Benoît XVI

265e pape ; de 2005 à 2013

29 juin 2009

Lettre encyclique Caritas in veritate

sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité

Table des matières

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 29 juin 2009,
fête des saints Apôtres Pierre et Paul, en la cin­quième année de mon pontificat.

Aux évêques, aux prêtres et aux diacres, aux per­sonnes consa­crées, à tous les fidèles laÏcs et à tous les hommes de bonne volon­té
Sur le déve­lop­pe­ment humain inté­gral dans la cha­ri­té et dans la vérité

Introduction

1. L’amour dans la véri­té (Caritas in veri­tate), dont Jésus s’est fait le témoin dans sa vie ter­restre et sur­tout par sa mort et sa résur­rec­tion, est la force dyna­mique essen­tielle du vrai déve­lop­pe­ment de chaque per­sonne et de l’humanité tout entière. L’amour – « cari­tas » – est une force extra­or­di­naire qui pousse les per­sonnes à s’engager avec cou­rage et géné­ro­si­té dans le domaine de la jus­tice et de la paix. C’est une force qui a son ori­gine en Dieu, Amour éter­nel et Vérité abso­lue. Chacun trouve son bien en adhé­rant, pour le réa­li­ser plei­ne­ment, au pro­jet que Dieu a sur lui : en effet, il trouve dans ce pro­jet sa propre véri­té et c’est en adhé­rant à cette véri­té qu’il devient libre (cf. Jn 8, 32). Défendre la véri­té, la pro­po­ser avec humi­li­té et convic­tion et en témoi­gner dans la vie sont par consé­quent des formes exi­geantes et irrem­pla­çables de la cha­ri­té. En effet, celle-​ci « trouve sa joie dans ce qui est vrai » (1 Co 13, 6). Toute per­sonne expé­ri­mente en elle un élan pour aimer de manière authen­tique : l’amour et la véri­té ne l’abandonnent jamais tota­le­ment, parce qu’il s’agit là de la voca­tion dépo­sée par Dieu dans le cœur et dans l’esprit de chaque homme. Jésus Christ puri­fie et libère de nos pau­vre­tés humaines la recherche de l’amour et de la véri­té et il nous révèle en plé­ni­tude l’initiative d’amour ain­si que le pro­jet de la vie vraie que Dieu a pré­pa­rée pour nous. Dans le Christ, l’amour dans la véri­té devient le Visage de sa Personne. C’est notre voca­tion d’aimer nos frères dans la véri­té de son des­sein. Lui-​même, en effet, est la Vérité (cf. Jn 14, 6).

2. La cha­ri­té est la voie maî­tresse de la doc­trine sociale de l’Église. Toute res­pon­sa­bi­li­té et tout enga­ge­ment défi­nis par cette doc­trine sont impré­gnés de l’amour qui, selon l’enseignement du Christ, est la syn­thèse de toute la Loi (cf. Mt 22, 36–40). L’amour donne une sub­stance authen­tique à la rela­tion per­son­nelle avec Dieu et avec le pro­chain. Il est le prin­cipe non seule­ment des micro-​relations : rap­ports ami­caux, fami­liaux, en petits groupes, mais éga­le­ment des macro-​relations : rap­ports sociaux, éco­no­miques, poli­tiques. Pour l’Église – ins­truite par l’Évangile –, l’amour est tout parce que, comme l’enseigne saint Jean (cf. 1 Jn 4, 8.16) et comme je l’ai rap­pe­lé dans ma pre­mière Lettre ency­clique, « Dieu est amour » ( ): tout pro­vient de l’amour de Dieu, par lui tout prend forme et tout tend vers lui. L’amour est le don le plus grand que Dieu ait fait aux hommes, il est sa pro­messe et notre espérance.

