Le troisième « Ave » du prélude – la miséricorde de Marie
En s’éloignant de Massabielle le 14 février, Bernadette, devant l’interdiction de sa mère, croyait « avoir dit un éternel adieu à la Grotte ». Trois jours après, elle revenait. Etait-ce désobéissance ou appel mystérieux ? Ni l’un ni l’autre. Elle était incapable de désobéir et son cœur était demeuré silencieux. Elle revenait seulement pour ne point déplaire à une dame Millet qui la sollicitait de manière pressante.
Qui était cette dame Millet à qui nous devons la troisième Apparition ?
Les historiens l’ont dit discrètement. On le comprend. Aujourd’hui le recul des événements nous laisse plus de liberté. Nous nous bornerons néanmoins à cette appréciation du procureur impérial de Lourdes :
« Une certaine dame Millet, autrefois servante, aujourd’hui en possession d’une assez jolie fortune, par suite de son mariage avec son dernier maître ; femme dont les mœurs ont été un peu décriées lorsqu’elle était plus jeune, que son ignorance oisive rend accessible à toutes les impressions et sujette à tous les caprices ».
Il nous est infiniment émouvant de penser que c’est sur les instances de cette personne que Bernadette s’achemine de nouveau vers la Grotte, le 18 février, et que c’est à la curiosité de cette âme légère que Notre-Dame elle-même semble céder.
Il devait en être ainsi pour que fût mise en relief cette bonté dont le Saint-Esprit a revêtu Marie et qu’elle communique à ceux qu’elle prend sous sa garde. C’est en effet aujourd’hui que doit se jouer à Massabielle le mystère de la miséricorde de l’Epouse de l’Esprit-Saint.
Les enfants qui avaient quitté Bernadette le dimanche précédent au moulin de Savy étaient rentrées à Lourdes en semant sur leur passage le récit des choses extraordinaires dont elles avaient été témoins. Le récit fut accueilli généralement avec scepticisme. On prononçait les mots d’illusion ou d’exaltation.
Quelques-uns pourtant se dirent : « C’est une âme du purgatoire qui vient demander des prières ».
Et l’âme du purgatoire fut désignée par son nom : une jeune fille à robe et voile blancs, comme ceux des congréganistes, c’était sans aucun doute une enfant de Marie ; et l’enfant de Marie assez favorisée de Dieu pour apparaître ainsi gracieuse et rayonnante avant même d’être admise dans la société des saints, ne pouvait être que l’ancienne présidente de la Congrégation, récemment décédée, Elisa Latapie. Sa mort avait été un deuil public. Au jour de ses funérailles, la ville entière de Lourdes avait accompagné son cercueil.
Or, parmi les enfants de Marie, particulièrement attachées à Mlle Latapie, se faisait remarquer Antoinette Peyret, fille de l’huissier. Etant en journée chez Madame Millet, elle lui fit part de ses impressions et de son inquiétude.
Aussitôt la curiosité de Mme Millet s’allume. Ayant sans doute dispensé quelques libéralités à la famille Soubirous, elle se crut en droit de profiter de la dépendance où les pauvres estiment se trouver à l’égard de leurs bienfaiteurs. Elle se rendit donc chez ses protégés et demanda d’accompagner Bernadette à la Grotte le dimanche suivant. Louise Casterot ne céda qu’à regret à ses exigences importunes. Elle ne s’en tint pas là.
Le mercredi soir, l’impatience la porta une seconde fois rue des Petits Fossés où, après de nouvelles supplications, elle obtint que la visite à Massabielle se fît le lendemain, au point du jour.
A l’heure convenue, accompagnée d’Antoinette Peyret, elle vint chercher Bernadette. L’enfant était encore au lit. Elle se leva et suivit ses deux compagnes. Elles avaient à peine fait quelques pas dans la rue que les cloches de la paroisse annoncèrent une messe basse ; elles entrèrent à l’église.
