2e mystère douloureux : la flagellation de Jésus
Arrivée devant la Grotte, Bernadette se met à genoux. Quand Notre-Dame lui apparaît, elle récite la deuxième dizaine – la Flagellation est le deuxième épisode du Mystère douloureux… – Et aussitôt le drame douloureux qu’elle contemple va nous être évoqué par un jeu scénique.
Elle commence par saluer la Dame invisible à trois reprises. Elle s’incline d’abord légèrement, puis davantage, et enfin se courbe jusqu’à terre. En même temps, elle paraissait ravie de joie et témoignait sa jubilation par de petits éclats de rire enfantins.
Que signifient, à l’aurore d’un mystère de douleurs aussi effrayantes, ces trois inclinations faites avec pareille jubilation ? Elles ne sont que la reproduction des cérémonies liturgiques qui se déroulent dans les églises, le Vendredi-Saint, au moment même où le Sauveur endure le supplice de la Flagellation. Jésus vient de faire entendre son reproche d’amour : « O mon peuple, que t’ai-je fait, dis-moi, pour que tu me flagelles ?
Qu’ils sont douloureux à entendre, ces reproches ! Et néanmoins « son peuple » répond par trois antiennes qui sont à la fois un cri d’adoration et un chant d’allégresse : « Seigneur, nous adorons votre Croix, nous rappelons votre glorieuse passion… C’est par votre Croix que la joie s’est répandue dans le monde… par votre Croix que nous avons reçu le sacrement du salut ». Et tandis que le chœur chante ces antiennes, le prélat officiant s’avance vers la Croix en accomplissant les mêmes agenouillements et les mêmes inclinations que Bernadette. – La dernière inclination est un prosternement au pied du Crucifix.
Ainsi donc la plus effroyable douleur produit la joie la plus parfaite, parce que par elle le salut a été donné au monde. C’est cette joie que David avait annoncée en plaçant sur les lèvres du Christ ces paroles prophétiques : « Vous avez déchiré ce corps qui m’enveloppe, et en même temps vous avez répandu la joie autour de moi ».
Cette joie pourtant que la voyante manifeste à la vue du corps du Sauveur supplicié, va être de courte durée. Et c’est par une douloureuse compassion que la flagellation va désormais se répercuter en son âme. Des larmes ne tardent pas à couler le long de ses joues. Et elle fait entendre des gémissements. Le Christ lui aussi, sans doute, gémissait sous les coups de fouet. Et ne devons-nous pas nous lamenter à notre tour de voir ainsi maltraiter notre Roi ?
C’est encore aujourd’hui que l’enfant entend la pressante recommandation : « Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! Vous baiserez la terre pour les pécheurs ! »
Et l’on voit Bernadette monter vers la Grotte à genoux, en baisant la terre à plusieurs reprises. « Arrivée sur le rocher, elle s’arrêta, et debout, se tournant vers la foule, elle mit un doigt sur ses lèvres, puis son chapelet en mains, étendant le bras, d’un geste très énergique, elle fit signe à tous de se courber. On comprenait bien qu’elle voulait dire de baiser la terre. Mais la plupart demeuraient immobiles. Alors, elle renouvela son geste d’un air presque irrité. C’était très beau à voir : on eût dit une inspiration divine… Elle avait de la boue aux genoux… Elle était couverte de boue. Ceux qui étaient près d’elle se mirent à crier en faisant un geste de la main, comme pour qu’on s’agenouillât. Aussitôt tous les fronts se courbèrent et les lèvres s’humilièrent dans la boue.
Tous ces détails cadrent trop bien avec l’esprit du mystère joué ce jour-là pour qu’il soit nécessaire de les commenter longuement. L’on sait que « la mortification corporelle » est le « fruit » et l’enseignement du mystère de la flagellation du Christ. Le disciple ne peut différer du Maître. Nous ne pourrons tirer profit des souffrances du Christ que si nous acceptons d’entrer dans la voie qu’il nous trace.
Un témoin de l’Apparition du 26 février disait, en voyant Bernadette ordonner impérieusement à la foule de baiser la terre : « Il faut qu’elle soit bien bouchée pour se figurer qu’elle peut commander ainsi, toute couverte de boue ». C’était mal juger. C’est au contraire parce que la miséreuse petite fille des Soubirous donnait l’exemple qu’elle acquérait le droit d’être entendue. Et c’est pareillement parce que son corps est labouré par les coups de fouet, que le Christ a le droit de nous dicter son commandement : Pénitence ! Pénitence ! Pénitence !
« Quand je considère, écrit le Père Monsabré, les plaies ouvertes par la flagellation sur la chair sacrée du Sauveur, il me semble voir comme autant de lèvres sanglantes qui me disent : « Mortifie tes sens ». Notre-Dame prend la peine de nous indiquer un exercice de mortification plus spécialement en rapport avec le deuxième mystère douloureux. Judas venait de livrer son Maître par un baiser… La soldatesque s’était servie de ses lèvres pour cracher à la face du Roi des rois… La flagellation de la Chair sacrée expiait les baisers des lèvres impudiques… Le corps du Sauveur était sillonné de « lèvres sanglantes »… Ce sont les baisers des lèvres qui doivent, durant ce mystère, « compléter ce qui manque à la Passion du Christ : « Vous baiserez la terre pour les pécheurs ».
Il est assez remarquable que la vision du 26 février se termine analogiquement comme la scène de la Flagellation, telle que nous la décrit Catherine Emmerich.
« Ce qui mit fin, dit-elle, à l’abominable torture de Jésus, ce fut le cri d’un témoin qui, outré d’une telle barbarie, dit tout haut aux soldats : « Voulez-vous donc le tuer ? Vous voyez bien qu’il n’en peut plus et va mourir ».
« Ma sœur Lucile, raconte Bernarde Casterot, était là. De voir Bernadette ainsi faire, monter à genoux en baisant la terre, cela donna peine à ma sœur, et elle poussa un grand cri. Bernadette, tirée de l’extase par ce cri, se tourna vers sa tante, et quand elle regarda de nouveau la niche, elle n’y vit plus l’Apparition ».
Et de même encore que Catherine Emmerich a vu les saintes femmes qui avaient assisté au supplice venir relever Jésus au pied de la colonne, et avec des linges essuyer le sang sacré, de même à Lourdes après l’Apparition, l’on vit des femmes qui vinrent « relever la voyante, et un mouchoir passa sur son visage ».