3e joyeux : la naissance de Notre Seigneur
D’émouvants parallèles ont été souvent établis entre Lourdes et Bethléem, ces deux capitales du monde chrétien.
Leur site, leur histoire, leur destinée ont de frappantes analogies. Des prophéties les ont de tout temps désignées à l’espérance des peuples. « Non, Bethléem, avait dit le prophète Michée, tu n’es pas l’une des moindres parmi les cités de Juda, car de toi sortira le chef qui doit régir mon peuple ».
Et pareillement, l’on annonçait de temps immémorial, à Lourdes, que des prodiges s’accompliraient à la rive Massabielle.
A Lourdes comme à Bethléem, les prodiges prophétisés eurent pour cadre deux grottes d’aspect identique, jusqu’alors fréquentées par les animaux[1].
Comment ne pas évoquer ces ressemblances tandis que nous voyons Bernadette se rendre le 21 février à la Grotte de Massabielle, pour y revivre le troisième mystère joyeux ?
Ce jour-là, Notre-Dame voulut que son peuple fût présent, de même que le Christ avait invité en premier lieu les humbles à venir l’adorer dans sa crèche.
Un groupe d’ouvriers, profitant des loisirs du dimanche, se trouvait là.
Bernadette arriva, enveloppée dans son capulet blanc. Elle traversa simplement la foule, qui s’écarta avec respect devant elle, commença la récitation du chapelet et entra soudain en extase.
Voici comment va se répercuter en tout son être le mystère qu’elle contemple.
Le cierge allumé qu’elle tient à la main droite, et qui, selon l’interprétation officielle de la liturgie, signifie la chair immaculée du Verbe incarné, fruit divin du sein de Marie, ne cessa, au début de l’Apparition, d’être souffleté par le courant d’air qui régnait ce matin-là dans les bas-fonds ténébreux des bords du Gave. La voyante le livrait chaque fois à la personne la plus proche pour qu’il fût rallumé. Peut-on rêver image plus saisissante des refus que le Christ rencontra à Bethléem quand il demanda une place pour naître (In propria venit et sui eum non receperunt), ou encore des humiliations de la crèche, qui viennent comme narguer sa divinité (Vous trouverez un enfant emmailloté et couché dans une crèche), ou, plus précisément encore, de la lutte acharnée des ténèbres contre la Lumière qu’est le Verbe de Dieu (Et lux in tenebris lucet et tenebrae eum non comprehenderunt).
Le cierge que Bernadette confie successivement aux personnes qui l’entourent pour qu’elles le rallument, n’est-ce pas l’image du rôle que Marie a inauguré à Bethléem, et qu’elle continuera jusqu’à la fin des temps : donner Jésus au monde et demander à chacun de nous de reconnaître et d’adorer sa divinité ?
Ces personnes enfin qui reçoivent le cierge des mains de la voyante (quotquot autem receperunt eum), et qui, en le rallumant, confessent que le Christ est Dieu, et réparent ainsi l’œuvre des ténèbres, représentent ceux à qui « pouvoir a été donné de devenir enfants de Dieu », ou, comme saint Paul les appelle, les « fils de lumière ».
Bientôt, d’ailleurs, Bernadette, toujours en extase, se lève et se dirige vers la Grotte, où elle entre.
Il est remarquable que c’est la première fois qu’elle y pénètre depuis le début de la quinzaine des Apparitions, et c’est précisément le jour où se joue le mystère de la Grotte de Bethléem.
Et, tout aussitôt, le mystère de la nuit de Noël envahit son âme, au point que son visage, nous disent les témoins, ressemblait à celui « d’un enfant dans son berceau ».
Puis, pour nous évoquer les pleurs du nouveau-né, des larmes roulent sur ses joues, et elle s’attriste comme dut s’affliger la Vierge sainte, en voyant son Jésus pleurer.
C’est à cause de la malice de nos péchés, ô Vierge des douleurs, que votre enfant doit souffrir ainsi, dès son berceau. Il ne faut pas que ces douleurs-là soient perdues. Et c’est pour cela que vous avez dit à votre confidente, le 21 février, afin qu’elle nous le répète : « Priez pour les pécheurs ».
Nous répondrons à votre imploration et nous redirons sans fin sur les grains de notre Rosaire : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs… »
L’Apparition terminée, les mêmes événements qui suivirent la naissance du Christ marquèrent à Lourdes la journée du 21 février.
