê­chée, par des pou­voirs publics. Il se trouve, même de nos jours, que des annon­cia­teurs de la Parole de Dieu soient pri­vés de leurs droits, per­sé­cu­tés, mena­cés, éli­mi­nés pour le seul fait de prê­cher Jésus-​Christ et son Evangile. Mais Nous avons confiance que mal­gré ces épreuves dou­lou­reuses l’œuvre de ces apôtres ne fera fina­le­ment défaut en aucune région du monde.

En dépit de telles adver­si­tés, l’Eglise ranime tou­jours son ins­pi­ra­tion la plus pro­fonde, celle qui lui vient direc­te­ment du Maître : Au monde entier ! A toute créa­ture ! Jusqu’aux extré­mi­tés de la terre ! Elle l’a fait de nou­veau au récent Synode, comme un appel à ne pas empri­son­ner l’annonce évan­gé­lique en la limi­tant à un sec­teur de l’humanité, ou à une classe d’hommes ou à un seul type de culture. Quelques exemples pour­raient être révélateurs.

Première annonce à ceux qui sont loin

51. Révéler Jésus-​Christ et son Evangile à ceux qui ne les connaissent pas, tel est, depuis le matin de la Pentecôte, le pro­gramme fon­da­men­tal que l’Eglise a assu­mé comme reçu de son Fondateur. Tout le Nouveau Testament, et de façon spé­ciale les Actes des Apôtres, témoignent d’un moment pri­vi­lé­gié et en quelque sorte exem­plaire de cet effort mis­sion­naire qui jalon­ne­ra ensuite toute l’histoire de l’Eglise.

Cette pre­mière annonce de Jésus-​Christ, elle la réa­lise par une acti­vi­té com­plexe et diver­si­fiée que l’on désigne quel­que­fois sous le nom de « pré-​évangélisation », mais qui est déjà à vrai dire l’évangélisation, quoique à son stade ini­tial et bien incom­plet. Une gamme presque infi­nie de moyens, la pré­di­ca­tion expli­cite, certes, mais aus­si l’art, l’approche scien­ti­fique, la recherche phi­lo­so­phique, le recours légi­time aux sen­ti­ments du cœur de l’homme peuvent être mis en œuvre dans ce but.

Annonce au monde déchristianisé

52. Si cette pre­mière annonce s’adresse spé­cia­le­ment à ceux qui n’ont jamais enten­du la Bonne Nouvelle de Jésus ou aux enfants, elle s’avère tou­jours plus néces­saire éga­le­ment, à cause des situa­tions de déchris­tia­ni­sa­tion fré­quentes de nos jours, pour des mul­ti­tudes de per­sonnes qui ont reçu le bap­tême mais vivent en dehors de toute vie chré­tienne, pour des gens simples ayant une cer­taine foi mais connais­sant mal les fon­de­ments de cette foi, pour des intel­lec­tuels qui sentent le besoin de connaître Jésus-​Christ sous une lumière autre que l’enseignement reçu dans leur enfance, et pour beau­coup d’autres.

Les reli­gions non chrétiennes

53. Elle s’adresse aus­si à d’immenses por­tions d’humanité qui pra­tiquent des reli­gions non chré­tiennes que l’Eglise res­pecte et estime, car elles sont l’expression vivante de l’âme de vastes groupes humains. Elles portent en elles l’écho de mil­lé­naires de recherche de Dieu, recherche incom­plète mais réa­li­sée sou­vent avec sin­cé­ri­té et droi­ture de cœur. Elles pos­sèdent un patri­moine impres­sion­nant de textes pro­fon­dé­ment reli­gieux. Elles ont appris à des géné­ra­tions de per­sonnes à prier. Elles sont toutes par­se­mées d’innombrables « semences du Verbe »((Cf. S Justin, I Apologia, 46, 1–4 ; II Apologia 7 (8), 1–4 ; 10 1–3 ; 13, 3–4 ; Florilegium Patristicum II, Bonn 19112, pp. 81, 125, 129, 133 ; Clément d’Alexandrie, Stromata I, 19, 91, 94 : S Ch 30, pp. 117–118 ; 119–120 ; Concile oecu­mé­nique Vatican II, Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, n. 11 : AAS 58 (1966), p. 960 ; Constitution dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 17. AAS 57 (1965), p. 20.)) et peuvent consti­tuer une authen­tique « pré­pa­ra­tion évan­gé­lique »((Eusèbe de Césarée, Praeparatio Evangelica, I, 1 : PG 21, 26–28 ; cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Constitution dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 16 : AAS 57 (1965), p. 20.)), pour reprendre un mot heu­reux du Concile Vatican II emprun­té à Eusèbe de Césarée.

Une telle situa­tion sus­cite, certes, des ques­tions com­plexes et déli­cates, qu’il convient d’étudier à la lumière de la Tradition chré­tienne et du Magistère de l’Eglise pour offrir aux mis­sion­naires d’aujourd’hui et de demain de nou­veaux hori­zons dans leurs contacts avec les reli­gions non chré­tiennes. Nous vou­lons rele­ver sur­tout aujourd’hui que ni le res­pect et l’estime envers ces reli­gions, ni la com­plexi­té des ques­tions sou­le­vées ne sont pour l’Eglise une invi­ta­tion à taire devant les non chré­tiens l’annonce de Jésus-​Christ. Au contraire, elle pense que ces mul­ti­tudes ont le droit de connaître la richesse du mys­tère du Christ((Cf. Ep 3, 8.)) dans laquelle nous croyons que toute l’humanité peut trou­ver, dans une plé­ni­tude insoup­çon­nable, tout ce qu’elle cherche à tâtons au sujet de Dieu, de l’homme et de son des­tin, de la vie et de la mort, de la véri­té. Même devant les expres­sions reli­gieuses natu­relles les plus dignes d’estime, l’Eglise s’appuie donc sur le fait que la reli­gion de Jésus, qu’elle annonce à tra­vers l’évangélisation, met objec­ti­ve­ment l’homme en rap­port avec le plan de Dieu, avec sa pré­sence vivante, avec son action ; elle fait ren­con­trer ain­si le mys­tère de la Paternité divine qui se penche vers l’humanité ; en d’autres termes, notre reli­gion ins­taure effec­ti­ve­ment avec Dieu un rap­port authen­tique et vivant que les autres reli­gions ne réus­sissent pas à éta­blir, bien qu’elles tiennent pour ain­si dire leurs bras ten­dus vers le ciel.

C’est pour­quoi l’Eglise garde vivant son élan mis­sion­naire, et même elle veut l’intensifier dans le moment his­to­rique qui est le nôtre. Elle se sent res­pon­sable devant des peuples entiers. Elle n’a pas de repos tant qu’elle n’a pas fait de son mieux pour pro­cla­mer la Bonne Nouvelle de Jésus Sauveur. Elle pré­pare tou­jours de nou­velles géné­ra­tions d’apôtres. Constatons-​le avec joie au moment où ne manquent pas ceux qui pensent et même disent que l’ardeur et l’élan apos­to­lique se sont épui­sés, et que l’heure de l’envoi mis­sion­naire est désor­mais pas­sée. Le Synode vient de répondre que l’annonce mis­sion­naire ne tarit pas et que l’Eglise sera tou­jours ten­due vers l’accomplissement de celle-ci.

Soutien de la foi des fidèles

54. Cependant l’Eglise ne se sent pas dis­pen­sée d’une atten­tion infa­ti­gable éga­le­ment envers ceux qui ont reçu la foi et qui, sou­vent depuis des géné­ra­tions, sont en contact avec l’Evangile. Elle cherche ain­si à appro­fon­dir, conso­li­der, nour­rir, rendre tou­jours plus mûre la foi de ceux qu’on appelle déjà fidèles ou croyants, afin qu’ils le soient davantage.

Cette foi est presque tou­jours, aujourd’hui, confron­tée au sécu­la­risme, voire à l’athéisme mili­tant : elle est une foi en butte aux épreuves et mena­cée, bien plus, une foi assié­gée et com­bat­tue. Elle risque de périr par asphyxie ou par ina­ni­tion si elle n’est pas tous les jours ali­men­tée et sou­te­nue. Evangéliser doit donc être très sou­vent com­mu­ni­quer à la foi des fidèles — par­ti­cu­liè­re­ment par une caté­chèse pleine de sève évan­gé­lique et munie d’un lan­gage adap­té aux temps et aux per­sonnes — cet ali­ment et ce sou­tien nécessaires.

L’Eglise catho­lique garde éga­le­ment un vif sou­ci des chré­tiens qui ne sont pas en pleine com­mu­nion avec elle : tout en pré­pa­rant avec eux l’unité vou­lue par le Christ, et pré­ci­sé­ment pour réa­li­ser l’unité dans la véri­té, elle a conscience qu’elle man­que­rait gra­ve­ment à son devoir si elle ne témoi­gnait pas, auprès d’eux, de la plé­ni­tude de la révé­la­tion dont elle garde le dépôt.

Non croyants

55. Significative est aus­si la pré­oc­cu­pa­tion, pré­sente au Synode, à l’égard de deux sphères très dif­fé­rentes l’une de l’autre, très proches cepen­dant par le défi que, cha­cune à leur façon, elles lancent à l’évangélisation.

La pre­mière est ce qu’on peut appe­ler la mon­tée de l’incroyance dans le monde moderne. Le Synode s’est atta­ché à décrire ce monde moderne : sous ce nom géné­rique, que de cou­rants de pen­sée, valeurs et contre-​valeurs, aspi­ra­tions latentes ou semences de des­truc­tion, convic­tions anciennes qui dis­pa­raissent et convic­tions nou­velles qui s’imposent !

Du point de vue spi­ri­tuel, ce monde moderne semble se débattre tou­jours dans ce qu’un auteur contem­po­rain a appe­lé naguère « le drame de l’humanisme athée ».((H. de Lubac, s.j., Le drame de l’hu­ma­nisme athée, Ed. Spes, Paris 1945.))

