Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

4 août 1908

Exhortation apostolique Haerent animo

Exhortation du clergé catholique à la sainteté à l'occasion du cinquantième anniversaire de sacerdoce du Souverain Pontife

Table des matières

Donné à Rome, près St-​Pierre, le 4 août 1908,
au début de la sixième année de Notre Pontificat.

Exhortation au cler­gé catho­lique
Encourager le cler­gé à la sainteté

Elles sont pro­fon­dé­ment enra­ci­nées dans Notre esprit, et elles sont très redou­tables, les paroles que l’Apôtre des Gentils écri­vait aux Hébreux en leur rap­pe­lant le devoir de l’obéissance envers les supé­rieurs : Ils veillent sur vos âmes comme devant en rendre compte (Hb 13, 17), affirmait-​il avec une sin­gu­lière gravité.

Cette parole s’adresse sans doute à tous ceux qui ont auto­ri­té dans l’Eglise, mais elle s’applique plus par­ti­cu­liè­re­ment à Nous qui, mal­gré Notre insuf­fi­sance et avec la per­mis­sion de Dieu, y exer­çons le pou­voir suprême. Aussi ne cessons-​Nous, dans Notre sol­li­ci­tude, de médi­ter et de recher­cher jour et nuit les moyens de sau­ve­gar­der et de faire pro­gres­ser le trou­peau du Seigneur.

De toutes Nos pré­oc­cu­pa­tions, la prin­ci­pale est celle-​ci : il faut que les hommes hono­rés du sacer­doce soient abso­lu­ment tels que l’exige l’accomplissement de leur charge. Nous sommes en effet per­sua­dé que c’est de là sur­tout qu’il faut attendre le bon état et le pro­grès de la religion.

C’est pour­quoi, dès Notre élé­va­tion au Souverain Pontificat, bien que les nom­breux mérites du cler­gé, consi­dé­ré dans son ensemble, fussent évi­dents, Nous avons cru cepen­dant devoir exhor­ter très ins­tam­ment Nos Vénérables Frères les évêques de l’univers catho­lique à mettre leurs soins les plus per­sé­vé­rants et les plus actifs à for­mer le Christ dans ceux qui sont des­ti­nés, en ver­tu de leur charge, à for­mer le Christ dans les autres.

Nous n’ignorons pas avec quel empres­se­ment les évêques se sont acquit­tés de cette tâche. Nous savons avec quelle vigi­lance et quelle sol­li­ci­tude ils se sont appli­qués assi­dû­ment à for­mer le cler­gé à la ver­tu, et Nous vou­lons moins les en louer que les en remer­cier publiquement.

68. Mais si Nous Nous féli­ci­tons de voir de nom­breux prêtres, que ce zèle de leurs évêques a enflam­més d’une sainte ardeur, faire revivre ou accroître en eux la grâce de Dieu qu’ils avaient reçue au jour de leur ordi­na­tion sacer­do­tale, Nous avons encore à déplo­rer que cer­tains autres, en divers pays, ne se montrent pas tels que le peuple chré­tien, por­tant ses regards sur eux comme sur un miroir, ain­si qu’il convient, puisse avoir des modèles à imiter.

C’est à eux que Nous vou­lons, par cette lettre, ouvrir Notre cœur, comme le cœur d’un père aimant qui bat anxieu­se­ment à la vue de son fils malade.

C’est sous l’inspiration de cet amour pater­nel que Nous ajou­tons Nos exhor­ta­tions à celles des évêques et bien qu’elles aient sur­tout pour but de rame­ner à de meilleurs sen­ti­ments les dévoyés et les tièdes, Nous vou­lons aus­si qu’elles soient un sti­mu­lant pour les autres. Nous mon­trons le che­min que cha­cun doit s’efforcer de suivre avec une ardeur chaque jour gran­dis­sante pour deve­nir, selon la belle expres­sion de l’Apôtre, un homme de Dieu (1 Tm 6, 11), et pour répondre à la légi­time attente de l’Eglise.

Nous ne vous dirons rien qui ne vous soit connu, ou qui soit nou­veau pour quelqu’un ; mais il importe à tous de se remé­mo­rer ces choses : et Dieu Nous donne l’espoir que Notre parole ne sera pas sans por­ter des fruits abondants.

Voici ce que Nous vous deman­dons avec ins­tance : Renouvelez-​vous dans votre esprit et revê­tez l’homme nou­veau, créé selon Dieu dans une jus­tice et une sain­te­té véri­tables (Ep 4, 23–24) ; et ce sera le plus beau et le plus agréable pré­sent que vous puis­siez Nous offrir en ce cin­quan­tième anni­ver­saire de Notre sacerdoce.

Pour Nous, quand Nous repas­se­rons sous le regard de Dieu, avec un cœur contrit et en esprit d’humilité (Dn 3, 39), les années de Notre sacer­doce, il nous sem­ble­ra que Nous expions en quelque sorte ce que Nous devons y regret­ter de trop humain, en vous aver­tis­sant et en vous exhor­tant à mar­cher digne­ment devant Dieu et à lui plaire en toutes choses (Col 1, 10).

Par cette Exhortation, ce ne sont pas seule­ment vos inté­rêts que Nous défen­drons, mais aus­si les inté­rêts com­muns des nations catho­liques, les uns ne pou­vant en aucune façon être sépa­rés des autres. En effet, le prêtre est tel qu’il ne peut pas être bon ou mau­vais pour lui seul ; mais de quelles consé­quences sont pour le peuple sa conduite et sa manière de vivre ! Quel immense tré­sor qu’un prêtre vrai­ment bon, par­tout où il se trouve !

I. Nécessité de la sainteté sacerdotale

Le prêtre doit être un modèle pour les autres

69. Nous com­men­ce­rons donc, chers Fils, Notre Exhortation en vous exci­tant à la sain­te­té de vie que requiert votre dignité.

Quiconque, en effet, exerce le sacer­doce, ne l’exerce pas seule­ment pour lui, mais aus­si pour les autres. Car tout Pontife pris d’entre les hommes est éta­bli pour les hommes en ce qui regarde Dieu (Hb 5, 1). Le Christ a expri­mé la même pen­sée lorsque, pour mon­trer en quoi doit consis­ter l’action sacer­do­tale, il com­pa­rait les prêtres au sel et à la lumière. Le prêtre est donc la lumière du monde, le sel de la terre (cf. Mt 5, 13.14). Personne, sans doute, n’ignore que cela consiste sur­tout pour lui à com­mu­ni­quer la véri­té chré­tienne ; mais peut-​on igno­rer davan­tage que ce minis­tère est à peu près inutile si le prêtre n’appuie de son exemple ce qu’il enseigne de vive voix ? Ceux qui l’écoutent pour­ront dire alors, inju­rieu­se­ment il est vrai, mais non sans rai­son : Ils font pro­fes­sion de connaître Dieu et ils le renient par leurs actes (Tt 1, 16) ; et ils repous­se­ront la doc­trine et ne pro­fi­te­ront pas de la lumière du prêtre. C’est pour­quoi le Christ lui-​même, consti­tué le modèle des prêtres, a d’abord ensei­gné par l’exemple et ensuite par la parole : Jésus a com­men­cé par agir, il a ensei­gné après (Ac 1, 1). De même, s’il néglige la sain­te­té, le prêtre ne pour­ra en aucune façon être « le sel de la terre » ; car ce qui est cor­rom­pu et conta­mi­né n’est aucu­ne­ment propre à conser­ver : et là où la sain­te­té fait défaut, il est inévi­table que la cor­rup­tion s’introduise. Aussi le Christ, pour­sui­vant cette com­pa­rai­son, appelle de tels prêtres un sel fade, qui n’est plus bon à rien, sinon à être jeté dehors, et dès lors à être fou­lé aux pieds par les hommes (Mt 5, 13).

Il accomplit les fonctions sacrées au nom de Jésus-Christ

70. Ces véri­tés sont d’autant plus cer­taines que nous n’accomplissons pas les fonc­tions sacer­do­tales en notre nom, mais au nom de Jésus-​Christ. Ainsi, dit l’Apôtre, que l’homme nous consi­dère comme les ministres du Christ et les dis­pen­sa­teurs des mys­tères de Dieu (1 Co 4, 1) ; c’est donc pour le Christ que nous rem­plis­sons les fonc­tions d’ambassadeurs (2 Co 5, 20). C’est aus­si pour cette rai­son que le Christ lui-​même nous a pla­cés au nombre de ses amis et non de ses ser­vi­teurs : Je ne vous appel­le­rai plus ser­vi­teurs… ; mais je vous ai appe­lés amis parce que tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître… Je vous ai choi­sis et consti­tués pour que vous alliez et que vous por­tiez du fruit (Jn 15, 15.16).

Nous avons donc à rem­plir le rôle du Christ ; la mis­sion qu’il nous a don­née, nous devons l’accomplir en pre­nant pour but celui qu’il s’est pro­po­sé. Et comme n’avoir qu’un même vou­loir et une même aver­sion est le propre d’une solide ami­tié, nous sommes tenus, en qua­li­té d’amis, de confor­mer nos sen­ti­ments à ceux de Jésus-​Christ, qui est saint, inno­cent et sans tache (Hb 7, 26). Envoyés par Lui, nous devons gagner l’esprit des hommes à ses doc­trines et à sa loi, en com­men­çant d’abord par les obser­ver nous-​mêmes ; en tant que par­ti­ci­pant à son pou­voir de déli­vrer les âmes des liens du péché, nous avons l’obligation de faire tout ce qui est en notre pou­voir pour nous pré­ser­ver nous-​mêmes du péché.

71. Mais par-​dessus tout, en tant que ses ministres dans l’offrande du Sacrifice par excel­lence, per­pé­tuel­le­ment renou­ve­lé pour le salut du monde, nous devons nous mettre dans le même état d’esprit que celui dans lequel, Hostie imma­cu­lée, il s’est offert à Dieu sur l’autel de la Croix. Car si, autre­fois, où il ne s’agissait que d’apparences et de figures, une si grande sain­te­té était requise des prêtres, qu’en sera-​t-​il de nous main­te­nant que la vic­time est le Christ ! « Combien donc ne doit pas être plus pur celui qui prend part à un tel sacri­fice ? plus imma­cu­lée que le rayon de soleil la main qui par­tage cette chair, la bouche que rem­plit un feu spi­ri­tuel, la langue que rou­git un sang si redou­table ? » [1]

Avec une grande jus­tesse, saint Charles Borromée insis­tait sur ce point dans ses dis­cours à son cler­gé : « Si nous nous rap­pe­lions, nos très chers frères, quelles grandes et saintes choses le Seigneur Dieu a dépo­sées en nos mains, quelle force aurait cette consi­dé­ra­tion pour nous por­ter à mener une vie digne d’hommes d’Eglise ! Qu’y a‑t-​il que le Seigneur n’ait mis dans ma main quand il y a dépo­sé son Fils unique, coéter­nel et égal à lui ? Il a mis en ma main tous ses tré­sors, ses sacre­ments et ses grâces ; il y a pla­cé les âmes, qui sont ce qu’il a de plus cher, qu’il a pré­fé­rées à lui-​même dans son amour, qu’il a rache­tées de son sang ; il a mis en ma main le ciel pour que je puisse l’ouvrir et le fer­mer aux autres… Comment donc pourrais-​je être assez ingrat, après tant de faveurs et d’amour, pour pécher contre lui ? pour lui man­quer de res­pect ? pour souiller un corps qui est le sien ? pour désho­no­rer cette digni­té, cette vie consa­crée à son ser­vice ? » [2]

Sollicitude de l’Eglise pour la sanctification du prêtre

72. A cette sain­te­té de vie, sur laquelle il est bon de pro­lon­ger encore un peu cet entre­tien, l’Eglise tend par de grands et inces­sants efforts. Les Séminaires ont été ins­ti­tués dans ce but : si ceux qu’on y élève en vue du recru­te­ment du cler­gé doivent être ins­truits dans les lettres et les sciences, cepen­dant il faut sur­tout qu’ils soient en même temps for­més dès leurs plus tendres années à tout ce qui concerne la pié­té. Ensuite, comme une mère vigi­lante, l’Eglise, tout en fai­sant avan­cer les can­di­dats par divers degrés que séparent de longs inter­valles, n’épargne pas ses exhor­ta­tions à la sainteté.

Il Nous plaît de rap­pe­ler ici ces étapes. Dès qu’elle nous a enrô­lés dans la milice sacrée, l’Eglise a vou­lu que nous pre­nions un enga­ge­ment for­mel : Le Seigneur est la part de mon héri­tage et de mon calice : c’est vous, Seigneur, qui me ren­drez mon héri­tage (Ps 15, 5). Par ces paroles, dit saint Jérôme, le clerc est aver­ti que celui qui est lui-​même la part du Seigneur ou qui a le Seigneur en par­tage doit se mon­trer tel que lui-​même pos­sède le Seigneur et soit pos­sé­dé par lui [3].

II. Les exigences de cette sainteté

73. Quel grave lan­gage tient l’Eglise à ceux qui vont être pro­mus au sous-​diaconat ! « Vous devez consi­dé­rer atten­ti­ve­ment et à plu­sieurs reprises quelle charge vous assu­mez libre­ment aujourd’hui… ; si vous rece­vez cet ordre, il ne vous sera plus per­mis de reve­nir sur votre des­sein, mais il vous fau­dra res­ter pour tou­jours au ser­vice de Dieu et gar­der, avec son aide, la chas­te­té » [4]. Et enfin : « Si jusqu’à pré­sent vous avez été négli­gents en ce qui concerne l’Eglise, désor­mais vous devez être assi­dus ; si jusqu’à pré­sent vous avez été som­no­lents, vous devez désor­mais être vigi­lants ; si jusqu’à pré­sent vous avez été déshon­nêtes, désor­mais vous devez être chastes… Songez au minis­tère qui vous est confié ! » [5]

Pour ceux qui vont rece­voir le dia­co­nat, l’Eglise adresse à Dieu cette prière par la bouche de l’évêque : « Qu’il y ait en eux abon­dance de toute sorte de ver­tus, une auto­ri­té modeste, une pudeur constante, la pure­té de l’innocence et la fidé­li­té à la dis­ci­pline spi­ri­tuelle. Que vos pré­ceptes, Seigneur, res­plen­dissent dans leurs mœurs, et que leur chas­te­té exem­plaire porte le peuple à les imi­ter sain­te­ment » [6].

Mais les aver­tis­se­ments qu’elle adresse à ceux qui vont rece­voir le sacer­doce émeuvent encore plus pro­fon­dé­ment : « C’est avec une grande crainte qu’il faut s’élever à une si haute digni­té, et l’on doit veiller à ce que ceux qui sont élus se recom­mandent par une sagesse céleste, des moeurs sans reproche et une conti­nuelle obser­va­tion de la jus­tice… Que le par­fum de votre vie soit un des attraits de l’Eglise de Dieu, en sorte que, par la pré­di­ca­tion et l’exemple, vous construi­siez la mai­son, c’est-à-dire la famille de Dieu. » Plus pres­sant que tous est le conseil très grave qu’elle ajoute : « Conformez votre vie aux mys­tères que vous célé­brez » [7], ce qui est conforme aux pré­ceptes de saint Paul Que nous ren­dions tout homme par­fait dans le Christ Jésus [8].

74. Ainsi donc, puisque telle est la pen­sée de l’Eglise sur la vie du prêtre, per­sonne n’est en droit de s’étonner de l’unanimité des saints Pères et Docteurs à ensei­gner sur ce point une doc­trine qui, à cer­tains esprits, pour­rait sem­bler presque exces­sive ; tou­te­fois, si on les étu­die sage­ment, on ne recon­naî­tra dans leur ensei­gne­ment rien que de très vrai et de très juste. Cette doc­trine, la voi­ci som­mai­re­ment. Entre le prêtre et un hon­nête homme quel­conque, il doit y avoir autant de dif­fé­rence qu’entre le ciel et la terre ; et, pour cette rai­son, le prêtre doit prendre garde que sa ver­tu soit exempte de tout reproche, non seule­ment en matière grave, mais encore en matière légère. Le Concile de Trente fait sien le juge­ment de ces hommes si véné­rables lorsqu’il aver­tit les clercs de fuir « même les fautes légères, parce que, com­mises par eux, elles seraient très graves » [9]. Très graves, en effet, non pas en elles-​mêmes, mais eu égard à celui qui les com­met­trait, et à qui, à bien meilleur droit qu’aux édi­fices de nos temples, s’applique cette parole : La sain­te­té convient à ta mai­son [10].

