4e Mystère douloureux : le portement de la croix
Peu de temps après s’être agenouillée, Bernadette cesse de prier et devient plus immobile. A la manière dont ses yeux sont fixés sur la niche, on devine que l’Apparition est là : Elle semble écouter avec une grande attention. Après quoi, comme pour obéir à un ordre reçu, elle se lève, ôte son capulet,. car aujourd’hui doit se jouer à la Grotte le Mystère du Portement de Croix, et la tâche pour la faible enfant va être écrasante. Puis se remettant immédiatement à genoux, elle marche dans cette attitude vers le fond du rocher, baisant la terre à chaque pas, ou du moins à des intervalles très courts. Du lieu où la voyante partit pour faire cet exercice jusqu’au fond de la Grotte, la pente, disent les témoins était « assez raide ». C’est donc un monticule qu’elle dut gravir, elle aussi… Arrivée au point le plus haut de son Golgotha, elle redescendit toujours à genoux et baisant la terre. Puis elle remonta et redescendit encore.
Une troisième fois elle renouvela l’exercice de pénitence.
Jésus, il est vrai, ne monta qu’une fois le chemin du Calvaire, mais il fit trois chutes et se releva trois fois. Ces trois chutes partagent la voie douloureuse comme en trois lugubres tronçons, et quand le chrétien refait en méditation le Chemin de Croix, il a soin de faire, de ces trois chutes, trois stations de douloureuse compassion. Par ailleurs, en gravissant sur ses genoux le monticule qui figurativement était celui où s’est opérée notre Rédemption, et en baisant la trace des pas de notre Rédempteur, elle nous indique dans quels sentiments nous devons méditer le quatrième mystère douloureux.
D’ailleurs, deux nouveaux détails providentiels vont venir renforcer cet enseignement. Il est dit d’une tante de Bernadette qu’elle accompagnait l’enfant durant ses « ascensions », et comme elle, baisait la terre. Discrète évocation de ces femmes de Jérusalem qui suivaient Jésus en se frappant la poitrine et en se lamentant sur lui.
L’Evangile nous rapporte aussi qu’au moment où le cortège sortait de la ville, les soldats rencontrèrent un homme qui passait par là, revenant des champs : Simon de Cyrène. Ils le réquisitionnèrent et le contraignirent à porter la Croix derrière Jésus.
Les Pères de l’Eglise semblent avoir considéré cet incident comme constituant l’enseignement primordial du Portement de Croix. Leur méditation s’est plus spécialement attardée sur ce mot : « Ils contraignirent Simon ». Jésus, disent-ils, a voulu que tous les hommes, en la personne de Simon, l’aidassent à porter sa Croix. Il faut, de toute nécessité, que nous ressemblions à Jésus crucifié. Ce n’est pas un simple conseil. C’est la loi. Il n’a pas demandé son avis à Simon. C’est par ordre qu’il porte la Croix. Cet homme est donc l’expression vivante de la nécessité où nous sommes de partager les souffrances du Christ.
On va voir comment ces enseignements vont trouver leur illustration dans l’un des principaux incidents de l’Apparition du 28 février.
Simon de Cyrène, qui revient des champs, va être figuré par le garde-champêtre Vergès. C’est lui qui, ce jour-là, nous intime l’ordre de nous associer aux pratiques de pénitence de la voyante. Soudain, comme possédé par une inspiration surnaturelle, il se tourna vers la foule, et d’une voix très forte « Baisez la terre, tous ! » cria-t-il. Et la foule, docilement, lui obéit. Il y avait tant de monde, et les spectateurs étaient si pressés que tous ne purent baiser la terre ; mais tous du moins s’efforcèrent d’obéir. « Le garde-champêtre donnait l’exemple et, à genoux, il baisa la terre plusieurs fois ».
Voici comment on nous décrit l’aspect de la voyante, au cours de l’Apparition. « Elle paraissait absorbée et demeurait comme seule au milieu de la foule, sans qu’aucun bruit l’empêchât de paraître absorbée, ou dans la contemplation de la Dame, ou dans l’exécution de ses ordres ». L’on nous dit encore qu’elle accomplissait ses exercices de pénitence « avec un si grand courage, qu’on ne pouvait, en la voyant, s’empêcher de pleurer. Le temps était pluvieux. Bernadette, en baisant la terre, salissait ses lèvres et ses mains, mais elle ne se rebutait pas ».
C’est bien ainsi que les peintres nous représentent le Christ durant l’Ascension douloureuse. Ployé sous le poids rédempteur, tandis qu’autour de lui les femmes se lamentent, il marche sur le chemin rocailleux. Parfois il tombe, et en tombant, « il se salit les lèvres et les mains ». Mais il se relève pour donner aux hommes un éternel exemple de courage, puis il reprend sa marche, étranger à tout ce qui l’entoure, n’entendant rien, ne voyant rien, uniquement absorbé par la pensée de son Père, dont il accomplit l’adorable volonté…
On se souvient que le jour même où s’était joué à la Grotte le Mystère de la naissance de Jésus, Bernadette avait commencé d’être « persécutée », comme l’avait été l’Enfant-Dieu. Il fallait, afin que jusqu’au bout fût reproduite la tragédie de l’Homme-Dieu, qu’avant l’Apparition symbolique du Crucifiement, les persécutions reprissent de la part des autorités officielles de Lourdes, et que Bernadette fût traduite devant les juges.
C’est après la grand’messe que, « par ordre du Commissaire », l’on met la main sur elle, et qu’on l’entraîne chez le juge d’instruction, de même que le Christ avait été arrêté après la première Messe solennelle qui fut célébrée sur terre… On lui rappelle que son père a dû subir la prison pour vol qualifié, « afin que se trouve accomplie la prophétie : Il a été mis au rang des malfaiteurs ». On lui reproche d’ameuter la population. On la menace de la mettre en prison, de la faire mourir. Mais l’enfant répond fièrement : « Je suis prête. Mettez-moi en prison, et qu’elle soit solide et bien fermée. Les verrous ne tiendront pas longtemps, je m’en échapperai ». La pierre qui obstruait le tombeau du Christ, si bien scellée qu’elle fût, ne put tenir longtemps, elle non plus. Trois jours après, le Christ s’en échappait, comme il l’avait prédit.
Finalement, le juge dit au commissaire : « Que voulez-vous y faire ? Nous n’avons rien à mordre avec elle ! » C’est à peu près la parole de Pilate : « Voici que je vous l’amène, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation ».