Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

15 avril 1905

Lettre encyclique Acerbo Nimis

Sur l'enseignement de la doctrine chrétienne

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 15 avril 1905

Aux Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordi­naires en paix et en com­mu­nion avec le siège apostolique.

À nos véné­rables frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres ordi­naires en paix et en com­mu­nion avec le Siège Apostolique.

PIE X, PAPE

Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.

C’est dans un temps bien ingrat et dif­fi­cile que les secrets des­seins de Dieu ont appe­lé Notre peti­tesse à exer­cer la charge de suprême Pasteur sur tout le trou­peau du Christ. L’homme enne­mi rôde depuis long­temps autour de la ber­ge­rie et l’assiège d’embûches si per­fi­de­ment cal­cu­lées qu’on croit voir réa­li­sée, main­te­nant plus que jamais, la pré­dic­tion de l’Apôtre aux Anciens de l’Église d’Ephèse : Je sais que par­mi vous péné­tre­ront des loups ravis­seurs, qui n’épargneront pas le trou­peau (Act. XX, 29).

De cet amoin­dris­se­ment des choses reli­gieuses, tous ceux qui ont encore le zèle de la gloire divine recherchent les causes et les rai­sons ; les uns en donnent une, les autres une autre, et cha­cun selon son opi­nion pro­pose des moyens dif­fé­rents pour défendre ou réta­blir le règne de Dieu sur terre. Quant à Nous, Vénérables Frères, sans désap­prou­ver le reste, Nous croyons qu’il faut adhé­rer au juge­ment de ceux qui attri­buent le relâ­che­ment actuel des âmes et leur fai­blesse, avec les maux si graves qui en résultent, prin­ci­pa­le­ment à l’ignorance des choses divines. C’est exac­te­ment ce que Dieu disait par la bouche du Prophète Osée : Il n’y a plus de science de Dieu sur la terre. La calom­nie, le men­songe, l’homicide, le vol et l’adultère débordent, et le sang suit le sang. Voilà pour­quoi la terre gémi­ra et tous ceux qui l’habitent seront affai­blis (Osée, IV, 1).

Et en effet, qu’il y ait actuel­le­ment dans le peuple chré­tien bon nombre d’hommes abso­lu­ment igno­rants des choses qu’on doit connaître pour son salut éter­nel, c’est une plainte géné­rale et mal­heu­reu­se­ment trop fon­dée. Et quand Nous par­lons du peuple chré­tien, Nous n’entendons pas seule­ment le petit peuple ou les gens de la classe infé­rieure, qui sou­vent trouvent encore une sorte d’excuse à leur igno­rance, parce qu’ils dépendent de maîtres durs et ne sont guère libres de son­ger à eux-​mêmes et à leurs inté­rêts. Il s’agit aus­si et sur­tout de ceux qui, ne man­quant ni de talent ni de culture, pos­sèdent abon­dam­ment la science pro­fane, mais qui, pour ce qui regarde la Religion, vivent abso­lu­ment à l’aventure et sans réflexion. On peut à peine dire de quelles épaisses ténèbres ils sont enve­lop­pés, et, chose plus affli­geante, ils y demeurent tran­quille­ment plon­gés ! Dieu, le sou­ve­rain Auteur et Maître de toutes choses, la Sagesse de la Foi chré­tienne, ils n’y pensent presque jamais. L’Incarnation du Verbe de Dieu, la Rédemption du genre humain accom­plie par Lui, ils n’en savent rien ; rien non plus de la Grâce, qui est le grand moyen d’acquérir les biens éter­nels ; rien de l’auguste Sacrifice ni des Sacrements, par les­quels nous obte­nons et gar­dons en nous cette Grâce. Quant au péché, on ne tient nul compte de ce qu’il ren­ferme de malice ou de honte ; par suite, nul sou­ci de l’éviter ou de s’en débar­ras­ser ; et ain­si l’on arrive au der­nier jour. Alors, quand il ne reste à l’agonisant que quelques ins­tants qui devraient être consa­crés à des Actes d’amour pour Dieu, le Prêtre, afin de ne pas lais­ser perdre tout espoir de salut, est contraint de les employer à un ensei­gne­ment som­maire de la Religion : trop heu­reux encore si le mori­bond n’est pas tel­le­ment domi­né par une cou­pable igno­rance, comme il arrive trop sou­vent, qu’il juge inutile toute inter­ven­tion du prêtre et croie pou­voir, le cœur léger, sans avoir rien fait pour apai­ser Dieu, entrer dans le redou­table che­min de l’Éternité. Aussi Notre pré­dé­ces­seur Benoît XIV a eu rai­son d’écrire : Nous affir­mons qu’une grande par­tie de ceux qui sont condam­nés aux sup­plices éter­nels doivent cet irré­pa­rable mal­heur à l’ignorance des Mystères de la Foi, qu’on doit néces­sai­re­ment savoir et croire pour être admis au nombre des élus. ( Instit., XXVI, 18 ).

