Entretien avec Mgr Bernard Fellay sur l’état présent des relations de la Fraternité Saint-​Pie X avec Rome

DICI : Etes-​vous sou­cieux du retard de la réponse de Rome qui pour­rait per­mettre à ceux qui sont contre une recon­nais­sance cano­nique d’éloigner des prêtres et des fidèles de la Fraternité Saint-​Pie X ?

Mgr Fellay : Tout est dans les mains du Bon Dieu. Je fais confiance au Bon Dieu et à sa Divine Providence, il sait com­ment conduire toutes choses, même les retards, pour le bien de ceux qui l’aiment.

DICI : La déci­sion du pape a‑t-​elle été ajour­née comme cer­taines revues l’ont dit ? Le Saint-​Siège vous a‑t-​il fait part d’un retard à prévoir ?

Mgr Fellay : Non, je n’ai eu aucune connais­sance d’un quel­conque calen­drier. Il y en a même qui disent que le pape va trai­ter ce dos­sier à Castel Gandolfo, au mois de juillet.

Une solution canonique avant une solution doctrinale ?

DICI : La plu­part de ceux qui sont oppo­sés à l’acceptation par la Fraternité d’une éven­tuelle recon­nais­sance cano­nique mettent en avant que les entre­tiens doc­tri­naux n’auraient pu conduire à cette accep­ta­tion que s’ils avaient débou­ché sur une solu­tion doc­tri­nale, c’est-à-dire sur une « conver­sion » de Rome. Est-​ce que votre posi­tion a chan­gé sur ce point ?

Mgr Fellay : Il faut recon­naître que ces entre­tiens ont per­mis d’exposer clai­re­ment les divers pro­blèmes que nous ren­con­trons au sujet de Vatican II. Ce qui a chan­gé, c’est que Rome ne fait plus d’une accep­ta­tion totale de Vatican II une condi­tion pour la solu­tion cano­nique. Aujourd’hui, à Rome, cer­tains consi­dèrent qu’une com­pré­hen­sion dif­fé­rente du Concile n’est pas déter­mi­nante pour l’avenir de l’Eglise, car l’Eglise est plus que le Concile. De fait, l’Eglise ne se réduit pas au Concile, elle est beau­coup plus grande. Il faut donc s’appliquer à régler des pro­blèmes plus vastes. Cette prise de conscience peut nous aider à com­prendre ce qui se passe réel­le­ment : nous sommes appe­lés à aider à por­ter aux autres le tré­sor de la Tradition que nous avons pu conserver.

En sorte que c’est l’attitude de l’Eglise offi­cielle qui a chan­gé, ce n’est pas nous. Ce n’est pas nous qui avons deman­dé un accord, c’est le pape qui veut nous recon­naître. On peut se poser la ques­tion du pour­quoi de ce chan­ge­ment. Nous ne sommes tou­jours pas d’accord doc­tri­na­le­ment, et pour­tant le pape veut nous recon­naître ! Pourquoi ? La réponse elle est là : il y a des pro­blèmes ter­ri­ble­ment impor­tants dans l’Eglise aujourd’hui. Il faut trai­ter ces pro­blèmes. Il faut lais­ser de côté les pro­blèmes secon­daires et s’occuper des pro­blèmes majeurs. Voilà la réponse de l’un ou l’autre pré­lat romain qui ne le diront jamais ouver­te­ment ; il faut lire entre les lignes pour comprendre.

Les auto­ri­tés offi­cielles ne veulent pas recon­naître les erreurs du Concile. Elles ne le diront jamais expli­ci­te­ment. Cependant si on lit entre les lignes, on peut voir qu’elles sou­haitent remé­dier à cer­taines de ces erreurs. En voi­ci un exemple inté­res­sant au sujet du sacer­doce. Vous savez qu’à par­tir du Concile, il y a eu une nou­velle concep­tion du sacer­doce et qu’elle a démo­li la figure du prêtre. Aujourd’hui on voit très clai­re­ment que les auto­ri­tés romaines essaient de réha­bi­li­ter la vraie concep­tion du prêtre. On le consta­tait déjà lors de l’Année sacer­do­tale qui a eu lieu en 2010–2011. Maintenant, la fête du Sacré-​Cœur devient le jour consa­cré à la sanc­ti­fi­ca­tion des prêtres. A cette occa­sion, une lettre a été publiée et un exa­men de conscience pour les prêtres a été rédi­gé. On croi­rait qu’on est allé cher­cher cet exa­men de conscience à Ecône, tel­le­ment il se situe dans la ligne de la spi­ri­tua­li­té anté-​conciliaire. Cet exa­men offre l’image tra­di­tion­nelle du prêtre, et même de son rôle dans l’Eglise. C’est ce rôle que Mgr Lefebvre affirme quand il décrit la mis­sion de la Fraternité : res­tau­rer l’Eglise par la res­tau­ra­tion du prêtre.

