Encouragements à la fidélité – Dix règles de spiritualité en temps de crise

Présentation

Les règles qui suivent n’ont pas la pré­ten­tion d’être exhaus­tives ni de résoudre toutes les dif­fi­cul­tés, ni de pro­té­ger de tous les dan­gers qui guettent les âmes dans la tem­pête et l’im­mense confu­sion qui règnent actuel­le­ment. Elles pour­ront aider, avec la grâce de Dieu, nos ter­tiaires et les âmes qui nous sont confiées, à gar­der une paix pro­fonde, un esprit sur­na­tu­rel, et à conti­nuer à avan­cer, en se for­ti­fiant chaque jour davan­tage dans les ver­tus qui sont les plus indis­pen­sables à notre époque.

Nous espé­rons que ces règles sont conformes à la pen­sée de notre Mère la Sainte Église, mani­fes­tée plus récem­ment par la voix et les exemples de trois de ses illustres fils : le Cardinal Pie, saint Pie X et Monseigneur Lefebvre, trois lumières pro­vi­den­tielles, trois étoiles spé­ciales que la Divine Providence nous a don­nées pour nous conduire avec sûre­té dans les temps modernes.

Ces règles seront énon­cées et sui­vies de quelques brefs com­men­taires ou déve­lop­pe­ments. Il ne faut pas y cher­cher un trai­té de spi­ri­tua­li­té ou de théo­lo­gie, mais des consi­dé­ra­tions qui per­met­tront de réflé­chir, de médi­ter et d’o­rien­ter ses prières pour deman­der la grâce de la per­sé­vé­rance et de la fidé­li­té jus­qu’à la mort.

La pre­mière règle pré­sente notre devoir pri­mor­dial, la haute mis­sion que le Bon Dieu nous confie, l’ur­gence du moment : gar­der le dépôt de la foi. Le gar­der pour le trans­mettre comme un flam­beau sacré (= règle 2), dans la confor­mi­té à 2 000 ans de Tradition(= 3ème règle). Pour réa­li­ser notre devoir sans défaillir, il nous faut des points d’an­crage plus par­ti­cu­liers : défiance de nous­ mêmes, ren­for­ce­ment de notre vie inté­rieure et de nos connais­sances doc­tri­nales. La 4ème règle insiste donc sur l’hu­mi­li­té, la pié­té et le zèle pour l’é­tude de la doc­trine. La 5ème règle encou­rage à une fière magna­ni­mi­té et la 6ème invite à être plus fer­me­ment unis à Jésus-​Christ et à Jésus-​Christ cru­ci­fié. La 7ème règle rap­pelle la pru­dence dans les rap­ports avec les autres et les condi­tions d’un apos­to­lat fruc­tueux. Le pro­gramme des règles pré­cé­dentes doit favo­ri­ser l’é­qui­libre, la modes­tie (8ème règle), et la joie (9ème règle). Le Cœur Immaculé de Marie est notre refuge : plus la crise est grave, plus nous devons nous y blot­tir et deve­nir des âmes mariales (der­nière règle). Enfin, épi­logue : saint Joseph nous condui­ra avec sûre­té à réa­li­ser le pro­gramme pro­po­sé dans ces dix règles si nous nous met­tons avec confiance sous sa conduite paternelle.

Règle 1 – « Depositum custodi. Garde le dépôt » (Saint Paul, 1 Tim. 6, 20)

Sans aucun mérite de notre part, le Bon Dieu a per­mis que nous gar­dions (ou retrou­vions) la foi et tous les tré­sors divins qui lui sont liés : la vraie Messe et les vrais sacre­ments, la sainte litur­gie, la Sainte Écriture sans cor­rup­tion, le caté­chisme authen­tique, la vie spi­ri­tuelle et la vie reli­gieuse véri­tables, nos Règles fran­cis­caines (pour les trois Ordres de saint François) avec le saint habit qu’elles requièrent.

Être les dépo­si­taires de tant de tré­sors doit nous rem­plir de joie et de gra­ti­tude, mais aus­si de force, de féro­ci­té pour les défendre jus­qu’au mar­tyre si néces­saire. Nous devons avoir une sainte sus­cep­ti­bi­li­té pour tout ce qui touche les inté­rêts de Jésus-​Christ et son honneur.

Il faut lire à ce sujet les excel­lentes remarques du R.P. Faber dans son ouvrage Tout pour Jésus, chap. Il, § III, La sus­cep­ti­bi­li­té en ce qui touche les inté­rêts de Jésus. « Cette admi­rable sus­cep­ti­bi­li­té pour les inté­rêts de Jésus », remarque entre autres choses le P. Faber, ins­pire « une hor­reur ins­tinc­tive de l’hé­ré­sie et de toutes les fausses doc­trines, et un tact par­ti­cu­lier pour les décou­vrir. L’intégrité de la foi consti­tue l’un des plus chers inté­rêts de Jésus ; aus­si, un cœur péné­tré d’un amour sin­cère pour son Seigneur et son Dieu, souffre-​t-​il au-​delà de toute expres­sion quand il entend expo­ser de fausses doc­trines, sur­tout par­mi les catho­liques ». Que dirait le P. Faber aujourd’hui ?