La messe entendue, elles s’acheminèrent vers la Grotte. Peu de personnes les virent passer, car les maisons n’étaient pas encore ouvertes. La charité de l’Esprit-Saint les animait toutes les trois, malgré les sentiments humains qui avaient inspiré la démarche. Mme Millet portait un cierge qu’elle se proposait de faire brûler en l’honneur de l’être mystérieux qui hantait le rocher.
C’était sans doute la première fois depuis la création du monde, dit Lasserre, qu’une telle lueur brillerait en ce lieu sauvage. Cet acte si simple qui semblait inaugurer un sanctuaire, avait en lui-même une mystérieuse solennité.
A supposer que l’Apparition fût divine, cette humble petite flamme ne s’éteindrait plus et irait chaque jour grandissant dans la longue suite des siècles. De son côté, Antoinette Peyret cachait sous les plis de son grand capuchon noir des Pyrénées une feuille de papier, une plume et de l’encre.
« Mon père étant huissier, dit-elle, je trouvais tout cela facilement. Pensant comme tant d’autres que notre présidente Elisa Latapie venait demander des prières, et ne sachant que faire de mieux pour m’assurer de la vérité, j’avais imaginé de porter à la Grotte ce qu’il fallait pour que l’Apparition mît par écrit ce qu’elle désirait ».
Quant à Bernadette, elle allait, entraînée par ses protectrices, à qui son cœur obligeant aurait souffert de déplaire.
Parvenues au sommet du mamelon de Massabielle, Bernadette prit les devants, et comme soulevée par cet Esprit qui enflamme les cœurs d’un feu d’enthousiasme, elle parut s’envoler sur la pente rapide et descendit avec une étonnante agilité. « Elle descendit comme un éclair, nous dit Antoinette Peyret. Pour nous, il fallut quasi nous asseoir et avancer péniblement, posant un pied et puis l’autre. Quand nous fûmes en bas, nous trouvâmes Bernadette qui nous attendait. Nous tournâmes le rocher et allâmes devant la niche. Bernadette s’agenouilla sur une pierre plate. Nous la mîmes au milieu, moi à sa gauche, Mme Millet à sa droite ; j’avais allumé le cierge et j’en abritais la flamme au grand roc qui était près de moi ».
« Nous prîmes notre chapelet, et chacune le récita tout entier à voix basse. Bernadette était très recueillie, le regard vers la niche. A peine venions-nous de commencer à prier qu’elle nous dit : « Elle y est ». Nous lui dîmes : « Tais-toi, récitons le chapelet ».
« J’achevai la première et me levant, je dis à Mme Millet : nous allons faire passer le papier à cette dame. Je tire le papier, l’encre et la plume et je dis à Bernadette : Va demander à la dame ce qu’elle veut, et qu’elle le mette par écrit ».
Et ce qui va suivre va nous révéler de manière, combien émouvante ! quel trésor de tendresse maternelle et d’amabilité l’Esprit-Saint a versé dans le cœur de Marie à l’égard des hommes. Ne nous attendons point à un exposé dogmatique. Infiniment plus éloquents que les discours, les divers incidents de cette troisième Apparition vont parler d’eux-mêmes.
« Le Seigneur, dit le Psalmiste (Ps. 144), est miséricordieux et compatissant, lent à la colère et plein de bonté, le Seigneur est d’une exquise tendresse envers nous et ses amabilités s’étendent sur toutes ses créatures ». Or, n’est-ce pas de Marie en premier lieu que la Trinité a dit : « Faisons-la à notre image et à notre ressemblance » ? Nous allons constater comment, façonnée sur ce modèle et reproduisant avec toute la perfection dont est susceptible une créature les attributs de son divin original, la Vierge est vraiment « notre vie, notre douceur, notre espoir ».
Aujourd’hui, Bernadette n’entrera pas en extase. Cela n’eût point convenu au climat de cette Apparition où Notre-Dame se présente à nous comme notre sœur.