Dans la lettre, il est dit : « l’Eglise et le monde ne peuvent être sanc­ti­fiés que par la sanc­ti­fi­ca­tion du prêtre ». On met vrai­ment le prêtre au centre. L’examen de conscience com­mence avec cette ques­tion : « Est-​ce que la pré­oc­cu­pa­tion pre­mière du prêtre est sa sanc­ti­fi­ca­tion ? » Deuxième ques­tion : « Est-​ce que le saint Sacrifice de la Messe – c’est le mot qu’ils uti­lisent, pas l’eucharistie, la synaxe ou je ne sais pas quoi – est le centre de la vie du prêtre ? » Ensuite on rap­pelle les fins de la messe : la louange de Dieu, la prière, la répa­ra­tion pour les péchés…, tout est dit. Le prêtre doit s’immoler – le mot ‘immo­ler’ n’est pas employé mais ‘se don­ner’, se sacri­fier pour sau­ver les âmes. C’est dit. Puis vient le rap­pel des fins der­nières : « Est-​ce que le prêtre pense sou­vent aux fins der­nières ? Est-​ce qu’il pense à deman­der la grâce de la per­sé­vé­rance finale ? Est-​ce qu’il le rap­pelle à ses fidèles ? Est-​ce qu’il visite les mori­bonds pour leur don­ner les der­niers sacre­ments ? » Vous voyez com­ment, de façon habile, ce docu­ment romain rap­pelle clai­re­ment l’idée tra­di­tion­nelle du prêtre.

Bien sûr, cela ne sup­prime pas tous les pro­blèmes, et il y a encore de graves dif­fi­cul­tés dans l’Eglise : l’œcuménisme, Assise, la liber­té reli­gieuse…, mais le contexte est en train de chan­ger, pas seule­ment le contexte, la situa­tion elle-​même… Je dis­tin­gue­rai entre les rela­tions exté­rieures et la situa­tion inté­rieure. Les rela­tions avec l’extérieur n’ont pas encore chan­gé, mais pour ce qui se passe dans l’Eglise les auto­ri­tés romaines essayent de le chan­ger petit à petit. Evidemment, aujourd’hui encore demeure un grand désastre, il faut en être conscient, et nous ne disons pas le contraire, mais il faut aus­si voir ce qui est en train de se faire. Cet exa­men de conscience pour les prêtres en est un exemple significatif.

Quelle attitude face aux problèmes doctrinaux ?

DICI : Vous recon­nais­sez que de sérieuses dif­fi­cul­tés demeurent avec l’œ­cu­mé­nisme, la liber­té reli­gieuse… Si une recon­nais­sance cano­nique inter­ve­nait quelle serait votre atti­tude face à ces dif­fi­cul­tés ? Ne vous sentiriez-​vous pas tenu à une cer­taine réserve ?

Mgr Fellay : Permettez-​moi de répondre à votre ques­tion par trois inter­ro­ga­tions : Les nou­veau­tés qui ont été intro­duites lors du Concile ont-​elles été à l’origine d’un déve­lop­pe­ment accru de l’Eglise, des voca­tions et de la pra­tique reli­gieuse ? Ne constate-​t-​on pas au contraire une forme d’ « apos­ta­sie silen­cieuse » dans tous les pays de chré­tien­té ? Pouvons-​nous nous taire devant ces problèmes ?

Si nous vou­lons faire fruc­ti­fier le tré­sor de la Tradition pour le bien des âmes, nous devons par­ler et agir. Nous avons besoin de cette double liber­té de parole et d’action. Mais je me méfie­rais d’une dénon­cia­tion pure­ment ver­bale des erreurs doc­tri­nales – dénon­cia­tion d’autant plus polé­mique qu’elle n’est que verbale.