D’une part, on est obli­gé de consta­ter au cœur même de ce monde contem­po­rain le phé­no­mène qui devient presque sa marque la plus frap­pante : le sécu­la­risme. Nous ne par­lons pas de cette sécu­la­ri­sa­tion qui est l’effort en lui-​même juste et légi­time, nul­le­ment incom­pa­tible avec la foi ou la reli­gion, de déce­ler dans la créa­tion, en chaque chose ou en chaque évé­ne­ment de l’univers, les lois qui les régissent avec une cer­taine auto­no­mie, dans la convic­tion inté­rieure que le Créateur y a posé ces lois. Le récent Concile a affir­mé, en ce sens, l’autonomie légi­time de la culture et par­ti­cu­liè­re­ment des sciences.((Cf. Constitution pas­to­rale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, n. 59 : AAS 58 (1966), p 1080.)) Nous envi­sa­geons ici un véri­table sécu­la­risme : une concep­tion du monde d’après laquelle ce der­nier s’explique par lui-​même sans qu’il soit besoin de recou­rir à Dieu ; Dieu deve­nu ain­si super­flu et encom­brant. Un tel sécu­la­risme, pour recon­naître le pou­voir de l’homme, finit donc par se pas­ser de Dieu et même par renier Dieu.

Des formes nou­velles d’athéisme — un athéisme anthro­po­cen­trique, non plus abs­trait et méta­phy­sique mais prag­ma­tique, pro­gram­ma­tique et mili­tant — semblent en décou­ler. En liai­son avec ce sécu­la­risme athée, on nous pro­pose tous les jours, sous les formes les plus diverses, une civi­li­sa­tion de consom­ma­tion, l’hédonisme éri­gé en valeur suprême, une volon­té de puis­sance et de domi­na­tion, des dis­cri­mi­na­tions de toute sorte : autant de pentes inhu­maines de cet « humanisme ».

Dans ce même monde moderne, d’autre part, para­doxa­le­ment, on ne peut pas nier l’existence de véri­tables pierres d’attente chré­tiennes, de valeurs évan­gé­liques au moins sous la forme d’un vide ou d’une nos­tal­gie. Il ne serait pas exa­gé­ré de par­ler d’un puis­sant et tra­gique appel à être évangélisé.

Non pra­ti­quants

56. Une seconde sphère est celle des non pra­ti­quants : aujourd’hui un grand nombre de bap­ti­sés qui, dans une large mesure, n’ont pas renié for­mel­le­ment leur bap­tême mais sont entiè­re­ment en marge de lui, n’en vivent pas. Le phé­no­mène des non pra­ti­quants est très ancien dans l’histoire du chris­tia­nisme, il tient à une fai­blesse natu­relle, à une pro­fonde inco­hé­rence que nous por­tons, hélas, au fond de nous-​mêmes. Il pré­sente cepen­dant aujourd’hui des traits nou­veaux. Il s’explique sou­vent par les déra­ci­ne­ments typiques de notre époque. Il naît aus­si du fait que les chré­tiens côtoient les non croyants et reçoivent constam­ment le contre­coup de l’incroyance. D’ailleurs les non pra­ti­quants contem­po­rains, plus que ceux d’autrefois, cherchent à expli­quer et jus­ti­fier leur posi­tion au nom d’une reli­gion inté­rieure, de l’autonomie ou de l’authenticité personnelles.

Athées et incroyants d’un côté, non pra­ti­quants de l’autre, opposent donc à l’évangélisation des résis­tances non négli­geables. Les pre­miers, la résis­tance d’un cer­tain refus, l’incapacité de sai­sir le nou­vel ordre des choses, le nou­veau sens du monde, de la vie, de l’histoire, qui n’est pas pos­sible si l’on ne part pas de l’Absolu de Dieu. Les autres, la résis­tance de l’inertie, l’attitude un peu hos­tile de quelqu’un qui se sent de la mai­son, qui affirme tout savoir, avoir goû­té à tout, ne plus y croire.

Sécularisme athée et absence de pra­tique reli­gieuse se trouvent chez les adultes et chez les jeunes, chez l’élite et dans les masses, dans tous les sec­teurs cultu­rels, dans les vieilles comme dans les jeunes Eglises. L’action évan­gé­li­sa­trice de l’Eglise, qui ne peut pas igno­rer ces deux mondes ni s’arrêter en face d’eux, doit cher­cher constam­ment les moyens et le lan­gage adé­quats pour leur pro­po­ser ou leur repro­po­ser la révé­la­tion de Dieu et la foi en Jésus-Christ.

Au cœur des masses

57. Comme le Christ durant le temps de sa pré­di­ca­tion, comme les Douze le matin de la Pentecôte, l’Église aus­si voit devant elle une immense foule humaine qui a besoin de l’Evangile et y a droit, puisque Dieu « veut que tout homme soit sau­vé et par­vienne à la connais­sance de la véri­té ».((1 Tim 2, 4.))

Sensible à son devoir de prê­cher le salut à tous, sachant que le mes­sage évan­gé­lique n’est pas réser­vé à un petit groupe d’initiés, de pri­vi­lé­giés ou d’élus mais des­ti­né à tous, l’Eglise fait sienne l’angoisse du Christ devant les foules errantes et pros­trées « comme des bre­bis qui n’ont pas de ber­ger » et répète sou­vent sa parole : « J’ai pitié de cette foule ».((Mt 9, 36 ; 15, 32.))

Mais elle est aus­si consciente que, pour l’efficacité de la pré­di­ca­tion évan­gé­lique, elle doit adres­ser son mes­sage, au cœur des masses, à des com­mu­nau­tés de fidèles dont l’action peut et doit arri­ver aux autres.

Les com­mu­nau­tés ecclé­siales de base

58. Le Synode s’est beau­coup occu­pé de ces petites com­mu­nau­tés ou « com­mu­nau­tés de base », parce que dans l’Eglise d’aujourd’hui elles sont sou­vent men­tion­nées. Que sont-​elles et pour­quoi seraient-​elles des­ti­na­taires spé­ciales d’évangélisation et en même temps évangélisatrices ?

Fleurissant un peu par­tout dans l’Eglise, à en croire les dif­fé­rents témoi­gnages enten­dus au Synode, elles dif­fèrent beau­coup entre elles, au sein d’une même région et plus encore d’une région à l’autre.

Dans cer­taines régions, elles sur­gissent et se déve­loppent, sauf excep­tion, à l’intérieur de l’Eglise, en étant soli­daires de sa vie, nour­ries de son ensei­gne­ment, atta­chées à ses pas­teurs. Dans ces cas-​là, elles naissent du besoin de vivre plus inten­sé­ment encore la vie de l’Eglise ; ou du désir et de la recherche d’une dimen­sion plus humaine, que des com­mu­nau­tés ecclé­siales plus grandes peuvent dif­fi­ci­le­ment offrir, sur­tout dans les métro­poles urbaines contem­po­raines favo­ri­sant à la fois la vie de masse et l’anonymat. Elles peuvent tout sim­ple­ment pro­lon­ger à leur façon au niveau spi­ri­tuel et reli­gieux — culte, appro­fon­dis­se­ment de la foi, cha­ri­té fra­ter­nelle, prière, com­mu­nion avec les Pasteurs — la petite com­mu­nau­té socio­lo­gique, vil­lage ou autre. Ou bien encore elles veulent ras­sem­bler pour l’écoute et la médi­ta­tion de la Parole, pour les sacre­ments et le lien de l’Agapè, des groupes que l’âge, la culture, l’état civil ou la situa­tion sociale rendent homo­gènes — couples, jeunes, pro­fes­sion­nels, etc. — ; des per­sonnes que la vie trouve déjà réunies dans les com­bats pour la jus­tice, pour l’aide fra­ter­nelle aux pauvres, pour la pro­mo­tion humaine, etc. Ou bien enfin elles réunissent les chré­tiens là où la pénu­rie de prêtres ne favo­rise pas la vie nor­male d’une com­mu­nau­té parois­siale. Tout cela est sup­po­sé à l’intérieur des com­mu­nau­tés consti­tuées de l’Eglise, sur­tout des Eglises par­ti­cu­lières et des paroisses.

Dans d’autres régions, au contraire, des com­mu­nau­tés de base s’assemblent dans un esprit de cri­tique acerbe de l’Eglise qu’elles stig­ma­tisent volon­tiers comme « ins­ti­tu­tion­nelle » et à laquelle elles s’opposent comme des com­mu­nau­tés cha­ris­ma­tiques, libres de struc­tures, ins­pi­rées seule­ment par l’Evangile. Elles ont donc comme carac­té­ris­tique une évi­dente atti­tude de blâme et de refus à l’égard des expres­sions de l’Eglise : sa hié­rar­chie, ses signes. Elles contestent radi­ca­le­ment cette Eglise. Dans cette ligne, leur ins­pi­ra­tion prin­ci­pale devient très vite idéo­lo­gique, et il est rare qu’elles ne soient pas assez tôt la proie d’une option poli­tique, d’un cou­rant, puis d’un sys­tème, voire d’un par­ti, avec tout le risque que cela com­porte d’en deve­nir l’instrument.

La dif­fé­rence est déjà notable : les com­mu­nau­tés qui par leur esprit de contes­ta­tion se coupent de l’Eglise, dont elles lèsent d’ailleurs l’unité, peuvent bien s’intituler « com­mu­nau­tés de base », mais c’est là une dési­gna­tion stric­te­ment socio­lo­gique. Elles ne pour­raient pas, sans abus de lan­gage, s’intituler com­mu­nau­tés ecclé­siales de base, même si elles ont la pré­ten­tion de per­sé­vé­rer dans l’unité de l’Eglise tout en étant hos­tiles à la Hiérarchie. Cette qua­li­fi­ca­tion appar­tient aux autres, à celles qui se réunissent en Eglise pour s’unir à l’Eglise et pour faire croître l’Eglise.

Ces der­nières com­mu­nau­tés seront un lieu d’évangélisation, au béné­fice des com­mu­nau­tés plus vastes, spé­cia­le­ment des Eglises par­ti­cu­lières et elles seront une espé­rance pour l’Eglise uni­ver­selle, comme Nous l’avons dit au terme du Synode, dans la mesure où :

— elles cherchent leur ali­ment dans la Parole de Dieu et ne se laissent pas empri­son­ner par la pola­ri­sa­tion poli­tique ou par les idéo­lo­gies à la mode, prêtes à exploi­ter leur immense poten­tiel humain ;

— elles évitent la ten­ta­tion tou­jours mena­çante de la contes­ta­tion sys­té­ma­tique et de l’esprit hyper­cri­tique, sous pré­texte d’authenticité et d’esprit de collaboration ;

— elles res­tent fer­me­ment atta­chées à l’Eglise locale dans laquelle elles s’insèrent, et à l’Eglise uni­ver­selle, évi­tant ain­si le dan­ger — trop réel — de s’isoler en elles-​mêmes, puis de se croire l’unique authen­tique Église du Christ, et donc d’anathématiser les autres com­mu­nau­tés ecclésiales ;

— elles gardent une sin­cère com­mu­nion avec les Pasteurs que le Seigneur donne à son Eglise et avec le Magistère que l’Esprit du Christ leur a confié ;— elles ne se prennent jamais pour l’unique des­ti­na­taire ou l’unique agent d’évangélisation — voire l’unique dépo­si­taire de l’Evangile ! —; mais, conscientes que l’Eglise est beau­coup plus vaste et diver­si­fiée, elles acceptent que cette Eglise s’incarne autre­ment qu’à tra­vers elles ;

— elles croissent chaque jour en conscience, zèle, enga­ge­ment et rayon­ne­ment missionnaire ;

— elles se montrent en tout uni­ver­sa­listes et jamais sectaires.