Je suis conscient des dévoie­ments et des pertes de sens qui ont mar­qué et qui marquent encore la cha­ri­té, avec le risque consé­quent de la com­prendre de manière erro­née, de l’exclure de la vie morale et, dans tous les cas, d’en empê­cher la juste mise en valeur. Dans les domaines social, juri­dique, cultu­rel, poli­tique, éco­no­mique, c’est-à-dire dans les contextes les plus expo­sés à ce dan­ger, il n’est pas rare qu’elle soit décla­rée inca­pable d’interpréter et d’orienter les res­pon­sa­bi­li­tés morales. De là, découle la néces­si­té de conju­guer l’amour avec la véri­té non seule­ment selon la direc­tion indi­quée par saint Paul : celle de la « veri­tas in cari­tate » (Ep 4, 15), mais aus­si, dans celle inverse et com­plé­men­taire, de la « cari­tas in veri­tate ». La véri­té doit être cher­chée, décou­verte et expri­mée dans l’ « éco­no­mie » de l’amour, mais l’amour à son tour doit être com­pris, véri­fié et pra­ti­qué à la lumière de la véri­té. Nous aurons ain­si non seule­ment ren­du ser­vice à l’amour, illu­mi­né par la véri­té, mais nous aurons aus­si contri­bué à rendre cré­dible la véri­té en en mon­trant le pou­voir d’authentification et de per­sua­sion dans le concret de la vie sociale. Ce qui, aujourd’hui, n’est pas rien compte tenu du contexte social et cultu­rel pré­sent qui rela­ti­vise la véri­té, s’en dés­in­té­resse sou­vent ou s’y montre réticent.

3. Par son lien étroit avec la véri­té, l’amour peut être recon­nu comme une expres­sion authen­tique d’humanité et comme un élé­ment d’importance fon­da­men­tale dans les rela­tions humaines, même de nature publique. Ce n’est que dans la véri­té que l’amour res­plen­dit et qu’il peut être vécu avec authen­ti­ci­té. La véri­té est une lumière qui donne sens et valeur à l’amour. Cette lumière est, en même temps, celle de la rai­son et de la foi, par laquelle l’intelligence par­vient à la véri­té natu­relle et sur­na­tu­relle de l’amour : l’intelligence en reçoit le sens de don, d’accueil et de com­mu­nion. Dépourvu de véri­té, l’amour bas­cule dans le sen­ti­men­ta­lisme. L’amour devient une coque vide sus­cep­tible d’être arbi­trai­re­ment rem­plie. C’est le risque mor­ti­fère qu’affronte l’amour dans une culture sans véri­té. Il est la proie des émo­tions et de l’opinion contin­gente des êtres humains ; il devient un terme gal­vau­dé et défor­mé, jusqu’à signi­fier son contraire. La véri­té libère l’amour des étroi­tesses de l’émotivité qui le prive de conte­nus rela­tion­nels et sociaux, et d’un fidéisme qui le prive d’un souffle humain et uni­ver­sel. Dans la véri­té, l’amour reflète en même temps la dimen­sion per­son­nelle et publique de la foi au Dieu biblique qui est à la fois « Agapè » et « Lógos » : Charité et Vérité, Amour et Parole.

4. Parce que l’amour est riche de véri­té, l’homme peut le com­prendre dans la richesse de ses valeurs, le par­ta­ger et le com­mu­ni­quer. La véri­té est, en effet, lógos qui crée un diá-​logos et donc une com­mu­ni­ca­tion et une com­mu­nion. En aidant les hommes à aller au-​delà de leurs opi­nions et de leurs sen­sa­tions sub­jec­tives, la véri­té leur per­met de dépas­ser les déter­mi­nismes cultu­rels et his­to­riques et de se ren­con­trer dans la recon­nais­sance de la sub­stance et de la valeur des choses. La véri­té ouvre et unit les intel­li­gences dans le lógos de l’amour : l’annonce et le témoi­gnage chré­tien de l’amour résident en cela. Dans le contexte socio­cul­tu­rel actuel, où la ten­dance à rela­ti­vi­ser le vrai est cou­rante, vivre la cha­ri­té dans la véri­té conduit à com­prendre que l’adhésion aux valeurs du Christianisme est un élé­ment non seule­ment utile, mais indis­pen­sable pour l’édification d’une socié­té bonne et d’un véri­table déve­lop­pe­ment humain inté­gral. Un Christianisme de cha­ri­té sans véri­té peut faci­le­ment être confon­du avec un réser­voir de bons sen­ti­ments, utiles pour la coexis­tence sociale, mais n’ayant qu’une inci­dence mar­gi­nale. Dans ce cas, Dieu n’aurait plus une place propre et authen­tique dans le monde. Sans la véri­té, la cha­ri­té est relé­guée dans un espace res­treint et rela­tion­nel­le­ment appau­vri. Dans le dia­logue entre les connais­sances et leur mise en œuvre, elle est exclue des pro­jets et des pro­ces­sus de construc­tion d’un déve­lop­pe­ment humain d’envergure universelle.