Avec le réa­lisme qui le carac­té­ri­sait, Mgr Lefebvre recon­nais­sait que les auto­ri­tés romaines et dio­cé­saines seraient plus sen­sibles aux chiffres et aux faits pré­sen­tés par la Fraternité Saint-​Pie X, qu’aux argu­ments théo­lo­giques. Aussi je n’hésite pas à dire que, si une recon­nais­sance cano­nique inter­ve­nait, les dif­fi­cul­tés doc­tri­nales seraient tou­jours sou­li­gnées par nous, mais avec le concours d’une leçon don­née par les faits eux-​mêmes, signes tan­gibles de la vita­li­té de la Tradition. Et pour cela, comme je vous le disais déjà en 2006, à pro­pos des étapes de notre dia­logue avec Rome, il nous faut avoir « foi en la messe tra­di­tion­nelle, cette messe qui réclame d’elle-même l’intégrité de la doc­trine et des sacre­ments, gage de toute fécon­di­té spi­ri­tuelle auprès des âmes ».

DICI : 2012 n’est pas 1988, l’année de votre sacre épis­co­pal. En 2009 les excom­mu­ni­ca­tions ont été reti­rées, en 2007 il a été offi­ciel­le­ment recon­nu que la messe tri­den­tine n’avait « jamais été abro­gée », mais main­te­nant cer­tains dans la Fraternité déplorent que l’Eglise ne se soit pas encore conver­tie. Leur refus a prio­ri d’une recon­nais­sance cano­nique est-​il dû à 40 ans d’une situa­tion d’exception entraî­nant une cer­taine incom­pré­hen­sion de la sou­mis­sion à l’autorité ?

Mgr Fellay : Ce qui se passe ces temps-​ci montre clai­re­ment quelques-​unes de nos fai­blesses face aux dan­gers qui sont créés par la situa­tion dans laquelle nous sommes. L’un des dan­gers majeurs est de finir par inven­ter une idée de l’Eglise qui paraît idéale, mais qui ne se trouve pas en fait dans l’histoire réelle de l’Eglise. Certains pré­tendent que pour tra­vailler « en sécu­ri­té » dans l’Eglise, il faut préa­la­ble­ment qu’elle soit net­toyée de toute erreur. C’est ce qu’on dit quand on affirme qu’il faut que Rome se conver­tisse avant tout accord, ou que les erreurs doivent d’abord avoir été sup­pri­mées pour qu’on puisse tra­vailler. Mais ce n’est pas la réa­li­té. Il suf­fit de regar­der le pas­sé de l’Eglise, sou­vent et même presque tou­jours, on voit qu’il y a des erreurs répan­dues dans l’Eglise. Or les saints réfor­ma­teurs ne l’ont pas quit­tée pour com­battre ces erreurs. Notre Seigneur nous a appris qu’il y aurait tou­jours de la mau­vaise herbe jusqu’à la fin des temps. Pas seule­ment de la bonne herbe, pas seule­ment du blé.

Au temps des Ariens, les évêques ont œuvré au milieu des erreurs pour convaincre de la véri­té ceux qui se trom­paient. Ils n’ont pas dit qu’ils vou­laient être dehors, comme cer­tains le disent main­te­nant. Bien sûr, il faut tou­jours faire très atten­tion à ces expres­sions ‘dehors’, ‘dedans’, parce que nous sommes d’Eglise et nous sommes catho­liques. Mais pouvons-​nous à ce titre refu­ser de convaincre ceux qui sont dans l’Eglise, au pré­texte qu’ils sont emplis d’erreurs ? Regardons ce qu’ont fait les saints ! Si le Bon Dieu nous per­met d’être dans une nou­velle situa­tion, dans un com­bat rap­pro­ché au ser­vice de la véri­té… Voilà la réa­li­té que nous pré­sente l’histoire de l’Eglise. L’Evangile com­pare le chré­tien au levain, et nous vou­drions que la pâte lève, sans que nous soyons dans la pâte ?

Dans cette situa­tion, pré­sen­tée actuel­le­ment par cer­tains comme une situa­tion impos­sible, on nous demande de venir tra­vailler comme l’ont fait tous les saints réfor­ma­teurs de tous les temps. Bien sûr cela n’enlève pas le dan­ger. Mais si nous avons suf­fi­sam­ment de liber­té pour agir, pour vivre et nous déve­lop­per, cela doit se faire. Je pense vrai­ment que cela doit se faire, à la condi­tion que nous ayons suf­fi­sam­ment de protection.

DICI : Croyez-​vous qu’il y a des membres de la Fraternité qui, consciem­ment ou pas, épousent les thèses sédé­va­can­tistes ? Avez-​vous peur de leur influence ?