A ces conditions-​là, exi­geantes certes mais exal­tantes, les com­mu­nau­tés ecclé­siales de base cor­res­pon­dront à leur voca­tion la plus fon­da­men­tale : audi­trices de l’Evangile qui leur est annon­cé et des­ti­na­taires pri­vi­lé­giées de l’évangélisation, elles devien­dront elles-​mêmes sans tar­der annon­cia­trices de l’Evangile.

VI – LES OUVRIERS DE L’ÉVANGÉLISATION

Eglise tout entière missionnaire

59. Si des hommes pro­clament dans le monde l’évangile du salut, c’est par ordre, au nom et avec la grâce du Christ Sauveur. « Comment prê­cher si l’on n’a pas d’abord reçu mis­sion ? »,((Rm 10, 15.)) écri­vait celui qui fut cer­tai­ne­ment l’un des plus grands évan­gé­li­sa­teurs. Personne ne peut le faire à moins d’avoir été envoyé.

Mais qui donc a la mis­sion d’évangéliser ?

Le Concile Vatican II a répon­du avec clar­té : « Par man­dat divin, incombe à l’Eglise la fonc­tion d’aller dans le monde entier et d’annoncer l’Evangile à toute créa­ture ».((Déclaration sur la liber­té reli­gieuse Dignitatis huma­nae, n. 13 : AAS 58 (1966), p 939 ; cf. Constitution dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 5 : AAS 57 (1965), pp. 7–8 ; Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, n. 1 : AAS 58 (1966), p. 947.)) Et dans un autre texte du même Concile : « l’Eglise tout entière est mis­sion­naire ; l’œuvre d’évangélisation est un devoir fon­da­men­tal du peuple de Dieu ».((Décret dur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, n. 35 : AAS 58 (1966), p. 983.))

Nous avons déjà rap­pe­lé cette liai­son intime entre l’Eglise et l’évangélisation. Lorsque l’Eglise annonce le Règne de Dieu et le construit, elle s’implante elle-​même au cœur du monde comme signe et ins­tru­ment de ce Règne qui est et qui vient. Le Concile a repris cette parole très signi­fi­ca­tive de saint Augustin sur l’action mis­sion­naire des Douze : « En prê­chant la parole de véri­té, ils firent naître des Eglises ».((S. Augustin, Enarrat. in Ps 44, 23 : CCL XXXVIII, p. 510 ; cf. Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise, Ad gentes, n. 1 : AAS 58 (1966), p 947.))

Un acte ecclésial

60. Que l’Eglise soit envoyée et man­da­tée pour l’évangélisation du monde, cette obser­va­tion devrait éveiller en nous une double conviction.

La pre­mière : évan­gé­li­ser n’est pour per­sonne un acte indi­vi­duel et iso­lé, mais c’est un acte pro­fon­dé­ment ecclé­sial. Lorsque le plus obs­cur pré­di­ca­teur, caté­chiste ou pas­teur, dans la contrée la plus loin­taine, prêche l’Evangile, ras­semble sa petite com­mu­nau­té ou confère un sacre­ment, même seul, il fait un acte d’Eglise et son geste se rat­tache cer­tai­ne­ment, par des rap­ports ins­ti­tu­tion­nels, mais aus­si par des liens invi­sibles et par des racines sou­ter­raines de l’ordre de la grâce, à l’activité évan­gé­li­sa­trice de toute l’Eglise. Cela sup­pose qu’il le fasse, non pas par une mis­sion qu’il s’attribue, ou par une ins­pi­ra­tion per­son­nelle, mais en union avec la mis­sion de l’Eglise et en son nom.

De là, la seconde convic­tion : si cha­cun évan­gé­lise au nom de l’Eglise, qui le fait elle-​même en ver­tu d’un man­dat du Seigneur, aucun évan­gé­li­sa­teur n’est le maître abso­lu de son action évan­gé­li­sa­trice, avec un pou­voir dis­cré­tion­naire, pour l’accomplir sui­vant des cri­tères et pers­pec­tives indi­vi­dua­listes, mais en com­mu­nion avec l’Eglise et ses Pasteurs.

L’Eglise est tout entière évan­gé­li­sa­trice, avons-​Nous remar­qué. Cela signi­fie que, pour l’ensemble du monde et pour chaque por­tion du monde où elle se trouve, l’Eglise se sent res­pon­sable de la tâche de dif­fu­ser l’Evangile.

La pers­pec­tive de l’Eglise universelle

61. A ce stade de notre réflexion, Nous nous arrê­te­rons avec vous, Frères et Fils, sur une ques­tion par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante de nos jours. Dans leurs célé­bra­tions litur­giques, dans leur témoi­gnage devant les juges et les bour­reaux, dans leurs textes apo­lo­gé­tiques, les pre­miers chré­tiens expri­maient volon­tiers leur foi pro­fonde dans l’Eglise en la dési­gnant comme répan­due par tout l’univers. Ils avaient plei­ne­ment conscience d’appartenir à une grande com­mu­nau­té que ni l’espace ni le temps ne sau­raient limi­ter : « Du juste Abel jusqu’au der­nier élu »,((S. Grégoire le Grand, Homil. in Evangelia, 19, 1 : PL 76, 1154.)) « jusqu’aux extré­mi­tés de la terre »,((Ac 1, 8 ; cf. Didachè, 9, 1 : Funk, Patres Apostolici, 1, 22.)) « jusqu’à la fin des temps ».((Mt 28, 20.))

C’est ain­si que le Seigneur a vou­lu son Eglise : Universelle, grand arbre dont les branches abritent les oiseaux du ciel,((Cf. Mt 13, 32.)) filet qui recueille toutes sortes de poissons((Cf. Mt 13, 47.)) ou que Pierre retire char­gé de cent cinquante-​trois gros poissons,((Cf. Jn 21, 11.)) trou­peau qu’un seul pas­teur fait paître.((Cf. Jn 10, 1–16.)) Eglise uni­ver­selle sans bornes ni fron­tières sauf, hélas, celles du cœur et de l’esprit de l’homme pécheur.

La pers­pec­tive de l’Eglise particulière

62. Néanmoins cette Eglise uni­ver­selle s’incarne de fait dans les Eglises par­ti­cu­lières consti­tuées, elles, de telle ou telle por­tion d’humanité concrète, par­lant telle langue, tri­bu­taire d’un héri­tage cultu­rel, d’une vision du monde, d’un pas­sé his­to­rique, d’un sub­strat humain déter­mi­né. L’ouverture aux richesses de Eglise par­ti­cu­lière répond à une sen­si­bi­li­té spé­ciale de l’homme contemporain.

Gardons-​nous bien de conce­voir Eglise uni­ver­selle comme la somme, ou, si l’on peut dire, la fédé­ra­tion plus ou moins hété­ro­clite d’Eglises par­ti­cu­lières essen­tiel­le­ment diverses. Dans la pen­sée du Seigneur c’est l’Eglise, uni­ver­selle par voca­tion et par mis­sion, qui, jetant ses racines dans la varié­té des ter­rains cultu­rels, sociaux, humains, prend dans chaque por­tion du monde des visages, des expres­sions exté­rieures diverses.

Ainsi, chaque Eglise par­ti­cu­lière qui se cou­pe­rait volon­tai­re­ment de l’Eglise uni­ver­selle per­drait sa réfé­rence au des­sein de Dieu ; elle s’appauvrirait dans sa dimen­sion ecclé­siale. Mais par ailleurs, l’Eglise « toto orbe dif­fu­sa » devien­drait une abs­trac­tion si elle ne pre­nait pas corps et vie pré­ci­sé­ment à tra­vers les Eglises par­ti­cu­lières. Seule une atten­tion per­ma­nente aux deux pôles de l’Eglise nous per­met­tra de per­ce­voir la richesse de ce rap­port entre Eglise uni­ver­selle et Eglises particulières.

Adaptation et fidé­li­té du langage

63. Les Eglises par­ti­cu­lières, pro­fon­dé­ment amal­ga­mées avec les per­sonnes mais aus­si les aspi­ra­tions, les richesses et limites, les façons de prier, d’aimer, de consi­dé­rer la vie et le monde qui marquent tel ou tel ensemble humain, ont le rôle d’assimiler l’essentiel du mes­sage évan­gé­lique, de le trans­po­ser, sans la moindre tra­hi­son de sa véri­té essen­tielle, dans le lan­gage que ces hommes com­prennent, puis de l’annoncer dans ce langage.

La trans­po­si­tion est à faire, avec le dis­cer­ne­ment, le sérieux, le res­pect et la com­pé­tence que la matière exige, dans le domaine des expres­sions liturgiques,((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Constitution sur la sainte litur­gie Sacrosanctum Concilium, nn. 37–38 : AAS 56 (1964), p. 110 ; cf. aus­si les livres litur­giques et les autres docu­ments publiés ensuite par le Saint-​Siège pour réa­li­ser la réforme litur­gique vou­lue par le Concile Vatican II.)) de la caté­chèse, de la for­mu­la­tion théo­lo­gique, des struc­tures ecclé­siales secon­daires, des minis­tères. Et « lan­gage » doit s’entendre ici moins sur le plan séman­tique ou lit­té­raire que sur celui qu’on peut appe­ler anthro­po­lo­gique et culturel.

La ques­tion perd beau­coup de sa force et de son effi­ca­ci­té si elle ne prend pas en consi­dé­ra­tion le peuple concret auquel elle s’adresse, n’utilise pas sa langue, ses signes et sym­boles, ne répond pas aux ques­tions qu’il pose, ne rejoint pas sa vie concrète. Mais d’autre part, l’évangélisation risque de perdre son âme et de s’évanouir si l’on vide ou déna­ture son conte­nu, sous pré­texte de le tra­duire ; si, vou­lant adap­ter une réa­li­té uni­ver­selle à un espace local, on sacri­fie cette réa­li­té et on détruit l’unité sans laquelle il n’y a pas d’universalité. Or, seule une Eglise qui garde la conscience de son uni­ver­sa­li­té et montre qu’elle est en fait uni­ver­selle peut avoir un mes­sage capable d’être enten­du par tous, au-​delà des limites régionales.