5. La cha­ri­té est amour reçu et don­né. Elle est « grâce » (chá­ris). Sa source est l’amour jaillis­sant du Père pour le Fils, dans l’Esprit Saint. C’est un amour qui, du Fils, des­cend sur nous. C’est un amour créa­teur, qui nous a don­né l’existence ; c’est un amour rédemp­teur, qui nous a recréés. Un amour révé­lé et réa­li­sé par le Christ (cf. Jn 13, 1) et « répan­du dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été don­né » (Rm 5, 5). Objets de l’amour de Dieu, les hommes sont consti­tués sujets de la cha­ri­té, appe­lés à deve­nir eux-​mêmes les ins­tru­ments de la grâce, pour répandre la cha­ri­té de Dieu et pour tis­ser des liens de charité.

La doc­trine sociale de l’Église répond à cette dyna­mique de cha­ri­té reçue et don­née. Elle est « cari­tas in veri­tate in re socia­li »: annonce de la véri­té de l’amour du Christ dans la socié­té. Cette doc­trine est un ser­vice de la cha­ri­té, mais dans la véri­té. La véri­té pré­serve et exprime la force de libé­ra­tion de la cha­ri­té dans les évé­ne­ments tou­jours nou­veaux de l’histoire. Elle est, en même temps, une véri­té de la foi et de la rai­son, dans la dis­tinc­tion comme dans la syner­gie de ces deux modes de connais­sance. Le déve­lop­pe­ment, le bien-​être social, ain­si qu’une solu­tion adap­tée aux graves pro­blèmes socio-​économiques qui affligent l’humanité, ont besoin de cette véri­té. Plus encore, il est néces­saire que cette véri­té soit aimée et qu’il lui soit ren­du témoi­gnage. Sans véri­té, sans confiance et sans amour du vrai, il n’y a pas de conscience ni de res­pon­sa­bi­li­té sociale, et l’agir social devient la proie d’intérêts pri­vés et de logiques de pou­voir, qui ont pour effets d’entrainer la désa­gré­ga­tion de la socié­té, et cela d’autant plus dans une socié­té en voie de mon­dia­li­sa­tion et dans les moments dif­fi­ciles comme ceux que nous connais­sons actuellement.

6.« Caritas in veri­tate » est un prin­cipe sur lequel se fonde la doc­trine sociale de l’Église, un prin­cipe qui prend une forme opé­ra­toire par des cri­tères d’orientation de l’action morale. Je désire en rap­pe­ler deux de manière par­ti­cu­lière ; ils sont dic­tés prin­ci­pa­le­ment par l’engagement en faveur du déve­lop­pe­ment dans une socié­té en voie de mon­dia­li­sa­tion : la jus­tice et le bien com­mun.

La jus­tice tout d’abord. Ubi socie­tas, ibi ius : toute socié­té éla­bore un sys­tème propre de jus­tice. La cha­ri­té dépasse la jus­tice, parce que aimer c’est don­ner, offrir du mien à l’autre ; mais elle n’existe jamais sans la jus­tice qui amène à don­ner à l’autre ce qui est sien, c’est-à-dire ce qui lui revient en rai­son de son être et de son agir. Je ne peux pas « don­ner » à l’autre du mien, sans lui avoir don­né tout d’abord ce qui lui revient selon la jus­tice. Qui aime les autres avec cha­ri­té est d’abord juste envers eux. Non seule­ment la jus­tice n’est pas étran­gère à la cha­ri­té, non seule­ment elle n’est pas une voie alter­na­tive ou paral­lèle à la cha­ri­té : la jus­tice est « insé­pa­rable de la cha­ri­té » [1], elle lui est intrin­sèque. La jus­tice est la pre­mière voie de la cha­ri­té ou, comme le disait Paul VI, son « mini­mum » [2], une par­tie inté­grante de cet amour en « actes et en véri­té » (1 Jn 3, 18) auquel l’apôtre saint Jean exhorte. D’une part, la cha­ri­té exige la jus­tice : la recon­nais­sance et le res­pect des droits légi­times des indi­vi­dus et des peuples. Elle s’efforce de construire la cité de l’homme selon le droit et la jus­tice. D’autre part, la cha­ri­té dépasse la jus­tice et la com­plète dans la logique du don et du par­don[3]. La cité de l’homme n’est pas uni­que­ment consti­tuée par des rap­ports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord, par des rela­tions de gra­tui­té, de misé­ri­corde et de com­mu­nion. La cha­ri­té mani­feste tou­jours l’amour de Dieu, y com­pris dans les rela­tions humaines. Elle donne une valeur théo­lo­gale et sal­vi­fique à tout enga­ge­ment pour la jus­tice dans le monde.