Les choses étant ain­si, com­ment s’étonner, Vénérables Frères, si l’on voit régner en ce moment et se déve­lop­per de jour en jour, non point chez les nations bar­bares, mais par­mi les peuples qui portent le nom de Chrétiens, une telle cor­rup­tion de moeurs et une telle dépra­va­tion des habi­tudes ? L’Apôtre Paul, écri­vant aux Éphésiens, disait : Que la for­ni­ca­tion et tout genre d’impureté, ain­si que l’avarice, ne soient même pas nom­més par­mi vous, comme il convient à des Saints, et qu’il n’y ait aus­si ni tur­pi­tude ni sots dis­cours (Éphes., V, 3). Mais à cette sain­te­té et à cette pudeur qui refrènent les pas­sions, il donne pour fon­de­ment l’intelligence des choses divines : Prenez donc garde, Frères, de mar­cher avec pré­cau­tion, non comme des insen­sés, mais comme des sages. Ne deve­nez pas des impré­voyants, mais des hommes qui com­prennent la Volonté de Dieu (Éphes., V, 15).

Et c’est avec grande rai­son. Car la volon­té de l’homme garde à peine un reste de cet amour de l’honnête et du juste, que Dieu son Créateur avait mis en lui et qui l’entraînait en quelque sorte vers le bien, non pas appa­rent, mais réel. Dépravée par la cor­rup­tion du péché ori­gi­nel et ne connais­sant plus, pour ain­si dire, Dieu son Créateur, elle dirige toutes ses inten­tions vers l’amour de la vani­té et la recherche du men­songe. Cette volon­té éga­rée et aveu­glée par les mau­vaises pas­sions a donc besoin d’un guide qui lui montre le che­min, pour la faire ren­trer dans les sen­tiers de la jus­tice qu’elle a eu le tort d’abandonner. Ce guide, nous n’avons pas à le cher­cher au dehors, il nous est don­né par la nature : c’est notre intel­li­gence. S’il lui manque la vraie Lumière, c’est à dire la connais­sance des choses divines, ce sera l’histoire de l’aveugle condui­sant un aveugle : tous deux tombent dans le fos­sé. Le saint roi David, louant Dieu d’avoir mis la lumière de la Vérité dans l’intelligence humaine, disait : La lumière de Votre face, ô Seigneur, est empreinte sur nous (Ps. IV, 7). Et l’effet de cette com­mu­ni­ca­tion de la Lumière, il l’indique en ajou­tant : Vous m’avez mis la joie dans mon cœur, – cette joie qui, dila­tant notre cœur, nous fait cou­rir dans la voie des divins Préceptes.