Vertus passives : humilité, obéissance, renoncement

75. Or, cette sain­te­té, dont l’absence chez un prêtre serait funeste, il faut exa­mi­ner en quoi elle consiste car qui­conque l’ignorerait ou se trom­pe­rait à ce sujet cour­rait cer­tai­ne­ment un grand danger.

Il y en a qui pensent, qui osent même ensei­gner que le mérite d’un prêtre consiste uni­que­ment à se dépen­ser sans réserve au ser­vice du pro­chain ; en consé­quence, lais­sant presque entiè­re­ment de côté ces ver­tus par les­quelles l’homme tra­vaille à sa propre per­fec­tion (et qu’ils appellent pour cela ver­tus pas­sives), ils pré­tendent qu’il faut consa­crer toutes ses forces et tout son zèle à culti­ver et à pra­ti­quer les ver­tus actives. Cette doc­trine est étran­ge­ment erro­née et per­ni­cieuse. C’est d’elle que Notre Prédécesseur, d’heureuse mémoire, a écrit dans sa sagesse : « Pour pré­tendre qu’il y a des ver­tus chré­tiennes plus appro­priées que d’autres à cer­taines époques, il fau­drait oublier les paroles de l’Apôtre : Ceux qu’il a connus d’avance, il les a aus­si pré­des­ti­nés à deve­nir conformes à l’image de son Fils (Rm 8, 29). Le Maître et le modèle de toute sain­te­té, c’est le Christ ; c’est sur lui que doit se régler qui­conque désire entrer au séjour des Bienheureux. Or, le Christ ne change pas au cours des siècles, mais il est le même hier et aujourd’hui : et il sera le même dans tous les siècles (Hb 13, 8). C’est donc aux hommes de tous les âges que s’adresse cette parole : Recevez mes leçons, car je suis doux et humble de cœur (Mt 11, 29) ; c’est à tous les temps que le Christ se montre à nous obéis­sant jusqu’à la mort (Ph 2, 8) ; elle vaut pour tous les temps la maxime de l’Apôtre : Ceux qui sont au Christ ont cru­ci­fié leur chair avec ses vices et ses convoi­tises (Ga 5, 24). » [11]

76. Ces ensei­gne­ments s’adressent sans doute à tous les fidèles ; tou­te­fois, ils concernent plus immé­dia­te­ment les prêtres. Que ceux-​ci s’appliquent spé­cia­le­ment ce que, dans son zèle apos­to­lique, Notre Prédécesseur ajou­tait : « Plût à Dieu qu’il y eût main­te­nant un plus grand nombre d’hommes à pra­ti­quer ces ver­tus comme les pra­ti­quaient les saints des temps pas­sés qui, par leur humi­li­té, leur obéis­sance, leur tem­pé­rance, furent puis­sants en œuvre et en parole, pour le plus grand pro­fit non seule­ment de la reli­gion, mais encore de la socié­té civile ! » [12]

Ici il n’est pas inutile de faire remar­quer que ce Pontife si sage a eu par­fai­te­ment rai­son de men­tion­ner spé­cia­le­ment la tem­pé­rance, cette ver­tu que nous appe­lons, dans la langue évan­gé­lique, le renon­ce­ment. Car c’est sur­tout en cette ver­tu, chers Fils, que résident et la force, et la puis­sance, et l’efficacité de tout minis­tère sacer­do­tal ; c’est en la négli­geant que le prêtre com­met tout ce qui, dans ses moeurs, est de nature à offen­ser les yeux et les âmes des fidèles. En effet, si l’on tra­vaille en vue d’un gain misé­rable, si l’on se mêle aux affaires sécu­lières, si l’on brigue les pre­mières places et si l’on dédaigne les autres, si l’on s’attache à la chair et au sang, si l’on cherche à plaire aux hommes, si l’on compte sur les paroles per­sua­sives de la sagesse humaine, tout cela vient de ce qu’on néglige le pré­cepte du Christ et de ce qu’on rejette la condi­tion posée par lui : Si quelqu’un veut me suivre, qu’il renonce à soi-​même (Mt 16, 24).

Le don de soi au prochain

77. Tout en insis­tant par­ti­cu­liè­re­ment sur ce point, Nous n’en aver­tis­sons pas moins le prêtre qu’en fin de compte ce n’est pas pour lui seul qu’il doit se sanc­ti­fier car il est l’ouvrier que le Christ est venu.., louer pour sa vigne (Mt 20, 1). C’est donc à lui qu’il appar­tient d’arracher les herbes folles, d’en semer d’utiles, d’arroser, de veiller à ce que l’homme enne­mi ne vienne pas semer l’ivraie sur le bon grain. Le prêtre doit dès lors prendre garde qu’un sou­ci incon­si­dé­ré de sa per­fec­tion intime ne l’entraîne à omettre quelque devoir de sa charge se rap­por­tant au bien du pro­chain, comme la pré­di­ca­tion de la parole de Dieu, les confes­sions à entendre, l’assistance des malades, prin­ci­pa­le­ment des mori­bonds, l’instruction reli­gieuse des igno­rants, la conso­la­tion des affli­gés, le retour des éga­rés, enfin l’imitation par­faite du Christ, qui pas­sa en fai­sant le bien et en gué­ris­sant tous ceux qui étaient tour­men­tés par le démon (Ac 10, 38).

Se considérer comme simples instruments

78. Mais en tout cela, qu’il ait tou­jours pré­sent à l’esprit le grave aver­tis­se­ment de saint Paul : Ni celui qui plante ni celui qui arrose ne sont rien : mais Dieu qui fait croître est tout (1 Co 3, 7).

Nous pou­vons aller et semer dans les larmes ; nous pou­vons entre­te­nir nos semences au prix d’un labeur consi­dé­rable ; mais qu’elles germent et pro­duisent les fruits qu’on en attend, cela ne dépend que de Dieu et de son secours tout-​puissant. Il importe extrê­me­ment de consi­dé­rer, en outre, que les hommes ne sont que des ins­tru­ments dont Dieu se sert pour le salut des âmes ; il faut donc qu’ils soient aptes à être maniés par Dieu. Et de quelle manière ? Croyons-​nous que Dieu soit déter­mi­né par nos qua­li­tés natu­relles ou acquises à uti­li­ser notre concours en vue de l’extension de sa gloire ? Nullement car il est écrit : Dieu a choi­si ce qui est insen­sé selon le monde pour confondre les sages ; Dieu a choi­si ce qui est faible aux yeux du monde pour confondre la force ; et Dieu a choi­si ce qui est humble et mépri­sable au gré du monde, ce qui n’est rien, pour détruire ce qui est (1 Co 1, 27–28).

III. Les moyens de la sainteté

La prière

79. Il n’y a, en véri­té, qu’une chose qui unisse l’homme à Dieu, une seule qui le rende agréable à Dieu et en fasse un ministre non indigne de sa misé­ri­corde : c’est la sain­te­té de la vie et des mœurs. Si cette sain­te­té, qui consiste sur­tout dans la connais­sance sur­émi­nente de Jésus-​Christ, manque au prêtre, tout lui manque. Car, sans elle, même les tré­sors d’une science remar­quable (que Nous Nous effor­çons Nous-​même de pro­mou­voir dans le cler­gé), même l’habileté pra­tique et le savoir-​faire, quoiqu’ils puissent être de quelque uti­li­té à l’Eglise ou aux indi­vi­dus, sont néan­moins une source fré­quente de pré­ju­dices déplorables.

Mais un homme pro­fon­dé­ment saint, fût-​il le der­nier de tous, com­bien d’œuvres mer­veilleuses ne peut-​il pas entre­prendre et mener à bonne fin pour le salut du peuple de Dieu ! De nom­breux témoi­gnages l’ont mon­tré en tout temps. Nous en avons une preuve écla­tante, et dont le sou­ve­nir n’est pas éloi­gné, dans Jean-​Baptiste Vianney, ce par­fait pas­teur d’âmes, à qui Nous Nous réjouis­sons d’avoir Nous-​même décer­né les hon­neurs dus aux Bienheureux.

