Il serait malséant de comparer l’enfant qui, le 19 février se rendit à la Grotte pour jouer le mystère de l’Annonciation, à la Vierge incomparable qui reçut la visite de l’Ange, ambassadeur de l’Annonciation. Qu’il nous soit permis pourtant de signaler quelques traits communs entre les deux « élues ».
Marie, au moment de l’Incarnation du Verbe, devait avoir une quinzaine d’années. Elle était descendante de la race royale de David, mais cette race depuis longtemps était déchue, et l’enfant sur qui seule ne pesait pas la tache originelle vivait ignorée des hommes, dans une petite ville perdue au milieu des montagnes de Juda. Cette ville était si mal famée qu’un dicton populaire disait : « De Nazareth, que peut-il sortir de bon ? » Il convenait, disent les Pères de l’Eglise, que celui qui allait s’incarner pour détruire le règne de Satan vînt l’attaquer dans son repaire, dès les premiers jours de son existence.
Semblablement, au moment des Apparitions, Bernadette venait d’avoir quinze ans. Sa famille, très ancienne à Lourdes, après avoir joui d’une « très belle position », était alors « manifestement déchue ». Elle habitait Lourdes, petite bourgade perdue au milieu des montagnes des Pyrénées. Lourdes avait assez mauvaise réputation, et les roches Massabielle étaient certainement le coin le plus déshérité du pays. Ces ronces et ces épines dont il est question au début de l’histoire du monde y foisonnaient. Les serpents y avaient creusé leur repaire et le porcher de la ville y conduisait son troupeau.
Aussi, l’on disait par mode de mépris : « Une éducation faite à Massabielle ».
Ce coin de terre, disent les historiens de Lourdes, était l’image du péché originel.
Ce n’est point d’ailleurs le rôle de la Sainte Vierge que semble jouer Bernadette le 19 février, mais celui de l’Archange Gabriel. Dès que Bernadette, par le chemin du bois, fut parvenue au-dessus de la Grotte, la scène de l’Annonciation se déploya. Et d’abord, l’envol de l’Archange vers la terre. « Sur la pente du Rocher, dit un des témoins, où pour descendre il fallait à chaque pas s’appuyer des mains, faire du talon, un trou dans le sol, et où l’on glissait encore, Bernadette prit la volée, et en un clin d’oeil, arriva en bas comme s’il y eût eu un chemin bien tracé. Elle descendit comme une hirondelle… Elle alla comme le vent. Sans un miracle on ne peut marcher ainsi ».
Arrivée devant la Grotte, la voyante – nous pourrions dire l’Archange Gabriel – se mit à genoux. Elle prit le cierge allumé d’une main, le chapelet de l’autre et se mit à prier. Elle venait de réciter les trois Ave Maria qui précèdent le Chapelet, quand sur le point de commencer la première dizaine en l’honneur du mystère de l’Annonciation, la Sainte Vierge lui apparut. Aussitôt son sourire devint joli et sa physionomie changea. Puis elle salua avec les mains et la tête : c’était un plaisir de la voir. « C’était comme si toute sa vie elle n’avait pas fait autre chose ». Et, tout en saluant, ses lèvres redisaient la salutation de l’Ange : « Je vous salue Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous ». Et celle à qui s’adressait cette louange avait, en apparence, l’âge qu’elle devait avoir quand le Christ s’incarna en son sein.
« Le corps penché en avant », comme Fra Angelico nous peint Gabriel dans son « Annonciation », Bernadette continua de réciter son chapelet. Elle l’interrompit plusieurs fois, tandis qu’un dialogue semblait s’engager entre la Vierge et l’enfant.
Que fut, ce dialogue ? Bernadette ne nous l’a pas révélé. Peut-être rappelait-il le grand dialogue qui précéda l’Incarnation…
Et, tandis que la scène se déroulait, le soleil s’était levé et la pluie s’était mise à tomber, comme pour faire écho au Rorate coeli desuper, et à l’antienne augurale des premières Vêpres de l’Annonciation : Orietur sicut sol Salvator mundi et descendet in uterum Virginis sicut imber super gramen – le Sauveur du monde va se lever, semblable au soleil, et il descendra dans le sein d’une Vierge, comme la pluie sur le gazon.
Durant la vision, un fait étrange se produisit. Pendant que Bernadette priait, « un tumulte de voix sinistres, paraissant sortir des entrailles de la terre, était venu éclater au-dessus des eaux, du Gave. A ces cris, qui ressemblaient à des menaces, la Dame avait levé la tête et froncé le sourcil en regardant vers la rivière. Sur ce simple mouvement, les voix s’étaient prises d’épouvante et avaient fui dans toutes les directions ».
Il eût été bien surprenant que le diable n’intervînt pas à la scène de l’Annonciation, pour manifester sa rage contre Celle qui, en concevant le Sauveur du Monde, mettait fin à son règne, et dont il était écrit qu’elle lui écraserait la tête de son talon.
A Lourdes, Marie n’a pas même besoin de ce geste triomphant. Un seul de ses regards, terrible comme une armée rangée en bataille, suffit pour mettre l’ennemi en déroute.