Une légi­time atten­tion aux Eglises par­ti­cu­lières ne peut qu’enrichir l’Eglise. Elle est indis­pen­sable et urgente. Elle répond aux aspi­ra­tions les plus pro­fondes des peuples et des com­mu­nau­tés humaines, à trou­ver tou­jours davan­tage leur propre visage.

Ouverture à l’Eglise universelle

64. Mais cet enri­chis­se­ment exige que les Eglises par­ti­cu­lières gardent leur ouver­ture pro­fonde à l’Eglise uni­ver­selle. Il est bien remar­quable, du reste, que les chré­tiens les plus simples, les plus fidèles à l’Evangile, les plus ouverts au véri­table sens de l’Eglise, ont une sen­si­bi­li­té toute spon­ta­née à l’égard de cette dimen­sion uni­ver­selle, ils en sentent ins­tinc­ti­ve­ment et très for­te­ment le besoin, ils se recon­naissent faci­le­ment en elle, vibrent avec elle et souffrent au plus pro­fond d’eux-mêmes lorsque, au nom de théo­ries qu’ils ne com­prennent pas, on les contraint à une Eglise dépour­vue de cette uni­ver­sa­li­té, Eglise régio­na­liste, sans horizon.

Comme l’histoire le démontre d’ailleurs, chaque fois que telle ou telle Eglise par­ti­cu­lière, par­fois avec les meilleurs inten­tions avec des argu­ments théo­lo­giques, socio­lo­giques, poli­tiques ou pas­to­raux, ou même dans le désir d’une cer­taine liber­té de mou­ve­ment ou d’action, s’est cou­pée de l’Eglise uni­ver­selle et de son centre vivant et visible, elle n’a échap­pé que très dif­fi­ci­le­ment — si tant est qu’elle y ait échap­pé — à deux dan­gers éga­le­ment graves : dan­ger, d’une part, de l’isolationisme des­sé­chant, et puis, à court terme, de l’effritement, cha­cune de ses cel­lules se sépa­rant d’elle comme elle s’est sépa­rée du noyau cen­tral ; et d’autre part dan­ger de perdre sa liber­té, lorsque, cou­pée du centre et des autres Eglises qui lui com­mu­ni­quaient force et éner­gie, elle se trouve livrée, seule, aux forces les plus diverses d’asservissement et d’exploitation.

Plus une Eglise par­ti­cu­lière est atta­chée par des liens solides de com­mu­nion à l’Eglise uni­ver­selle — dans la cha­ri­té et la loyau­té, dans l’ouverture au Magistère de Pierre, dans l’unité de la « Lex oran­di » qui est aus­si « Lex cre­den­di », dans le sou­ci de l’unité avec toutes les autres Églises qui com­posent l’universalité — plus cette Eglise sera capable de tra­duire le tré­sor de la foi dans la légi­time varié­té des expres­sions de la pro­fes­sion de foi, de la prière et du culte, de la vie et du com­por­te­ment chré­tiens, du rayon­ne­ment du peuple dans lequel elle s’insère. Plus aus­si elle sera vrai­ment évan­gé­li­sa­trice, c’est-à-dire capable de pui­ser dans le patri­moine uni­ver­sel pour en faire pro­fi­ter son peuple comme de com­mu­ni­quer à l’Eglise uni­ver­selle l’expérience et la vie de ce peuple, au béné­fice de tous.

L’inaltérable dépôt de la foi

65. Dans ce sens pré­ci­sé­ment Nous avons vou­lu pro­non­cer, à la clô­ture de la troi­sième Assemblée du Synode, un mot clair et plein de pater­nelle affec­tion, insis­tant sur le rôle du Successeur de Pierre comme prin­cipe visible, vivant et dyna­mique de l’unité entre les Eglises et donc de l’universalité de l’unique Eglise.((Allocution pour la clô­ture de la troi­sième Assemblée géné­rale du Synode des Evêques (26 octobre 1974) ; AAS 66 (1974), p. 636.)) Nous insis­tions aus­si sur la grave res­pon­sa­bi­li­té qui Nous incombe, mais que Nous par­ta­geons avec nos Frères dans l’épiscopat, de gar­der inal­té­rable le conte­nu de la foi catho­lique que le Seigneur a confié aux Apôtres : tra­duit dans tous les lan­gages, ce conte­nu ne doit pas être enta­mé ni muti­lé revê­tu des sym­boles propres à chaque peuple, expli­ci­té par des expres­sions théo­lo­giques qui tiennent compte des milieux cultu­rels, sociaux et même raciaux divers, il doit res­ter le conte­nu de la foi catho­lique tel que le Magistère ecclé­sial l’a reçu et le transmet.

Tâches diver­si­fiées

66. Toute l’Eglise est donc appe­lée à évan­gé­li­ser et cepen­dant dans son sein nous avons dif­fé­rentes tâches évan­gé­li­sa­trices à accom­plir. Cette diver­si­té de ser­vices dans l’unité de la même mis­sion fait la richesse et la beau­té de l’évangélisation. Ces tâches, Nous les rap­pel­le­rons d’un mot.

Et tout d’abord, qu’il Nous soit per­mis de signa­ler dans les pages de l’Evangile l’insistance avec laquelle le Seigneur confie aux Apôtres la fonc­tion d’annoncer la Parole. Il les a choisis((Cf. Jn 15, 16 ; Mc 3, 13–19 ; Lc 6 13–16.)), for­més durant plu­sieurs années d’intimité((Cf. Ac 1, 21–22.)), constitués((Cf. Mc 3, 14.)) et mandatés((Cf, Mc 3, 14–15 ; Lc 9, 2.)) comme témoins et maîtres auto­ri­sés du mes­sage du salut. Et les Douze ont à leur tour envoyé leurs suc­ces­seurs qui, dans la lignée apos­to­lique, conti­nuent à prê­cher la Bonne Nouvelle.

Le Successeur de Pierre

67. Le Successeur de Pierre est ain­si, par la volon­té du Christ, char­gé du minis­tère pré­émi­nent d’enseigner la véri­té révé­lée. Le Nouveau Testament montre sou­vent Pierre « rem­pli de l’Esprit Saint » pre­nant la parole au nom de tous((Ac 4, 8 ; cf. Ac 2, 14 ; 3, 12.)). C’est bien pour cela que saint Léon le Grand parle de lui comme de celui qui a méri­té la pri­mau­té de l’apostolat((Cf. S. Léon le Grand, Sermo 69, 3 ; Sermo 70, 1–3 ; Sermo 94, 3 ; Sermo 95, 2 : Sources chré­tiennes 200, pp. 5052 ; 58–66 ; 258–260 ; 268.)). C’est pour­quoi aus­si la voix de l’Eglise montre le Pape « au som­met le plus haut — in apice, in spe­cu­la — de l’apostolat ».((Cf. Concile oecu­mé­nique de Lyon I, Constitution Ad apos­to­li­cae digni­ta­tis : Conciliorum Oecumenicorum Decreta, Ed. Istituto per le Scienze Religiose, Bologno 1973, p. 278 ; Concile oecu­mé­nique de Vienne, Constitution Ad pro­vi­dam Christi, ed. cit., p. 343 ; Concile oecu­mé­nique Latran V, Constitution In apos­to­li­ci culmi­nis, ed. cit., p. 608 ; Constitution Postquam ad uni­ver­sa­lis, ed. cit., p. 609 ; Constitution Supernae dis­po­si­tio­nis. ed. cit., p. 614 ; Constitution Divina dis­po­nente cle­men­tia, ed cit., p 638.)) Le Concile Vatican II a vou­lu le réaf­fir­mer en décla­rant que « le man­dat du Christ de prê­cher l’Evangile à toute créa­ture (cf. Mc. 16, 15) regarde avant tout et immé­dia­te­ment les Évêques avec Pierre et sous la conduite de Pierre ».((Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de Eglise Ad gentes n. 38 : AAS 58 (1966), p 985.))

Le pou­voir plé­nier, suprême et universel((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Constitution dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 22 : AAS 57 (1965), p. 26.)) que le Christ confie à son Vicaire pour le gou­ver­ne­ment pas­to­ral de son Eglise, c’est donc spé­cia­le­ment dans l’activité de prê­cher et faire prê­cher la Bonne Nouvelle du salut que le Pape l’exerce.

Evêques et prêtres

68. Unis au Successeur de Pierre, les Evêques, suc­ces­seurs des apôtres, reçoivent par la force de leur ordi­na­tion épis­co­pale, l’autorité pour ensei­gner dans l’Eglise la véri­té révé­lée. Ils sont les maîtres de la foi.

Aux Evêques sont asso­ciés dans le minis­tère de l’évangélisation, comme res­pon­sables à un titre spé­cial, ceux qui par l’ordination sacer­do­tale « tiennent la place du Christ »,((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Constitution dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium, nn. 10, 37 : AAS 57 (1965), pp. 14, 43 ; Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de Ad gentes, n. 39 : AAS 58 (1966), p. 986 ; Décret sur le minis­tère et la vie des prêtres Presbyterorum ordi­nis, nn. 2, 12, 13 : AAS 58 (1966, pp. 992, 1010, 1011).)) en tant qu’éducateurs du Peuple de Dieu dans la foi, pré­di­ca­teurs, tout en étant ministres de l’Eucharistie et des autres sacrements.

Nous donc, Pasteurs, nous sommes tous invi­tés à prendre conscience, plus que tout autre membre de l’Eglise, de ce devoir. Ce qui consti­tue la sin­gu­la­ri­té de notre ser­vice sacer­do­tal, ce qui donne uni­té pro­fonde aux mille tâches qui nous sol­li­citent au long de la jour­née et de la vie, ce qui confère à nos acti­vi­tés une note spé­ci­fique, c’est ce but pré­sent en toute notre action : « annon­cer l’Evangile de Dieu ».((Cf. 1 Th 2, 9.))

