Le quatrième mystère joyeux comprend deux épisodes que l’on énonce distinctement : la Purification de Marie et la Présentation de Jésus au Temple. Il fallait que ces deux épisodes fussent représentés séparément à Lourdes, de manière néanmoins à ne comporter qu’une seule Apparition, puisqu’ils sont médités au cours du Rosaire sur la même dizaine d’Ave. Rien n’est difficulté pour la Sagesse divine. L’absence de vision du 22 février nous dira les leçons du mystère de la Purification, et l’Apparition du 23 évoquera le mystère de la Présentation.
I
La Purification de Marie
L’obéissance à la loi et à l’autorité légitimement constituée, telle est, si l’on s’en tient au texte inspiré, la leçon primordiale de la Purification de Marie. Elle aurait eu de bonnes raisons de ne point se rendre à Jérusalem, comme l’y obligeait « la loi de Moïse ». L’alternative avait dû certainement se présenter à son esprit : ou bien se dispenser d’une loi qui n’était pas faite pour elle – purifie-t-on la neige du sommet des montagnes ? – ou bien obéir à la loi, mais en offensant ainsi en quelque sorte les prérogatives que l’Ange de l’Annonciation avait saluées en elle.
Marie, avec son admirable rectitude de jugement, n’hésite pas. Elle opte pour la « loi de Moïse », contre ses privilèges, ayant en vue l’édification des Juifs, qui n’auraient rien compris à son abstention, et, bien plus encore, pour l’édification des chrétiens, qu’elle engage ainsi à un parfait respect de la loi de Dieu.
Et Bernadette fut sa parfaite imitatrice le 22 février. Elle aussi, selon l’expression de l’abbé Archelet, « opte pour le Décalogue contre la dévotion ». Ce jour-là, en effet, elle reçoit l’ordre de ses parents « non seulement de ne pas retourner à Massabielle, mais d’aller à l’école et de ne dévier ni à droite ni à gauche ». Cruelle alternative pour l’enfant ! « Elle nous disait, raconte Basile Casterot : ça me fait bien de la peine. Il faut que je désobéisse ou à vous ou à cette Dame ». Elle avait, semble-t-il, une raison suffisante pour transgresser l’ordre de ses parents. N’avait-elle pas promis d’aller à la Grotte durant quinze jours, et cette promesse ne l’avait-elle pas faite à une Dame mystérieuse dont l’autorité transcendait celle de ses parents ? Que devait-elle faire ? Si l’on se réfère au mystère de la Purification, elle devait se soumettre à la loi du Décalogue, qui veut qu’un enfant obéisse à ses parents. Et c’est ce qu’elle fit.
C’est plutôt ce qu’elle se proposait de faire, mais quand, l’après-midi, se rendant à l’école, elle fut parvenue à quelques pas de la caserne de gendarmerie, elle est arrêtée par une main mystérieuse qui l’empêche d’avancer et l’entraîne vers la Grotte. C’est en vain qu’elle résiste. Elle n’est pas responsable. Dieu a besoin d’elle pour nous mettre sous les yeux, dans un saisissant relief, la leçon du quatrième mystère joyeux.
Les gendarmes, de leurs fenêtres, remarquent ses hésitations et ses piétinements devant l’obstacle invisible. Dès qu’ils voient l’enfant faire volte-face, ils se hâtent de la suivre.
En chemin, Bernadette demande qu’on aille lui chercher le cierge de sa marraine, dont elle se servait aux cérémonies de la Chandeleur. Cette demande trahit son dessein. Bientôt des enfants et des femmes la rejoignent. Et le « cortège » se rend à Massabielle. En avant, marche la voyante « calme, modeste et sereine », son cierge de Chandeleur à la main. Deux gendarmes, représentants de la Loi, tels deux acolytes, l’encadrent. Et la foule suit, composée d’une « cinquantaine de femmes, filles et petits garçons ».
Et de ce petit cortège, le symbolisme se dégage grandiose. Il évoque les processions qui se font le 2 février… Il évoque Marie, la mère par excellence, la femme qui a enfanté la lumière du monde, s’en allant au Temple pour une Purification dont elle n’a pas besoin, simplement par respect pour la loi. « La loi reconnaissante, écrit l’abbé Bonner lui-même, qui semble avoit pénétré la signification surnaturelle de ces événements, lui forme un cortège d’honneur, tandis que les femmes mariées, dont c’est aujourd’hui la fête, lui crient leur admiration et sont fières de s’affirmer, publiquement, suivantes de Notre-Dame de la Chandeleur, de la mère purifiée ».
Bernadette, arrivée devant la niche, se met à genoux, allume son cierge et récite le chapelet ; mais cette fois, la Dame ne vient pas. Après avoir prié longtemps, elle comprit qu’il n’y aurait pas vision, et elle en parut très affligée. « Je ne sais pas, dit-elle, en quoi j’ai manqué à cette Dame ».
Rassure-toi, Bernadette. Tu n’as point failli. Tu es venue à la Grotte malgré la défense de tes parents, mais tu ne leur as pas pourtant désobéi puisque « tu n’as pu faire aller tes jambes que vers la Grotte ». Une force mystérieuse t’a fait dévier de ton chemin. Ta volonté demeurait soumise à l’autorité paternelle. Mais extérieurement et légalement, aux yeux des hommes, tu n’étais pas dans l’ordre. La Dame céleste, responsable pourtant de cet apparent désordre, se gardera néanmoins de le couvrir de ses faveurs. Elle veut faire entendre aux hommes la leçon du mystère de la Purification.