Nous devons, par consé­quent, nous oppo­ser à tout ce qui déna­ture ces tré­sors, non pour la satis­fac­tion d’a­voir rai­son, mais parce que la gloire de Dieu et le bien des âmes sont en jeu. Il fau­drait que nos âmes soient mues par les nobles et géné­reux sen­ti­ments qui ani­maient Mgr Lefebvre lors­qu’il expli­quait aux sémi­na­ristes d’Écône sa fameuse décla­ra­tion du 21 novembre 1974. « Cette décla­ra­tion (du 21 novembre), évi­dem­ment peut vous paraître très forte, mais je crois qu’elle est néces­saire. On ne peut pas, on ne peut plus se taire, devant un tel désastre qui atteint les âmes. Car c’est cela qu’il faut voir : les ins­ti­tu­tions sont peu de choses, bien qu’elles soient divines, tan­dis que ce sont les âmes qui se perdent, le nombre des âmes qui vont en enfer à cause de cette réforme est de plus en plus grand : des âmes qui ne croient plus à la pré­sence réelle, des âmes qui ne croient plus au sacri­fice de la messe, des âmes qui n’ont plus de res­pect pour la sainte Eucharistie, par consé­quent : des âmes qui ne se confessent plus(…) et tous ces cou­vents, ces cou­vents déser­tés, des reli­gieuses sont dis­per­sées, des sémi­naires vides ». (Mgr Lefebvre, confé­rence spi­ri­tuelle du 2 décembre 1974 citée dans le Actes du 4ème Symposium de Paris sur Vatican II, Octobre 2005, p. 17)

Il nous faut nous oppo­ser à tout ce qui met ces tré­sors en péril : non seule­ment le moder­nisme, « égout col­lec­teur de toutes les héré­sies », mais aus­si le libé­ra­lisme, véri­table mala­die de l’âme, et toutes les formes de « semi­ libé­ra­lisme », non moins dan­ge­reuses parce que plus subtiles.

Et si l’au­to­ri­té elle-​même met en péril ce dépôt ou le cor­rompt, comme c’est le cas depuis 50 ans, si saint Paul ou un ange vient nous impo­ser, au nom de l’o­béis­sance, une autre foi, alors notre devoir est clair : refu­ser une fausse obéis­sance. « Le coup magis­tral de Satan est d’être arri­vé à jeter dans la déso­béis­sance à toute la Tradition par obéis­sance » (Mgr Lefebvre, Un évêque parle, en exergue et p. 148)

« Obéir à la déso­béis­sance, c’est la pire des rébel­lions. Se croire saint parce qu’on dit « moi j’o­béis !» aux jours où nous vivons, c’est dor­mir, c’est tra­hir. Il a tou­jours fal­lu être agis­sant et éclai­ré pour bien obéir » (Luce Quenette, Lettre de la Péraudière n° 269, mars 2005, p. 5).

L’autorité est au ser­vice du dépôt divin. Si elle tra­hit, elle perd tous ses droits à se faire écou­ter et obéir. La foi et la doc­trine doivent avoir tou­jours la primauté.

Un texte lumi­neux du Cardinal Pie résume cette 1ère Règle et nous trace notre devoir :

« Quand fut-​il plus néces­saire qu’au­jourd’­hui d’a­voir l’œil atta­ché sur le dépôt, afin de n’en lais­ser déro­ber, de n’en lais­ser cor­rompre aucune par­tie ? A mesure que l’im­pié­té fait fi de l’ob­jet de notre croyance, n’arrive-​t-​il pas que les chré­tiens du monde, que les ministres mêmes du sanc­tuaire se montrent trop dis­po­sés à en sacri­fier l’in­té­gri­té, à en alté­rer la pure­té ? Et pour­tant, ne I “oublions jamais, ce qui a fait la force des âges pré­cé­dents, c’est l’im­por­tance majeure que le peuple fidèle, et sur­tout les hommes d’Église, ont tou­jours atta­chée aux ques­tions doc­tri­nales. Là est le nerf des choses. C’est à l’in­domp­table téna­ci­té de nos devan­ciers, c’est à leur vigi­lance atten­tive, à leur sol­li­ci­tude jalouse, à leur déli­ca­tesse en quelque sorte vir­gi­nale en matière de doc­trine que l’Église a dû de triom­pher de tous les dan­gers, de tous les assauts semés sur la route des siècles. « Sachez-​le, disait saint Basile au ministre de l’empereur, ceux qui ont été nour­ris des oracles divins ne tolèrent pas que l’on cor­rompe une seule syl­labe des dogmes sacrés ; pour le main­tien de leur inté­gri­té, ils endurent, s’il le faut, tous les genres de mort (S. Greg. Naz., in laud. S. Basil.)» » (Œuvres de Mgr l’Évêque de Poitiers, 4c éd., Tome V, p. 375).

