4e Mystère glorieux : l’assomption de la Très Sainte Vierge
La tradition veut que Marie soit demeurée sur terre environ vingt années après l’Ascension de son divin Fils. Durant ce temps, qui fut pour elle une sorte de martyre, toutes ses pensées, tous ses désirs étaient tournés vers le Ciel. « Quando veniam et apparebo… Quand donc, ne cessait-elle de gémir, paraîtrai-je devant vous, Seigneur, qui êtes l’unique objet de mon amour ?… »
Aussi, dans son cœur, quelle poignante émotion d’allégresse quand elle apprit qu’elle allait « s’endormir », quand la voix du Bien-Aimé se fit entendre : « Surge, propera mea, amica mea… Lève-toi„ mon amie, viens, hâte-toi. Viens du Liban pour être couronnée ».
C’est le même mystérieux appel qui remua l’âme de Bernadette au soir du 24 mars. Un secret pressentiment l’avertit, avant qu’elle ne s’endormît, que la Dame, le lendemain, la convierait au rendez-vous de Massabielle.
Depuis vingt jours, la Grotte demeurait déserte, et la Dame au radieux visage ne s’y montrait plus. Enfin, elle allait la revoir ! Pour chanter son bonheur impatient, elle aurait pu emprunter les paroles de la liturgie du 15 août : « Ma Colombe, qui te tiens dans la fente du rocher, dans l’abri des parois escarpées, montre – moi ton visage, fais-moi entendre ta voix, car ta voix est comme une musique et ton visage rayonne de beauté ».
Tous les historiens des Apparitions nous décrivent avec une sorte d’emphase poétique la naissance du printemps, qui marque la journée du 25 mars. « Ce matin-là, disent-ils, l’atmosphère était d’une pureté translucide. Sur les montagnes d’alentour étincelaient encore les dernières neiges, qu’à mesure fondait, dans une tiède caresse, le soleil levant. Et de tous côtés, à l’approche du renouveau, la vie se reprenait à reverdir. On aurait dit, comme prélude des prochaines Pâques, la résurrection de la nature s’éveillant au sein de la poésie des choses, pour chanter un hymne d’amour à la Femme devant qui s’agenouillent les purs esprits ».
Et ces descriptions ne sont que l’écho à peine transposé de la liturgie de la Fête de l’Assomption.
« Voici que l’hiver est passé. La pluie a disparu. Dans la campagne, les fleurs éclosent, le temps des chansons est venu. La voix de la tourterelle s’est fait entendre dans nos campagnes. Le figuier gonfle ses fruits de printemps, la vigne en fleur répand son parfum ».
Bernadette arriva à Massabielle de grand matin. La niche était déjà illuminée et la Dame attendait, comme un jour elle avait été elle-même attendue par le Bien-Aimé…
Et c’est aujourd’hui qu’elle révèle son nom. En lisant l’Evangile, on ne peut que constater la place modeste que tient Notre-Dame. Une fois décrites les scènes de l’Annonciation et de la Nativité, l’évangéliste semble oublier que le Christ a une mère. Il nous en parle rapidement, en passant… Nous ne conservons, du passage de Marie sur terre, que sept paroles.
A Lourdes, pareillement, jusqu’au 25 mars, la question qui hante les esprits est celle-ci : « Pourquoi la Dame reste-t-elle silencieuse ? » La voyante a beau lui demander son nom. Elle ne répond que par un sourire. Elle n’a prononcé que sept phrases, mais qui nous renseignent si peu sur son mystère à elle ! Va-t-elle donc se taire éternellement ? Non ! de même qu’elle était sortie de son mutisme au jour de sa glorieuse Assomption, en révélant qui elle était et de quels privilèges Dieu l’avait comblée, de même elle se révèle à Lourdes, le 25 mars. Elle nous fait connaître son nom. Elle parle à la première personne. Elle ne craint pas de dire « Je suis… », car c’est son propre mystère qu’il s’agit de représenter. Et à partir de ce jour, Bernadette et les pèlerins ne diront plus, pour la désigner, « Aquero » (cela) ou « Damizello » (la demoiselle). Mais, avec respect, ils la dénommeront « Notre-Dame de Massabielle », comme, après son Assomption, les premiers chrétiens appelleront l’humble Vierge de Judée : Notre-Dame.
« Madame, lui dit Bernadette, veuillez me dire qui vous êtes ». La Dame sourit, mais ne répondit rien. Trois fois, l’enfant dut renouveler sa demande, afin, sans doute, que fussent évoqués les trois jours d’attente que, selon la tradition, elle passa au tombeau avant sa glorieuse résurrection. Enfin, elle prit un air grave et parut s’humilier, elle disjoignit les mains, faisant glisser sur son bras droit le chapelet aux fils d’or et aux grains d’albâtre. Elle ouvrit ses deux bras et les inclina vers le sol, puis, les élevant vers l’éternelle région, elle les rejoignit avec ferveur, et, regardant le Ciel avec le sentiment d’une indicible gratitude, elle prononça ces paroles : « Je suis l’Immaculée Conception ».