Un peu de réflexion éclair­ci­ra ce point. La Doctrine chré­tienne nous mani­feste Dieu et Ses infi­nies per­fec­tions bien plus clai­re­ment que ne le font les facul­tés natu­relles. Cette Doctrine nous oblige à hono­rer Dieu par la Foi, qui vient de l’intelligence ; par l’Espérance, qui vient de la volon­té ; par la Charité, qui vient du cœur, et ain­si elle sou­met tout l’homme au sou­ve­rain Créateur et Maître. De même, la doc­trine de Jésus-​Christ est la seule qui nous révèle la véri­table et haute digni­té de l’homme : car elle nous le pré­sente comme Fils du Père qui est aux cieux, fait à Son image et des­ti­né à vivre avec Lui dans l’Éternité bien­heu­reuse. De cette digni­té et de sa connais­sance, le Christ déduit pour les hommes l’obligation de s’aimer les uns les autres comme des Frères, et de vivre ici-​bas comme il sied à des enfants de lumière, non dans les fes­tins et les orgies, non dans la débauche et l’impudicité, non dans les dis­putes et les riva­li­tés (Rom., XIII, 13) ; Il veut aus­si que nous jetions dans le sein de Dieu tous nos sou­cis, parce qu’Il a soin de nous ; Il nous com­mande de don­ner aux pauvres, de faire du bien à ceux qui nous haïssent, de pré­fé­rer les inté­rêts éter­nels de l’âme aux biens pas­sa­gers de ce monde. Et sans tou­cher à tous les détails, n’est-ce pas l’enseignement du Christ qui, à l’homme aux pré­ten­tions orgueilleuses, conseille et pres­crit cet abais­se­ment de soi qui conduit à la véri­table gloire ? Quiconque s’humiliera… sera le plus grand dans le Royaume des cieux (Matth., XVIII, 4). La même Doctrine nous enseigne la pru­dence de l’esprit, qui nous met en garde contre la pru­dence de la chair ; la jus­tice, qui nous fait accor­der à cha­cun son droit ; la force, qui nous dis­pose à tout souf­frir, le cœur haut, pour Dieu et pour l’éternelle béa­ti­tude ; enfin la tem­pé­rance, qui nous porte à ché­rir même la pau­vre­té, pour le Royaume de Dieu, et à nous glo­ri­fier jusque dans la croix, sans sou­ci de l’humiliation. Il est donc éta­bli que non seule­ment notre intel­li­gence emprunte à la Doctrine chré­tienne la lumière qui lui per­met d’acquérir la véri­té, mais aus­si que notre volon­té y puise l’ardeur qui nous élève à Dieu et nous unit à Lui par l’exercice de la vertu.

Loin de nous, tou­te­fois, d’en conclure que la per­ver­si­té du cœur et la cor­rup­tion des moeurs ne puissent se ren­con­trer avec la science de la Religion. Plût à Dieu que les faits prou­vassent moins sou­vent le contraire ! Ce que Nous affir­mons, c’est que, chez les hommes dont l’intelligence est enve­lop­pée des ténèbres d’une épaisse igno­rance, il ne sau­rait sub­sis­ter de volon­té droite ni de moeurs pures. Celui qui marche les yeux ouverts peut sans doute s’écarter du che­min droit et vrai : mais celui qui est frap­pé de céci­té va sûre­ment au devant du dan­ger. Ajoutez‑y que la cor­rup­tion des moeurs, là où la lumière de la Foi n’est pas abso­lu­ment éteinte, laisse quelque espoir d’amendement ; mais quand la dépra­va­tion des moeurs et la dis­pa­ri­tion de la Foi par suite de l’ignorance se trouvent réunies, il n’y a plus guère de remède et la route est ouverte pour la ruine finale.

Puis donc que l’ignorance de la Religion cause tant et de si graves dom­mages et que, d’autre part, l’Instruction reli­gieuse est si néces­saire et si utile (car on atten­drait en vain l’accomplissement de ses devoirs chré­tiens d’un homme qui les ignore), il faut voir main­te­nant à qui incombe le soin de pré­ser­ver les intel­li­gences de cette igno­rance fatale et de leur incul­quer la science nécessaire.

Là-​dessus, Vénérables Frères, le doute n’est pas pos­sible : cette charge très grave regarde tous les Pasteurs des âmes. De par le pré­cepte du Christ, ils sont tenus de connaître et de nour­rir les bre­bis qui leur sont confiées. Or, ici, nour­rir, c’est tout d’abord ensei­gner : Je vous don­ne­rai (ain­si que Dieu le pro­met­tait par Jérémie) des Pasteurs selon Mon cœur, et ils vous nour­ri­ront de science et de doc­trine (Jér., III, 15). De là ces paroles de l’Apôtre : Le Christ ne m’a pas envoyé bap­ti­ser, mais évan­gé­li­ser (I Cor., I, 17). Il veut dire que le pre­mier rôle de ceux qui sont pré­po­sés d’une façon quel­conque au gou­ver­ne­ment de l’Église est d’apprendre aux Fidèles les choses saintes.