7. Il faut ensuite prendre en grande consi­dé­ra­tion le bien com­mun. Aimer quelqu’un, c’est vou­loir son bien et mettre tout en œuvre pour cela. À côté du bien indi­vi­duel, il y a un bien lié à la vie en socié­té : le bien com­mun. C’est le bien du ‘nous-​tous’, consti­tué d’individus, de familles et de groupes inter­mé­diaires qui forment une com­mu­nau­té sociale [4]. Ce n’est pas un bien recher­ché pour lui-​même, mais pour les per­sonnes qui font par­tie de la com­mu­nau­té sociale et qui, en elle seule, peuvent arri­ver réel­le­ment et plus effi­ca­ce­ment à leur bien. C’est une exi­gence de la jus­tice et de la cha­ri­té que de vou­loir le bien com­mun et de le recher­cher. Œuvrer en vue du bien com­mun signi­fie d’une part, prendre soin et, d’autre part, se ser­vir de l’ensemble des ins­ti­tu­tions qui struc­turent juri­di­que­ment, civi­le­ment, et cultu­rel­le­ment la vie sociale qui prend ain­si la forme de la pólis, de la cité. On aime d’autant plus effi­ca­ce­ment le pro­chain que l’on tra­vaille davan­tage en faveur du bien com­mun qui répond éga­le­ment à ses besoins réels. Tout chré­tien est appe­lé à vivre cette cha­ri­té, selon sa voca­tion et selon ses pos­si­bi­li­tés d’influence au ser­vice de la pólis. C’est là la voie ins­ti­tu­tion­nelle – poli­tique peut-​on dire aus­si – de la cha­ri­té, qui n’est pas moins qua­li­fiée et déter­mi­nante que la cha­ri­té qui est direc­te­ment en rap­port avec le pro­chain, hors des média­tions ins­ti­tu­tion­nelles de la cité. L’engagement pour le bien com­mun, quand la cha­ri­té l’anime, a une valeur supé­rieure à celle de l’engagement pure­ment sécu­lier et poli­tique. Comme tout enga­ge­ment en faveur de la jus­tice, il s’inscrit dans le témoi­gnage de la cha­ri­té divine qui, agis­sant dans le temps, pré­pare l’éternité. Quand elle est ins­pi­rée et ani­mée par la cha­ri­té, l’action de l’homme contri­bue à l’édification de cette cité de Dieu uni­ver­selle vers laquelle avance l’histoire de la famille humaine. Dans une socié­té en voie de mon­dia­li­sa­tion, le bien com­mun et l’engagement en sa faveur ne peuvent pas ne pas assu­mer les dimen­sions de la famille humaine tout entière, c’est-à-dire de la com­mu­nau­té des peuples et des Nations [5], au point de don­ner forme d’unité et de paix à la cité des hommes, et d’en faire, en quelque sorte, la pré­fi­gu­ra­tion anti­ci­pée de la cité sans fron­tières de Dieu.