Règle 2 – « Tradidi quod et accepi. J’ai transmis ce que j’ai reçu » (Saint Paul, Cor. 15,31)

Le dépôt que nous avons reçu n’est pas seule­ment pour nous. Nous avons le devoir de le trans­mettre comme un flam­beau. Nos Pères dans la foi ont beau­coup tra­vaillé et souf­fert pour nous le léguer. Nous ne devons en aucun cas tra­hir nos devan­ciers dans la lutte pour la sau­ve­garde de la Tradition. Ce patri­moine sacré a coû­té cher à ceux qui nous l’ont trans­mis : Pères, Docteurs de l’Église, Martyrs innom­brables et, plus récem­ment, tous les grands com­bat­tants comme Mgr Lefebvre, le Père Eugène de Villeurbanne et tant de prêtres et de laïcs qui ont lut­té cou­ra­geu­se­ment et héroï­que­ment pour trans­mettre la foi et ses Trésors.

Nos cœurs doivent débor­der d’une gra­ti­tude pro­fonde qui nous pous­se­ra à mettre un soin très atten­tif à trans­mettre, à notre tour, ce que nous avons reçu, aux géné­ra­tions futures. Il fau­dra qu’à notre mort nous puis­sions dire nous aus­si : « Ce que j’ai moi-​même reçu, je l’ai trans­mis inté­gra­le­ment ». Les géné­ra­tions qui se suivent res­semblent aux maillons d’une chaîne. Il suf­fit qu’un maillon se brise pour que la chaîne soit rom­pue. Plaise à Dieu que notre géné­ra­tion ne soit pas celle qui por­te­ra, devant l’Histoire, la res­pon­sa­bi­li­té de la rup­ture de cette chaîne.

Règle 3 « Semper idem » (Devise du Cardinal Ottaviani)

Pour nous aider à gar­der et trans­mettre le dépôt, il nous suf­fit de res­ter tout sim­ple­ment dans la confor­mi­té à 2000 ans de chris­tia­nisme, qui forment pour nous comme un fil direc­teur infaillible. Continuons serei­ne­ment à suivre l” « Église de tou­jours » (expres­sion chère à Mgr Lefebvre), celle des Apôtres, des saints Papes de tous les siècles, des mar­tyrs, des Fondateurs d’Ordre, l’Église de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Sans l’a­voir méri­té, nous nous trou­vons au cœur de l’Église notre Mère. Restons‑y pai­si­ble­ment. N’en bou­geons pas, ni d’un côté (ten­ta­tion de sédé­va­can­tisme) ni de l’autre (ten­ta­tion de ral­lie­ment à l” « Église conci­liaire »). Notre cœur doit tou­jours battre à l’u­nis­son de la Sainte Église. Ne devan­çons pas la Providence par des ini­tia­tives trop per­son­nelles. Mgr Lefebvre a tou­jours sui­vi le plan de Dieu, il n’a pas vou­lu créer un mou­ve­ment ni être consi­dé­ré comme le « chef de file des tra­di­tio­na­listes ». Ne nous agi­tons pas. En cas de trouble, on ne bouge pas, selon le fameux conseil de saint Ignace. Restons dans la lignée pure et simple, ras­su­rante et puis­sante de la Tradition bimil­lé­naire de l’Église, chaîne inin­ter­rom­pue et merveilleuse.

Par un effet de l’im­mense bon­té de Dieu nous appar­te­nons à cette famille de la Sainte Église catho­lique « de tou­jours ». Malgré les accu­sa­tions de schisme, mal­gré toutes les ten­ta­tives pour nous mar­gi­na­li­ser et nous per­sé­cu­ter, res­tons très en paix et sui­vons le conseil du Cardinal Pie : « Demeurez donc fermes dans la foi antique et inva­riable de la Sainte Église » (Id, IV, p. 590). Ne nous lais­sons pas désta­bi­li­ser par notre petit nombre car le nombre n’a jamais fait la véri­té. Le « petit trou­peau » (Saint Luc 12,32) de Notre Seigneur a déjà les pro­messes de la victoire.

