La voie étroite de l’unité de l’Église – François de Lacoste Lareymondie

Sauf avis contraire, les articles ou confé­rences qui n’é­manent pas des
membres de la FSSPX ne peuvent être consi­dé­rés comme reflétant
la posi­tion offi­cielle de la Fraternité Saint-​Pie X

François de Lacoste Lareymondie

Qui a inté­rêt à la confu­sion ? À qui pro­fite le scan­dale ? La coïn­ci­dence des décla­ra­tions néga­tion­nistes de Mgr Williamson avec la publi­ca­tion du décret par lequel Benoit XVI a levé l’excommunication des quatre évêques de la Fraternité sacer­do­tale saint Pie X (FSSPX) n’est pas fortuite.

Ces décla­ra­tions avaient été pro­non­cées au mois de novembre der­nier, pas­sant alors inaper­çues ; le fait qu’elles soient remises au pre­mier plan de l’actualité en ce moment pré­cis ne consti­tue donc pas un hasard.

Elles ont donc pro­duit l’effet atten­du : indi­gna­tion géné­rale, et sur­tout amal­game avec l’ouverture expri­mée en direc­tion de la FSSPX, amal­game dont cer­tains, y com­pris des évêques, ont tiré pré­texte pour contes­ter le prin­cipe même de la déci­sion du Saint Père. À telle enseigne que celui-​ci a dû pro­cé­der à une ferme mise au point qui n’est pour­tant pas dans les habi­tudes du Saint-​Siège en expri­mant aux juifs sa pleine et indis­cu­table soli­da­ri­té et en rap­pe­lant que « la mémoire de la Shoah doit être pour tous un aver­tis­se­ment contre l’oubli, contre la néga­tion ou le réductionnisme… »

Les solides fondements d’une « paternelle miséricorde »

Le che­min de l’unité, comme celui du Ciel, est ardu et étroit quand la voie de la per­di­tion est large et facile… Au cours de l’audience géné­rale de mer­cre­di der­nier, Benoit XVI a donc don­né les rai­sons pro­fondes de sa déci­sion. Elles sont fortes et, contrai­re­ment à ce que pré­tendent beau­coup, elles reposent sur de solides fondements :

« C’est pour accom­plir ce ser­vice de l’u­ni­té, qui qua­li­fie de façon spé­ci­fique mon minis­tère de Successeur de Pierre, que j’ai déci­dé il y a quelques jours, d’ac­cor­der la rémis­sion de l’ex­com­mu­ni­ca­tion qu’a­vaient encou­rue les quatre évêques ordon­nés en 1988 par Mgr Lefebvre sans man­dat pon­ti­fi­cal… J’ai accom­pli ce geste de misé­ri­corde pater­nelle parce que ces pré­lats ont mani­fes­té à plu­sieurs reprises leur vive souf­france du fait de la situa­tion dans laquelle ils s’é­taient retrouvés. »

Dans la lettre qu’il a adres­sée le 15 décembre 2008 au car­di­nal Castrillon Hoyos, pré­sident de la com­mis­sion pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei, Mgr Fellay a sol­li­ci­té la levée de l’ex­com­mu­ni­ca­tion en affirmant :

« Nous sommes tou­jours fer­me­ment déter­mi­nés dans notre volon­té de res­ter catho­liques et de mettre toutes nos forces au ser­vice de l’Église de Notre Seigneur Jésus Christ, qui est l’Église catho­lique romaine. Nous accep­tons son ensei­gne­ment dans un esprit filial. Nous croyons fer­me­ment à la Primauté de Pierre et à ses pré­ro­ga­tives, et c’est pour cela même que nous souf­frons tant de l’ac­tuelle situation. »

Sauf à ce que les mots n’aient pas de sens, cette affir­ma­tion expri­mait, assez clai­re­ment pour être prise en compte, la volon­té de reve­nir dans la com­mu­nion, volon­té qui ouvre le che­min du repen­tir et qui jus­ti­fie la levée de l’excommunication.

En effet, l’excommunication n’est pas des­ti­née à « chas­ser » celui qui l’encourt (pas plus que le Christ, l’Église ne rejette per­sonne), mais à le mettre en face de la déchi­rure qu’il a pro­vo­quée et à l’inciter à s’engager dans la voie inverse. À ce stade, l’Église ne demande pas la per­fec­tion de la répa­ra­tion, mais seule­ment le désir sérieux de s’y enga­ger. Dans la demande du 15 décembre deux points méritent d’être soulignés :

- d’une part, c’est la pre­mière fois que la volon­té de retour dans la com­mu­nion de l’Église est expres­sé­ment for­mu­lée dans un acte offi­ciel du supé­rieur de la FSSPX adres­sé au Saint-Siège ;
– d’autre part, et ce n’est pas le moins impor­tant, Mgr Fellay s’est expri­mé en sa qua­li­té de supé­rieur de la Fraternité et au nom des trois autres évêques : il les engage donc tous.