8. En publiant en 1967 l’encyclique Populorum pro­gres­sio, mon véné­rable pré­dé­ces­seur Paul VI a éclai­ré le grand thème du déve­lop­pe­ment des peuples de la splen­deur de la véri­té et de la douce lumière de la cha­ri­té du Christ. Il a affir­mé que l’annonce du Christ est le pre­mier et le prin­ci­pal fac­teur de déve­lop­pe­ment [6] et il nous a lais­sé la consigne d’avancer sur la route du déve­lop­pe­ment de tout notre cœur et de toute notre intel­li­gence[7], c’est-à-dire avec l’ardeur de la cha­ri­té et la sagesse de la véri­té. C’est la véri­té ori­gi­nelle de l’amour de Dieu – grâce qui nous est don­née – qui ouvre notre vie au don et qui rend pos­sible l’espérance en un « déve­lop­pe­ment (…) de tout l’homme et de tous les hommes » [8], en pas­sant « de condi­tions moins humaines à des condi­tions plus humaines »[9], et cela en triom­phant des dif­fi­cul­tés inévi­ta­ble­ment ren­con­trées sur le chemin.

Plus de qua­rante ans après la publi­ca­tion de cette ency­clique, je désire hono­rer la mémoire de Paul VI, et rendre hom­mage à ce grand Pontife, en repre­nant ses ensei­gne­ments sur le déve­lop­pe­ment humain inté­gral et en me pla­çant sur la voie qu’ils ont tra­cée, afin de les actua­li­ser aujourd’hui. Ce pro­ces­sus d’actualisation com­men­ça avec l’encyclique Sollicitudo rei socia­lis, par laquelle le Serviteur de Dieu Jean-​Paul II vou­lut com­mé­mo­rer la publi­ca­tion de Populorum pro­gres­sio à l’occasion de son ving­tième anni­ver­saire. Jusque là une telle com­mé­mo­ra­tion n’avait été réser­vée qu’à l’encyclique Rerum nova­rum. Vingt ans après, j’exprime ma convic­tion que Populorum pro­gres­sio mérite d’être consi­dé­rée comme l’encyclique « Rerum nova­rum de l’époque contem­po­raine » qui éclaire le che­min de l’humanité en voie d’unification.

9.L’amour dans la véri­té – cari­tas in veri­tate – est un grand défi pour l’Église dans un monde sur la voie d’une mon­dia­li­sa­tion pro­gres­sive et géné­ra­li­sée. Le risque de notre époque réside dans le fait qu’à l’interdépendance déjà réelle entre les hommes et les peuples, ne cor­res­ponde pas l’interaction éthique des consciences et des intel­li­gences dont le fruit devrait être l’émergence d’un déve­lop­pe­ment vrai­ment humain. Seule la cha­ri­té, éclai­rée par la lumière de la rai­son et de la foi, per­met­tra d’atteindre des objec­tifs de déve­lop­pe­ment por­teurs d’une valeur plus humaine et plus huma­ni­sante. Le par­tage des biens et des res­sources, d’où pro­vient le vrai déve­lop­pe­ment, n’est pas assu­ré par le seul pro­grès tech­nique et par de simples rela­tions de conve­nance, mais par la puis­sance de l’amour qui vainc le mal par le bien (cf. Rm 12, 21) et qui ouvre à la réci­pro­ci­té des consciences et des libertés.

L’Église n’a pas de solu­tions tech­niques à offrir [10] et ne pré­tend « aucu­ne­ment s’immiscer dans la poli­tique des États » [11]. Elle a tou­te­fois une mis­sion de véri­té à rem­plir, en tout temps et en toutes cir­cons­tances, en faveur d’une socié­té à la mesure de l’homme, de sa digni­té et de sa voca­tion. Sans véri­té, on abou­tit à une vision empi­rique et scep­tique de la vie, inca­pable de s’élever au-​dessus de l’agir, car inat­ten­tive à sai­sir les valeurs – et par­fois pas même le sens des choses – qui per­met­traient de la juger et de l’orienter. La fidé­li­té à l’homme exige la fidé­li­té à la véri­té qui, seule, est la garan­tie de la liber­té (cf. Jn 8, 32) et de la pos­si­bi­li­té d’un déve­lop­pe­ment humain inté­gral. C’est pour cela que l’Église la recherche, qu’elle l’annonce sans relâche et qu’elle la recon­naît par­tout où elle se mani­feste. Cette mis­sion de véri­té est pour l’Église une mis­sion impé­ra­tive. Sa doc­trine sociale est un aspect par­ti­cu­lier de cette annonce : c’est un ser­vice ren­du à la véri­té qui libère. Ouverte à la véri­té, quel que soit le savoir d’où elle pro­vient, la doc­trine sociale de l’Église est prête à l’accueillir. Elle ras­semble dans l’unité les frag­ments où elle se trouve sou­vent dis­sé­mi­née et elle l’introduit dans le vécu tou­jours nou­veau de la socié­té des hommes et des peuples [12].