Règle 4 – « Caveat ne cadat. Que celui qui pense être debout prenne garde de ne pas tomber » (Saint Paul 1, Cor. 10, 12)

N’oublions jamais cet aver­tis­se­ment de l’Apôtre et gar­dons tou­jours conscience de notre extrême vul­né­ra­bi­li­té per­son­nelle : soyons humbles dans nos juge­ments, conver­sa­tions, écrits (Internet !), défiants de nous-​mêmes, ce qui ne veut pas dire que nous devons abdi­quer notre juge­ment et deve­nir pusillanimes.

Cette règle ne s’op­pose pas à la magna­ni­mi­té et aux saintes audaces :si le devoir le demande, il faut par­ler haut et fort. Mais pour avoir le cou­rage de le faire et de le bien faire, il faut une pré­pa­ra­tion, comme un état de retraite, à l’a­bri du monde, des regards indis­crets et des attraits de la vani­té qui aime à se pro­duire à l’ex­té­rieur. Les retraites que nous pour­rons suivre et cet esprit de retraite habi­tuel, seront le bon cli­mat indis­pen­sable à nos âmes. S’il faut sor­tir de cette vie cachée, la Divine Providence le mon­tre­ra clai­re­ment et nous don­ne­ra lumière et force pour par­ler et agir ouver­te­ment à la face du monde.

Ne jugeons pas de tout et de tous, à tort et à tra­vers, sans avoir « toutes les pièces des dos­siers ». Ne nous mêlons pas de ce qui ne nous regarde pas par devoir d’é­tat. Autant que faire se peut, gar­dons la paix, la cha­ri­té et la déli­ca­tesse envers tous. Le vigou­reux anti-​libéralisme que Dieu attend de nous n’a pas besoin d’être assai­son­né de zèle amer et de pas­sion personnelle.

Outre l’hu­mi­li­té, deux autres points d’an­crage sont très néces­saires : nous devons nous enra­ci­ner chaque jour davan­tage dans la vie inté­rieure et dans la vie doc­tri­nale pour évi­ter de nous lais­ser gui­der par nos impres­sions et les pièges de nos enne­mis. Il faut nous livrer à la médi­ta­tion (quo­ti­dienne, si pos­sible ‑et c’est rare­ment impos­sible si on le veut vrai­ment) et à l’é­tude doc­tri­nale pour bien connaître notre foi et les grands prin­cipes immuables aux­quels nous devons nous atta­cher coûte que coûte.

Pour cela il est indis­pen­sable de consa­crer du temps à se for­mer. Le com­bat actuel, déclen­ché très ouver­te­ment par le Concile Vatican II, que Mgr Lefebvre appe­lait « la 3ème guerre mon­diale », se situe avant tout et essen­tiel­le­ment au niveau de la foi, de la doc­trine et des prin­cipes. Nous devons étu­dier les prin­cipes : les faux prin­cipes, car leurs consé­quences sont capi­tales et expliquent le drame que nous vivons, les vrais prin­cipes, afin de nous y atta­cher, de les défendre, de savoir remon­ter à eux comme à des réfé­rences infaillibles. Ce pro­gramme, ardu mais néces­saire pour per­sé­vé­rer, nous uni­ra de plus en plus à Notre Seigneur, le Principe des prin­cipes : « Ego prin­ci­pium. Je suis le Principe » (Apoc. 21,6).

Règle 5- « Fecit mihi magna. Celui qui est puissant a fait en moi de grandes choses » (Notre-​Dame dans son Magnificat)

Si l’hu­mi­li­té est indis­pen­sable, elle doit s’al­lier à une fière magna­ni­mi­té. Cette der­nière est beau­coup trop rare. De son temps déjà, le Père de Foucauld s’é­ton­nait de devoir prê­cher davan­tage la fier­té chré­tienne que l’hu­mi­li­té. Et saint Augustin a une belle for­mule « Magna magne desi­de­rare – Désirer gran­de­ment les grandes choses ».

Voici ce que l’on peut lire dans L’histoire du Cardinal Pie de Mgr Baunard (2ème éd., Tome 1, p. 78). L’abbé Lecomte, le maître de notre futur ter­tiaire car­di­nal, insis­tait sur les deux vertus.