La sain­te­té seule nous rend tels que l’exige notre voca­tion divine, c’est-à-dire des hommes cru­ci­fiés au monde et aux­quels le monde soit cru­ci­fié ; des hommes mar­chant dans une vie nou­velle, des hommes qui, selon le conseil de l’Apôtre (2 Co 6, 5–7), se montrent ministres de Dieu par les tra­vaux, par les veilles, par les jeûnes, par la chas­te­té, par la science, par la patience, par la sua­vi­té, par l’Esprit Saint, par une cha­ri­té sans feinte, par la sin­cé­ri­té du lan­gage ; des hommes qui n’aspirent qu’aux biens célestes et tra­vaillent de toutes leurs forces à y conduire le prochain.

80. Mais parce que, comme per­sonne ne l’ignore, la sain­te­té de vie est le fruit de notre volon­té en tant que celle-​ci est for­ti­fiée par le secours de la grâce divine, Dieu a pour­vu lui-​même abon­dam­ment à ce que le don de sa grâce, si nous le vou­lions, ne nous fît jamais défaut ; nous pou­vons l’obtenir sur­tout par une prière assi­due. Il existe néces­sai­re­ment, entre la prière et la sain­te­té, une dépen­dance telle que l’une ne peut, en aucune façon, exis­ter sans l’autre. A cet égard, elle est d’une véri­té abso­lue, la parole de saint Jean Chrysostome : « J’estime qu’il est mani­feste aux yeux de tous que vivre ver­tueu­se­ment est tout sim­ple­ment impos­sible sans le secours de la prière » [13] ; saint Augustin conclut, de même, par ce trait : « Celui-​là sait bien vivre qui sait bien prier » [14]. Ces ensei­gne­ments, le Christ lui-​même nous les a fer­me­ment incul­qués, soit par ses fré­quentes exhor­ta­tions, soit prin­ci­pa­le­ment par ses exemples. En effet, pour prier il se reti­rait dans les déserts ou gra­vis­sait seul les mon­tagnes ; il pas­sait des nuits entières absor­bé dans la prière ; il allait fré­quem­ment au Temple, et même lorsque les foules se pres­saient autour de lui, il priait, les yeux levés au ciel ; enfin, atta­ché à la Croix, en pleine ago­nie, il sup­plia son Père avec larmes et gémissements.

Considérons donc comme cer­tain et bien éta­bli que le prêtre, pour tenir digne­ment son rang et rem­plir son devoir, doit se consa­crer avant tout à la prière. Trop sou­vent hélas ! il le fait plu­tôt par habi­tude que par fer­veur ; il récite non­cha­lam­ment l’office aux heures fixées, n’y ajoute que peu de prières per­son­nelles et ne songe à consa­crer à Dieu aucun ins­tant de la jour­née par de pieuses oraisons.

Le prêtre, en effet, beau­coup plus que tout autre, doit obéir au pré­cepte du Christ : Il faut tou­jours prier (Lc 18, 1), pré­cepte que saint Paul recom­mande très ins­tam­ment : Persévérez dans la prière, apportez‑y de la vigi­lance avec des actions de grâces (Col 4, 2) ; priez sans cesse (1 Th 5, 17).

81. Que d’occasions de s’élever vers Dieu se pré­sentent, durant le jour, pour une âme pos­sé­dée du désir de sa propre sanc­ti­fi­ca­tion non moins que du salut du pro­chain ! Les angoisses intimes, la vio­lence et l’opiniâtreté des ten­ta­tions, le manque de ver­tu, l’impuissance et la sté­ri­li­té des œuvres, les péchés et les négli­gences sans nombre, la crainte enfin des juge­ments divins, tout nous excite vive­ment à pleu­rer en pré­sence du Seigneur et, après avoir obte­nu son secours, à nous enri­chir faci­le­ment par l’acquisition de mérites.

Nous ne devons pas pleu­rer seule­ment sur nous. Dans ce déluge de crimes qui va se répan­dant et s’élargissant par­tout, c’est à nous sur­tout qu’il appar­tient d’implorer et de flé­chir la divine clé­mence ; c’est à nous de prier ins­tam­ment le Christ qui, dans son immense bon­té, nous pro­digue toutes les grâces dans son admi­rable sacre­ment : Epargnez, Seigneur, épar­gnez votre peuple.

a) La méditation quotidienne

82. Un point d’une grande impor­tance, c’est que chaque jour un temps déter­mi­né soit réser­vé à la médi­ta­tion des véri­tés éter­nelles. Aucun prêtre ne peut s’en dis­pen­ser sans encou­rir un grave reproche de négli­gence et un dom­mage pour son âme. Saint Bernard, le très saint abbé, écri­vant à Eugène III, jadis son élève, deve­nu depuis Pontife romain, l’avertissait fran­che­ment et ins­tam­ment de ne jamais omettre la médi­ta­tion quo­ti­dienne des choses divines, de ne jamais prendre excuse des occu­pa­tions mul­tiples et très graves que com­porte l’apostolat suprême. Il s’efforçait de jus­ti­fier sa recom­man­da­tion en énu­mé­rant avec une grande sagesse les avan­tages de cet exer­cice : « La médi­ta­tion puri­fie la source d’où elle jaillit : l’esprit. Elle règle en outre les affec­tions, dirige les actes, cor­rige les excès, gou­verne les mœurs, rend la vie hon­nête et ordon­née ; enfin, elle pro­cure éga­le­ment la science des choses divines et des choses humaines. C’est elle qui pré­cise ce qui est confus, res­serre ce qui est relâ­ché, ras­semble ce qui est dis­per­sé, scrute ce qui est caché, recherche ce qui est vrai, exa­mine ce qui est vrai­sem­blable, dévoile ce qui est dégui­sé et trom­peur. C’est elle qui règle d’avance les actions et repasse ce qui a été fait, afin que rien ne reste dans l’esprit qui n’ait été cor­ri­gé ou ait besoin de l’être. C’est elle qui dans la pros­pé­ri­té pressent l’adversité, et dans l’adversité demeure pour ain­si dire insen­sible : deux ver­tus dont l’une est la force et l’autre la pru­dence » [15]. Cet ensemble de rares ser­vices que la médi­ta­tion est appe­lée à nous rendre nous apprend et nous aver­tit com­bien elle nous est non seule­ment en tout point salu­taire, mais abso­lu­ment nécessaire.

83. En effet, quelque véné­rables et augustes que soient les diverses fonc­tions du sacer­doce, il arrive pour­tant que la force de l’habitude altère chez ceux qui les accom­plissent le res­pect reli­gieux qu’elles méritent ; et la fer­veur dimi­nuant peu à peu, ils se laissent aller faci­le­ment à la tié­deur et, tôt ou tard, au dégoût des choses les plus sacrées. Ajoutez que c’est une néces­si­té pour le prêtre de pas­ser sa vie pour ain­si dire au milieu d’une socié­té mau­vaise ; en sorte que, sou­vent, dans l’exercice même de sa cha­ri­té pas­to­rale, il doit redou­ter que l’infernal ser­pent ne lui tende des pièges. Car trop faci­le­ment, même les âmes reli­gieuses se souillent au contact de la pous­sière du monde.

Combien grave et urgente appa­raît donc pour le prêtre la néces­si­té de reve­nir chaque jour à la contem­pla­tion des véri­tés éter­nelles, afin de raf­fer­mir, par le renou­vel­le­ment de vigueur qu’il y puise, son esprit et sa volon­té contre toutes ces embûches.

84. En outre, il importe au prêtre d’être doué d’une cer­taine apti­tude à s’élever et à tendre vers les choses du ciel, puisque son devoir rigou­reux est de les goû­ter, les ensei­gner, les incul­quer ; puisqu’il doit ordon­ner toute sa vie d’une manière sur­na­tu­relle, en accom­plis­sant tous les devoirs de son minis­tère selon Dieu, sous l’inspiration et la direc­tion de la foi. Ce qui sur­tout éta­blit et main­tient le prêtre dans cet état d’âme, dans cette union pour ain­si dire natu­relle avec Dieu, c’est la pra­tique salu­taire de la médi­ta­tion quo­ti­dienne ; véri­té tel­le­ment évi­dente pour tout homme sage qu’il est inutile d’insister plus longuement.