A la rue du Bac, à la Salette, et plus tard à Pontmain, elle est la grande, la mystérieuse Dame, la Reine, la Mère de Dieu.
A Lourdes, surtout en cette troisième Apparition, elle fait preuve d’ineffables condescendances. Elle s’incline à la taille de Bernadette. Pour la première fois, elle lui parle, elle traite avec elle d’égale à égale, selon les lois de l’amitié, et l’enfant « osera » l’aimer.
Aujourd’hui, pareillement, pour être plus à notre portée, afin que personne ne puisse se méprendre, l’enseignement va nous être donné sous une forme directe. Il serait malaisé d’y découvrir du symbolisme.
C’est la seule Apparition, semble-t-il, où il ne se rencontre point.
Il suffit, pour comprendre, d’écouter, de regarder et de recueillir son âme. Pour accomplir la commission dont on l’a chargée, la voyante se lève donc et se dirige vers le rocher. Dans ses mains elle tient le papier, la plume et l’encre. Comment va-t-elle faire pour les présenter à la Dame ? La niche est si élevée ! Son embarras sera de courte durée, car dès les premiers pas, elle observe que la Dame, qui a deviné ses intentions, recule dans la niche et s’enfonce dans le couloir intérieur. De sorte que lorsque l’enfant arrive près du bloc de pierre en forme de table qui se trouvait alors à l’entrée de la Grotte, l’Apparition se présente à elle dans l’ouverture qui perce la voûte, lui faisant signe du doigt d’approcher. L’enfant s’avance sans trouble et sans crainte. La Dame se laisse alors couler sur le sol et vient à sa rencontre.
« Nous allions suivre Bernadette, et nous fîmes deux ou trois pas derrière elle, mais, sans se détourner, elle nous fit signe de la main droite. Nous comprîmes qu’il ne fallait pas avancer et nous allâmes nous cacher, agenouillées derrière le rocher, du côté du sentier. De l’endroit où nous étions, nous voyions cependant ce que faisait Bernadette ».
Ainsi donc, seule Bernadette était admise à l’audience. Mais la Vierge du rocher n’écartait ses compagnes que pour mieux se ménager tout à l’heure l’occasion de manifester sa miséricorde à leur endroit.
La Reine du Ciel et la pauvre fille de François Soubirous le meunier se trouvaient face à face sur le même plan. L’enfant était ainsi glorieusement vengée. L’on avait raillé à Lourdes ceux qui timidement avaient avancé que la Dame mystérieuse pourrait bien être la Sainte Vierge. « Pour sûr, avait-on dit, que la Sainte Vierge va venir rendre visite à Mademoiselle Soubirous ! » C’est pourtant ce qui avait lieu.
La Mère de Dieu avait quitté le ciel pour cette enfant que rien ne recommandait aux yeux du public même bienveillant, et estimant que la niche où elle apparaissait la tenait encore trop éloignée, elle en était descendue. Afin que l’intimité de sa mésalliance fût mieux affichée, les deux grandes personnes avaient dû s’écarter. Et ce fut l’heure d’un colloque amical, comme entre deux sœurs heureuses de se rencontrer.
Marie s’entretenait familièrement avec Bernadette.
Une exquise fusion d’âme entre la plus splendide des étoiles et cette petite flamme très pure, il est vrai, mais si inconnue.
Que se passa-t-il entre elles ?
Bernadette ne nous a livré que peu de paroles de l’entretien, mais ces paroles nous suffisent. Elle posa les objets qu’elle tenait en mains sur le roc, et dit avec simplicité « Si vous venez de la part de Dieu, veuillez me dire ce que vous désirez, sinon, éloignez-vous ». Notre-Dame ne va point se formaliser de la naïve sommation. « J’eus à peine fini la première partie de ma question, dit l’enfant, qu’elle me sourit gracieusement. Après les derniers mots, son visage s’assombrit et elle secoua la tête ». Elle dit non ! avec une expression d’horreur quand on semble supposer qu’il puisse y avoir quelque chose de commun entre elle et l’Esprit mauvais. La voyante insista et montrant l’encrier : « Voulez-vous avoir la bonté de mettre votre nom par écrit et de me dire ce que vous désirez ».