Mgr Fellay : Certains peuvent bien être influen­cés par de telles idées, ce n’est pas nou­veau. Je ne pense pas qu’ils soient si nom­breux, mais ils peuvent faire du mal, spé­cia­le­ment en répan­dant de fausses rumeurs. Mais je pense réel­le­ment que la pré­oc­cu­pa­tion prin­ci­pale par­mi nous est plu­tôt la ques­tion de la confiance dans les auto­ri­tés romaines, avec la crainte que ce qui pour­rait arri­ver soit un piège. Personnellement, je suis convain­cu que ce n’est pas le cas.

Chez nous, on se méfie de Rome, parce qu’on a subi trop de décon­ve­nues, c’est pour­quoi l’on pense qu’il peut s’agir d’un piège. Il est vrai que nos enne­mis peuvent son­ger à uti­li­ser cette offre comme un piège, mais le pape qui veut vrai­ment cette recon­nais­sance cano­nique, ne nous la pro­pose pas comme un piège.

Voir ce que la proposition romaine permettra en droit et en fait

DICI : Plusieurs fois vous avez répé­té que le pape veut per­son­nel­le­ment la recon­nais­sance cano­nique de la Fraternité. Est-​ce que vous avez l’assurance per­son­nelle et récente du pape lui-​même que c’est vrai­ment sa volonté ?

Mgr Fellay : Oui c’est le pape qui le veut, et je l’ai dit à plu­sieurs reprises. J’ai suf­fi­sam­ment d’éléments pré­cis en ma pos­ses­sion pour affir­mer que ce que je dis est vrai, bien que je n’aie pas eu de rela­tions directes avec le pape, mais avec ses proches collaborateurs.

DICI : La lettre du 14 avril, signée par les trois autres évêques de la Fraternité, a été mal­heu­reu­se­ment dif­fu­sée sur Internet, est-​ce que l’analyse qu’elle pré­sente cor­res­pond à la situa­tion de l’Eglise ?

Mgr Fellay : Sur leur posi­tion, je n’exclus pas la pos­si­bi­li­té d’une évo­lu­tion. La pre­mière ques­tion pour nous qui avons été sacrés par Mgr Lefebvre était celle de la sur­vie de la Tradition. Je pense que si mes confrères voient et com­prennent qu’en droit et en fait il y a dans la pro­po­si­tion romaine une véri­table pos­si­bi­li­té pour la Fraternité de « tout res­tau­rer dans le Christ », mal­gré tous les troubles qui sub­sistent dans l’Eglise aujourd’hui, alors ils pour­ront réajus­ter leur juge­ment, – alors, c’est-à-dire avec le sta­tut cano­nique en main et les faits sous les yeux. Oui, je le pense, je l’espère. Et nous devons prier à cette intention.

DICI : Quelques-​uns dans le monde, y com­pris des membres de la Fraternité, ont uti­li­sé des pas­sages d’un entre­tien que vous avez accor­dé à Catholic News Services ; ces pas­sages semblent indi­quer qu’à vos yeux Dignitatis Humanae ne fait plus difficulté.
Est-​ce la manière dont a été réa­li­sé cet entre­tien qui a modi­fié le sens de ce que vous vou­liez expri­mer ? Quelle est votre posi­tion sur ce sujet par rap­port à ce que Mgr Lefebvre enseignait ?

Mgr Fellay : Ma posi­tion est celle de la Fraternité et de Mgr Lefebvre. Comme d’habitude, dans une matière aus­si déli­cate, nous devons éta­blir des dis­tinc­tions, et une par­tie de ces dis­tinc­tions a dis­pa­ru dans l’entretien télé­vi­sé qui a été réduit à moins de 6 minutes. Mais la rela­tion écrite que CNS a faite de mes pro­pos, réta­blit ce que j’ai dit et qui n’a pas été rete­nu dans la ver­sion dif­fu­sée : « Bien que Mgr Fellay refuse d’endosser l’interprétation (de la liber­té reli­gieuse) par Benoît XVI comme étant en conti­nui­té avec la Tradition de l’Eglise, – une posi­tion que beau­coup dans l’Eglise ont dis­cu­té très for­te­ment –, Mgr Fellay a par­lé de l’idée en des termes éton­nam­ment sym­pa­thiques. » En fait, j’ai seule­ment rap­pe­lé qu’il y a déjà une solu­tion tra­di­tion­nelle au pro­blème que pose la liber­té reli­gieuse et qui s’appelle la tolé­rance. Au sujet du Concile, lorsqu’on m’a posé la ques­tion : « Est-​ce que Vatican II appar­tient à la Tradition ? », j’ai répon­du : « J’aimerais espé­rer qu’il en soit ain­si » (ce qu’une tra­duc­tion fran­çaise fau­tive a trans­for­mé en : « J’espère que oui »). Cela est bien dans la ligne des dis­tinc­tions opé­rées par Mgr Lefebvre pour lire le Concile à la lumière de la Tradition : ce qui est en accord avec la Tradition, nous l’acceptons ; ce qui est dou­teux, nous le com­pre­nons comme la Tradition l’a tou­jours ensei­gné ; ce qui est oppo­sé, nous le rejetons.

