Mgr Bernard Fellay : au sujet de Campos – 2 mars 2002

La conjonc­tion, à quelques jours près, de la recon­nais­sance de Campos par Rome, que cer­tains pensent être une recon­nais­sance de la Tradition, et de la jour­née d’Assise, qui est à l’extrême oppo­sé de la Tradition pré­sente une telle contra­dic­tion qu’elle nous oblige à un regard appro­fon­di ; la démo­li­tion sys­té­ma­tique de tout ce qui est tra­di­tion­nel dans l’Eglise depuis le concile Vatican II impose une cohé­rence logique dans l’œuvre entre­prise. Avant de saluer la recon­nais­sance de Campos comme un retour de Rome à la Tradition, nous sommes obli­gés de nous deman­der si cet évé­ne­ment ne peut pas aus­si, ne doit pas aus­si, être insé­ré dans la logique post-​conciliaire : et pré­ci­sé­ment la jour­née d’Assise four­nit un argu­ment pro­bant en faveur de cette thèse. Si la Rome post-​conciliaire est capable de réunir tant de reli­gions, on peut même dire toutes les reli­gions, pour une cause com­mune reli­gieuse, com­ment ne pourrait-​elle pas aus­si trou­ver une petite place pour la Tradition ?

Faut-​il y voir un dilemme pour Rome : résor­ber le « schisme de la Tradition » en l’acceptant, alors que cette der­nière s’est mon­trée jusqu’ici exclu­sive et condam­na­toire (et donc accep­ter qu’elle a rai­son contre la Rome moder­niste) ou conti­nuer dans la ligne des réformes ? Très mani­fes­te­ment, la ligne des réformes est main­te­nue comme prin­cipe intan­gible et irré­ver­sible. Donc la condi­tion que Rome doit poser pour l’acceptation d’un mou­ve­ment tra­di­tion­nel est l’accord de prin­cipe du Concile (on peut dis­cu­ter sur les nuances et cer­taines conclu­sions). C’est le pas obli­gé. C’est l’entrée dans le plu­ra­lisme sous appa­rence de recon­nais­sance de la part de Rome, qui est impo­sé, ce n’est pas le retour de l’Église conci­liaire à la Tradition. Le Cardinal Castrillón me reproche cet argu­ment. Ce ne serait pas au nom du plu­ra­lisme que Rome désire notre retour, ce n’est pas dans une situa­tion plu­ra­liste que l’on veut nous pla­cer. Et pourtant.

La condi­tion pour réa­li­ser ce nou­veau pro­dige a été expri­mée par le Cardinal Castrillón, acteur de l’accord cam­po­sien dès avant le début des dis­cus­sions dans un article de 30Giorni d’abord en automne 2000, dans la Nef ensuite, fina­le­ment à Campos, lors d’une confé­rence de presse, le 19 jan­vier 2002. Le théo­lo­gien de la mai­son pon­ti­fi­cale, le Père Cottier, n’a pas usé d’autre argu­ment d’ailleurs : l’acceptation du Concile est mani­fes­te­ment le point majeur et déter­mi­nant (vient ensuite l’acceptation de la nou­velle messe). C’est le prin­cipe d’où est par­tie la révo­lu­tion dans l’Église, et de fait, tout le reste suit. Devant ce fait, il me semble que nous nous trou­vons devant une ambi­guï­té de plus par rap­port à l’Eglise conci­liaire : lorsque nous disons accep­ter le Concile avec des res­tric­tions (refu­ser ce qui est contraire à l’enseignement pérenne, inter­pré­ter l’ambigu à la lumière de la Tradition, accep­ter le tou­jours ensei­gné), il semble bien que nous disons tout autre chose que ce qu’en com­prennent les romains. Car fon­da­men­ta­le­ment, nous consi­dé­rons ce Concile comme la grande catas­trophe du XXe siècle, la cause de dom­mages incal­cu­lables faits à l’Eglise et aux âmes, alors qu’eux y voient le grand miracle du XXe siècle, le bain de jou­vence de l’Église.