Loin de se fâcher, la Dame se mit à « rire » et répondit : « Ce que j’ai à vous dire, il n’est pas nécessaire que je le mette par écrit. Voulez-vous me faire la grâce de venir ici pendant quinze jours ? » (Ço queb” ay a disé, n’ey pas nécessari dé bonta per escrit. Boulét mé hé éro gracia dé bié penden quinzé dios ?)
L’enfant trouva aussitôt les mots que la sagesse lui dictait de répondre :
« Je viendrai, je demanderai permission à mes parents ».
Puis gardant toute sa présence d’esprit, et se rappelant que ses deux compagnes, privées de l’entretien, attendaient le résultat du message, elle revint vers elles pour le leur communiquer, faussant ainsi compagnie à Notre-Dame, qui ne va point s’en formaliser. « Mais pourquoi la Dame veut-elle que tu viennes ? » demanda Antoinette Peyret. – « Je l’ignore, elle ne me l’a pas dit ».
De l’endroit où l’enfant se tenait, elle ne perdait pas de vue l’Apparition.
Elle remarqua que la Vierge reposa un long moment son regard chargé de tendresse sur la Congréganiste : « Elle te regarde en ce moment », dit-elle à Antoinette Peyret. – « C’est peut-être le cierge qu’elle regarde » répondit Mme Millet. – « Non ! C’est bien Antoinette Peyret qu’elle regarde, et elle la regarde en souriant ».
Humiliée sans doute par cette faveur qui ne lui était point destinée, et accablée par des souvenirs pénibles, Mme Millet reprit : « Ah ! de grâce, Bernadette, demande-lui si ma présence ne lui est pas importune ».
L’enfant, qui allait et venait, comme une sorte de médiatrice entre les deux mondes, gardant la même tranquillité, soit qu’elle traitât face à face avec la Dame lumineuse, soit qu’elle redescendît en ce bas monde, jusqu’au repli du roc derrière lequel se cachaient ses deux compagnes, partit interroger l’Apparition, puis elle revint et s’adressant à Mme Millet : « La Dame, dit-elle, a répondu : sa présence ne m’est pas désagréable ».
L’enfant retourna sous la voûte de la Grotte. Elle parut se livrer avec la vision à un nouveau colloque intime dont on connaît les derniers mots : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde, mais dans l’autre ». Cela dit, Notre-Dame s’éleva vers la voûte et disparut.
Méditons toutes les splendeurs de miséricorde qui rayonnent de ces paroles et de ces gestes. Quelle leçon d’exquise politesse !
« Un jour, raconte Estrade, Bernadette, à ma prière, redisait les paroles que lui avait adressées la Sainte Vierge. Or, à celle-ci : Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse, etc… dès qu’elle eut prononcé les mots : « Je ne vous promets pas… » elle s’interrompit, et avec une expression d’humilité et de confusion qui me charma, elle dit : « La Dame me fait vous ».
On demanda plusieurs fois à Bernadette si l’Apparition l’avait jamais appelée par son nom de Bernadette ; si elle lui avait dit quelquefois : ma fille, mon enfant. Bernadette a répondu : « Elle ne m’a jamais appelée par mon nom, ni autrement : elle m’applait vous ».
Rien n’échappe aux enfants : ils saisissent bien vite la nuance des égards qu’on a pour eux. Avec clairvoyance, ils nous jugent d’après les égards qu’on leur témoigne.
