Il n’est guère d’historiens de Lourdes qui, en décrivant cette Apparition où la source commence de couler, n’aient été comme contraints d’évoquer le mystère de l’Agonie, qui constitue le premier acte de la douloureuse Passion, tant le parallèle se déroule manifeste et lumineux.
Les incidents qui se passent aujourd’hui à la Grotte de Massabielle ne sont explicables que s’ils se réfèrent au drame de la Grotte de Gethsémani.
Ecoutons les témoins nous décrire l’aspect de la voyante. Non seulement elle n’entre pas en extase et son visage n’est pas transfiguré, mais il apparaît « comme décomposé, triste et malheureux… on aurait dit qu’elle était accablée sous le poids de quelque chose, qu’elle avait sur elle toutes les peines du monde… On craignait qu’elle ne mourût ». Ces dépositions des témoins ne sont que la reprise à peine retouchée des textes de la Sainte Ecriture relatifs à la Passion du Christ. « Il n’avait ni beauté ni éclat, pour attirer nos regards, et son aspect n’avait rien pour nous plaire… Il commença à être envahi par la tristesse et l’abattement… Il a pris sur lui nos infirmités. Il s’est chargé de nos douleurs. L’Eternel a fait retomber sur lui l’iniquité de nous tous… Il dit à ses disciples : « Mon âme est triste jusqu’à en mourir ».
Il n’est pas moins émouvant de considérer la voyante allant et venant, accablée sous le poids de sa tristesse ; tombant finalement « presque à plat ventre », dit un témoin, là où la terre « était d’un rouge sang », et se relevant le visage barbouillé d’eau boueuse. Image saisissante de l’autre visage qui ruissela des sueurs de sang de l’Agonie. Sa tante, telle l’ange du Ciel qui vint réconforter le Christ, dut la soutenir, « de peur qu’elle ne tombât ».
Egalement poignante apparaît notre petite sœur Bernadette, quand il lui faut par obéissance à la Dame, goûter elle aussi à l’amertume d’un calice qui lui répugne. La Vision lui demanda d’aller boire à l’eau de la fontaine et de s’y laver. Elle y va, se traînant sur ses genoux. Elle gratte la terre. Il vient un peu d’eau boueuse qu’elle recueille dans la coupe de ses mains. L’on comprend certes ses hésitations et ses reculs. La Dame l’encourage. Mais l’enfant la regarde, implorant sa compassion.
Elle a l’air de dire : « Si c’est possible, que ce calice s’éloigne de moi sans que je le boive ». De même que le Christ avait répété trois fois cette prière d’angoisse et de soumission, de même à trois reprises Bernadette rejette cette eau sale qui lui cause des nausées.
Elle finit pourtant par boire, puisque telle est la volonté d’En-Haut…
Il est lamentable, notre Christ Sauveur à la suite de son Agonie, abandonné de ses disciples qui ont pris la fuite, livré aux mains des soldats qui se jouent de lui, et en font l’objet de leurs dérisions blasphématoires. Il avait prophétisé son délaissement : « Vous tous, avait-il dit à ses apôtres durant la Cène, vous serez démoralisés à son sujet cette nuit, car il est écrit : « Je frapperai le Pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées ».
Et Bernadette va partager, sa vision terminée, le sort de Celui dont elle mime aujourd’hui le dramatique mystère. « Un mot poignant, terrible, circula de bouche en bouche : « Cette enfant est folle ».
« On jetait encore le regard sur elle, mais le prestige était tombé. On ne la regardait que pour la plaindre ». « La Grotte, ce jour-là, désemplit de bonne heure ». Les uns – l’on pourrait dire, les disciples – regagnèrent Lourdes « déconcerté », « découragés », « déroutés dans leur foi ». – Les autres riaient et se moquaient, « comme s’ils revenaient d’une comédie ».
Pour nous qui savons, nous baiserons la terre sainte de Massabielle, et pour nous remplir d’espoir, nous contemplerons la source que Bernadette a fait jaillir, en grattant le sol de ses doigts, cette source qui va grossir et qui au jour où se jouera le mystère de la Pentecôte se mettra à couler vers le Gave, cette source qui sort du côté droit de la Grotte (de latere dextro), et que nous montre la Céleste Médiatrice : « Allez boire à la fontaine et vous y laver », cette source intarissable aux eaux pures et abondantes, à laquelle s’abreuvent les pèlerins, comme à un talisman régénérateur de vie. Et nous verrons dans cette onde qui coule de l’ouverture de la roche, le Cœur entrouvert du Christ (Petra autem erat Christus) d’où le fleuve de vie a commencé de sourdre pour les hommes, à l’heure de son Agonie, et dont le flot inépuisable, depuis le jour de la Pentecôte descend sur le monde pour le laver, le guérir et le sauver.
« Dans la soirée de ce jour plein d’obscurités, raconte Estrade, je fis appeler Bernadette chez moi. Je la fis causer. Je lui cherchai des querelles de mots, des surprises et des contradictions de récits.
Rien dans les réponses et dans les réflexions de l’enfant ne pouvait faire soupçonner l’existence d’une déviation intellectuelle quelconque ».
Et ceci a été permis sans doute par la Sagesse divine pour qu’on se rappelât ce qu’il advint durant le procès qui suivit l’Agonie. « Cependant les princes des prêtres et tout le Conseil cherchaient un faux témoignage contre Jésus et ils n’en trouvaient point… »