Nous jugeons super­flu de faire l’éloge de cet ensei­gne­ment et de mon­trer de quel prix il est devant Dieu. Assurément, la pitié que nous témoi­gnons aux pauvres pour le sou­la­ge­ment de leur détresse reçoit de Dieu de grandes louanges ; mais qui pour­rait nier le mérite bien supé­rieur du zèle et du tra­vail que nous employons à pro­cu­rer, non pas des avan­tages pas­sa­gers aux corps, mais des biens éter­nels aux âmes, en les ins­trui­sant et les exhor­tant ? Non, rien ne sau­rait être plus dési­rable, rien plus agréable pour Jésus-​Christ le Sauveur des âmes, qui a dit de Lui-​même par la bouche d’Isaïe : Il M’a envoyé évan­gé­li­ser les pauvres (Luc, IV, 18).

Mais il importe ici, Vénérables Frères, de nous arrê­ter à une réflexion spé­ciale et d’y insis­ter : c’est qu’il n’existe pas pour le Prêtre, quel qu’il soit, de devoir plus grave ni d’obligation plus étroite. Car qui nie­ra que le Prêtre doive joindre la science à la sain­te­té de vie ? Les lèvres du Prêtre gar­de­ront la science (Malach. , II, 7). Et, en effet, l’Église l’exige très sévè­re­ment de ceux qui doivent être ini­tiés au Sacerdoce. Pourquoi ? Parce que le peuple chré­tien attend d’eux la connais­sance de la loi divine et que Dieu les des­tine à la dis­tri­buer : Ils deman­de­ront à sa bouche la Loi parce qu’il est l’ange du Dieu des armées (Ibid).
C’est pour cela que l’Évêque au moment de l’ordination, s’adressant aux can­di­dats du sacer­doce, leur dit : Que votre Doctrine soit pour le peuple de Dieu une méde­cine spi­ri­tuelle ; que tous soient de pré­voyants col­la­bo­ra­teurs de notre charge, en sorte que, médi­tant jour et nuit la Loi sainte, ils croient ce qu’il auront lu et enseignent ce qu’ils croi­ront (Pontif. Rom).

Si ces choses regardent tous les Prêtres, que dirons-​nous de ceux qui, hono­rés du titre et du pou­voir de Curés, rem­plissent la charge de Directeur des âmes en ver­tu de leur digni­té et d’une sorte de contrat ? Ceux-​là, dans une cer­taine mesure, doivent prendre rang par­mi les Pasteurs et les Docteurs que le Christ a éta­blis pour que les Fidèles ne soient plus comme des enfants, flot­tants et empor­tés à tout vent de doc­trine, par la malice des hommes…, mais que, confes­sant la Vérité, ils croissent à tous égards dans la Charité, en Celui qui est notre Chef, le Christ (Éphes., IV, 14,15).

C’est pour­quoi le saint Concile de Trente, trai­tant des Pasteurs des âmes, déclare que leur pre­mier et prin­ci­pal devoir est d’instruire le Peuple chré­tien (Sess. V, 2 ; sess. XXII, 8 ; sess. XXIV, 4 et 7). Il leur ordonne donc, au moins les Dimanches et jours de Fêtes solen­nelles, de par­ler au peuple sur la Religion ; au saint Temps de l’Avent et du Carême, ils doivent le faire chaque jour, ou du moins trois fois par semaine. Ce n’est pas tout. Il ajoute que les Curés sont tenus, au moins les Dimanches et Fêtes, par eux-​mêmes ou par d’autres, d’instruire les enfants dans les Vérités de la Foi et de les for­mer à l’obéissance envers Dieu et leurs parents. Quand il s’agira d’administrer les Sacrements, il veut qu’on ins­truise de leur ver­tu ceux qui doivent y par­ti­ci­per, en employant un lan­gage facile et usuel.