Et la fille du meunier rougissait de bonheur à la pensée que la Reine du ciel lui disait vous…Elle disait vous et elle parlait patois. Elle le devait d’ailleurs pour se faire comprendre. Elle le devait davantage pour se faire aimer. Elle se faisait bergère avec la bergère. « Un jour, raconte encore Estrade, que Bernadette causait avec nous au salon, je lui adressai cette question :
« Dis-moi : est-ce que la Dame de la Grotte te parle français ou patois ? – Oh ! patois… – Bah ! tu veux qu’une dame d’un rang si élevé sache parler patois ? – Mais oui… » Puis avec fierté : « Et le patois de Lourdes encore, qu’elle parle… »
Ce que j’ai à vous dire, il n’est pas nécessaire que je le mette par écrit. Elle a quelque chose à nous dire, car elle est notre médiatrice.
C’est elle qui, comme Bernadette au cours de sa vision, est chargée de rapprocher et de relier les deux mondes, de communiquer à la terre les volontés du ciel et de plaider auprès du ciel les causes de la terre. Elle vient donc chargée d’un message, et parce que ce message est d’importance, elle agit à la manière de Dieu. Afin que personne ne soit tenté de s’enorgueillir, afin que les superbes soient humiliés et que les humbles soient exaltés, elle choisira pour confidente une enfant pauvre et chétive, dont la famille est déchue, et qui aurait pu dire comme Jeanne la Lorraine : « Je ne sais ni A ni B. Je sais seulement filer la laine et garder les moutons ».
Son message, comment le dictera-t-elle ? Elle annonce qu’elle ne se servira point de l’écriture, et l’on sait qu’à peine elle prononcera quelques paroles. Sur ce point encore, elle imitera son divin Fils.
« Il leur parlait par paroboles, nous dit saint Matthieu, afin que fût accomplie la parole du prophète : Je leur parlerai en paraboles, je révélerai les secrets cachés depuis le commencement du monde » Matth. XIII-35.
C’est dans un dessein de miséricorde que le Fils s’est servi de ce mode de langage, afin qu’il soit donné aux petits de connaître les mystères du royaume des cieux.
Marie s’exprimera de la même manière.
Elle vient à Lourdes nous remettre sous les yeux le mystère du Christ, ce mystère qui cause notre perte, parce que nous refusons de le vivre. Et pour nous le faire mieux entendre, pour nous le rendre plus émouvant, pour piquer notre curiosité, elle va le mettre en scène sous forme symbolique. Elle imprégnera le visage, les gestes et les attitudes de Bernadette d’un sens caché. Les apparences seront banales et dérouteront les chercheurs de nouveauté. Mais le mystère se dévoilera immense et insondable à quiconque acceptera de se faire petit et de comprendre que la sagesse de Celui qui s’est dit « doux et humble de cœur » ne peut s’exprimer que sous un appareil de douceur et d’humilité.
Voulez-vous me faire la grâce… le timbre de voix de Notre-Dame était infiniment doux. Il frappait sans doute les oreilles de la voyante, mais « il semblait surtout, dit Bernadette, que le son des paroles arrivait ici ». Et ce disant, elle posait la main sur sa poitrine.
Elle dit « Voulez-vous ?… » La Reine du monde aurait pu intimer un ordre.
Elle l’eût peut-être fait à l’égard d’une fille de roi. Mais elle s’adresse à une fille de meunier, et elle donne à son commandement la forme et l’accent de la prière. Quelle leçon pour tous ceux et celles qui détiennent quelque parcelle d’autorité ! Qu’ils apprennent à dire à l’école de Notre-Dame, non pas « Je veux », mais « Voulez-vous ?… ».
« Voulez-vous me faire la grâce ?… » Il ne suffit pas à la Dame de faire appel au libre arbitre de sa voyante. Elle se reconnaît d’avance son obligée, là pourtant où tout l’honneur et toute la joie seront pour la servante. Voulez-vous me faire la grâce ?…
Peut-on concevoir forme de demande plus aimable et plus suave ? Rien dans cette formule qui sente l’artifice, la mignardise ou la préciosité, mais la fleur de la délicatesse la plus exquise.