85. Cet état de choses n’est hélas ! que trop confir­mé dans la vie des prêtres qui appré­cient peu ou même prennent abso­lu­ment en dégoût la médi­ta­tion des véri­tés divines. Ce sont, en effet, des hommes en qui le sens du Christ (1 Co 2, 16), ce bien si pré­cieux, s’est presque éteint ; des hommes entiè­re­ment tour­nés vers les choses de la terre, en quête de fri­vo­li­tés, se per­dant en com­mé­rages futiles, s’acquittant de leurs fonc­tions avec relâ­che­ment, froi­deur et peut-​être indi­gni­té. Jadis, impré­gnés de l’onction sacer­do­tale toute récente, ils se pré­pa­raient avec soin à l’office, pour ne pas res­sem­bler à des hommes qui tentent Dieu ; ils choi­sis­saient les temps les plus pro­pices et les endroits les plus silen­cieux : ils s’appliquaient à scru­ter les divines révé­la­tions ; ils louaient, ils gémis­saient, ils tres­saillaient, ils se répan­daient en prières avec le Psalmiste. Et main­te­nant, comme ils sont changés !

De même, ils ne gardent presque plus rien de cette pié­té vive qu’ils éprou­vaient autre­fois pour les mys­tères divins. Qu’ils aimaient alors les taber­nacles ! Leur cœur tres­saillait de se trou­ver auprès de la table du Seigneur et d’y atti­rer un nombre crois­sant d’âmes pieuses. Par quelle pure­té, par quelles prières leur âme rem­plie de désir se pré­pa­rait à la messe ! Avec quel res­pect ils la célé­braient, en obser­vant dans leur inté­gri­té majes­tueuse ces augustes céré­mo­nies ! Quelles expan­sions affec­tueuses dans l’action de grâces, et quelle heu­reuse effu­sion du par­fum du Christ sur leur peuple !… Rappelez-​vous, Nous vous en sup­plions, bien-​aimés Fils, rappelez-​vous… ces jours d’autrefois (Hb 10, 32) ; votre âme, nour­rie de saintes médi­ta­tions, était alors pleine d’ardeur.

86. Parmi ceux à qui pèse ce recueille­ment du cœur (Jr 12, 11) ou qui le négligent, il n’en manque pas qui ne cherchent guère à dis­si­mu­ler la pau­vre­té intime qui en résulte, et s’en excusent sous le pré­texte qu’ils se sont jetés sans réserve dans le tour­billon du minis­tère pour rendre de mul­tiples ser­vices au prochain.

Erreur lamen­table ! N’ayant pas l’habitude de conver­ser avec Dieu, lorsqu’ils en parlent aux hommes ou leur donnent des conseils pour la pra­tique de la vie chré­tienne, ils manquent tota­le­ment du souffle divin, en sorte que la parole évan­gé­lique semble presque morte en eux. Leur voix, si van­tée qu’elle soit pour son habi­le­té et son élo­quence, ne rend nul­le­ment le son de la voix du Bon Pasteur que les bre­bis écoutent avec pro­fit ; elle résonne et se répand dans le vide, ce qui est par­fois d’un fâcheux exemple, désho­nore la reli­gion et scan­da­lise les bons.

De même, sur les autres ter­rains de leur acti­vi­té, elle ne pro­duit qu’un effet peu solide ou très éphé­mère, car il lui manque la rosée céleste qu’attire en abon­dance la prière de celui qui s’humilie (Si 35, 21).

87. Et ici Nous ne pou­vons nous empê­cher de déplo­rer vive­ment la conduite de ceux qui, entraî­nés par de per­ni­cieuses nou­veau­tés, osent sou­te­nir un avis oppo­sé et consi­dèrent comme per­du le temps consa­cré à la prière et à la médi­ta­tion. Ô funeste aveu­gle­ment ! Plaise à Dieu que, s’examinant conscien­cieu­se­ment, ils recon­naissent enfin à quoi abou­tissent cette négli­gence et ce mépris de la prière. Un orgueil opi­niâtre les domine bien­tôt et pro­duit en eux de si lamen­tables effets que Notre cœur pater­nel se refuse à rap­pe­ler et désire abso­lu­ment supprimer.

Que Dieu entende Notre vœu ! Que, jetant sur les éga­rés un regard misé­ri­cor­dieux, il répande sur eux en telle abon­dance l’esprit de grâce et de prière (Za 12, 10) qu’ils déplorent leur erreur, qu’ils rentrent de plein gré, à la joie de tous, dans les voies qu’ils ont eu tort de quit­ter et qu’ils les par­courent avec plus de pru­dence. Comme jadis l’Apôtre (cf. Ph 1, 8), Nous pre­nons Dieu à témoin que c’est avec le Cœur même de Jésus-​Christ que Nous dési­rons les voir tous revenir.

88. Qu’ils gravent donc, et vous tous, Fils bien-​aimés, gra­vez pro­fon­dé­ment en vous Notre exhor­ta­tion, qui n’est autre que celle du Seigneur Jésus-​Christ : Considérez, veillez et priez (Mc 13, 33). Que cha­cun exerce prin­ci­pa­le­ment son acti­vi­té dans l’application à médi­ter pieu­se­ment ; qu’il aug­mente en même temps sa confiance par cette demande per­sé­vé­rante : Seigneur, apprenez-​nous à prier (Lc 11, 1). Nous avons, pour médi­ter, une rai­son spé­ciale, très impor­tante : c’est la puis­sance de conseil et de ver­tu que nous y pui­se­rons et qui nous est si utile pour la bonne direc­tion des âmes, œuvre dif­fi­cile entre toutes.

C’est à ce pro­pos que saint Charles écri­vait ce mémo­rable avis pastoral :

« Comprenez, mes Frères, que rien n’est aus­si néces­saire à tous les ecclé­sias­tiques que l’oraison men­tale avant, pen­dant et après toutes nos actions. Je chan­te­rai, dit le pro­phète, et je com­pren­drai (Ps 100, 1–2). Vous admi­nis­trez les sacre­ments, ô mon Frère, médi­tez ce que vous faites ; vous célé­brez la messe, médi­tez ce que vous offrez ; vous réci­tez l’office, médi­tez sur celui à qui vous vous adres­sez et sur ce que vous lui dites ; vous diri­gez les âmes, médi­tez sur le sang qui les a purifiées ».

Ex ora­tione ad clerum

C’est donc à bon droit que l’Eglise nous invite à répé­ter sou­vent ces pen­sées de David : Bienheureux l’homme qui… médite la loi du Seigneur, qui y fixe sa volon­té jour et nuit ;… tout ce qu’il fera lui réus­si­ra (Ps 1, 1–3).

Voici un der­nier motif d’encouragement, aus­si noble que tous les autres. Puisque le prêtre est appe­lé un autre Christ, et l’est vrai­ment en ver­tu de la com­mu­ni­ca­tion des pou­voirs, ne doit-​il pas, de fait et en tout point, se rendre et paraître tel par l’imitation de ses actes ? … « Que notre prin­ci­pale étude soit donc de médi­ter la vie de Jésus-​Christ » [16].

b) La lecture des Livres saints

89. Il importe beau­coup que le prêtre joigne à la médi­ta­tion quo­ti­dienne des choses divines la lec­ture des livres pieux, sur­tout de ceux qui ont été divi­ne­ment ins­pi­rés. C’est ce que saint Paul deman­dait à Timothée : Applique-​toi à la lec­ture (1 Tm 4, 13). De même, saint Jérôme, ins­trui­sant Népotien de ce qui concerne la vie sacer­do­tale, le pres­sait de ne jamais aban­don­ner la lec­ture des saints Livres et il en don­nait la rai­son sui­vante : « Apprends ce que tu dois ensei­gner : acquiers la vraie doc­trine qui a été ensei­gnée, afin que tu sois en état d’exhorter selon la saine doc­trine et de réfu­ter ceux qui la contre­disent » [17]. Quel pro­fit, en effet, retirent les prêtres constam­ment fidèles à cette pra­tique ! Avec quelle onc­tion ils prêchent le Christ ! Comme, au lieu d’amollir et de flat­ter les esprits et les cœurs de leurs audi­teurs, ils les poussent à deve­nir meilleurs et les portent à dési­rer les biens célestes !