Notre pré­dé­ces­seur Benoît XIV a résu­mé et pré­ci­sé, dans sa Constitution Etsi minime, toutes ces pres­crip­tions du saint Concile : Deux prin­ci­pales obli­ga­tions ont été impo­sées par le Concile de Trente aux Pasteurs des âmes : l’une, d’adresser au peuple, les jours fériés, des dis­cours sur les choses divines ; l’autre d’apprendre aux enfants et à tous les igno­rants les élé­ments de la Loi divine et de la Foi. Le sage Pontife a rai­son de dis­tin­guer les deux obli­ga­tions, celle du dis­cours qui consiste dans l’explication de l’Évangile et celle de l’Instruction reli­gieuse. Peut-​être, en effet, cer­tains Prêtres, dési­reux de dimi­nuer leur besogne, vou­draient se per­sua­der que le Prône peut tenir lieu de caté­chèse : il suf­fit de réflé­chir pour voir que c’est une erreur. Le dis­cours qu’on fait sur le saint Évangile s’adresse à des audi­teurs qui doivent déjà pos­sé­der les élé­ments de la Foi. On peut appe­ler cela le pain qu’on dis­tri­bue aux adultes. Mais l’enseignement caté­ché­tique est ce lait dont l’Apôtre saint Pierre dit que les Fidèles doivent le dési­rer sans arti­fice comme des enfants nouveau-nés.

La tâche du Catéchiste consiste à prendre pour sujet une Vérité qui se rap­porte à la Foi ou à la morale chré­tienne, et à la mettre en lumière sous toutes ses faces. Mais, comme le but de l’enseignement doit être la réforme de la vie, le Catéchiste com­pa­re­ra ce que Dieu com­mande de faire et ce que les hommes font dans la réa­li­té. Puis, pro­fi­tant des exemples qu’il aura su tirer à pro­pos soit des saintes Écritures, soit de l’Histoire ecclé­sias­tique ou de la Vie des Saints, il expli­que­ra aux audi­teurs et leur mon­tre­ra, pour ain­si dire du doigt, com­ment ils ont à régler leur conduite. Il ter­mi­ne­ra par une exhor­ta­tion qui puisse leur faire détes­ter et fuir les vices et leur faire suivre le che­min de la vertu.

Nous savons bien que cet ensei­gne­ment de la Doctrine chré­tienne déplaît à beau­coup, sous pré­texte qu’il est médio­cre­ment esti­mé, d’ordinaire, et peu fait pour gagner les faveurs du public. Cette appré­cia­tion, à Notre avis, est celle d’hommes qui prennent pour guide la légè­re­té plu­tôt que la véri­té. Nous ne refu­sons pas Notre juste appro­ba­tion aux ora­teurs sacrés qui, par un zèle sin­cère pour la gloire de Dieu, s’emploient à ven­ger et à défendre la Foi ou à louer les Saints ; mais leur tra­vail demande un autre tra­vail préa­lable, celui des Catéchistes : si ce der­nier fait défaut, les fon­de­ments font défaut, et c’est en vain que tra­vaille­ront ceux qui bâtissent la demeure. Trop sou­vent il arrive que des dis­cours très élé­gants, accueillis par les applau­dis­se­ments d’un audi­toire très nom­breux, n’aboutissent qu’à cha­touiller les oreilles, sans remuer les cœurs. Au contraire, une Instruction caté­ché­tique, bien que modeste et simple, sera cette parole que Dieu Lui-​même exalte par la voix d’Isaïe : Comme la pluie et la neige des­cendent du ciel et n’y retournent pas, mais abreuvent la terre, la fécondent et la font ger­mer, four­nissent la semence au semeur et le pain à l’affamé : telle la parole qui sort de Ma bouche. Elle ne revien­dra pas à Moi sans effet, mais elle accom­pli­ra tout ce que Je vou­lais et pro­dui­ra les fruits pour les­quels Je l’ai envoyée (Isai., LV, 10,11).
Nous croyons qu’il faut en pen­ser autant de ces Prêtres qui, pour mettre en lumière les Vérités de la Religion, com­posent des ouvrages de grand tra­vail : ils méritent les plus beaux éloges. Cependant, com­bien petit est le nombre de ceux qui étu­dient ces volumes et en retirent un fruit pro­por­tion­né au tra­vail des auteurs et à leurs vœux ! L’enseignement de la Doctrine chré­tienne, s’il est bien don­né, n’est jamais sans pro­fit pour les auditeurs.