« Voulez-vous me faire la grâce de venir ici pendant quinze jours ?… » La merveilleuse perspective ! Les minutes de vision que Bernadette passait à la Grotte et qui, à ses yeux, valaient un siècle de félicité, allaient se renouveler quinze fois. Et à chacune des quinze visites, elle lui commenterait l’un des quinze mystères du Rosaire.
Il suffira à l’enfant de venir à la Grotte avec candeur et bonne volonté. Néanmoins, la Dame sollicite un consentement. Alors qu’elle comble sa voyante, elle a l’air de lui demander un service.
Et parce que l’enfant a promis de venir, si ses parents le lui permettent, voici tout aussitôt la récompense :
« Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse dans ce monde, mais dans l’autre »
Même à ses privilégiés, la Reine des Martyrs ne peut promettre le bonheur dans ce monde, parce qu’elle ne peut bouleverser l’ordre providentiel qui veut que, depuis la chute, la terre soit pour tous une vallée de larmes. Mais qu’importe ? Cette terre n’est pas un but. Et les souffrances de la vie ne peuvent que nous apparaître désirables quand, par elles, la conquête du but nous est mieux assurée. Combien privilégiée, celle à qui il a été dit : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse dans ce monde, mais dans l’autre ».
Elle comprit d’ailleurs que cette promesse serait subordonnée à sa fidélité.
Un jour, un missionnaire de Garaison lui dit pour l’éprouver : « Puisque la Dame t’a promis de te rendre heureuse dans l’autre monde, tu n’as plus à t’inquiéter de rien, et tu peux te reposer tranquillement sur cette promesse ». – « Ho ! Ho ! Monsieur le Curé, répliqua la voyante, comme vous y allez ! Je serai heureuse, oui ; mais si je fais comme il faut, et si je marche droit mon chemin ».
Bienheureuse Bernadette qui, par ta fidélité, mérite aujourd’hui de vivre la réalité que contenait cette promesse, n’oublie pas du sein de ta félicité ceux qui te valurent d’être conviée par la miséricorde divine aux quinze rendez-vous de Massabielle, et prie pour nous, pauvres pécheurs…
Déjà, nous prenons espoir, puisque la Dame de la Grotte nous signifie en la personne de Madame Millet, que notre présence ne lui est pas désagréable et que rien n’empêche que nous demeurions dans le rayonnement de sa maternité. Mais nous aspirons à une faveur meilleure. Nous voudrions que son regard se repose amoureusement sur nous comme sur Antoinette Peyret.
A vrai dire, cela dépend de nous. Pourquoi Antoinette Peyret fut-elle si prodigieusement favorisée ? Parce qu’elle était Enfant de Marie. Parce qu’elle s’était confiée à la protection de la Mère des hommes, et parce qu’elle avait choisi comme idéal de suivre son sillage. A tous ceux qui imitent Antoinette Peyret, la voix de Bernadette donne cette assurance : « Elle te regarde et elle te sourit ».
« Enfant de Marie » ! Voilà un signe certain de prédestination. Voilà la garantie précieuse que nous n’avons pas à redouter la colère du ciel, mais au contraire que nous pouvons tout attendre de sa bienveillance. Titre qui confère avec la Mère du divin Juge une telle parenté, que dans ses Apparitions de Massabielle, elle a voulu, pour nous le mieux signifier, porter la livrée des Enfants de Marie.
L’on ne sait pas assez, en effet, que le costume de la Dame de la Grotte rappelait assez exactement celui des jeunes filles de Lourdes qui, le jour de leur admission dans la Congrégation, en prononçant l’acte qui les consacrait, passaient à leur bras un chapelet nouvellement bénit, et étaient revêtues d’une robe blanche serrée à la ceinture par un ruban bleu.
L’invitation que la Mère de miséricorde nous adresse de cette manière est aussi discrète qu’émouvante. Qui ne voudrait l’entendre et y répondre ?…