90. Mais c’est encore à un autre titre, chers Fils, que peut être pour vous fécond en résul­tats le pré­cepte du même saint Jérôme : « Que les Livres saints soient tou­jours dans tes mains » [18].

Qui donc ignore l’influence immense qu’exerce sur l’esprit d’un ami la voix de l’ami qui l’avertit fran­che­ment, l’aide de ses conseils, le reprend, le relève, le détourne de l’erreur ? Bienheureux celui qui trouve un ami véri­table… (Si 25, 12) ; celui qui l’a trou­vé a trou­vé un tré­sor (Si 6, 14). Nous devons, dès lors, mettre les livres pieux au nombre de nos amis vrai­ment fidèles.

Car ils nous rap­pellent sévè­re­ment à nos devoirs et aux pres­crip­tions de la dis­ci­pline légi­time ; ils réveillent dans nos cœurs les voix célestes qu’on vou­drait étouf­fer ; ils secouent la tor­peur de nos bons pro­pos ; ils ne nous laissent pas endor­mir dans une tran­quilli­té per­fide ; ils nous reprochent nos affec­tions moins recom­man­dables ou dis­si­mu­lées ; ils découvrent aux impru­dents les dan­gers qui sou­vent les attendent. Ils nous rendent tous ces bons offices avec une bien­veillance si dis­crète qu’ils sont pour nous non seule­ment des amis, mais encore, et de beau­coup, les meilleurs des amis. Nous pou­vons en dis­po­ser à volon­té ; ils se tiennent pour ain­si dire à nos côtés, prêts à toute heure à sub­ve­nir aux besoins de nos âmes ; leur voix n’est jamais dure ; leurs conseils, jamais inté­res­sés ; leur parole, jamais timide ou mensongère.

91. De nom­breux et remar­quables exemples démontrent l’efficacité très salu­taire des livres pieux, mais elle appa­raît sur­tout dans l’exemple de saint Augustin, car ce fut pour lui le point de départ de ses mérites immenses dans l’Eglise : « Prends, lis ; prends, lis… Je pris (les Épîtres de l’apôtre saint Paul), j’ouvris et je lus en silence… Comme si la lumière qui donne la paix avait enva­hi mon esprit, toutes les ténèbres de mes doutes se dis­si­pèrent » [19].

Au contraire, il arrive, hélas ! trop fré­quem­ment de nos jours, que des membres du cler­gé se laissent peu à peu enva­hir par les ténèbres du doute et s’engagent dans les voies per­verses du siècle, sur­tout parce qu’ils pré­fèrent aux livres pieux et divins des publi­ca­tions de tout genre et une mul­ti­tude de jour­naux qui répandent à pro­fu­sion l’erreur sub­tile et la corruption.

Tenez-​vous sur vos gardes, Fils bien-​aimés : ne vous fiez pas à votre âge avan­cé, ne vous lais­sez pas abu­ser par l’espoir illu­soire que vous pour­rez ain­si pour­voir au bien com­mun d’une manière plus effi­cace. Ne sor­tez pas des limites sûres qu’ont tra­cées les lois de l’Eglise, ou que vous imposent la pru­dence et le salut de votre âme. Quiconque, en effet, laisse une seule fois son esprit s’imprégner de ces poi­sons échap­pe­ra très rare­ment aux consé­quences désas­treuses du fléau dont il aura intro­duit le germe.

c) L’examen de conscience

92. Or, le pro­fit que le prêtre attend soit de ses lec­tures pieuses, soit de la médi­ta­tion des choses célestes, sera cer­tai­ne­ment plus abon­dant s’il a recours à une sorte de cri­tère lui per­met­tant de recon­naître s’il s’applique dans un esprit vrai­ment reli­gieux à faire pas­ser dans la pra­tique de sa vie ses lec­tures et ses médi­ta­tions. Rien de mieux sous ce rap­port que l’excellent conseil don­né par saint Jean Chrysostome prin­ci­pa­le­ment aux prêtres. Chaque jour, à l’approche de la nuit, avant que le som­meil vienne, « fais com­pa­raître en juge­ment ta conscience, demande-​lui qu’elle te rende ses comptes, et si tu as conçu de mau­vais des­seins durant le jour… perce-​les, déchire-​les et fais-​en péni­tence » [20].

Combien cet exer­cice est oppor­tun et fécond pour la ver­tu chré­tienne, les maîtres les plus sages de la vie spi­ri­tuelle le démontrent excel­lem­ment par les meilleures rai­sons et exhor­ta­tions. Il Nous plaît de citer ce pas­sage remar­quable de la règle de saint Bernard : « En inves­ti­ga­teur dili­gent de ta pure­té d’âme, sou­mets ta vie à un exa­men quo­ti­dien. Recherche avec soin en quoi tu as gagné, en quoi tu as per­du… Applique-​toi à te connaître toi-​même… Mets sous tes yeux tous tes man­que­ments. Mets-​toi en face de toi-​même comme en face d’un autre ; et dans cet état, frappe-​toi la poi­trine » [21].

93. Ce serait une honte, en véri­té, que sur ce point se véri­fiât la parole du Christ : Les enfants du siècle sont plus sages que les enfants de lumière (Lc 16, 8). Voyez, en effet, avec quelle appli­ca­tion ils s’occupent de leurs affaires : comme ils font sou­vent la balance de leurs dépenses et de leurs recettes ; avec quelle atten­tion et quelle rigueur ils éta­blissent leurs comptes ; com­bien ils s’affligent de leurs pertes et s’excitent eux-​mêmes vive­ment à les répa­rer. Quant à nous, qui peut-​être brû­lons du désir d’arriver aux hon­neurs, d’accroître notre patri­moine, d’obtenir uni­que­ment de la renom­mée et de la gloire par notre science, nous trai­tons avec mol­lesse et dégoût la plus impor­tante et la plus dif­fi­cile de toutes les affaires, à savoir l’acquisition de la sain­te­té. A peine de temps en temps nous recueillons-​nous et examinons-​nous notre âme ; dès lors, celle-​ci croît d’une façon tout à fait désor­don­née comme la vigne du pares­seux dont il est écrit : J’ai tra­ver­sé le champ du pares­seux et le vignoble de l’insensé ; et les orties les avaient entiè­re­ment enva­his, les épines en cou­vraient la sur­face et le mur de pierres était écrou­lé (Pv 24, 30–31). Cette situa­tion s’aggrave du fait que les mau­vais exemples qui mettent en péril la ver­tu même du prêtre vont se mul­ti­pliant autour de lui ; de sorte qu’il doit redou­bler chaque jour de vigi­lance et d’efforts géné­reux. Il est d’expérience que celui qui se livre fré­quem­ment à un sévère exa­men de ses pen­sées, de ses paroles et de ses actions, a plus de force pour détes­ter et fuir le mal en même temps que plus de zèle et d’ardeur pour le bien.

94. Comme l’expérience le démontre éga­le­ment, celui-​là s’expose géné­ra­le­ment à des incon­vé­nients et à des dom­mages, qui évite ce tri­bu­nal où la jus­tice siège comme juge et devant lequel com­pa­raît la conscience, à la fois accu­sée et accu­sa­trice. En lui vous cher­che­riez vai­ne­ment cette cir­cons­pec­tion, si appré­ciée chez le chré­tien, à qui elle fait évi­ter les moindres fautes ; cette déli­ca­tesse de l’âme, qui convient tout par­ti­cu­liè­re­ment au prêtre et qui se trouble de la plus légère offense envers Dieu. Bien plus, cette incu­rie et cet aban­don de soi-​même s’aggravent au point de lui faire même négli­ger le sacre­ment de péni­tence, par lequel le Christ a le plus effi­ca­ce­ment pour­vu, dans son insigne misé­ri­corde, à la fai­blesse humaine.

