1er Mystère glorieux : la résurrection
Les évangélistes nous relatent avec détails les événements qui se déroulèrent au cours de la journée de la Résurrection du Christ, mais aucun n’a relaté, même d’un mot, le fait même de la Résurrection. Ils se contentent de nous dire comment, au matin de Pâques, les saintes femmes trouvèrent le tombeau vide, et de quel message triomphant l’ange revêtu d’une robe éblouissante de blancheur les chargea près de Pierre et des autres disciples. L’Evangile de la Résurrection n’est en somme que le récit des allées et venues des saintes femmes s’acquittant de leur mission.
Pareillement nous possédons de nombreuses relations sur les incidents qui marquèrent la journée du 2 mars, mais aucun document ne nous rapporte le spectacle qui eut lieu le matin, à la Grotte. L’on nous dit seulement que la voyante se tint « quelques instants dans un état extatique ». Mais on connaît, par contre, tous les détails des démarches qu’elle fit près du clergé de Lourdes, pour s’acquitter de la commission dont l’avait chargée la Dame mystérieuse, parée d’une robe « blanche comme la neige des montagnes ».
De grand matin, elle s’était rendue à Massabielle, dont « la Grotte évoque si naturellement, dit Dom Vandeur, le souvenir du sépulcre du Christ ». Elle aussi avait reçu un mandat : « Vous irez dire aux prêtres de construire ici une chapelle et d’y venir en procession. » Accompagnée de ses deux tantes, « malades de crainte », elle se rendit sans attendre chez le curé. Elle y est très mal reçue. On la traite de menteuse. On lui dit qu’on ne peut tenir compte d’un ordre transmis par une pauvre enfant. « En entendant M. le Curé, dit Basile Casterot, nous devenions comme des grains de millet… Il avait une voix très forte. Il disait à Bernadette : Tu ne vois rien ! Une Dame ne peut sortir d’un trou ! » Bernadette fut à ce point décontenancée qu’elle ne fit que la moitié de sa commission. Elle parla de la procession, mais ne dit rien de la chapelle.
C’est bien ainsi que furent accueillies les trois saintes femmes près des apôtres. Elles aussi, nous dit saint Marc, « elles étaient saisies d’effroi et hors d’elles-mêmes ». Elles rendirent compte de leur message près des apôtres, « ce qui ne fut pas, sans doute, dit le Père Lagrange, l’affaire d’un instant ni sans certaines particularités ». Mais les apôtres ne voulurent pas les croire. Leur récit leur sembla un radotage. Que le Christ eût pu sortir du tombeau, cela leur paraissait invraisemblable.
Bernadette retourna une seconde fois dans la soirée au presbytère, où, devant tout le clergé réuni, elle renouvela, mais cette fois en le complétant, le message dont elle était chargée. Il fallait bien que fût évoquée la seconde visite que les saintes femmes firent près du Collège des Onze, au cours de la journée, et l’incrédulité obstinée à laquelle elles se heurtèrent de nouveau. Avant de croire, le curé de Lourdes exigea un signe : « Dis à cette Dame de faire fleurir le rosier ». C’est bien le même signe qu’avait réclamé saint Thomas. Lui aussi voulait voir et palper les fleurs rouges du Rosier mystique, les roses sanglantes qui, au printemps de la Résurrection, parent le corps de notre cher Sauveur.
Mais, ce qui frappe plus encore dans le parallèle des faits de Lourdes et de Jérusalem, c’est l’identité du message. Il est adressé à des femmes. Il doit être porté aux prêtres. Son contenu est symboliquement le même.
Il est adressé à des femmes. A Jérusalem, c’est Marie-Madeleine, Jeanne et Marie, mère de Jacques. A Lourdes, Bernadette seule le reçoit, mais ses deux tantes l’accompagnent au presbytère.
Il doit être porté aux prêtres : « Vous irez dire aux disciples. – Vous irez dire aux prêtres ». Que toute femme, dit saint Jérôme, se souvienne que si des femmes furent chargées du message de la Résurrection, elles furent envoyées aux apôtres, afin que ces grandes vérités fussent annoncées par eux, et que la foi fût implantée dans les âmes par eux.
Le contenu du message est symboliquement le même. Deux consignes identiques y sont inclues :
Vous irez dire aux apôtres qu’Il est ressuscité ; aux prêtres qu’il doit se construire ici une Chapelle.
Vous irez dire aux apôtres de Le rejoindre en Galilée ; aux prêtres de venir à la Chapelle en procession.
Il est ressuscité. – Il doit se construire une Chapelle. Les deux messages sont corrélatifs. Le second dérive immédiatement du premier. La Chapelle, en effet, doit s’entendre comme l’image matérielle de l’Eglise fondée par le Christ, au jour même de sa sortie du tombeau. Jésus avait annoncé lui-même qu’au jour de sa Résurrection, un temple « se construirait ». « Détruisez ce temple, avait-il dit, et en trois jours je le rebâtirai ». Le Temple que Jésus promet de reconstruire en trois jours est une allusion à l’édifice spirituel qui est l’Eglise. En se ressuscitant, Jésus devient la pierre inébranlable que les apôtres doivent mettre en fondation pour bâtir l’Eglise. Il importe de ne pas retarder plus longtemps la construction.
La grotte d’où le Christ est sorti glorieux est la roche d’attente de la construction du temple.
C’est ce que rappelle aux pèlerins de Lourdes l’image de la « chapelle » édifiée sur la grotte même des Apparitions.
Allez dire aux apôtres de rejoindre le Christ en Galilée.
Allez dire aux prêtres de venir à la Chapelle en procession.
Un acte de foi public et collectif est demandé aux uns et aux autres. Les apôtres doivent se porter à la rencontre de leur Maître, triomphateur de la mort et vainqueur du péché, se rallier autour de leur Sauveur comme les poussins se rassemblent sous les ailes de la mère poule.
Et pareillement, la chapelle qui doit se construire à Lourdes doit devenir le rendez-vous de l’humanité, le point de rassemblement des sauvés du Christ. Les foules, sous la conduite des prêtres, s’y dirigeront en chantant des hymnes de foi et d’actions de grâces à Celui qui nous y fait communier aux fruits de sa glorieuse Résurrection.
Et l’on voit dès lors le grandiose symbolisme qui se dégage du spectacle actuel de Lourdes. Le rocher de la Grotte, c’est le Christ (Petra autem erat Christus). La source qui jaillit du côté droit de la Grotte, et à laquelle vont s’abreuver les pèlerins, cette eau qui se donne gratuitement à quiconque en désire et que l’on emporte chez soi comme un antidote souverain, c’est cette eau dont parle la liturgie à l’aspersion du Temps Pascal : « J’ai vu une eau qui sortait du temple, au côté droit ; et tous ceux que cette eau a touchés ont été sauvés, et ils diront : Alleluia, Alleluia ! » La Chapelle, bâtie sur le rocher, c’est l’Eglise. Les miracles qui se font autour de cette Chapelle accréditent sa divine mission. Les pèlerins qui processionnent vers cette Chapelle, accourus de tous les coins du globe en une unanimité dont le catholicisme seul a le secret, ce sont les malheureux fils d’Eve, conduits par la nouvelle Eve à la source où résident toute vérité et tout bonheur : l’Eglise Catholique.