3e Mystère douloureux : le couronnement d’épines
Les scènes de la Grotte ne seront aujourd’hui, à part quelques détails, que la reproduction des incidents de la veille. Le couronnement d’épines n’est-il pas le prolongement des souffrances de la flagellation ? Plusieurs détails néanmoins, seront plus spécialement appropriés au mystère du jour.
Bernadette arriva à Massabielle à six heures et demie. Elle se mit à genoux. « Elle pâlit peu après, considérablement, sourit en faisant des inclinations de tête pour saluer, s’attrista ensuite comme pour pleurer, sourit encore et salua de nouveau. Ce n’est plus comme hier la joie débordante devant le débordement du sang de notre Rédempteur… Il serait indécent de se réjouir alors qu’on raille et qu’on insulte notre Roi. Tout au plus peut-il nous venir la pensée réconfortante que nos moyens de rachat ne cessent de s’enrichir, mais pensée tout aussitôt suivie d’une tristesse que l’on a peine à ne pas laisser éclater en sanglots.
Autour de la voyante, pour rappeler la scène du prétoire, les gens « riaient et ricanaient ». Ils se tenaient devant elle pour la regarder en face. Ils ne lui mirent point le manteau d’écarlate, mais ils la traitaient de folle. Sa marraine elle-même, entendant les propos que l’on tenait à son sujet, n’osait même plus regarder la pauvre enfant. « Il y avait, dit-elle, des gens qui parlaient mal autour de nous. Je n’avais pas envie de regarder. Je pensais : Le Bon Dieu est au ciel ; si c’est un malheur, il faudra le prendre ».
Puis les exercices de pénitence qui vont symboliser la pénitence du Christ reprennent, plus accentués encore qu’hier. « Elle se releva, dit un témoin, se mit à genoux et gravit ainsi le passage qu’on lui ménageait pour monter à la Grotte… Elle alla droit vers la niche et arriva tout contre le rocher. En chemin, elle baisa plusieurs fois la terre, séparant ses mains, les posant sur le sol, relevant la tête assez vite et joignant encore les mains. Arrivée là, elle se retourna et descendit rapidement, de la même manière, baisant la terre plusieurs fois. Elle remonta, ensuite et redescendit comme la première fois ».
A genoux, les mains jointes dans un geste d’adoration, s’inclinant profondément, c’est bien ainsi sans doute que les soldats du prétoire se tenaient en face de leur victime. L’Evangile nous dit « Ayant ployé le genou, ils se jouaient de lui, ils lui rendaient hommage et disaient : « Salut, Roi des Juifs ». Mais ce que les soldats faisaient par mode de dérision et de blasphème, Bernadette l’accomplit en esprit de vraie adoration et de réparation. Et c’est ainsi que nous devons nous-mêmes reconnaître et adorer notre Roi, au troisième Mystère douloureux.
Le couronnement d’épines, en effet, n’est pas seulement un mystère d’opprobres. C’est encore le mystère de la royauté du Christ. Sa Souveraineté y est proclamée. C’est d’épines qu’on le couronne, mais il est couronné. On fléchit devant lui les genoux par moquerie, mais le geste d’adoration est accompli. On lui dit par manière d’insulte : « Salut, Roi des Juifs », mais enfin il est salué du titre de Roi. La cohorte qui s’est assemblée dans le prétoire le raille, mais enfin elle forme autour de lui comme une couronne humaine, symbole expressif de la glorieuse souveraineté qui lui revient de droit.
Et tout cela est représenté à Lourdes le 27 février. Sans doute, on raille la voyante, on « parle mal » à son sujet. Mais enfin c’est à cause d’elle que toute la foule s’est assemblée. Sans le vouloir et sans même le remarquer, elle forme autour d’elle comme une véritable et fantastique couronne. Car – fait unique dans l’histoire des Apparitions -, elle n’occupe pas seulement la langue de terre cernée entre le Gave et le rocher. Elle s’est accrochée aux moindres saillies ; c’est comme une immense grappe humaine suspendue entre ciel et terre. Massabielle est devenue un « amphithéâtre » féerique où l’on croirait, à entendre les témoins, que toute la race humaine s’est réunie pour engloutir et honorer tout à la fois la petite fille des Soubirous, qui ce jour-là joue le rôle du Christ dans le prétoire…
Comme hier et comme avant-hier, la voyante, enfin, va boire à la source dont l’eau sourd progressivement, et elle s’y lave le visage. Le Père Cros, commentant le couronnement d’épines, dit que Jésus, durant ce mystère, « continue de boire » le calice de sa Passion. Et nous aussi, les « heureux coupables », nous devons avec Bernadette continuer en ce mystère à nous abreuver à la source d’eau vive qui grandit et va bientôt devenir débordante, continuer de nous laver dans le sang du Sauveur, le beau sang vermeil qui coule de chacune des blessures du diadème de dérision, et forme autour de la tête divine comme une auréole tragique de gloire.…