Les témoins reviennent de la Grotte « en publiant leur admiration », et « leurs auditeurs applaudissaient à leur récit comme à l’annonce d’un événement patriotique ». On croirait lire saint Luc, qui clôt ainsi l’Evangile de la Nativité : « Après avoir vu, les bergers racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de l’enfant. Tous ceux qui les entendirent furent dans l’admiration… »
On sait que les sentiments du roi Hérode furent tout autres. Peut-être les paroles des bergers étaient-elles parvenues jusqu’à lui ; en tous cas , il n’avait pu les prendre que pour des racontars, surtout quand on lui eût affirmé que l’Enfant mystérieux n’était que le fils d’un pauvre charpentier. Mais la visite qu’il reçut des rois mages l’impressionna au point de le troubler. Dès ce moment, la haine pour « le fils du Charpentier » s’enracina dans son cœur, et des plans de persécution germèrent en son esprit. Il rassembla les princes des prêtres et les scribes du peuple, et on connaît la double politique qu’il adopta. Il feignit d’abord d’entrer dans les vues des Mages, afin de gagner leur confiance. Mais quand il vit que les Mages s’étaient joués de lui, il entra en fureur et ordonna le massacre, dans Bethléem, des enfants ayant deux ans et au-dessous.
Les événements de Lourdes vont suivre pas à pas le récit évangélique.
« Les autorités chargées de veiller à la tranquillité locale, nous dit Estrade, étaient demeurées à l’écart, pensant que le bon sens public ferait justice des racontages qui circulaient, mais, en présence de l’animation bruyante qui marqua la matinée du 21 février, quand elles apprirent. qu’une des personnes les plus considérables de Lourdes, le docteur Dozous[2], avait assisté à l’Apparition du matin, et que son jugement avait conclu à « une intervention surnaturelle de Dieu », « elles se prirent d’inquiétude », (le roi Hérode se troubla) ; le maire, le procureur impérial, le commissaire de police se réunirent à l’hôtel de la mairie (il assembla tous les princes des prêtres et les scribes du peuple). Ils étaient plutôt mal disposés en faveur de la voyante, dont ils ne connaissaient que le nom. Un témoin écrit lui-même : « Le procureur impérial aurait eu quelque raison de dire « De la maison Soubirous, que peut-il sortir de bon ? »
Un incident récent avait jeté le discrédit sur le père de Bernadette. A tort ou à raison, quelques mois auparavant, le père Soubirous avait été accusé d’avoir dérobé une poutre et, pour ce motif, avait été emprisonné. De même qu’on alléguait, pour nier le caractère messianique de Jésus, qu’il était le fils de Joseph le charpentier, de même on objectait, au caractère surnaturel des visions de Bernadette, le bois de charpente de son père.
M. Jacomet, le commissaire de police, celui précisément que plusieurs historiens appellent « le nouvel Hérode », fit appeler secrètement Bernadette dans son cabinet (Hérode fit alors appeler secrètement les Mages). Il lui posa des questions sans nombre et parut s’intéresser prodigieusement aux Apparitions dont l’enfant était témoin (il s’enquit d’eux avec soin du temps où l’étoile leur était « apparue »…) Mais, s’apercevant bientôt que ce procédé n’aboutissait qu’à le confondre lui-même, il changea brusquement d’attitude (Hérode, voyant qu’il avait été joué par les Mages, entra dans une grande colère). Il « se dressa debout » et alla jusqu’à menacer l’enfant de la main, et l’on ne sait comment la scène se serait terminée si le père Soubirous ne fût soudain entré. Il réclama sa fille et l’emmena, la soustrayant ainsi à la fureur du « nouvel Hérode ».
Ainsi fit Joseph, quand l’Ange du Seigneur lui apparut et lui dit : « Lève-toi, prends l’Enfant et sa mère et fuis en Egypte, car Hérode cherche l’Enfant pour le faire mourir ».
- Le Porcatier de l’époque, dit Samson, a déclaré : « Les animaux que je menais à la rive Massabielle demeuraient le long de la rive ou près de la Grotte, et dans l’intérieur même de la cavité ». Il ajoute même que les porcs, à force de se frotter contre la grotte, en avaient poli les parois.[↩]
- Ce sont précisément les Mages que l’Abbé Archelet a vus dans la personne du Docteur Dozous. « C’était, écrit-il, le premier suffrage de la science en faveur des Apparitions. Tels autrefois les Mages, savants de l’Orient, étaient venus aux clartés d’une étoile, à la suite des bergers, adorer l’enfant Dieu. Ainsi procède le Ciel en ses épiphanies ».[↩]