Les rapports de la Fraternité Saint-​Pie X avec les évêques diocésains

DICI : Une pré­la­ture per­son­nelle est la struc­ture cano­nique que vous avez indi­quée dans de récentes décla­ra­tions. Or, dans le Code, le canon n° 297 demande non seule­ment d’informer, mais d’obtenir l’autorisation des évêques dio­cé­sains pour fon­der une œuvre sur leur ter­ri­toire. S’il est clair que toute recon­nais­sance cano­nique pré­ser­ve­ra notre apos­to­lat en son état actuel, êtes-​vous dis­po­sé à accep­ter que les œuvres à venir ne soient pos­sibles qu’avec la per­mis­sion de l’évêque dans les dio­cèses où la Fraternité Saint-​Pie X n’est pas actuel­le­ment présente ? 

Mgr Fellay : Il y a beau­coup de confu­sion sur cette ques­tion, et elle est prin­ci­pa­le­ment cau­sée par une mau­vaise com­pré­hen­sion de la nature de la pré­la­ture per­son­nelle, ain­si que par une mécon­nais­sance de la rela­tion nor­male entre l’ordinaire du lieu et la pré­la­ture. Ajoutez à cela le fait que la seule réfé­rence dis­po­nible aujourd’hui pour une pré­la­ture per­son­nelle soit l’Opus Dei. Pourtant, disons-​le clai­re­ment, si une pré­la­ture per­son­nelle nous était accor­dée, notre situa­tion ne serait pas la même. Pour mieux com­prendre ce qui se pas­se­rait, il faut pen­ser que notre sta­tut serait beau­coup plus sem­blable à celui d’un ordi­na­riat mili­taire, parce que nous aurions une juri­dic­tion ordi­naire sur les fidèles. Nous serions ain­si comme une sorte de dio­cèse dont la juri­dic­tion s’étend à tous ses fidèles indé­pen­dam­ment de leur situa­tion territoriale.

Toutes les cha­pelles, églises, prieu­rés, écoles, œuvres de la Fraternité et des Congrégations reli­gieuses amies seraient recon­nues avec une réelle auto­no­mie pour leur ministère.

Il reste vrai – comme c’est le droit de l’Eglise – que pour ouvrir une nou­velle cha­pelle ou fon­der une œuvre, il serait néces­saire d’avoir la per­mis­sion de l’ordinaire local. Nous avons bien évi­dem­ment pré­sen­té à Rome com­bien notre situa­tion actuelle était dif­fi­cile dans les dio­cèses, et Rome est encore en train d’y tra­vailler. Ici ou là, cette dif­fi­cul­té sera réelle, mais depuis quand la vie est-​elle sans dif­fi­cul­té ? Très pro­ba­ble­ment nous aurons aus­si le pro­blème contraire, c’est-à-dire que nous ne serons pas capables de répondre aux demandes qui vien­dront des évêques amis. Je songe à tel évêque qui pour­rait nous deman­der de nous char­ger de la for­ma­tion des futurs prêtres dans son diocèse.

En aucune façon, nos rela­tions ne seraient celles d’une congré­ga­tion reli­gieuse avec un évêque, mais bien celles d’un évêque avec un autre évêque, tout comme ce qui se passe pour les Ukrainiens, les Arméniens dans la dia­spo­ra. Et donc si une dif­fi­cul­té n’était pas réso­lue, elle irait à Rome, et il y aurait alors une inter­ven­tion romaine pour régler le problème.

Soit dit en pas­sant, ce qui a été rap­por­té sur Internet concer­nant mes pro­pos sur ce sujet, en Autriche, le mois der­nier, est entiè­re­ment faux.