« La direc­tion de M. Lecomte consis­tait à faire voir com­ment on pou­vait et on devait être humble sans ces­ser d’être grand, en ne cher­chant sa gran­deur qu’en Dieu, selon Dieu, pour Dieu. Ce maître écrit dans ses lettres :«Une amou­reuse connais­sance des dons de Dieu en nous l’ho­nore plus que l’at­ten­tion à les dis­si­mu­ler de peur de l’en­flure. Nous sommes faits pour la gloire, et, non­obs­tant nos contraintes, ce noble fond nous reste. Fecit mihi magna qui potens est, disait la plus humble, mais aus­si la plus magna­nime des créa­tures. Ah ! vrai­ment, cher ami, il ne faut pas que l’en­ne­mi nous ravisse l’u­nique joie que nous avons en ce monde, celle de voir et de sen­tir tout le bien que Dieu nous fait. On parle tou­jours dans les livres de ce que nous sommes en nous-​mêmes, presque jamais de ce que nous sommes en Dieu. L’un abat l’âme, l’autre l’é­lève, exalte le cou­rage et trans­porte l’amour. » »

Ces voies d’hu­mi­li­té et de gran­deur à la fois plai­saient au jeune abbé Pie qui écri­vait dans ses notes personnelles :

« (…)J’aspire à être grand, j’en ai le droit. Mon cœur est plus grand que le monde, et il n’y a que Dieu qui puisse le rem­plir. Je veux donc être grand, et pour cela il faut que je m’at­tache au Dieu grand. Mon Dieu, j’aime votre gran­deur qui est la mesure de la mienne ! »

Les temps de crise, et le nôtre très spé­cia­le­ment, réclament des âmes très magna­nimes. Cette magna­ni­mi­té consiste d’a­bord à recon­naître les grâces immenses que le Bon Dieu nous octroie et à lui en rendre toute la gloire. Puis elle entraîne à se poser la ques­tion sérieu­se­ment devant Dieu : « Comment vous rendre géné­reu­se­ment ce que vous m’a­vez don­né ? » La réponse est assez évi­dente : le ter­rain sur lequel doit s’exer­cer la magna­ni­mi­té nous est dési­gné par les enne­mis de Jésus-​Christ. Tout ce qu’ils attaquent le plus est aus­si tout ce que nous devons défendre avec le plus de panache. Concrètement, notre magna­ni­mi­té doit consis­ter à œuvrer de toutes nos forces au règne du Christ­ Roi, objet prin­ci­pal et cen­tral de la haine de Satan et de ses sup­pôts depuis 150 ans surtout.

Soyons de dignes fils de la Sainte Église, soyons de ces « cœurs fidèles » dont il est ques­tion à la fin de cette page magni­fique du magna­nime Cardinal Pie :

« Le prin­ci­pal béné­fice à tirer de l’er­reur, de l’hé­ré­sie, et de toutes les oppo­si­tions que ren­contre la véri­té par­mi les hommes, c’est la mise en lumière et la glo­ri­fi­ca­tion du point même de doc­trine qui est spé­cia­le­ment nié et com­bat­tu. Les plus illustres doc­teurs, tels que Tertullien, saint Hilaire, saint Augustin, saint Vincent de Lérins, ont ample­ment déve­lop­pé cet ordre de pro­vi­dence. Leurs textes sont trop connus pour qu’il soit besoin de les repro­duire ici : la suite m’a­mè­ne­ra d’ailleurs à en citer quelques pas­sages. Mais, dès ce début, un point doit demeu­rer acquis. Voulez-​vous savoir de quel côté les hommes appli­qués aux sciences sacrées doivent por­ter de pré­fé­rence leurs études, leurs recherches et tout le mou­ve­ment de leur tra­vail intel­lec­tuel ; sur quelles matières les écri­vains reli­gieux et sur­tout les guides et les doc­teurs spi­ri­tuels des peuples doivent concen­trer leurs contro­verses, leurs démons­tra­tions, leurs ensei­gne­ments ; enfin à quels sujets de médi­ta­tions, à quel choix de contem­pla­tions et de prières doivent s’a­don­ner avec plus de pré­di­lec­tion les âmes vrai­ment ani­mées de l’es­prit de Dieu ? Regardez de quel côté l’er­reur dirige ses attaques, ses néga­tions, ses blas­phèmes. Ce qui est atta­qué, nié, blas­phé­mé dans chaque siècle, c’est là prin­ci­pa­le­ment ce que ce même siècle doit défendre, doit affir­mer, doit confes­ser. Où abonde le délit, il faut que la grâce sur­abonde. Aux obs­cur­cis­se­ments de l’es­prit, aux refroi­dis­se­ments du cœur, il faut oppo­ser un sur­croît de lumière, une recru­des­cence d’a­mour. Amoindrie, défor­mée, para­ly­sée dans un cer­tain nombre d’âmes, il faut que la véri­té devienne plus intacte, plus cor­recte, plus agis­sante dans les autres. Quand le monde conteste, c’est alors que l’Église scrute, qu’elle appro­fon­dit, qu’elle pré­cise, qu’elle défi­nit, qu’elle pro­clame. A mesure qu’on le contre­dit davan­tage, son ensei­gne­ment s’am­pli­fie et se déve­loppe, s’illu­mine et s’en­flamme. L’amour de la doc­trine, la pas­sion de la véri­té s’é­chauffent dans les cœurs fidèles ; et le dépôt sacré, loin de subir aucune dimi­nu­tion, pro­duit alors au grand jour tout le tré­sor de ses richesses. » (Troisième ins­truc­tion syno­dale sur les prin­ci­pales erreurs du temps pré­sent, juillet 1862 et août 1863, Œuvres, V, p. 36–37).