IV. Souhaits du Pape

N’est-il pas amè­re­ment déplo­rable de consta­ter que, trop sou­vent hélas ! celui qui détourne les autres du péché par une pré­di­ca­tion enflam­mée ne cherche pas à l’éviter lui-​même et s’endurcit dans ses fautes ; il exhorte et presse les autres de laver sans retard, par le rite sacra­men­tel, les souillures de leur âme, mais s’en acquitte lui-​même avec une telle indo­lence qu’il attend des mois entiers pour le faire ; il sait répandre l’huile et le vin salu­taires sur les plaies d’autrui, mais, bles­sé lui-​même et gisant sur le che­min, ne se pré­oc­cupe pas de faire appel à la main secou­rable d’un frère qui est presque à côté de lui. Hélas ! com­bien il en est résul­té et il en résulte encore aujourd’hui, çà et là, d’indignités à l’égard de Dieu et de l’Eglise, de maux pour le peuple chré­tien et de honte pour le sacerdoce !

1. Un clergé digne de l’Eglise

95. Et Nous, chers Fils, tan­dis que, par devoir de conscience Nous médi­tons sur cette lamen­table situa­tion, Notre âme se rem­plit d’amertume et Notre voix éclate en gémis­se­ments. Malheur au prêtre qui ne sait pas tenir son rang et qui souille par ses infi­dé­li­tés le nom du Dieu saint à qui il doit être consa­cré ! La cor­rup­tion de ceux qui ont été très bons est la pire : « Sublime est la digni­té des prêtres, mais pro­fonde est leur déchéance s’ils pèchent ; réjouissons-​nous de leur pro­grès, mais trem­blons pour leur chute : celui qui s’est éle­vé sur les hau­teurs cause moins de joie que n’excite de tris­tesse celui qui est tom­bé des som­mets ! » [22]

Malheur donc au prêtre qui, oublieux de lui-​même, perd le goût de la prière ; qui dédaigne de don­ner à son âme l’aliment des lec­tures de pié­té ; qui ne fait jamais un retour sur lui-​même pour écou­ter la voix accu­sa­trice de sa conscience ! Ni les bles­sures de son âme qui vont s’envenimant, ni les gémis­se­ments de l’Eglise sa mère ne tou­che­ront le mal­heu­reux, jusqu’à ce que s’abattent sur lui ces ter­ribles menaces : Aveugle l’esprit de ce peuple, rends ses oreilles dures, et ferme-​lui les yeux, de peur qu’il ne voie de ses yeux, qu’il n’entende de ses oreilles, qu’il ne com­prenne, qu’il ne se conver­tisse et que je ne le gué­risse (Is 6, 10).

Que le Dieu riche en misé­ri­corde écarte de cha­cun de vous, chers Fils, ce triste oracle ; ce Dieu qui voit Notre cœur, qui le sait exempt d’amertume envers qui que ce soit, est rem­pli d’un amour de pas­teur et de père envers tous : Quelle est, en effet, notre espé­rance ou notre joie, ou notre cou­ronne de gloire ? N’est-ce pas vous qui l’êtes devant Jésus-​Christ Notre-​Seigneur ? (1 Th 2, 19).

96. Mais vous voyez vous-​mêmes, qui que vous soyez, quels temps sont sur­ve­nus pour l’Eglise par un secret des­sein de Dieu. Considérez de même et médi­tez à quel point le devoir qui vous lie est sacré, afin qu’après avoir été hono­rés par elle d’une si haute digni­té, vous vous effor­ciez d’être auprès d’elle, de l’assister dans ses épreuves.

C’est pour­quoi, main­te­nant plus que jamais, le cler­gé a besoin avant tout d’une ver­tu qui ne soit pas ordi­naire ; d’une ver­tu abso­lu­ment exem­plaire, ardente, active, tout à fait dis­po­sée enfin à faire de grandes choses et à souf­frir beau­coup pour le Christ. Et il n’y a rien que Nous deman­dions à Dieu et que Nous vous sou­hai­tions avec plus d’ardeur à tous et à cha­cun de vous.

a) Chasteté et obéissance

97. Qu’en vous donc res­plen­disse d’un éclat inal­té­rable la chas­te­té, le plus bel orne­ment de notre ordre sacer­do­tal car par la beau­té de cette ver­tu, le prêtre devient sem­blable aux anges, appa­raît plus digne de la véné­ra­tion du peuple chré­tien et pro­duit en plus grande abon­dance des fruits de salut. Que le res­pect et l’obéissance, pro­mis solen­nel­le­ment par lui à ceux que le Saint-​Esprit a éta­blis pour gou­ver­ner l’Eglise, se for­ti­fient et s’accroissent conti­nuel­le­ment ; sur­tout que les esprits et les cœurs res­serrent chaque jour davan­tage les liens de la fidé­li­té et de la sou­mis­sion qui sont ducs à si bon droit au Siège Apostolique.

b) Esprit de charité

98. Qu’en vous tous règne une cha­ri­té qui ne recherche en rien son propre avan­tage, afin qu’après avoir maî­tri­sé les aiguillons de la jalou­sie et de l’ambition cupide qui har­cèlent les hommes, tous vos efforts concourent, dans une fra­ter­nelle ému­la­tion, à l’accroissement de la gloire divine.

Elles attendent les bien­faits de votre cha­ri­té, non seule­ment cette mul­ti­tude si mal­heu­reuse de malades, d’aveugles, de boi­teux et de para­ly­tiques, mais encore et sur­tout ces masses de jeunes gens, espoir très cher de la socié­té et de la reli­gion, qu’entourent de toutes parts les pièges et les occa­sions de corruption.

Appliquez-​vous avec ardeur non seule­ment à ensei­gner le caté­chisme, ce que Nous vous recom­man­dons de nou­veau ins­tam­ment, mais aus­si à bien méri­ter de tous par tous les moyens que vous sug­gé­re­ront votre pru­dence et votre zèle. Soit que vous assis­tiez, soit que vous pré­ser­viez, soit que vous gué­ris­siez, soit que vous apai­siez, vous n’aurez pas d’autre des­sein ni de plus ardent désir que de gagner ou de conser­ver des âmes à Jésus-​Christ. Oh ! avec quelle acti­vi­té, quelles fatigues et quelle assu­rance ses enne­mis agissent et s’appliquent pour la perte d’un si grand nombre d’âmes !

L’Eglise catho­lique se réjouit et se glo­ri­fie, par-​dessus tout, du dévoue­ment si digne d’éloges avec lequel son cler­gé annonce la paix chré­tienne et apporte le salut et la civi­li­sa­tion aux peuples sau­vages. Grâce à ses immenses tra­vaux, sou­vent même au prix de son sang, le royaume du Christ s’étend de jour en jour par­mi ces peuples, et la foi chré­tienne retire de ses triomphes une nou­velle splendeur.

Que si, chers Fils, en retour des ser­vices que vous aurez ren­dus sous l’inspiration de votre dévoue­ment, on vous jalouse, on vous accable de reproches, on vous calom­nie, ain­si qu’il arrive trop sou­vent, ne vous lais­sez pas abattre par la tris­tesse, ne vous las­sez pas de faire le bien (2 Th 3, 13).

Ayez devant les yeux ces pha­langes d’hommes, aus­si remar­quables par leur nombre que par leurs mérites, qui, à l’imitation des Apôtres, au milieu des opprobres les plus cruels sup­por­tés pour le nom du Christ, allaient joyeu­se­ment, bénis­sant ceux qui les maudissaient.

Car nous sommes les fils et les frères des saints, dont les noms res­plen­dissent au livre de vie et dont l’Eglise célèbre les mérites : Ne por­tons pas atteinte à notre gloire en com­met­tant un crime ! (1 M 9, 30)

2. Un clergé plus uni

a) à Dieu : retraites

99. Lorsque l’esprit de la voca­tion sacer­do­tale sera renou­ve­lé et accru chez tous les membres du cler­gé, Nos autres pro­jets de réforme, quels qu’ils soient, seront, avec l’aide de Dieu, beau­coup plus effi­caces. C’est pour­quoi il Nous a paru bon d’ajouter à ce que Nous avons déjà dit plus haut quelques conseils pra­tiques qui vous aide­ront à conser­ver et à entre­te­nir votre voca­tion. En pre­mier lieu, il est un exer­cice que tous connaissent et consi­dèrent comme avan­ta­geux, mais que tous ne pra­tiquent pas éga­le­ment, c’est la retraite, pen­dant laquelle l’âme s’adonne aux exer­cices dits spi­ri­tuels : elle doit être annuelle, autant que pos­sible, et se faire, soit indi­vi­duel­le­ment, soit de pré­fé­rence en com­mun, ce second mode étant ordi­nai­re­ment plus fécond en résul­tats, sous réserve, tou­te­fois, des pres­crip­tions épiscopales.