Le geste de Notre-Dame et sa parole prennent valeur de signification primordiale, quand on les réfère au mystère qui se joue ce jour-là. Son geste est, en effet, à n’en pas douter, un mouvement d’élan vers le ciel. C’est l’attitude que Murillo a donnée à sa célèbre Vierge de l’Assomption. C’est le geste du prêtre quand, avant la Préface de la Messe il chante le Sursum Corda. C’est la pantomime à laquelle se livre un enfant, quand on lui demande de s’envoler vers le ciel. C’était le geste le plus approprié pour signifier l’Assomption.
Puis, la parole va se joindre au jeu pour le commenter et l’expliquer : « Je suis l’Immaculée Conception », dit-elle lorsque, son geste achevé, ses mains se sont rejointes, pointant vers le Ciel, où s’était pareillement fixé son regard. Elle nous rappelle par là que l’exemption du péché originel est chez elle la raison du privilège de son Assomption. La mort est l’effet du péché, et parce qu’elle a été préservée de toute atteinte de la souillure originelle, elle ne devait point mourir. Sans doute, elle a voulu suivre jusqu’au bout son Fils, et expirer comme lui, mais son droit à la vie n’a pas disparu pour cela. Et de même que le Sauveur n’a pas connu la corruption du tombeau et qu’il est glorieusement ressuscité, tout concourt à nous rendre certains que là encore, conforme à Jésus-Christ, Marie a remporté sur la mort et le péché une complète victoire.
Toutefois, si l’Assomption est la conséquence de l’Immaculée Conception, n’oublions pas que son titre de Mère de Dieu est comme le rendez-vous harmonique de toutes ses perfections, que c’est plus particulièrement en vue de ce titre qu’elle fut préservée du péché originel, de telle sorte que ces deux premiers privilèges émanent comme deux rayons, de cet éblouissant soleil qui est son titre de Mère de Dieu.
Et ce nouveau, point de doctrine va se trouver encore figuré à Lourdes, puisque le jour où le jeu sacré de la Grotte évoque le mystère de son Assomption et sa Conception Immaculée, ce jour-là, c’est le 25 mars, anniversaire de l’Ambassade de l’Annonciation…
Voici maintenant comment magnifiquement se couronne la leçon du jour. Tous ceux qui méditent le mystère de l’Assomption y contemplent comme un double mouvement le mouvement du corps de Marie qui monte au ciel et le mouvement de son cœur qui se rapproche de nous. Et c’est bien ce que Marie elle-même nous certifie en son Apparition du 25 mars. Ce n’est pas en effet du haut de sa niche qu’elle esquisse le geste de son Assomption. C’est dans la Grotte même, un peu au-dessous de la voûte, et « quasi à la portée de la main de Bernadette et des autres pieuses filles et femmes qui l’entouraient ». Elle s’était pour cela « laissée couler » sur le sol, et sa voyante nous dit que jamais « elle n’était descendue plus bas ». Ainsi, elle a timidement esquissé le premier mouvement de son Assomption par un simple geste des bras. Mais elle insiste sur le second, et c’est de tout son corps qu’elle se laisse glisser du haut de sa tribune royale vers notre vallée de larmes. Puis, elle considère avec une satisfaction marquée les statues, les tableaux, les vases et les fleurs qui décoraient la Grotte, elle regarde avec complaisance plusieurs personnes qui étaient là à genoux et qui s’étaient signalées dans cette œuvre de piété, approuvant ainsi notre pratique habituelle d’attribuer comme fruit de la récitation du quatrième mystère glorieux : la dévotion envers notre Mère du Ciel.
L’Apparition est terminée. Bernadette va revenir chez elle, dans la jubilation de connaître enfin le nom de la Dame, nom qu’elle ne comprend pas, mais qu’elle se répète comme un joyeux refrain tout rempli d’harmonies. Elle n’a plus son cierge, car l’Immaculée lui a recommandé de le laisser brûler à la Grotte, sans doute pour symboliser l’union éternelle que le Christ scella avec elle le jour de l’Assomption.
Et l’on croirait que c’est le cantique de ce joyeux retour que chante, en la fête de l’Assomption, la Liturgie, qui semble vouloir interpréter en toutes ses nuances les sentiments de la voyante au jour du 25 mars
« Vidi speciosam sicut columbam ascendentem desuper rivos aquarum ; cujus inaestimabilis odor erat nimis in vestimentis ejus. Et sicut dies verni circumdabant eam flores rosarum et lilia convallium : J’ai vu sur les bords du Gave une femme ravissante comme une colombe. Ses vêtements étaient imprégnés d’un parfum séduisant. C’était comme au printemps un parterre de roses et de lis des vallées… »