Et, pour enflam­mer le zèle des Ministres de Dieu, il sera bon de le répé­ter encore : grand est le nombre – et il gran­dit tous les jours – de ceux qui ignorent tout, en fait de Religion, ou qui ont de Dieu et de la Foi chré­tienne une connais­sance si insuf­fi­sante qu’elle ne les empêche pas, dans le plein jour de la Vérité catho­lique, de vivre à la façon des ido­lâtres. Combien, hélas ! nous ne disons pas d’enfants, mais d’adultes et d’hommes sur le déclin de l’âge, qui ne savent rien des prin­ci­paux Mystères de la Foi et qui, enten­dant nom­mer le Christ, répondent : Qui est-​Il…, pour que je croie en Lui ?

De là vient qu’ils ne se font pas un reproche de sus­ci­ter et d’entretenir des haines, d’établir les contrats les plus injustes, de se livrer à des spé­cu­la­tions mal­hon­nêtes, d’accaparer le bien d’autrui par une lourde usure, et autres méfaits pareils. En outre, igno­rant la Loi du Christ qui ne condamne pas seule­ment les actes hon­teux, mais défend même d’y pen­ser volon­tai­re­ment et de les dési­rer, il se peut bien que, pour une rai­son ou pour une autre, il se gardent des plai­sirs cou­pables, mais ils accueille­ront sans le moindre scru­pule les pen­sées les plus impures, mul­ti­pliant les ini­qui­tés au delà du nombre de leurs che­veux. Et ces choses se ren­contrent (disons-​le encore une fois) non pas seule­ment dans les cam­pagnes ou chez le pauvre peuple, mais aus­si, et peut-​être plus fré­quem­ment, chez des hommes d’une classe plus éle­vée, voire même chez ceux que la science gonfle, qui, forts, d’une vaine éru­di­tion, croient pou­voir se moquer de la Religion et blas­phèment tout ce qu’ils ignorent.

Or, si l’on ne sau­rait attendre une mois­son d’une terre qui n’aurait pas reçu de semence, com­ment espé­rer des géné­ra­tions ayant des bonnes moeurs, si elles n’ont pas été, à temps, ins­truites dans la Doctrine chré­tienne ? De là nous devons conclure que, si la Foi s’est alan­guie de nos jours au point d’être presque mou­rante chez beau­coup, c’est que le devoir de l’Instruction reli­gieuse est accom­pli trop négli­gem­ment ou com­plè­te­ment omis. Car on aurait tort, pour se don­ner une sem­blant d’excuse, de dire que la Foi nous est accor­dée en don gra­tuit et confé­rée à cha­cun dans le saint Baptême. Sans doute, nous tous qui sommes bap­ti­sés en Jésus-​Christ, nous avons en nous la Foi infuse : mais cette semence divine ne monte pas et ne pousse pas de fortes branches, si elle est aban­don­née à elle-​même et réduite à n’agir que par une sorte de ver­tu innée. Il existe aus­si dans l’homme, dès qu’il vit, une intel­li­gence : elle a pour­tant besoin de la parole mater­nelle, qui l’éveille en quelque sorte et la met, comme on dit, en action. Il n’en arrive pas autre­ment au Chrétien, qui, en renais­sant dans l’eau et le Saint-​Esprit, porte désor­mais en lui la Foi : il lui faut néan­moins l’enseignement de l’Église, pour que cette Foi puisse s’alimenter, gran­dir et fruc­ti­fier. C’est en ce sens que l’Apôtre disait : La Foi vient de la pré­di­ca­tion enten­due et la pré­di­ca­tion se fait par la Parole du Christ (Rom., X, 17) ; et pour mon­trer la néces­si­té de l’enseignement, il ajoute : Comment entendront-​ils sans un pré­di­ca­teur (Ibid., 14) ?