Nous-​même avons déjà fait res­sor­tir les avan­tages de cette ins­ti­tu­tion lorsque Nous avons pris, dans le même ordre d’idées, cer­taines déci­sions rela­tives à la dis­ci­pline du cler­gé romain [23].

Et il ne sera pas moins pro­fi­table aux âmes qu’une retraite de ce genre ait lieu chaque mois, pen­dant quelques heures, en par­ti­cu­lier ou en com­mun. Nous sommes heu­reux de consta­ter que cet usage a été intro­duit en plu­sieurs endroits, avec l’approbation des évêques et par­fois même sous leur présidence.

b) mutuellement : associations, vie communautaire

100. Nous avons à cœur aus­si de recom­man­der aux prêtres d’établir entre eux, ain­si qu’il convient à des frères, une union plus étroite, avec l’approbation et sous la direc­tion de l’autorité épis­co­pale. Il convient sans doute qu’ils se groupent en asso­cia­tion, soit pour s’assurer mutuel­le­ment des res­sources dans le mal­heur, soit pour défendre l’intégrité de leur hon­neur et de leurs fonc­tions contre les embûches des adver­saires, soit pour tout autre motif ana­logue. Mais il leur importe bien davan­tage de s’associer en vue du déve­lop­pe­ment de la science sacrée, et sur­tout dans le but de s’appliquer avec une fer­veur plus grande aux devoirs de leur sainte voca­tion et de mieux tra­vailler au salut des âmes, en met­tant en com­mun leurs idées et leurs efforts. Les annales de l’Eglise attestent qu’aux époques où les prêtres vivaient par­tout en com­mun, ce genre d’association fut fécond en heu­reux résul­tats. Pourquoi ne pourrait-​on pas réta­blir à notre époque quelque chose de sem­blable, en tenant compte de la diver­si­té des pays et des obli­ga­tions ? Ne pourrait-​on pas en attendre à bon droit – et l’Eglise s’en réjoui­rait – les mêmes avan­tages qu’autrefois ?

En fait, il ne manque pas d’associations de cette sorte munies de l’approbation des évêques, et d’autant plus utiles que l’on y entre dès les débuts du sacer­doce. Nous avons Nous-​même, au cours de Notre épis­co­pat, encou­ra­gé une telle asso­cia­tion dont l’expérience Nous avait mon­tré les avan­tages et que Nous conti­nuons encore main­te­nant à entou­rer, ain­si que d’autres sem­blables, de Notre bien­veillance toute particulière.

Ces adju­vants de la grâce sacer­do­tale et ceux du même genre qu’une pru­dence éclai­rée sug­gé­re­ra aux évêques, sui­vant les cir­cons­tances, vous devez, chers Fils, les appré­cier et les uti­li­ser de telle sorte que, de jour en jour, vous mar­chiez plus digne­ment dans le che­min de la voca­tion à laquelle vous avez été appe­lés (Ep 4, 1), fai­sant hon­neur à votre minis­tère et accom­plis­sant en vous la volon­té de Dieu, c’est-à-dire votre sanctification.

Conclusion

101. Tel est, en effet, l’objet prin­ci­pal de Nos pen­sées et de Nos sol­li­ci­tudes ; les yeux levés au ciel, Nous renou­ve­lons sou­vent, pour tout le cler­gé, la sup­pli­ca­tion même de Jésus-​Christ : Père saint… sanctifiez-​les (Jn 17, 11.17). Nous Nous réjouis­sons à la pen­sée qu’un très grand nombre de fidèles de toute condi­tion, se pré­oc­cu­pant vive­ment de votre bien et de celui de l’Eglise, s’unissent à Nous dans cette prière ; il ne Nous est pas moins agréable de savoir qu’il y a aus­si beau­coup d’âmes géné­reuses, non seule­ment dans les cloîtres, mais encore au milieu même de la vie du siècle, qui, dans une obla­tion inin­ter­rom­pue, se pré­sentent en vic­times saintes à Dieu dans ce but.

Que le Très-​Haut agrée, comme un suave par­fum, leurs prières pures et sublimes, et qu’il ne dédaigne pas Nos très humbles sup­pli­ca­tions ; que dans sa misé­ri­corde et sa pro­vi­dence il Nous vienne en aide, Nous l’en sup­plions, et qu’il répande sur tout le cler­gé les tré­sors de grâces, de cha­ri­té et de toute ver­tu que ren­ferme le Cœur très pur de son Fils bien-aimé.

Enfin, il Nous est doux, chers Fils, de vous expri­mer de tout cœur Notre recon­nais­sance pour les sou­haits de bon­heur que vous Nous avez offerts, ins­pi­rés diver­se­ment par votre pié­té filiale à l’approche du cin­quan­tième anni­ver­saire de Notre sacer­doce : les vœux qu’en retour Nous for­mons pour vous, Nous vou­lons les confier à l’auguste Vierge Marie, Reine des Apôtres, afin qu’ils se réa­lisent plus efficacement.

Celle-​ci, en effet, a mon­tré par son exemple aux Apôtres, récem­ment pro­mus au sacer­doce, com­ment ils devaient être assi­dus à la prière com­mune, jusqu’à ce qu’ils fussent revê­tus de la ver­tu d’en haut ; ver­tu que, par ses prières, la Mère de Dieu leur a obte­nue en bien plus grande abon­dance, en même temps qu’elle l’a accrue et for­ti­fiée par ses conseils, pour la plus grande fécon­di­té de leurs travaux.

En atten­dant, Nous sou­hai­tons, chers Fils, que la paix du Christ triomphe dans vos cœurs avec la joie du Saint-​Esprit ; ayez-​en pour gage la Bénédiction Apostolique que Nous vous accor­dons à tous très affectueusement.

Donné à Rome, près St-​Pierre, le 4 août 1908, au début de la sixième année de Notre Pontificat.

PIE X, PAPE.

Notes de bas de page
  1. S. Jean Chrysostome, Hom. LXXXII in Matth., n. 5 : PG 58, 743[]
  2. Hom. Milan 1748, tom. V, p. 77. Orat. II in syn. Dioec. XI, a. 1584[]
  3. cf. Ep. LII ad Nepotianum, n. 5. CV 54, 421 ; PL 22, 531[]
  4. Pontifical Romain, Ordination des sous-​diacres, Monition sur leur enga­ge­ment défi­ni­tif[]
  5. Ibid., Monition aux ordi­nands[]
  6. Pontifical Romain, Ordination des diacres. Préface avec impo­si­tion de la main[]
  7. Pontifical Romain, Ordination des prêtres. Monition aux ordi­nands[]
  8. Col 1, 28[]
  9. sess. XXII, De reform., c. 1[]
  10. Ps 92, 5[]
  11. Léon XIII, Lettre Testem bene­vo­len­tiae au car­di­nal Gibbons, arche­vêque de Baltimore [22 jan­vier 1899] : ASS XXXI [1899], 474–478[]
  12. l.c.[]
  13. De pre­ca­tione, orat. 1 : PG 50, 777[]
  14. Sermo in append. 55, n. 1 : PL 39, 1849[]
  15. De Consid., l. 1, c. 7 : PL 182, 737[]
  16. Imitation de Jésus-​Christ, I, 1[]
  17. Ep LII ad Nepotianum, n. 7 : PL 22, 533[]
  18. Ep. LVIII, ad Paulinum, n. 6 : CV 54, 535. PL 22, 583[]
  19. Confessions, l. VIII, ch. XII, CV 33, 194–195 : PL 32, 762[]
  20. Exposit. In Ps. IV, n. 8 : PG 55, 51[]
  21. Meditationes piis­si­mae, c. V, De quo­tid. Sui ipsius exam. :PL 184, 494[]
  22. S. Jérôme, In Ezech., l. XII, c. 44, v. 30 : PL 25, 443–444[]
  23. cf. Lettre Experiendo au Cardinal Vicaire du 27 décembre 1904 : ASS XXXVII [1904] 421[]