Voici un trait de notre iden­ti­té, qu’aucun doute ne devrait enta­mer, aucune objec­tion éclip­ser : Pasteurs, nous avons été choi­sis par la misé­ri­corde du sou­ve­rain Pasteur((Cf. 1 P 5, 4.)) mal­gré notre insuf­fi­sance, pour pro­cla­mer avec auto­ri­té la Parole de Dieu, pour ras­sem­bler le Peuple de Dieu qui était dis­per­sé, pour ali­men­ter ce Peuple avec les signes de l’action du Christ que sont les sacre­ments, pour le mettre sur la voie du salut, pour le main­te­nir dans cette uni­té dont nous sommes, à dif­fé­rents niveaux, des ins­tru­ments actifs et vivants, pour ani­mer sans cesse cette com­mu­nau­té réunie autour du Christ dans la ligne de sa voca­tion la plus intime. Et lorsque, dans la mesure de nos limites humaines et selon la grâce de Dieu, nous accom­plis­sons tout cela, c’est une œuvre d’évangélisation que nous réa­li­sons, Nous, comme Pasteur de l’Eglise uni­ver­selle, nos frères Evêques, à la tête des Eglises par­ti­cu­lières, les prêtres et diacres liés à leurs Evêques, dont ils sont les col­la­bo­ra­teurs, par une com­mu­nion qui prend sa source dans le sacre­ment de l’ordre et dans la cha­ri­té de l’Eglise.

Religieux

69. Les reli­gieux, eux, trouvent dans leur vie consa­crée un moyen pri­vi­lé­gié d’évangélisation effi­cace. Par leur être le plus pro­fond ils se situent dans le dyna­misme de l’Eglise, assoif­fée de l’Absolu de Dieu, appe­lée à la sain­te­té. C’est de cette sain­te­té qu’ils témoignent. Ils incarnent l’Eglise dési­reuse de se livrer au radi­ca­lisme des béa­ti­tudes. Ils sont par leur vie signes de totale dis­po­ni­bi­li­té pour Dieu, pour l’Eglise, pour les frères.

En cela, ils ont une impor­tance spé­ciale dans le cadre du témoi­gnage qui est, Nous l’avons affir­mé, pri­mor­dial dans l’évangélisation. Ce témoi­gnage silen­cieux de pau­vre­té et de dépouille­ment, de pure­té et de trans­pa­rence, d’abandon dans l’obéissance, peut deve­nir, en même temps qu’un appel adres­sé au monde et à l’Eglise elle-​même, une élo­quente pré­di­ca­tion capable de tou­cher même les non chré­tiens de bonne volon­té, sen­sibles à cer­taines valeurs.

Dans une telle pers­pec­tive, l’on devine le rôle joué dans l’évangélisation par des reli­gieux et reli­gieuses consa­crés à la prière, au silence, à la péni­tence, au sacri­fice. D’autres reli­gieux, en très grand nombre, se donnent direc­te­ment à l’annonce du Christ. Leur action mis­sion­naire dépend évi­dem­ment de la hié­rar­chie et doit être coor­don­née avec la pas­to­rale que celle-​ci veut mettre en œuvre. Mais qui ne mesure la part immense qu’ils ont appor­tée et qu’ils conti­nuent d’apporter à l’évangélisation ? Grâce à leur consé­cra­tion reli­gieuse, ils sont par excel­lence volon­taires et libres pour tout quit­ter et aller annon­cer l’Evangile jusqu’aux confins du monde. Ils sont entre­pre­nants, et leur apos­to­lat est mar­qué sou­vent par une ori­gi­na­li­té, un génie qui forcent l’admiration. Ils sont géné­reux : on les trouve sou­vent aux avant-​postes de la mis­sion, et ils prennent les plus grands risques pour leur san­té et leur propre vie. Oui, vrai­ment, l’Eglise leur doit beaucoup.

Laïcs

70. Les laïcs, que leur voca­tion spé­ci­fique place au cœur du monde et à la tête des tâches tem­po­relles les plus variées, doivent exer­cer par là même une forme sin­gu­lière d’évangélisation.

Leur tâche pre­mière et immé­diate n’est pas l’institution et le déve­lop­pe­ment de la com­mu­nau­té ecclé­siale — c’est là le rôle spé­ci­fique des Pasteurs —, mais c’est la mise en œuvre de toutes les pos­si­bi­li­tés chré­tiennes et évan­gé­liques cachées, mais déjà pré­sentes et actives dans les choses du monde. Le champ propre de leur acti­vi­té évan­gé­li­sa­trice, c’est le monde vaste et com­pli­qué de la poli­tique, du social, de l’économie, mais éga­le­ment de la culture, des sciences et des arts, de la vie inter­na­tio­nale, des mass media ain­si que cer­taines autres réa­li­tés ouvertes à l’évangélisation comme sont l’amour, la famille, l’éducation des enfants et des ado­les­cents, le tra­vail pro­fes­sion­nel, la souf­france. Plus il y aura de laïcs impré­gnés d’évangile res­pon­sables de ces réa­li­tés et clai­re­ment enga­gés en elles, com­pé­tents pour les pro­mou­voir et conscients qu’il faut déployer leur pleine capa­ci­té chré­tienne sou­vent enfouie et asphyxiée, plus ces réa­li­tés sans rien perdre ou sacri­fier de leur coef­fi­cient humain, mais mani­fes­tant une dimen­sion trans­cen­dante sou­vent mécon­nue, se trou­ve­ront au ser­vice de l’édification du Règne de Dieu et donc du salut en Jésus-Christ.

Famille

71. Au sein de l’apostolat évan­gé­li­sa­teur des laïcs, il est impos­sible de ne pas sou­li­gner l’action évan­gé­li­sa­trice de la famille. Elle a bien méri­té, aux dif­fé­rents moments de l’histoire, le beau nom d’« Eglise domes­tique » sanc­tion­né par le Concile Vatican II.((Constitution dog­ma­tique sur l’Eglise Lumen gen­tium, n. 11 : AAS 57 (1965), p. 16 ; Décret sur l’a­pos­to­lat des laïcs Apostolicam actuo­si­ta­tem, n. 11 : AAS 58 (1966), p 848 ; S. Jean Chrysostome, In gene­sim Serm. VI, 2 ; VII, 1 : PG 54, 607–608.))

Cela signi­fie, que, en chaque famille chré­tienne, devraient se retrou­ver les divers aspects de l’Eglise entière. En outre, la famille, comme l’Eglise, se doit d’être un espace où l’Evangile est trans­mis et d’où l’Evangile rayonne.

Au sein donc d’une famille consciente de cette mis­sion, tous les membres de la famille évan­gé­lisent et sont évan­gé­li­sés. Les parents non seule­ment com­mu­niquent aux enfants l’Evangile mais peuvent rece­voir d’eux ce même Evangile pro­fon­dé­ment vécu. Et une telle famille se fait évan­gé­li­sa­trice de beau­coup d’autres familles et du milieu dans lequel elle s’insère.

Même les familles issues d’un mariage mixte ont le devoir d’annoncer le Christ à leurs enfants avec tout ce qu’implique leur bap­tême com­mun ; elles ont aus­si la tâche dif­fi­cile de se faire les arti­sans de l’unité.

Jeunes

72. Les cir­cons­tances nous invitent à une atten­tion toute spé­ciale aux jeunes. Leur mon­tée numé­rique et leur pré­sence crois­sante dans la socié­té, les pro­blèmes qui les assaillent, doivent éveiller en tous le sou­ci de leur offrir avec zèle et intel­li­gence l’idéal évan­gé­lique à connaître et à vivre. Mais il faut par ailleurs que les jeunes, bien for­més dans la foi et la prière, deviennent tou­jours davan­tage les apôtres de la jeu­nesse. L’Eglise compte beau­coup sur cet apport et Nous-​même, à bien des reprises, Nous avons mani­fes­té notre pleine confiance envers eux.

Ministères diver­si­fiés

73. Ainsi prend toute son impor­tance la pré­sence active des laïcs dans les réa­li­tés tem­po­relles. Il ne faut pas pour autant négli­ger ou oublier l’autre dimen­sion : les laïcs peuvent aus­si se sen­tir appe­lés ou être appe­lés à col­la­bo­rer avec leurs Pasteurs au ser­vice de la com­mu­nau­té ecclé­siale, pour la crois­sance et la vie de celle-​ci, exer­çant des minis­tères très diver­si­fiés, selon la grâce et les cha­rismes que le Seigneur vou­dra bien dépo­ser en eux.

Ce n’est pas sans éprou­ver inti­me­ment une grande joie que Nous voyons une légion de Pasteurs, reli­gieux et laïcs, épris de leur mis­sion évan­gé­li­sa­trice, cher­cher des façons tou­jours plus adap­tées d’annoncer effi­ca­ce­ment l’Evangile et Nous encou­ra­geons l’ouverture que, dans cette ligne et avec ce sou­ci, l’Eglise accom­plit aujourd’hui. Ouverture à la réflexion d’abord, puis à des minis­tères ecclé­siaux capables de rajeu­nir et de ren­for­cer son propre dyna­misme évangélisateur.

Il est cer­tain qu’à côté des minis­tères ordon­nés, grâce aux­quels cer­tains sont mis au rang des Pasteurs et se consacrent d’une manière par­ti­cu­lière au ser­vice de la com­mu­nau­té, l’Eglise recon­naît la place de minis­tères non ordon­nés, mais qui sont aptes à assu­rer un ser­vice spé­cial de l’Eglise.

Un regard sur les ori­gines de l’Eglise est très éclai­rant et fait béné­fi­cier d’une antique expé­rience en matière de minis­tères, expé­rience d’autant plus valable qu’elle a per­mis à l’Eglise de se conso­li­der, de croître et de s’étendre. Cette atten­tion aux sources doit cepen­dant être com­plé­tée par une autre : l’attention aux besoins actuels de l’humanité et de l’Eglise. S’abreuver à ces sources tou­jours ins­pi­ra­trices, ne rien sacri­fier de ces valeurs et savoir s’adapter aux exi­gences et aux besoins actuels, tels sont les axes qui per­met­tront de recher­cher avec sagesse et de mettre en lumière les minis­tères dont l’Eglise a besoin et que nombre de ses membres auront à cœur d’embrasser pour la plus grande vita­li­té de la com­mu­nau­té ecclé­siale. Ces minis­tères auront une vraie valeur pas­to­rale dans la mesure où ils s’établiront dans un res­pect abso­lu de l’unité, en béné­fi­ciant de l’orientation des Pasteurs, qui sont pré­ci­sé­ment les res­pon­sables et les arti­sans de l’unité de l’Eglise.