Tout le reste suit : Le Père Cottier annonce le pro­chain pas que « l’on » attend de Campos : la concé­lé­bra­tion de la nou­velle messe, bien enten­du. Et Mgr Perl dit que cela se fera pia­no pia­no, petit à petit. Piano pia­no, les prêtres et les fidèles de Campos seront réin­té­grés dans le dio­cèse et dans « l’Église » post­con­ci­liaire. Lui aus­si pré­voit que cela se fera assez vite, cepen­dant. On ne peut pas attri­buer à Mgr Perl ces pen­sées seule­ment au nom d’une ven­geance pour avoir été tenu à l’écart des négo­cia­tions ; c’est la pen­sée domi­nante de la Rome conciliaire.

Campos ne veut pas le savoir. La réa­li­té se fera bien vite sen­tir. Très pro­ba­ble­ment trop tard. Ils pensent encore que de la part de Rome, c’est la recon­nais­sance de la Tradition. Alors que le contraire vient de se pas­ser. Une par­tie de la Tradition, un mou­ve­ment tra­di­tion­nel, a accep­té, avec quelques réserves, certes, la réa­li­té post-​conciliaire. Rome estime le pas suf­fi­sant. On doit d’ailleurs remar­quer que pour la pre­mière fois, on a fait d’un Concile non dog­ma­tique un cri­tère de catho­li­ci­té déterminant.

Attendons la publi­ca­tion des sta­tuts défi­ni­tifs de l’Administration apos­to­lique, qui n’ont pas encore été com­mu­ni­qués aux inté­res­sés. Lu la veille du 18 jan­vier aux prêtres de Campos, le texte a été rame­né à Rome pour amé­lio­ra­tion. Un mot man­quait, seuls la messe et le bré­viaires tra­di­tion­nels étaient pré­vus, il man­quait les sacrements.

En ce qui concerne la nomi­na­tion de l’évêque de l’Administration, elle est réglée par le droit com­mun. Pour la nomi­na­tion des évêques dio­cé­sains, le Vatican n’est pas obli­gé de choi­sir un prêtre du dio­cèse. Pour une admi­nis­tra­tion qui compte 25 prêtres, on peut com­prendre faci­le­ment que Rome ne veuille s’obliger à une telle limi­ta­tion. Si le suc­ces­seur immé­diat de Mgr Rangel sera encore choi­si par­mi les membres de l’Union sacer­do­tale Saint Jean Marie Vianney, ce qui n’est pas cer­tain, ce ne sera que par une « misé­ri­corde » spé­ciale et diplo­ma­tique. À noter aus­si que les limites ter­ri­to­riales de cette Administration apos­to­lique per­son­nelle sont très strictes : le dio­cèse de Campos. Ainsi la réin­té­gra­tion dans le dio­cèse, chose annon­cée par Mgr Perl, ne sera pas difficile.

Nous avouons ne pas com­prendre com­ment, dans la situa­tion que nous vivons, Campos ait pu si légè­re­ment se lan­cer dans cette aven­ture sans prendre ou deman­der aucune mesure protectrice.

On a beau van­ter les avan­tages acquis par la nou­velle struc­ture cano­nique, le droit à la messe tri­den­tine, par exemple, un évêque tra­di­tion­nel, aus­si, le fait que sur le papier, rien de sub­stan­tiel n’aurait été gal­vau­dé : la fra­gi­li­té de l’Administration d’une part, la sta­bi­li­té de la ligne réfor­ma­trice vati­cane d’autre part, sont des argu­ments suf­fi­sants pour pré­dire la chute de Campos mal­gré toutes les décla­ra­tions de meilleure inten­tion. De plus, il faut bien dis­tin­guer un manque à la ver­tu de foi elle-​même, d’un défaut dans la confes­sion publique de la foi qui est néces­saire dans cer­taines cir­cons­tances comme l’a si bien rap­pe­lé Mgr de Castro Mayer le jour des sacres. Or une pré­va­ri­ca­tion comme celle d’Assise réclame cette confes­sion publique… que nous n’avons pas enten­due venant de Campos.

La situa­tion ne retrou­ve­rait un inté­rêt par­ti­cu­lier pour nous que si subi­te­ment ils se met­taient à résis­ter et en arri­vaient à un affron­te­ment avec la Rome moderniste.

+ Bernard Fellay

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.