Si les expli­ca­tions qui pré­cèdent démontrent de quelle impor­tance est l’Instruction reli­gieuse du peuple, Nous devons veiller avec le plus grand soin à ce que l’enseignement de la Doctrine chré­tienne, qui (selon l’expression de Notre pré­dé­ces­seur Benoît XIV) est l’institution utile entre toutes pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, reste par­tout en vigueur ou, s’il est négli­gé quelque part, soit restauré.

Voulant donc, Vénérables Frères, satis­faire à ce très grave devoir du suprême Apostolat et assu­rer par­tout, pour une pra­tique si impor­tante, une seule et même méthode, de Notre auto­ri­té suprême, Nous éta­blis­sons et ordon­nons expres­sé­ment ce qui suit, pour être obser­vé et exé­cu­té dans tous les Diocèses :

1. Tous les Curés et, en géné­ral, tous ceux qui ont charge d’âmes, aux jours de Dimanches et de Fêtes de l’année sans en excep­ter aucun, pen­dant une heure entière, ensei­gne­ront, d’après un petit livre de Catéchisme, aux enfants des deux sexes, ce qu’ils doivent croire et pra­ti­quer pour faire leur salut.

2. De plus, à des époques fixes de l’année, ils pré­pa­re­ront les gar­çons et les filles, par une ins­truc­tion faite plu­sieurs jours de suite, à bien rece­voir les sacre­ments de Pénitence et de Confirmation.

3. De même et avec un soin très spé­cial, tous les jours du Carême et, s’il en est besoin, à d’autres jours encore après les Fêtes de Pâques, ils dis­po­se­ront les jeunes gar­çons et les jeunes filles, par les leçons et les exhor­ta­tions conve­nables, à s’approcher sain­te­ment pour la pre­mière fois de la sainte Table.

4. Dans toute et chaque Paroisse sera éta­blie cano­ni­que­ment une Association dite de la Doctrine chré­tienne. Par elle, les Curés, sur­tout là où le nombre des prêtres est trop petit, trou­ve­ront, pour les aider dans l’enseignement du Catéchisme, des Laïques qui se dévoue­ront à ce minis­tère par zèle pour la gloire de Dieu et aus­si pour gagner les indul­gences que les Pontifes romains ont lar­ge­ment dispensées.

5. Dans les villes plus consi­dé­rables, dans celles sur­tout qui ont des Universités, des Lycées, des Collèges, on fon­de­ra des cours de Religion pour ins­truire dans les Vérités de la Foi et dans les pra­tiques de la Vie chré­tienne les jeunes gens qui fré­quentent des écoles publiques où la Religion ne figure pas au pro­gramme.
6. Mais parce que, de nos temps sur­tout, l’âge plus avan­cé n’a pas moins besoin d’enseignement reli­gieux que l’enfance, tous les Curés et les autres Prêtres ayant charge d’âmes, sans pré­ju­dice de l’Homélie ordi­naire sur l’Évangile qui doit se faire tous les jours fériés à la Messe Paroissiale, choi­si­ront l’heure qui pour­ra atti­rer une assis­tance plus nom­breuse, en dehors de celle qui est réser­vée à l’instruction des enfants, pour adres­ser aux Fidèles une caté­chèse en un lan­gage facile, appro­prié à leur intel­li­gence. Dans ce but, ils se ser­vi­ront du Catéchisme de Trente, de façon à trai­ter dans l’espace de quatre ou cinq ans toute la matière du Symbole, des Sacrements, du Décalogue, de la Prière et des Commandements de l’Église.

Voilà, Vénérables Frères, ce que Nous éta­blis­sons et ordon­nons par Autorité apos­to­lique. À vous main­te­nant de faire en sorte que, dans vos dio­cèses res­pec­tifs, cela soit mis à exé­cu­tion sans retard et inté­gra­le­ment. Vous devrez donc veiller et pour­voir, en ver­tu de votre auto­ri­té, à ce que Nos pres­crip­tions ne soient pas livrées à l’oubli ou, ce qui revien­drait au même, exé­cu­tées avec mol­lesse et non­cha­lance. Pour évi­ter ce mal­heur en pra­tique, il fau­dra que vous recom­man­diez sans cesse et avec ins­tances aux Curés de ne pas impro­vi­ser leurs leçons de Catéchisme, mais d’y appor­ter une pré­pa­ra­tion soi­gnée, de ne point par­ler le lan­gage de la sagesse humaine, mais de se confor­mer, dans la sim­pli­ci­té de cœur et dans la sin­cé­ri­té de Dieu (II Cor., I, 12), à l’exemple du Christ, qui, en révé­lant des choses cachées depuis la créa­tion du monde, disait pour­tant toutes ces choses en para­boles à la foule et ne lui par­lant qu’en para­boles (Matth., XIII, 35, 34). Ainsi fai­saient les Apôtres, ins­truits par le Seigneur ; voi­ci comme en parle saint Grégoire le Grand : Ils se pré­oc­cu­pèrent sou­ve­rai­ne­ment de prê­cher aux peuples igno­rants dans un lan­gage clair et intel­li­gible, non sublime et ardu (Moral., II, XVII, 26). Or, aujourd’hui, pour les choses de la Religion, la plu­part des hommes doivent être ran­gés par­mi les ignorants.

Nous ne vou­drions pas cepen­dant que, par amour de cette sim­pli­ci­té, on en vînt à croire qu’il n’est besoin, pour trai­ter ces matières, ni de tra­vail ni de réflexion : elles en réclament, au contraire, plus que tout autre genre. Il est bien plus facile de trou­ver un ora­teur par­lant avec abon­dance et éclat qu’un Catéchiste fai­sant une ins­truc­tion de tout point louable. Donc, quelque faci­li­té de pen­sée et de parole qu’on ait reçue de la nature, il faut tenir pour cer­tain qu’on ne par­le­ra jamais de la Doctrine chré­tienne aux enfants ou au peuple avec un fruit réel pour l’âme, sans être pré­pa­ré et armé par une longue médi­ta­tion. Ils se trompent, ceux qui, comp­tant sur l’ignorance et la len­teur d’esprit du peuple, croient pou­voir se per­mettre quelque négli­gence. Bien au contraire, plus les audi­teurs qu’on a sont incultes, plus il faut employer d’application et de soin pour mettre les Vérités les plus sublimes, si éloi­gnées de l’intelligence vul­gaire, à la por­tée des esprits simples ou gros­siers, à qui elles sont aus­si néces­saires qu’aux savants pour gagner le bon­heur éternel.

Qu’il Nous soit per­mis, à la fin de cette Lettre, Vénérables Frères, de vous adres­ser la parole de Moïse : Si quelqu’un est du par­ti du Seigneur, qu’il se joigne à moi (Exod., XXXII, 26). Considérez, Nous vous en prions ins­tam­ment, com­bien d’âmes se perdent par la seule igno­rance des choses divines. Vous avez peut-​être éta­bli dans vos Diocèses, pour le bien de votre trou­peau, nombre d’institutions utiles et dignes de tout éloge : veuillez néan­moins, de pré­fé­rence à tout, avec toute l’énergie, tout le zèle, toute la per­sé­vé­rance que vous pour­rez, employer vos soins et vos efforts à obte­nir que la connais­sance de la Doctrine chré­tienne atteigne et pénètre pro­fon­dé­ment les âmes. Que cha­cun (ce sont les paroles de l’Apôtre Pierre que Nous répé­tons) mette au ser­vice des autres le don qu’il a reçu, comme de bons dis­pen­sa­teurs de la Grâce de Dieu sous toutes ses formes (I Petr., IV, 10).

Puissent votre sol­li­ci­tude et vos pieuses indus­tries, grâce à l’intercession de la Bienheureuse Vierge imma­cu­lée, être fécon­dées par la Bénédiction Apostolique, qu’en témoi­gnage de Notre cha­ri­té et comme gage des faveurs célestes, Nous vous accor­dons très affec­tueu­se­ment, ain­si qu’au Clergé et au peuple qui vous sont confiés.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 15 avril 1905, la deuxième année de Notre Pontificat.

PIE X, PAPE