De tels minis­tères, nou­veaux en appa­rence mais très liés à des expé­riences vécues par l’Eglise tout au long de son exis­tence — par exemple ceux de caté­chètes, d’animateurs de la prière et du chant, des chré­tiens voués au ser­vice de la Parole de Dieu ou à l’assistance des frères dans le besoin, ceux enfin des chefs de petites com­mu­nau­tés, des res­pon­sables de mou­ve­ments apos­to­liques ou autres res­pon­sables —, sont pré­cieux pour l’implantation, la vie et la crois­sance de l’Eglise et pour sa capa­ci­té d’irradier autour d’elle et vers ceux qui sont au loin. Nous devons aus­si notre estime par­ti­cu­lière à tous les laïcs qui acceptent de consa­crer une par­tie de leur temps, de leurs éner­gies, et par­fois leur vie entière, au ser­vice des missions.

Pour tous les ouvriers de l’évangélisation, une pré­pa­ra­tion sérieuse est néces­saire. Elle l’est d’autant plus pour ceux qui s’adonnent au minis­tère de la Parole. Animés de la convic­tion sans cesse appro­fon­die de la gran­deur et de la richesse de la Parole de Dieu, ceux qui ont mis­sion de la trans­mettre doivent por­ter la plus grande atten­tion à la digni­té, à la pré­ci­sion, à l’adaptation de leur lan­gage. Chacun sait que l’art de par­ler revêt aujourd’hui une très grande impor­tance. Comment les pré­di­ca­teurs et les caté­chistes pourraient-​ils le négliger ?

Nous sou­hai­tons vive­ment que, dans chaque Eglise par­ti­cu­lière, les Evêques veillent à la for­ma­tion adé­quate de tous les ministres de la Parole. Cette pré­pa­ra­tion sérieuse aug­men­te­ra en eux l’assurance indis­pen­sable mais aus­si l’enthousiasme pour annon­cer Jésus-​Christ aujourd’hui.

VII – L’ESPRIT DE L’ÉVANGÉLISATION

Pressant appel

74. Nous ne vou­drions pas mettre fin à cet entre­tien avec nos Frères et Fils bien-​aimés, sans un der­nier appel concer­nant les atti­tudes inté­rieures qui doivent ani­mer les ouvriers de l’évangélisation.

Oui, au nom de Seigneur Jésus lui-​même et au nom des Apôtres Pierre et Paul, Nous vou­drions exhor­ter tous ceux qui, grâce aux cha­rismes de l’Esprit et au man­dat de l’Eglise, sont de véri­tables évan­gé­li­sa­teurs, à être dignes de cette voca­tion, à l’exercer sans céder au doute ou à la peur, à ne pas négli­ger les condi­tions qui ren­dront cette évan­gé­li­sa­tion non seule­ment pos­sible mais active et fruc­tueuse. Voici, par­mi bien d’autres, les condi­tions fon­da­men­tales que Nous tenons à souligner.

Sous le souffle de l’Esprit Saint

75. Il n’y aura jamais d’évangélisation pos­sible sans l’action de l’Esprit Saint. Sur Jésus de Nazareth, l’Esprit des­cend au moment du bap­tême lorsque la voix du Père — « Tu es mon Fils bien-​aimé, tu as toute ma faveur »((Mt 3, 17.)) — mani­feste de façon sen­sible son élec­tion et sa mis­sion. C’est « conduit par l’Esprit » qu’il vit au désert le com­bat déci­sif et la suprême épreuve avant de com­men­cer cette mission.((Mt 4, 1.)) C’est « avec la puis­sance de l’Esprit »((Lc 4, 14.)) qu’il revient en Galilée et inau­gure à Nazareth sa pré­di­ca­tion, s’appliquant à lui-​même le pas­sage d’Isaïe : « L’esprit du Seigneur est sur moi ». « Aujourd’hui, proclame-​t-​il, cette Ecriture est accom­plie ».((Lc 4, 18. 21 ; cf. Is 61, 1.)) Aux dis­ciples qu’il est sur le point d’envoyer, il dit en souf­flant sur eux : « Recevez l’Esprit Saint ».((Jn 20, 22.))

En fait, ce n’est qu’après la venue du Saint-​Esprit, le jour de la Pentecôte, que les Apôtres partent vers tous les hori­zons du monde pour com­men­cer la grande œuvre d’évangélisation de l’Eglise, et Pierre explique l’événement comme la réa­li­sa­tion de la pro­phé­tie de Joël : « Je répan­drai mon Esprit ».((Ac 2, 17.)) Pierre est rem­pli de l’Esprit Saint pour par­ler au peuple de Jésus Fils de Dieu.((Cf. Ac 4, 8.)) Paul, lui aus­si, « est rem­pli de l’Esprit Saint »((Ac 9, 17.)) avant de se livrer à son minis­tère apos­to­lique, comme l’est Etienne lorsqu’il est choi­si pour la dia­co­nie et plus tard pour le témoi­gnage du sang.((Cf. Ac 6, 5. 10 ; 7, 55.)) L’Esprit qui fait par­ler Pierre, Paul ou les Douze, ins­pi­rant les paroles qu’ils doivent pro­non­cer, tombe aus­si « sur ceux qui écoutent la Parole ».((Ac 10, 44.)) C’est grâce à l’appui du Saint-​Esprit que l’Eglise s’accroît.((Cf. Ac 9, 31.)) Il est l’âme de cette Eglise. C’est lui qui explique aux fidèles le sens pro­fond de l’enseignement de Jésus et son mys­tère. Il est celui qui, aujourd’hui comme aux débuts de l’Eglise, agit en chaque évan­gé­li­sa­teur qui se laisse pos­sé­der et conduire par lui, et met dans sa bouche les mots que seul il ne pour­rait trou­ver, tout en pré­dis­po­sant aus­si l’âme de celui qui écoute pour le rendre ouvert et accueillant à la Bonne Nouvelle et au Règne annoncé.

Les tech­niques d’évangélisation sont bonnes mais les plus per­fec­tion­nées ne sau­raient rem­pla­cer l’action dis­crète de l’Esprit. La pré­pa­ra­tion la plus raf­fi­née de l’évangélisateur n’opère rien sans lui. Sans lui, la dia­lec­tique la plus convain­cante est impuis­sante sur l’esprit des hommes. Sans lui, les sché­mas socio­lo­giques ou psy­cho­lo­giques les plus éla­bo­rés se révèlent vite dépour­vus de valeur.

Nous vivons dans l’Eglise un moment pri­vi­lé­gié de l’Esprit. On cherche par­tout à le connaître mieux, tel que l’Ecriture le révèle. On est heu­reux de se mettre sous sa mou­vance. On s’assemble autour de lui. On veut se lais­ser conduire par lui.

Or, si l’Esprit de Dieu a une place émi­nente dans toute la vie de l’Eglise, c’est dans la mis­sion évan­gé­li­sa­trice de celle-​ci qu’il agit le plus. Ce n’est pas par hasard que le grand départ de l’évangélisation eut lieu le matin de Pentecôte, sous le souffle de l’Esprit.

On peut dire que l’Esprit Saint est l’agent prin­ci­pal de l’évangélisation : c’est lui qui pousse cha­cun à annon­cer l’Evangile et c’est lui qui dans le tré­fonds des consciences fait accep­ter et com­prendre la Parole du salut.((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, n. 4 : AAS 58 (1966), pp. 950–951.)) Mais l’on peut dire éga­le­ment qu’il est le terme de l’évangélisation : lui seul sus­cite la nou­velle créa­tion, l’humanité nou­velle à laquelle l’évangélisation doit abou­tir, avec l’unité dans la varié­té que l’évangélisation vou­drait pro­vo­quer dans la com­mu­nau­té chré­tienne. A tra­vers lui l’Evangile pénètre au cœur du monde car c’est lui qui fait dis­cer­ner les signes des temps — signes de Dieu — que l’évangélisation découvre et met en valeur à l’intérieur de l’histoire.

Le Synode des Evêques de 1974, qui a beau­coup insis­té sur la place du Saint-​Esprit dans l’évangélisation, a expri­mé aus­si le vœu que Pasteurs et théo­lo­giens — et Nous dirons aus­si les fidèles mar­qués du sceau de l’Esprit par le bap­tême — étu­dient mieux la nature et le mode de l’action de l’Esprit Saint dans l’évangélisation aujourd’hui. C’est notre vœu aus­si, en même temps que Nous exhor­tons les évan­gé­li­sa­teurs quels qu’ils soient à prier sans cesse l’Esprit Saint avec foi et fer­veur et à se lais­ser pru­dem­ment gui­der par lui comme l’inspirateur déci­sif de leurs plans, de leurs ini­tia­tives, de leur acti­vi­té évangélisatrice.

Témoins authen­tiques

76. Considérons main­te­nant la per­sonne même des évan­gé­li­sa­teurs. On répète sou­vent, de nos jours, que ce siècle a soif d’authenticité. A pro­pos des jeunes, sur­tout, on affirme qu’ils ont hor­reur du fac­tice, du fal­si­fié, et recherchent par-​dessus tout la véri­té et la transparence.

Ces « signes du temps » devraient nous trou­ver vigi­lants. Tacitement ou à grands cris, tou­jours avec force, l’on demande : Croyez-​vous vrai­ment à ce que vous annon­cez ? Vivez-​vous ce que vous croyez ? Prêchez-​vous vrai­ment ce que vous vivez ? Plus que jamais le témoi­gnage de la vie est deve­nu une condi­tion essen­tielle de l’efficacité pro­fonde de la pré­di­ca­tion. Par ce biais-​là nous voi­ci, jusqu’à un cer­tain point, res­pon­sables de la marche de l’Evangile que nous proclamons.

« Qu’en est-​il de l’Eglise dix ans après la fin du Concile ? » — demandions-​Nous au début de cette médi­ta­tion. Est-​elle ancrée au cœur du monde et pour­tant assez libre et indé­pen­dante pour s’adresser au monde ? Fait-​elle preuve de soli­da­ri­té avec les hommes et témoigne-​t-​elle en même temps de l’Absolu de Dieu ? Est-​elle plus ardente dans la contem­pla­tion et l’adoration et plus zélée dans l’action mis­sion­naire, cari­ta­tive, libé­ra­trice ? Est-​elle tou­jours plus enga­gée dans les efforts qui cherchent à réta­blir la pleine uni­té des chré­tiens, laquelle rend plus effi­cace le témoi­gnage com­mun « afin que le monde croie » ?((Jn 17, 21.)) Nous sommes tous res­pon­sables des réponses que l’on pour­rait don­ner à ces interrogations.