Voilà pour­quoi une âme très magna­nime comme celle de sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus, rêvait de vivre aux temps dif­fi­ciles de l’Antéchrist.

« En son­geant aux tour­ments qui seront le par­tage des chré­tiens aux temps de l’an­té­christ, je sens mon cœur tres­saillir et je vou­drais que ces tour­ments me soient réser­vés… Jésus, Jésus, si je vou­lais écrire tous mes dési­rs, il me fau­drait emprun­ter ton livre de vie, là sont rap­por­tées les actions de tous les Saints et ces actions, je vou­drais les avoir accom­plies pour toi… » (Sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus, Manuscrits auto­bio­gra­phiques, Carmel de Lisieux, 1957, p. 227–228).

Que Notre-​Dame du Magnificat nous entraîne à ne jamais être pusil­la­nimes sous le pré­texte d’une fausse humi­li­té. Qu’elle nous aide à exer­cer la ver­tu de magna­ni­mi­té par­tout où l’hon­neur et l’a­mour de Jésus-​Christ nous attendent, par­tout où la Sainte Église notre Mère réclame notre auda­cieuse générosité.

Règle 6- « Stat crux. La croix reste debout et fixe tandis que le monde tourne » (Devise des Chartreux)

L’attachement à la Croix et à la Passion de Notre Seigneur est aus­si un des meilleurs points d’an­crage pour nos âmes, une excel­lente pro­tec­tion contre l’es­prit du monde et ses illu­sions. Il donne de vives lumières pour com­prendre la Passion dou­lou­reuse que subit actuel­le­ment la Sainte Église à l’i­mage du Divin Maître. Que de force et de confiance sont à pui­ser au pied de la Croix. La spi­ri­tua­li­té de la Croix pro­duit une sagesse supé­rieure et une paix pro­fonde. Demandons la science de la Croix. Dans les temps de crise et d’é­preuve, c’est la science la plus utile, la plus belle et la plus réaliste.

Dans le com­bat des deux cités, pre­nons tou­jours réso­lu­ment le par­ti de Jésus-​Christ contre le par­ti du prince de ce monde, contre le par­ti des solu­tions de rêve, super­fi­cielles, illu­soires et pure­ment pra­tiques. L’Église « Conciliaire » a vou­lu s’ou­vrir au monde et l’es­prit du monde s’est intro­duit jus­qu’au plus pro­fond des cloîtres les plus reti­rés, détrui­sant tout sur son pas­sage. Renonçons à Satan, à l’es­prit de mon­da­ni­té et de légè­re­té qu’il ins­pire et attachons-​nous fer­me­ment à Jésus-​Christ et à Jésus-​Christ crucifié.

Règle 7 – « Hereticum devita. Évite l’hérétique après un premier et un second avertissement » (Saint Paul à Tite 3,10)

Pour pro­té­ger notre foi, il nous faut retrou­ver la sainte et sévère pru­dence des Apôtres, des Pères et des Docteurs de l’Église par rap­port aux héré­tiques et à, tous les enne­mis de la foi. Si nous avions un plus grand amour de Jésus-​Christ et de la véri­té nous com­pren­drions mieux, par exemple, pour­quoi saint Jean, l’Apôtre bien-​aimé et le doc­teur de la cha­ri­té fra­ter­nelle, s’ex­pri­mait ain­si pour pro­té­ger ses dis­ciples des héré­tiques de son temps : « Si quel­qu’un vient à vous et ne pro­fesse pas cette doc­trine, ne le rece­vez pas dans votre mai­son et ne le saluez pas » (Saint Jean, 2, Épître, l 0).

Nous ne serions pas non plus éton­nés d’ap­prendre de saint Irénée que le même saint Jean soit sor­ti pré­ci­pi­tam­ment des bains à Éphèse après avoir appris que Cérinthe l’hé­ré­tique s’y trou­vait, en expli­quant sa crainte que les bains ne s’ef­fondrent puisque s’y trou­vait Cérinthe « l’en­ne­mi de la véri­té » (Adversus Hrereses, III, 3 – P.G. 7,853). A l’hé­ré­tique Marcion, ren­con­tré par hasard à Rome et qui lui deman­dait s’il le connais­sait, le doux Apôtre n’hé­si­tait pas aus­si à répli­quer : « Oui, je connais le premier-​né du diable » (id.).