Comme Marie, aimons passionnément la loi de Dieu, sans croire jamais que rien puisse nous en dispenser.
II
La Présentation de Jésus au Temple
Le mystère de la Présentation est, avant tout, le mystère de la vocation de Jésus. C’est aujourd’hui qu’il se donne à son Père, sans réserve et sans retour. C’est aujourd’hui qu’il prononce les paroles qui résument tout le mystère de son Incarnation. « Vous n’avez voulu ni sacrifice ni offrande, mais vous m’avez formé un corps. Alors j’ai dit : Voici, je viens pour faire, ô Dieu, votre volonté ».
Et c’est aujourd’hui que Bernadette entend le même appel et qu’elle y répond pareillement. « Tandis que je priais, raconte-t-elle elle-même, la Dame m’appela, je répondis : me voici ! »
L’état d’obéissance, de soumission, de totale oblation de Jésus à son Père va être exprimé par l’attitude d’absorption qui va caractériser plus spécialement aujourd’hui l’extase de Bernadette. Tout son être est comme suspendu à sa chère vision. « On aurait dit, déclare Estrade, qu’elle craignait de baisser les paupières, de peur de perdre de vue l’objet ravissant de ses contemplations. C’était un de ces êtres privilégiés, à figure céleste, que l’apôtre des grandes visions nous représente en extase devantle Trône de Dieu… »
Divers incidents marquèrent, à Jérusalem, la Présentation de Jésus. On va les voir se renouveler dans la quatrième Apparition joyeuse.
Un homme « juste et craignant Dieu », du nom de Siméon, fut poussé par l’Esprit-Saint à venir dans le Temple, à Jérusalem, à l’heure où les parents de Jésus y arrivaient eux-mêmes. Dès qu’il aperçut l’Enfant dans les bras de sa Mère, une secrète intuition lui révéla que c’était là le Messie attendu. Et c’est alors qu’il prononça l’émouvant cantique du Nunc dimittis.
Pareillement, l’Esprit-Saint, en la personne du Curé de Lourdes, poussa, le 23 février, M. Estrade, « homme juste et craignant Dieu », à se rendre à Massabielle. Immédiatement il fut sous le charme. Son émoi fut identique à celui de Siméon. Il publia son témoignage. « Je ne pouvais, a‑t-il écrit, retenir mon émotion… La Dame avait eu beau se voiler, j’avais senti sa présence… O heure solennelle de ma vie ! »
Et c’est à l’occasion du récit de cette Apparition qu’il entonne un cantique dont la contexture et les sentiments sont ceux du Nunc Dimittis : « O Mère, mes cheveux ont blanchi et je suis près de la tombe. Je n’ose arrêter mes regards sur mes iniquités et plus que jamais j’ai besoin de me réfugier sous le manteau de vos miséricordes. Quand, à l’heure suprême, je paraîtrai devant votre auguste Fils, daignez vous faire ma protectrice et vous souvenir que vous m’avez vu, aux jours de vos manifestations, à genoux et croyant, sous la voûte sacrée de votre Grotte de Lourdes ».
Le vieillard Siméon ne se contenta pas de chanter son propre bonheur, mais, se tournant vers la Mère de l’Enfant, il lui confia, concernant sa vocation, trois douloureux secrets : « Cet enfant est au monde pour la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. – Il sera un signe de contradition. ‑Pour toi, ton âme sera transpercée par un glaive à deux tranchants ».
Et c’est aujourd’hui, pour continuer le parallèle, que trois secrets sont confiés à Bernadette. Des indiscrets ont cherché plus tard, par tous les moyens, à lui arracher les révélations de la Vierge. Peine perdue ! La fidèle enfant a emporté avec elle ses secrets dans la tombe. Mais ceux qui ont vécu en son intimité s’accordent à penser qu’ils avaient trait à sa vocation et à son existence, qui ne lui épargnera ni douleurs ni contradictions. Quoi qu’il en soit, le vieillard Siméon avait annoncé à Marie qu” « un glaive à deux tranchants transpercerait son âme ». Or il est remarquable que le ler mars, jour où se jouera à la Grotte le mystère du Crucifiement, un témoin lira sur le visage de Bernadette « une tristesse vive comme un glaive à deux tranchants, profonde comme un abîme ».
Le 23 février, les spectateurs des Apparitions noteront seulement sur sa physionomie des sentiments « d’admiration, de joie, de crainte et de tristesse ». Ce sont bien là les émotions qui durent se faire jour dans l’âme de Marie, au jour de la Présentation :
L’admiration : Le Père et la Mère de l’Enfant étaient, dans l’admiration des choses qu’on disait de lui.
La joie et la tristesse : Cet Enfant a été établi pour la chute et le relèvement d’un grand nombre ‚en Israël.
La crainte : Un glaive transpercera votre âme.
Signalons enfin que c’est encore aujourd’hui que Bernadette trace sur elle, « par intervalles, ces signes de Croix si pieux et si nobles, comme on ne peut les faire qu’au Ciel », ces signes de Croix qui résument toute la Passion – cette Passion qui point déjà lugubrement au matin de la Présentation de Jésus au Temple…