Nous exhor­tons donc nos Frères dans l’épiscopat, pla­cés par l’Esprit Saint pour gou­ver­ner l’Eglise.((Cf. Ac 20, 28.)) Nous exhor­tons les prêtres et les diacres, col­la­bo­ra­teurs des Evêques dans le ras­sem­ble­ment du peuple de Dieu et dans l’animation spi­ri­tuelle des com­mu­nau­tés locales. Nous exhor­tons les reli­gieux, témoins d’une Eglise appe­lée à la sain­te­té et donc conviées eux-​mêmes à une vie qui témoigne des béa­ti­tudes évan­gé­liques. Nous exhor­tons les laïcs : familles chré­tiennes, jeunes et adultes, tous ceux qui exercent un métier, les diri­geants, sans oublier les pauvres sou­vent riches de foi et d’espérance, tous les laïcs conscients de leur rôle évan­gé­li­sa­teur au ser­vice de leur Eglise ou au cœur de la socié­té et du monde. Nous leur disons à tous : il faut que notre zèle évan­gé­li­sa­teur jaillisse d’une véri­table sain­te­té de vie ali­men­tée par la prière et sur­tout par l’amour de l’Eucharistie, et que, comme nous le sug­gère le Concile, la pré­di­ca­tion à son tour fasse gran­dir en sain­te­té le prédicateur.((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Décret sur le minis­tère et la vie des prêtres Presbyterorum ordi­nis, n. 13 : AAS 58 (1966), p. 1011.))

Le monde qui, para­doxa­le­ment, mal­gré d’innombrables signes de refus de Dieu, le cherche cepen­dant par des che­mins inat­ten­dus et en res­sent dou­lou­reu­se­ment le besoin, le monde réclame des évan­gé­li­sa­teurs qui lui parlent d’un Dieu qu’ils connaissent et fré­quentent comme s’ils voyaient l’invisible.((Cf. He 11, 27.)) Le monde réclame et attend de nous sim­pli­ci­té de vie, esprit de prière, cha­ri­té envers tous, spé­cia­le­ment envers les petits et les pauvres, obéis­sance et humi­li­té, déta­che­ment de nous-​mêmes et renon­ce­ment. Sans cette marque de sain­te­té, notre parole fera dif­fi­ci­le­ment son che­min dans le cœur de l’homme de ce temps. Elle risque d’être vaine et inféconde.

Artisans d’unité

77. La force de l’évangélisation se trou­ve­ra bien dimi­nuée si ceux qui annoncent l’Evangile sont divi­sés entre eux par toutes sortes de rup­ture. Ne serait-​ce pas là l’un des grands malaises de l’évangélisation aujourd’hui ? En effet, si l’Evangile que nous pro­cla­mons appa­raît déchi­ré par des que­relles doc­tri­nales, des pola­ri­sa­tions idéo­lo­giques, ou des condam­na­tions réci­proques entre chré­tiens, au gré de leurs vues dif­fé­rentes sur le Christ et sur l’Eglise et même à cause de leurs concep­tions diverses de la socié­té et des ins­ti­tu­tions humaines, com­ment ceux à qui s’adresse notre pré­di­ca­tion ne s’en trouveraient-​ils pas per­tur­bés, déso­rien­tés sinon scandalisés ?

Le tes­ta­ment spi­ri­tuel du Seigneur nous dit que l’unité entre ses dis­ciples n’est pas seule­ment la preuve que nous sommes siens, mais aus­si la preuve qu’il est envoyé du Père, test de cré­di­bi­li­té des chré­tiens et du Christ lui-​même. Evangélisateurs, nous devons offrir aux fidèles du Christ, non pas l’image d’hommes divi­sés et sépa­rés par des litiges qui n’édifient point, mais celle de per­sonnes mûries dans la foi, capables de se ren­con­trer au delà des ten­sions réelles grâce à la recherche com­mune, sin­cère et dés­in­té­res­sée de la véri­té. Oui, le sort de l’évangélisation est cer­tai­ne­ment lié au témoi­gnage d’unité don­né par l’Eglise. Voilà une source de res­pon­sa­bi­li­té mais aus­si de réconfort.

Sur ce point, Nous vou­drions insis­ter sur le signe de l’unité entre tous les chré­tiens comme voie et ins­tru­ment d’évangélisation. La divi­sion des chré­tiens est un grave état de fait qui par­vient à enta­cher l’œuvre même du Christ. Le Concile Vatican II affirme avec luci­di­té et fer­me­té qu’elle « nuit à la cause sacrée de la pré­di­ca­tion de l’Evangile à toute créa­ture, et pour beau­coup elle ferme l’accès à la foi ».((Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, n. 6 : AAS 58 (1966), pp. 954–955 ; cf. Décret sur l’oe­cu­mé­nisme Unitatis redin­te­gra­tio, n. 1 : AAS 57 (1965), pp. 90–91.)) Voilà pour­quoi, en annon­çant l’Année Sainte, Nous avons cru néces­saire de rap­pe­ler à tous les fidèles du monde catho­lique que « la récon­ci­lia­tion de tous les hommes avec Dieu, notre Père, pré­sup­pose, en effet, le réta­blis­se­ment de la com­mu­nion entre ceux qui ont déjà, dans la foi, recon­nu et accueilli Jésus-​Christ comme le Seigneur de la misé­ri­corde qui libère les hommes et les unit dans l’Esprit d’amour et de véri­té ».((Bulle Apostolorum Limina, VII : AAS 66 (1974), p. 305.))

Aussi est-​ce avec un fort sen­ti­ment d’espérance que Nous regar­dons les efforts qui se font dans le monde chré­tien pour ce réta­blis­se­ment de la pleine uni­té vou­lue par le Christ. Saint Paul nous en donne l’assurance : « L’espérance ne déçoit pas ».((Rm 5, 5.)) Tandis que Nous tra­vaillons tou­jours pour obte­nir du Seigneur la pleine uni­té, Nous vou­lons voir inten­si­fiée la prière. En outre, Nous fai­sons nôtre le vœu expri­mé par les Pères de la IIIe Assemblée géné­rale du Synode des Evêques, à savoir que l’on col­la­bore plus réso­lu­ment avec nos frères chré­tiens aux­quels nous ne sommes pas encore unis par une com­mu­nion par­faite, en nous fon­dant sur le bap­tême et sur le patri­moine de foi qui nous est com­mun, de façon à pou­voir dès main­te­nant, dans le même tra­vail d’évangélisation, témoi­gner ensemble et plus lar­ge­ment du Christ dans le monde. Nous y sommes pous­sés par le com­man­de­ment du Christ, c’est une exi­gence de l’œuvre de pré­di­ca­tion et du témoi­gnage à rendre à l’Evangile.

Serviteurs de la vérité

78. L’Evangile dont nous avons la charge est aus­si parole de véri­té. Une véri­té qui rend libres((Cf. Jn 8, 32.)) et qui seule donne la paix du cœur, c’est ce que les gens viennent cher­cher lorsque nous leur annon­çons la Bonne Nouvelle. Vérité sur Dieu, véri­té sur l’homme et sa mys­té­rieuse des­ti­née, véri­té sur le monde. Difficile véri­té que nous recher­chons dans la Parole de Dieu et dont nous ne sommes, encore une fois, ni les maîtres ni les pro­prié­taires, mais les dépo­si­taires, les hérauts, les serviteurs.

De tout évan­gé­li­sa­teur on attend qu’il ait le culte de la véri­té, d’autant plus que la véri­té qu’il appro­fon­dit et com­mu­nique n’est autre que la véri­té révé­lée et donc, plus que tout autre, par­celle de la véri­té pre­mière qu’est Dieu lui-​même. Le pré­di­ca­teur de l’Evangile sera donc quelqu’un qui, même au prix du renon­ce­ment per­son­nel et de la souf­france, recherche tou­jours la véri­té qu’il doit trans­mettre aux autres. Il ne tra­hit jamais ni ne dis­si­mule la véri­té par sou­ci de plaire aux hommes, d’étonner ou de cho­quer, ni par ori­gi­na­li­té ou désir d’apparaître. Il ne refuse pas la véri­té. Il n’obscurcit pas la véri­té révé­lée par paresse de la recher­cher, par com­mo­di­té, par peur. Il ne néglige pas de l’étudier. Il la sert géné­reu­se­ment sans l’asservir.

Pasteurs du Peuple fidèle, notre ser­vice pas­to­ral nous presse de gar­der, défendre et com­mu­ni­quer la véri­té sans regar­der les sacri­fices. Tant d’éminents et saints Pasteurs nous ont lais­sé l’exemple de cet amour, en beau­coup de cas héroïque, de la véri­té. Le Dieu de véri­té attend de nous que nous en soyons les défen­seurs vigi­lants et les pré­di­ca­teurs dévoués.

Docteurs, que vous soyez théo­lo­giens, exé­gètes, his­to­riens, l’œuvre de l’évangélisation a besoin de votre infa­ti­gable labeur de recherche et aus­si de votre atten­tion et de votre déli­ca­tesse dans la trans­mis­sion de la véri­té, dont vos études vous rap­prochent mais qui est tou­jours plus grande que le cœur de l’homme, car c’est la véri­té même de Dieu.

Parents et maîtres, votre tâche, que les mul­tiples conflits actuels ne rendent pas facile, est d’aider vos enfants et vos élèves dans la décou­verte de la véri­té, y com­pris de la véri­té reli­gieuse et spirituelle.

Animés par l’amour

79. L’œuvre de l’évangélisation sup­pose, dans l’évangélisateur, un amour fra­ter­nel tou­jours gran­dis­sant envers ceux qu’il évan­gé­lise. Ce modèle d’évangélisateur qu’est l’Apôtre Paul écri­vait aux Thessaloniciens cette parole qui est un pro­gramme pour nous tous : « Telle était notre ten­dresse pour vous que nous aurions vou­lu vous livrer, en même temps que l’Evangile de Dieu, notre propre vie, tant vous nous étiez deve­nus chers ».((1 Th 2, 8 ; cf. Ph 1, 8.)) Quelle est cette affec­tion ? Bien plus que celle d’un péda­gogue, elle est celle d’un père ; et plus encore : celle d’une mère.((Cf. 1 Th 2, 7–11 ; 1 Co 4, 15 ; Ga 4, 19.)) C’est cette affec­tion que le Seigneur attend de chaque pré­di­ca­teur de l’Evangile, de chaque bâtis­seur de l’Eglise. Un signe d’amour sera le sou­ci de don­ner la véri­té et d’introduire dans l’Unité. Un signe d’amour sera éga­le­ment de se dévouer sans réserve ni retour à l’annonce de Jésus-​Christ. Permettez-​Nous de faire men­tion de quelques autres signes de cet amour.