Il nous faut, par consé­quent, une grande pru­dence par rap­port aux moder­nistes, par rap­port à tous ceux qui sont atteints de la mala­die du libé­ra­lisme, par rap­port à ceux qui n’ont pas com­pris la pri­mau­té abso­lue de la foi et de la doc­trine, par rap­port à tous ceux qui ne défendent plus ouver­te­ment la véri­té en ne s’op­po­sant pas aux scan­dales renou­ve­lés de la Rome conciliaire.

Au nom d’un prin­cipe supé­rieur (pro­té­ger sa foi), il faut évi­ter d’as­sis­ter aux messes des prêtres dits « ral­liés », aus­si saints et édi­fiants soient-​ils. Et il faut évi­ter les contacts non néces­saires avec les fidèles de ces grou­pe­ments « Ecclesia Dei ». Les conser­va­teurs libé­raux sont pour nous les plus dan­ge­reux.

Dans toutes ces consi­dé­ra­tions de pru­dence, il ne s’a­git pas de juger du for interne des consciences mais de se mettre à l’a­bri de dan­gers externes objec­tifs. Ne nous met­tons pas dans une situa­tion de ral­lie­ment à la Rome conci­liaire, situa­tion qui nous obli­ge­rait tôt ou tard à des conces­sions d’ordre doc­tri­nal et litur­gique, comme l’ex­pé­rience des dif­fé­rents ral­lie­ments depuis 1988 l’a mal­heu­reu­se­ment prou­vé. Puissions-​nous ne jamais avoir à méri­ter la sévère mais réa­liste défi­ni­tion du « ral­lié » don­née, il y a bien long­temps déjà, par Abel Bonnard, ministre de l’Éducation Nationale du Maréchal Pétain de 1942 à 1944, dans son livre de Pensées :

« Le ral­lié reste ‑dans ses rap­ports avec ceux qu’il a rejoints ‑un subal­terne, un homme qu’on ne consulte pas, qui n’a jamais part à ce qu’on décide, qu’on manie comme on veut et qui, res­tant frap­pé d’une sus­pi­cion que rien n’ef­face, doit tou­jours faire et refaire la preuve de sa sin­cé­ri­té et ne la fait que par des renie­ments et des abandons. »

Et nous ne devons pas mettre notre foi en péril ou en amoin­drir l’ab­so­lu sous pré­texte d’a­pos­to­lat. L’intransigeance doc­tri­nale et l’at­ta­che­ment ferme aux vrais prin­cipes ont tou­jours eu un grand impact apos­to­lique alors que l’a­moin­dris­se­ment des véri­tés n’a jamais pro­duit un apos­to­lat effi­cace. « II suf­fit d’ailleurs, disait le Cardinal Pie, d’un petit nombre de récla­mants pour sau­ver l’in­té­gri­té des doc­trines ; et l’in­té­gri­té des doc­trines, c’est l’u­nique chance du réta­blis­se­ment de l’ordre dans le monde » (Œuvres, V, p. 203).

Cette pru­dence par rap­port aux graves dan­gers qui nous menacent n’ex­clut pas l’exer­cice de l’a­pos­to­lat : l’ex­trême misère des âmes doit nous ins­pi­rer une pro­fonde pitié. Un zèle apos­to­lique intense et éclai­ré doit nous pous­ser à tout mettre en œuvre pour le salut de nos contem­po­rains. Si la pêche au filet est deve­nue bien dif­fi­cile, la pêche à la ligne est un devoir rigou­reux dans toutes les occa­sions que la Divine Providence nous pré­sente de « faire du bien » autour de nous.

Règle 8 – « Modestia vestra nota sit. Que votre modestie soit connue de tous les hommes » (Saint Paul aux Phil. 4,5)

Les mal­heurs des temps ne doivent pas entraî­ner à une moro­si­té mal­saine ni à une ten­sion conti­nuelle. L’esprit sur­na­tu­rel, la vie d’u­nion à Dieu aide tou­jours à trou­ver l’at­ti­tude inté­rieure et exté­rieure conve­nable, où l’é­qui­libre et le bon sens ne perdent jamais leurs droits. A une sainte intran­si­geance doivent être jointes une modé­ra­tion ver­tueuse (non le « modé­ran­tisme » libé­ral qui se com­plaît dans une fausse mesure), une cer­taine sou­plesse et beau­coup d’af­fa­bi­li­té. Là encore saint Pie X, le Cardinal Pie et Mgr Lefebvre sont des modèles à admi­rer et à imi­ter dans cette modes­tie dont parle saint Paul, c’est­ à‑dire dans la juste mesure, la bon­té, la man­sué­tude uni­ver­selle, la douceur.