Sa démarche rejoi­gnait ain­si le sou­hait mani­fes­té à Rome de ne lais­ser per­sonne en che­min, notam­ment aucun des quatre évêques, mal­gré les diver­gences notoires qui existent entre eux sur cer­tains points de doc­trine, en par­ti­cu­lier sur la pri­mau­té pon­ti­fi­cale, sa déten­tion et son exer­cice légi­time par Benoit XVI et tous ses pré­dé­ces­seurs. Laisser l’un des quatre évêques en dehors eût été renon­cer par avance à réduire le schisme.

Communion, excommunication

Une pré­ci­sion s’impose : mal­gré la proxi­mi­té ter­mi­no­lo­gique, il faut se gar­der de rap­pro­cher com­mu­nion sacra­men­telle et excom­mu­ni­ca­tion, et par consé­quent d’établir un paral­lèle entre l’accès à l’Eucharistie et la levée de la sanction.

La pre­mière consiste à rece­voir le corps du Christ sous forme sacra­men­telle et à béné­fi­cier des grâces qui y sont atta­chées ; elle est acces­sible à tout catho­lique qui en rem­plit les condi­tions. Ne pas rem­plir ces condi­tions (par exemple, être en état de péché mor­tel) empêche de com­mu­nier vali­de­ment, mais n’ex­clut pas de la com­mu­nau­té, et a for­tio­ri n’empêche pas la récep­tion des autres sacre­ments, à com­men­cer par l’ab­so­lu­tion de ses péchés qui est le canal par où l’Eucharistie rede­vient accessible.

La seconde sanc­tionne (dans les deux sens du terme) un acte public et déli­bé­ré de rup­ture d’a­vec la com­mu­nau­té ecclé­siale. Comme le dit de façon expres­sive un cano­niste, le péché (mor­tel) coupe de Dieu, et par voie de consé­quence de l’Église, tan­dis que l’acte de rup­ture qui entraîne l’ex­com­mu­ni­ca­tion coupe de l’Église, et par voie de consé­quence de Dieu. Sa levée ne réta­blit pas le béné­fi­ciaire dans la pleine com­mu­nion : celle-​ci reste à éta­blir en met­tant fin aux causes de la division.

Tenir compte des pesanteurs humaines

Dans l’his­toire de l’Église (autant qu’il m’en sou­vienne), aucun schisme n’a été réso­lu par le dia­logue et la négo­cia­tion. On a tou­jours achop­pé, par­fois en arri­vant tout près du but. Les rai­sons peuvent être mul­tiples. Contrairement à ce que l’on ima­gine, elles ne sont sou­vent pas doctrinales.

Bien sûr, à la racine de tout échec comme de tout mal il y a l’or­gueil dont nul n’est exempt. Interviennent éga­le­ment les mal­adresses psy­cho­lo­giques ou com­por­te­men­tales qui ruinent en un ins­tant des années d’effort. Mais de ces échecs, les rai­sons qui tiennent à la dif­fi­cul­té per­son­nelle de reve­nir sur ses propres actes, ou à l’i­mage exté­rieure que l’on a don­née de soi et qu’il fau­dra cor­ri­ger, ou à son propre sta­tut social et au pou­voir que l’on exerce et dont on va se dépouiller, ou au risque à prendre de ne plus être entre soi mais dans une Église où les demeures sont nom­breuses et où la coha­bi­ta­tion n’est pas tou­jours facile, etc., pour médiocres qu’elles appa­raissent, ne sont pas les moindres. D’où la néces­si­té d’a­van­cer avec dou­ceur, pas à pas, sans ména­ger les conces­sions de forme pour faci­li­ter les pro­grès de fond.

Quant au fond pré­ci­sé­ment, on sait que les ques­tions rela­tives à la liber­té de conscience, à l’œ­cu­mé­nisme et à l’ec­clé­sio­lo­gie qui seront au cœur des dis­cus­sions, sont com­plexes et rebelles à toute vision sim­pli­fi­ca­trice. Ceux qui ont eu à négo­cier un com­pro­mis posi­tif et construc­tif entre deux par­ties pro­fon­dé­ment oppo­sées sur des ques­tions d’aussi grande impor­tance savent que l’on y par­vient (par­fois) si l’on se plie à deux conditions :

- d’a­bord, évi­ter de par­tir du conflit cris­tal­li­sé, mais plu­tôt remon­ter en amont, à un moment où l’ac­cord exis­tait, point d’ac­cord amont à par­tir duquel on cherche à réexa­mi­ner la ques­tion liti­gieuse à frais nou­veaux pour dis­cer­ner les termes sus­cep­tibles de le res­tau­rer (c’est la méthode que Benoit XVI a adop­tée pour toutes les dis­cus­sions théo­lo­giques que néces­site l’œcuménisme) ;
– ensuite, sur les points les plus cri­tiques, recher­cher des for­mu­la­tions qui évitent les termes conflic­tuels, for­mu­la­tions si pos­sibles nou­velles dans les­quelles cha­cun puisse se retrou­ver, non de façon super­fi­cielle mais en véri­té ; ce n’est pas facile, sur­tout quand l’un ou l’autre des pro­ta­go­nistes tranche en blanc et noir alors que les réponses sont en réa­li­té nuan­cées ; il arrive assez sou­vent que ces for­mu­la­tions, lors­qu’on par­vient à les trou­ver, semblent contour­nées, qu’elles com­portent des obs­cu­ri­tés, qu’elles cachent des arrière-​pensées. L’accepter per­met de fran­chir l’é­tape et de réap­prendre à vivre en accord jus­qu’à ce que le temps, l’a­pai­se­ment des esprits et la pour­suite de l’ap­pro­fon­dis­se­ment finissent par faire sur­mon­ter ce qui sem­blait insurmontable.