Le pre­mier est le res­pect de la situa­tion reli­gieuse et spi­ri­tuelle des per­sonnes qu’on évan­gé­lise. Respect de leur rythme qu’on n’a pas le droit de for­cer outre mesure. Respect de leur conscience et de leurs convic­tions, à ne pas brusquer.

Un autre signe de cet amour est le sou­ci de ne pas bles­ser l’autre, sur­tout s’il est faible dans sa foi,((Cf. 1 Co 8, 9–13.)) avec des affir­ma­tions qui peuvent être claires pour les ini­tiés, mais qui pour les fidèles peuvent être source de per­tur­ba­tion et de scan­dale, comme une bles­sure dans l’âme.

Un signe d’amour sera aus­si l’effort de trans­mettre aux chré­tiens non pas des doutes et des incer­ti­tudes nés d’une éru­di­tion mal assi­mi­lée, mais des cer­ti­tudes solides, parce que ancrées dans la Parole de Dieu. Les fidèles ont besoin de ces cer­ti­tudes pour leur vie chré­tienne ; ils y ont droit, en tant qu’enfants de Dieu qui, entre ses bras, s’abandonnent entiè­re­ment aux exi­gences de l’amour.

Avec la fer­veur des saints

80. Notre appel s’inspire de la fer­veur des plus grands pré­di­ca­teurs et évan­gé­li­sa­teurs dont la vie fut don­née à l’apostolat : par­mi eux il Nous plaît de rele­ver ceux que Nous avons, au cours de l’Année Sainte, pro­po­sés à la véné­ra­tion des fidèles. Ils ont su dépas­ser bien des obs­tacles à l’évangélisation.

Notre époque connaît éga­le­ment de nom­breux obs­tacles, par­mi les­quels Nous nous conten­te­rons de men­tion­ner le manque de fer­veur. Il est d’autant plus grave qu’il vient du dedans ; il se mani­feste dans la fatigue et le désen­chan­te­ment, la rou­tine et le dés­in­té­rêt, et sur­tout le manque de joie et d’espérance. Nous exhor­tons donc tous ceux qui ont à quelque titre et à quelque éche­lon la tâche d’évangéliser à ali­men­ter en eux la fer­veur de l’esprit.((Cf. Rm 12, 11.))

Cette fer­veur exige tout d’abord que nous sachions nous sous­traire aux ali­bis qui peuvent nous détour­ner de l’évangélisation. Les plus insi­dieux sont cer­tai­ne­ment ceux pour les­quels l’on pré­tend trou­ver appui dans tel ou tel ensei­gne­ment du Concile.

C’est ain­si qu’on entend dire trop sou­vent, sous diverses formes : impo­ser une véri­té, fût-​elle celle de l’Evangile, impo­ser une voie, fût-​elle celle du salut, ne peut être qu’une vio­lence à la liber­té reli­gieuse. Du reste, ajoute-​t-​on, pour­quoi annon­cer l’Evangile puisque tout le monde est sau­vé par la droi­ture du cœur ? L’on sait bien d’ailleurs que le monde et l’histoire sont rem­plis de « semences vu Verbe » : n’est-ce pas une illu­sion de pré­tendre por­ter l’Evangile là où il est déjà dans ces semences que le Seigneur lui-​même y a jetées ?

Quiconque se donne la peine d’approfondir, dans les docu­ments conci­liaires, les ques­tions que ces ali­bis y puisent trop super­fi­ciel­le­ment, trou­ve­ra une toute autre vision de la réalité.

Ce serait certes une erreur d’imposer quoi que ce soit à la conscience de nos frères. Mais c’est tout autre chose de pro­po­ser à cette conscience la véri­té évan­gé­lique et le salut en Jésus-​Christ en pleine clar­té et dans le res­pect abso­lu des options libres qu’elle fera — en évi­tant « toute forme d’agissements qui ont un relent de coer­ci­tion, de per­sua­sion mal­hon­nête ou peu loyale((Cf. Concile oecu­mé­nique Vatican II, Déclaration sur la liber­té reli­gieuse Dignitatis huma­nae, n. 4 : AAS 58 91966), p 933.)) — : loin d’être un atten­tat à la liber­té reli­gieuse, c’est un hom­mage à cette liber­té à laquelle est offert le choix d’une voie que même les non croyants estiment noble et exal­tante. Est-​ce donc un crime contre la liber­té d’autrui que de pro­cla­mer dans la joie une Bonne Nouvelle que l’on vient d’apprendre par la misé­ri­corde du Seigneur ?((Cf. ibid., nn. 9–14, l. c. pp. 935–940.)) Et pour­quoi seuls le men­songe et l’erreur, la dégra­da­tion et la por­no­gra­phie, auraient-​ils le droit d’être pro­po­sés et sou­vent, hélas, impo­sés par la pro­pa­gande des­truc­tive des mass media, par la tolé­rance des légis­la­tions, par la peur des bons et la har­diesse des méchants ? Cette façon res­pec­tueuse de pro­po­ser le Christ et son Royaume, plus qu’un droit, est un devoir de l’évangélisateur. Et s’est aus­si un droit des hommes ses frères de rece­voir de lui l’annonce de la Bonne Nouvelle du salut. Ce salut, Dieu peut l’accomplir en qui Il veut par des voies extra­or­di­naires que lui seul connaît.((Cf. Concile Oecuménique Vatican II, Décret sur l’ac­ti­vi­té mis­sion­naire de l’Eglise Ad gentes, n. 7 : AAS 58 (1966), p. 955.)) Et cepen­dant, si son Fils est venu, ce fut pré­ci­sé­ment pour nous révé­ler, par sa parole et par sa vie, les che­mins ordi­naires du salut. Et il nous a ordon­né de trans­mettre aux autres cette révé­la­tion avec la même auto­ri­té que lui. Il se serait pas inutile que chaque chré­tien et chaque évan­gé­li­sa­teur appro­fon­disse dans la prière cette pen­sée : les hommes pour­ront se sau­ver aus­si par d’autres che­mins, grâce à la misé­ri­corde de Dieu, même si nous ne leur annon­çons pas l’Evangile ; mais nous, pouvons-​nous nous sau­ver si par négli­gence, par peur, par honte — ce que saint Paul appe­lait « rou­gir de l’Evangile »((Cf. Rm 1, 16.)) — ou par suite d’idées fausses nous omet­tons de l’annoncer ? Car ce serait alors tra­hir l’appel de Dieu qui, par la voix des ministres de l’Evangile, veut faire ger­mer la semence ; et il dépen­dra de nous que celle-​ci devienne un arbre et pro­duise tout son fruit.

Gardons donc la fer­veur de l’esprit. Gardons la douce et récon­for­tante joie d’évangéliser, même lorsque c’est dans les larmes qu’il faut semer. Que ce soit pour nous — comme pour Jean-​Baptiste, pour Pierre et Paul, pour les autres Apôtres, pour une mul­ti­tude d’admirables évan­gé­li­sa­teurs tout au long de l’histoire de l’Eglise — un élan inté­rieur que per­sonne ni rien ne sau­rait éteindre. Que ce soit la grande joie de nos vies don­nées. Et que le monde de notre temps qui cherche, tan­tôt dans l’angoisse, tan­tôt dans l’espérance, puisse rece­voir la Bonne Nouvelle, non d’évangélisateurs tristes et décou­ra­gés, impa­tients ou anxieux, mais de ministres de l’Evangile dont la vie rayonne de fer­veur, qui ont les pre­miers reçus en eux la joie du Christ, et qui acceptent de jouer leur vie pour que le Royaume soit annon­cé et l’Eglise implan­tée au cœur du monde.

Conclusion

La consigne de l’Année Sainte

81. Voilà donc, Frères et Fils, le cri qui monte du fond de notre cœur, en écho à la voix de nos Frères réunis pour la troi­sième Assemblée géné­rale du Synode des Evêques. Voilà la consigne que Nous avons vou­lu don­ner à la fin d’une Année Sainte qui Nous a per­mis de per­ce­voir plus que jamais les besoins et les appels d’une mul­ti­tude de frères, chré­tiens et non chré­tiens, qui attendent de l’Eglise la Parole du salut.

Que la lumière de l’Année Sainte, qui s’est levée dans les Eglises par­ti­cu­lières et à Rome pour des mil­lions de consciences récon­ci­liées avec Dieu, puisse rayon­ner éga­le­ment après le Jubilé à tra­vers un pro­gramme d’action pas­to­rale, dont l’évangélisation est l’aspect fon­da­men­tal, pour ces années qui marquent la veille d’un nou­veau siècle, la veille aus­si du troi­sième mil­lé­naire du christianisme !

Marie, Etoile de l’évangélisation

82. Tel est le vœu que Nous nous réjouis­sons de dépo­ser entre les mains et dans le cœur de la Très Sainte Vierge Marie, l’Immaculée, en ce jour qui lui est spé­cia­le­ment consa­cré, au dixième anni­ver­saire de la clô­ture du Concile Vatican II. Au matin de la Pentecôte, elle a pré­si­dé dans la prière au début de l’évangélisation sous l’action de l’Esprit Saint : qu’elle soit l’Etoile de l’évangélisation tou­jours renou­ve­lée que l’Eglise, docile au man­dat de son Seigneur, doit pro­mou­voir et accom­plir, sur­tout en ces temps à la fois dif­fi­ciles et pleins d’espoir !

Au nom du Christ, Nous vous bénis­sons, vous, vos com­mu­nau­tés, vos familles, tous ceux qui vous sont atta­chés, avec les paroles qu’adressait saint Paul aux Philippiens : « Je rends grâce à mon Dieu chaque fois que je fais mémoire de vous, en tout temps dans toutes mes prières pour vous tous, prières que je fais avec joie, car je me rap­pelle la part que vous avez prise à l’Evangile (…). Je vous porte en mon cœur, vous qui (…) dans la défense et l’affermissement de l’Evangile, vous asso­ciez tous à la grâce qui m’est faite. Oui, Dieu m’est témoin que je vous aime ten­dre­ment dans le cœur du Christ Jésus ».3

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 8 décembre 1975, en la solen­ni­té de l’Immaculée-Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, trei­zième année de notre Pontificat.

Paul VI, P.P.

  1. Cf. 2 Co 4, 5 ; S. Augustin, Sermo XLVI, De Pastoribus : CCL XLI, pp. 529–530. []
  2. Cf. n. 53 : AAS 58 (1966), p 1075. []
  3. Phil. 1, 3–4. 7–8 []