Règle 9 – « Gaudete in Domino semper. Réjouissez-​vous dans le Seigneur en tout temps (Saint Paul aux Phil. 4,4)

Non seule­ment la moro­si­té doit être ban­nie de nos âmes, mais une joie sur­na­tu­relle habi­tuelle doit les rem­plir. Bien sûr, cette joie n’est pas celle du monde, super­fi­cielle et éphé­mère, mais celle du séra­phique Père saint François, cette joie par­faite que l’on goûte au sein des épreuves et des adversités.

Ces temps de crise ne sont pas des­ti­nés à nous déses­pé­rer, à nous « cou­ler », mais à nous faire réagir, à nous pous­ser à sor­tir de notre tié­deur et de notre médio­cri­té. Nous sommes, en quelque sorte, accu­lés à la sain­te­té et c’est une immense grâce à laquelle la Divine Providence nous a pré­des­ti­nés entre dix mille.

Cette grâce nous donne l’oc­ca­sion de beau­coup de joie, joie de pou­voir tra­vailler et souf­frir pour l’hon­neur de Notre Seigneur Jésus-​Christ et le bien des âmes, joie de pou­voir connaître la véri­té inté­grale, joie d’a­voir tous les moyens néces­saires à une vie spi­ri­tuelle épa­nouie, joie de pou­voir goû­ter, savou­rer le Bon Dieu dans la sainte Communion ou dans la médi­ta­tion. Temps de crise extra­or­di­naire, oui. Mais aus­si : grâces pro­por­tion­nées extra­or­di­naires et occa­sions d’ai­mer le Bon Dieu de façon extraordinaire.

Règle 10- « Tuus som ego. Je suis tout à vous » (Ps. 118,94 et devise mariale du Cardinal Pie)

Une humble confiance envers la Sainte Vierge nous assu­re­ra infailli­ble­ment sa pro­tec­tion mater­nelle. Consacrons-​nous à elle, abandonnons-​lui tout, et spé­cia­le­ment notre per­sé­vé­rance jus­qu’au der­nier ins­tant. Soyons très atten­tifs à tout ce qu’elle nous a appris et pres­crit dans ses grandes appa­ri­tions de La Salette ou de Fatima, spé­cia­le­ment la pra­tique des cinq pre­miers same­dis du mois. Ayons une solide et virile pié­té mariale, per­sé­vé­rons à tout prix dans la réci­ta­tion quo­ti­dienne du cha­pe­let ou du rosaire.

Rappelons-​nous tou­jours les paroles de saint Bernard :

« En sui­vant Marie, on ne dévie pas, en la priant, on ne déses­père pas, en pen­sant à elle, on ne se trompe pas. Si elle te tient par la main, tu ne tom­be­ras pas. Si elle te pro­tège, tu ne crain­dras pas. Si elle te guide, tu ne connaî­tras pas la fatigue. Si elle est avec toi, tu es sûr d’ar­ri­ver au but. »

Puisons auprès d’elle la force pour que la modes­tie chré­tienne soit le véri­table signe dis­tinc­tif de nos foyers, de nos com­por­te­ments, de nos vête­ments. Celui qui se laisse aller dans son exté­rieur montre par là même qu’il se laisse aller dans son inté­rieur. Que l’Immaculée nous ins­pire l’hor­reur du libé­ra­lisme, de l’es­prit du monde, de la mol­lesse et de la médiocrité.

Épilogue : « Allons à Joseph ! »

Pour vivre les dix règles qui viennent d’être pro­po­sées, y com­pris la der­nière, il n’y a pas de meilleure solu­tion que de se mettre sous la conduite du très puis­sant Patron de l’Église uni­ver­selle, saint Joseph. A lui est dévo­lue tout spé­cia­le­ment la mis­sion de gui­der et de gar­der la Sainte Église et tous ses membres.

Recourons à lui dans les tri­bu­la­tions pré­sentes comme nous y invite l’Église depuis 150 ans sur­tout. Il nous pré­ser­ve­ra « de toute souillure d’er­reur et de cor­rup­tion ». Il nous assis­te­ra « dans le com­bat que nous livrons à la puis­sance des ténèbres ». Il cou­vri­ra de sa per­pé­tuelle pro­tec­tion toutes les âmes qui s’a­ban­don­ne­ront, comme Jésus et Marie, à son invin­cible patronage.

« Ô Joseph, Père Vierge de Jésus, très pur Époux de la Vierge Marie,
priez pour nous chaque jour Jésus, le Fils de Dieu, de nous munir des armes de sa grâce,
afin que, com­bat­tant selon les règles en cette vie, nous soyons par lui cou­ron­nés à notre mort »

(Prière indul­gen­ciée par saint Pie X en 1906).

Source : Supplément à la Lettre Tertiaire Franciscaine n° 266 de mars-​avril 2015