2e Mystère glorieux : l’ascension
Quand Bernadette, le 3 mars, parvint à Massabielle, plusieurs milliers de personnes l’attendaient. Un bon nombre étaient arrivées la veille et avaient passé la nuit à la Grotte. La voyante se mit à genoux, son chapelet enlacé aux doigts. Mais c’est en vain qu’elle attendit « assez longtemps ». La Dame ne lui apparut pas. Elle se retira alors, le cœur rempli de tristesse.
Vers neuf heures, elle sentit soudain en elle un désir impérieux de retourner à la Grotte. Après des hésitations, ses parents le lui permirent. Elle revint donc à Massabielle, où, chose étonnante, une grande partie de la foule du matin se trouvait encore là. – Pour la première fois, Bernadette n’eut pas à attendre. C’était la Dame qui attendait.
« Elle eut l’extase, mais courte, disent les témoins ; elle se retira bien contente ».
La Dame lui dit pourquoi, le matin, elle ne s’était pas montrée :
« Il y avait là des personnes qui désiraient voir la contenance que vous auriez en ma présence, et elles en étaient indignes. Elles ont passé la nuit à la Grotte et l’ont déshonorée ».
L’application de ces divers incidents au mystère de l’Ascension est facile, sinon dans tous les détails, du moins dans les lignes essentielles.
C’est d’abord la reproduction du fait même de l’Ascension. L’Ascension, c’est, en effet, la disparition du Christ avec promesse de retour. Saint Luc nous dit que Jésus fut enlevé aux regards de ses disciples. Et, comme ceux-ci continuaient de regarder le ciel, ne pouvant se faire à l’idée que leur Maître fût disparu pour toujours, deux anges vêtus de blanc leur apparurent : « Hommes de Galilée, pourquoi rester ainsi à regarder le Ciel ? Ce même Jésus qui vient de vous être enlevé dans le Ciel, en reviendra de la même manière que vous l’avez vu monter ».
A Lourdes, la Dame mystérieuse est pareillement soustraite aux regards de Bernadette. Néanmoins, la plupart des curieux persistent à demeurer à la Grotte près de trois heures, dans une attente inexplicable, les yeux comme rivés à la niche que la Dame semble avoir désertée. Deux anges vont-ils leur apparaître pour leur dire que la chère Vision à la robe blanche va revenir ? Ce sera beaucoup mieux. Ils vont non pas entendre une promesse de retour, mais assister à la réalité même de cette promesse. Vers neuf heures, Bernadette revient. Ils la voient en extase. Leur attente n’a pas été vaine.
Si Jésus nous quitte au jour de l’Ascension, ce n’est pas pour nous abandonner aux tristesses d’un exil sans espoir, ce n’est pas pour jeter des espaces immenses entre sa gloire et nos misères. Il nous a dit lui-même qu’il monte vers son Père pour nous préparer une place.
Il nous a fait une promesse plus précise encore. Après avoir préparé notre place, « je reviendrai de nouveau, a‑t-il dit, et je vous prendrai avec moi afin que vous soyez là où je suis ». Et c’est bien ce qui se passe à Lourdes le 3 mars. Tandis que Bernadette se désolait, la Dame lui ménageait la joie du retour. Elle était là, et elle attendait sa voyante. Elle était venue au-devant d’elle…
Quand le Christ parlait de son Ascension, c’était toujours pour rassurer ses apôtres et leur annoncer qu’une grande joie ferait suite à leur accablement. « En vérité, vous serez accablés de tristesse, mais votre tristesse se changera en joie… Vous avez de la tristesse, mais je vous verrai à nouveau, et votre cœur se réjouira ». C’est si bien ce mystère là qui se joue aujourd’hui à Lourdes, que le Père Cros intitule le chapitre qui rapporte l’Apparition du 3 mars : « Où l’on raconte les tristesses et les joies d’une journée de Bernadette ».
Les événements du 3 mars comportent pourtant des enseignements plus sublimes encore. Ils sont un raccourci grandiose de l’universel spectacle de la terre. Une foule « compacte et formée de toutes sortes de gens » avait passé la nuit à la Grotte, dans l’attente de l’Apparition, mais tous n’avaient point attendu de la même manière. Les uns avaient prié. Les autres avaient « fait des sottises », de sorte que la Grotte, selon le mot de la Dame, s’en trouvait « déshonorée ». Pour punir ces indignes, la Dame ne se montre point à l’heure habituelle. D’où épreuve pour tous. Tous partagent la même sanction. Mais les « indignes » quittèrent Massabielle, tandis qu’un grand nombre parmi les « dignes » y demeurèrent. Une secrète inspiration les avertissait que leur attente serait récompensée, et c’est ce qui eut lieu.
Or la terre n’est-elle pas, comme la Grotte de Lourdes durant la nuit du 3 mars, un lieu de ténèbres, et d’attente ? Dieu nous y a placés pour que nous nous préparions à la grande Apparition du Ciel. Mais il y a les Vierges sages et les Vierges folles. Les premières tiennent prudemment leurs lampes allumées, afin d’être prêtes quand retentira la clameur : « Voici l’Epoux qui vient ! » Les autres se dissipent et se déshonorent. A cause de ce « déshonneur », Dieu va demeurer caché à la terre. La faute de quelques-uns va rejaillir sur tous les hommes. La terre deviendra « un lieu de ronces et d’épines », un purgatoire de malédiction.
Mais combien différente sera la rétribution finale ! Les vierges folles ne seront pas là quand viendra l’Epoux. Elles auront beau frapper à la porte du festin. Il sera trop tard. L’Epoux n’entrouvrira même pas la porte, de peur que le souvenir de son visage entrevu ne béatifiât leur enfer. Il leur criera de l’intérieur : « Je ne vous connais pas ».
Quant aux Vierges sages, qui n’ont eu de désir et de joie que pour l’attente de l’éternelle vision, un surnaturel instinct – cette vertu d’espérance qui est le fruit du deuxième mystère glorieux – les a averties que leur temps d’épreuve aurait une fin et qu’à la neuvième heure Dieu se révélerait à leur âme altérée. Dieu est fidèle à sa promesse. A la sortie de ce monde, elles entendront les paroles béatifiantes : « C’est moi… Votre place est prête. Je vous attendais… »
Les documents nous disent que, le 3 mars, Bernadette demanda à son cousin et parrain « Jean-Marie », « son préféré », de l’accompagner le lendemain à la Grotte. Ce minime incident a‑t-il valeur de symbole ? Si oui, il nous fait songer au « dépôt sacré que reçut saint Jean au pied de la Croix. Ce fut lui que Jésus chargea de veiller sur la Sainte Vierge.
Il en était le cousin. Il allait en devenir comme le protecteur et le « parrain ». Son rôle, certes, commença dès la mort du Christ, mais il prit toute sa raison d’être après l’Ascension. C’est alors que l’on put voir « le disciple préféré » accompagner Notre-Dame à la Grotte de la Résurrection où, ainsi que le veut la tradition, elle venait quotidiennement accomplir son pèlerinage.