DICI : S’il y a recon­nais­sance cano­nique, qu’arrivera-t-il aux cha­pelles amies de la Fraternité et indé­pen­dantes du dio­cèse ? Est-​ce que les évêques de la Fraternité conti­nue­ront à admi­nis­trer la confir­ma­tion, à four­nir les Saintes Huiles ?

Mgr Fellay : Si elles œuvrent avec nous, il n’y aura pas de pro­blème : ce sera exac­te­ment comme main­te­nant. Si non, tout dépen­dra de ce que ces cha­pelles entendent par indépendance.

DICI : Y aura-​t-​il une dif­fé­rence dans vos rela­tions avec les com­mu­nau­tés Ecclesia Dei ?

Mgr Fellay : La pre­mière dif­fé­rence sera qu’elles seront obli­gées d’arrêter de nous trai­ter de schis­ma­tiques. Pour le déve­lop­pe­ment futur, il est clair que cer­taines se rap­pro­che­ront de nous, puisque déjà elles nous approuvent dis­crè­te­ment ; d’autres non. C’est le temps qui nous dira com­ment la Tradition se déve­lop­pe­ra dans cette nou­velle situa­tion. Nous avons de grandes attentes pour l’apostolat tra­di­tion­nel, tout comme cer­taines per­son­na­li­tés impor­tantes à Rome et comme le Saint-​Père lui-​même. Nous avons grand espoir que la Tradition se déve­loppe avec notre arrivée.

DICI : Toujours s’il y a recon­nais­sance cano­nique, donnerez-​vous la pos­si­bi­li­té à des car­di­naux de la curie, ou à des évêques de visi­ter nos cha­pelles, de célé­brer la messe, d’administrer les confir­ma­tions, peut-​être même de confé­rer les ordi­na­tions dans vos séminaires ?

Mgr Fellay : Les évêques favo­rables à la Tradition, les car­di­naux conser­va­teurs vont se rap­pro­cher. Il y a tout un déve­lop­pe­ment à pré­voir, sans en connaître les détails par­ti­cu­liers. Et il y aura aus­si cer­tai­ne­ment des dif­fi­cul­tés, ce qui est tout à fait nor­mal. Il ne fait pas de doute qu’on vien­dra nous visi­ter, mais pour une col­la­bo­ra­tion plus pré­cise, comme la célé­bra­tion de la messe ou des ordi­na­tions, cela dépen­dra des cir­cons­tances. De même que nous sou­hai­tons que la Tradition se déve­loppe, nous espé­rons voir la Tradition se déve­lop­per chez les évêques et les car­di­naux. Un jour tout sera har­mo­nieu­se­ment tra­di­tion­nel, mais com­bien de temps cela pren­dra, Dieu seul le sait.

DICI : Dans l’attente de la déci­sion romaine, quelles sont vos dis­po­si­tions inté­rieures ? Quelles sont celles que vous sou­hai­te­riez pour les prêtres et les fidèles atta­chés à la Tradition ? 

Mgr Fellay : Lorsqu’en 1988, Mgr Lefebvre annon­ça qu’il allait sacrer quatre évêques, cer­tains l’encouragèrent à le faire et d’autres ten­tèrent de l’en dis­sua­der. Mais notre fon­da­teur conser­vait la paix, car il n’avait en vue que la volon­té de Dieu et le bien de l’Eglise. Aujourd’hui, ce sont les mêmes dis­po­si­tions inté­rieures qu’il nous faut avoir. Comme son saint Patron, la Fraternité Saint-​Pie X a la volon­té de « tout res­tau­rer dans le Christ », cer­tains disent que ce n’est pas le moment, d’autres au contraire que c’est le moment oppor­tun. Pour ma part je ne sais qu’une chose : c’est tou­jours le moment de faire la volon­té de Dieu et il nous la fait connaître en temps oppor­tun, à condi­tion que nous nous mon­trions récep­tifs à ses ins­pi­ra­tions. Pour cela, j’ai deman­dé aux prêtres de renou­ve­ler la consé­cra­tion de la Fraternité Saint-​Pie X au Sacré-​Cœur de Jésus, en sa fête, le 15 juin pro­chain, et de s’y pré­pa­rer par une neu­vaine au cours de laquelle seront réci­tées les lita­nies du Sacré-​Cœur dans toutes nos mai­sons. Tous peuvent s’y asso­cier en deman­dant la grâce de deve­nir des ins­tru­ments dociles de la res­tau­ra­tion de toutes choses en Jésus-​Christ. ()

Menzingen, le 8 juin 2012

Source : DICI n°256 du 08/​06/​12

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.