C’est dans cette pers­pec­tive qu’il faut consi­dé­rer la lettre du 15 décembre ; d’autant que les termes en ont été très vrai­sem­bla­ble­ment « négo­ciés » afin d’être mutuel­le­ment accep­tables, à défaut d’être par­faits ; comme l’a sans doute été aus­si la pro­cé­dure qui a per­mis de contour­ner les obs­tacles pré­vi­sibles qui n’auraient pas man­qué d’être pla­cés sur la route si les quatre signa­tures avaient dû être direc­te­ment appo­sées. On doit cepen­dant obser­ver que la pré­sen­ta­tion uni­la­té­rale, et cano­ni­que­ment erro­née, qui a été faite de la déci­sion du Saint Père au sein de la FSSPX s’en dépar­tit au point d’alimenter faci­le­ment les pré­ven­tions de ses adver­saires et de sus­ci­ter des inter­ro­ga­tions sur les dis­po­si­tions d’esprit qu’implique la recherche sin­cère d’un accord.

Éviter le piège de l’amalgame

À la lumière de ces réflexions on peut à pré­sent recon­si­dé­rer les décla­ra­tions de Mgr Williamson. Elles ont per­mis, non sans de graves dégâts col­la­té­raux, deux cla­ri­fi­ca­tions impor­tantes et posi­tives qui figurent dans le com­mu­ni­qué de désa­veu et de rap­pel à l’ordre publié par Mgr Fellay le 27 janvier.

La pre­mière témoigne d’une des dif­fi­cul­tés qu’il fau­dra sur­mon­ter clai­re­ment du côté de la FSSPX : celle de l’amalgame sou­vent opé­ré entre les ques­tions doc­tri­nales en jeu et les posi­tions poli­tiques. « Il est évident qu’un évêque catho­lique ne peut par­ler avec une auto­ri­té ecclé­sias­tique que sur des ques­tions concer­nant la foi et la morale. Notre Fraternité ne reven­dique aucune auto­ri­té sur les autres ques­tions. » Cela va de soi, et encore mieux en le disant. L’objectivité oblige à consta­ter que cer­tains membres de l’Église qui ont sai­si l’occasion de cette décla­ra­tion pour contes­ter l’amorce du rap­pro­che­ment sont tom­bés dans le piège qu’on leur a ten­du et ont com­mis la même erreur.

La seconde se mani­feste dans l’acte d’autorité que Mgr Fellay a été conduit à poser : « C’est avec une grande peine que nous consta­tons com­bien la trans­gres­sion de (son) man­dat peut por­ter tort à notre mis­sion. Les affir­ma­tions de Mgr Williamson ne reflètent en aucun cas la posi­tion de notre socié­té. C’est pour­quoi je lui ai inter­dit, jus­qu’à nou­vel ordre, toute prise de posi­tion publique sur des ques­tions poli­tiques ou his­to­riques. » Il fal­lait que cela fût fait.

Mgr Fellay ter­mine sans équi­voque : « Nous deman­dons par­don au Souverain Pontife, et à tous les hommes de bonne volon­té, pour les consé­quences dra­ma­tiques d’un tel acte. » En s’exprimant ain­si sans craindre le conflit au sein de sa com­mu­nau­té, il a confir­mé la véri­té de son enga­ge­ment anté­rieur. Dont acte.

Cet épi­sode lais­se­ra néan­moins des traces. Il a bru­ta­le­ment pro­je­té sur le devant de la scène les mul­tiples cli­vages qui tra­versent la FSSPX, mais pas seule­ment elle ; les pesan­teurs humaines qu’il fau­dra sur­mon­ter ; les bonnes et mau­vaises volon­tés à l’œuvre des deux côtés ; et la vio­lence de l’Adversaire qui déploie­ra toutes ses ruses et toutes ses attaques pour ten­ter de faire échec à l’Esprit Saint. L’issue posi­tive n’est donc pas acquise d’avance, du moins à vues humaines. En cet ins­tant, la seule ques­tion que nous ayons à nous poser, cha­cun en ce qui nous concerne, là où nous sommes, est la sui­vante : agirons-​nous en enfants des Ténèbres ou en enfants de Lumière ?

François de Lacoste Lareymondie in Liberté poli​tique​.com