Ch. I. Le message de Populorum progressio

10. Plus de qua­rante ans après la publi­ca­tion de Populorum pro­gres­sio, sa relec­ture nous invite à res­ter fidèles à son mes­sage de cha­ri­té et de véri­té, en le repla­çant dans le cadre du magis­tère propre de Paul VI et, plus géné­ra­le­ment, à l’intérieur de la tra­di­tion de la doc­trine sociale de l’Église. Par ailleurs, il faut éva­luer les mul­tiples termes dans les­quels se pose aujourd’hui, à la dif­fé­rence d’alors, le pro­blème du déve­lop­pe­ment. Le point de vue cor­rect est donc celui de la Tradition de la foi des Apôtres [13], patri­moine ancien et nou­veau hors duquel Populorum pro­gres­sio serait un docu­ment pri­vé de racines et les ques­tions liées au déve­lop­pe­ment se rédui­raient uni­que­ment à des don­nées d’ordre sociologique.

11. Populorum pro­gres­sio fut publiée immé­dia­te­ment après la conclu­sion du Concile œcu­mé­nique Vatican II. Dès ses pre­miers para­graphes, l’encyclique affirme son rap­port intime avec le Concile [14]. Vingt ans plus tard dans Sollicitudo rei socia­lis, Jean-​Paul II sou­li­gnait à son tour le rap­port fécond de cette ency­clique avec le Concile et, en par­ti­cu­lier, avec la Constitution pas­to­rale Gaudium et Spes[15]. Je désire moi aus­si rap­pe­ler ici l’importance du Concile Vatican II pour l’encyclique de Paul VI et, à sa suite, pour tout le magis­tère social des Souverains Pontifes. Le Concilea appro­fon­di tout ce qui appar­tient depuis tou­jours à la véri­té de la foi, c’est-à-dire que l’Église, qui est au ser­vice de Dieu, est au ser­vice du monde selon les cri­tères de l’amour et de la véri­té. C’est pré­ci­sé­ment de cette vision que par­tait Paul VI pour nous faire part de deux grandes véri­tés. La pre­mière est que toute l’Église, dans tout son être et tout son agir, tend à pro­mou­voir le déve­lop­pe­ment inté­gral de l’homme quand elle annonce, célèbre et œuvre dans la cha­ri­té. Elle a un rôle public qui ne se borne pas à ses acti­vi­tés d’assistance ou d’éducation, mais elle déploie toutes ses éner­gies au ser­vice de la pro­mo­tion de l’homme et de la fra­ter­ni­té uni­ver­selle quand elle peut jouir d’un régime de liber­té. Dans bien des cas, cette liber­té est entra­vée par des inter­dic­tions et des per­sé­cu­tions, ou même limi­tée quand la pré­sence publique de l’Église est réduite à ses seules acti­vi­tés cari­ta­tives. La seconde véri­té est que le déve­lop­pe­ment authen­tique de l’homme concerne uni­tai­re­ment la tota­li­té de la per­sonne dans cha­cune de ses dimen­sions [16]. Sans la pers­pec­tive d’une vie éter­nelle, le pro­grès humain demeure en ce monde pri­vé de souffle. Enfermé à l’intérieur de l’histoire, il risque de se réduire à la seule crois­sance de l’avoir. L’humanité perd ain­si le cou­rage d’être dis­po­nible pour les biens plus éle­vés, pour les grandes ini­tia­tives dés­in­té­res­sées qu’exige la cha­ri­té uni­ver­selle. L’homme ne se déve­loppe pas seule­ment par ses propres forces, et le déve­lop­pe­ment ne peut pas lui être sim­ple­ment offert. Tout au long de l’histoire, on a sou­vent pen­sé que la créa­tion d’institutions suf­fi­sait à garan­tir à l’humanité la satis­fac­tion du droit au déve­lop­pe­ment. Malheureusement, on a pla­cé une confiance exces­sive dans de telles ins­ti­tu­tions, comme si elles pou­vaient atteindre auto­ma­ti­que­ment le but recher­ché. En réa­li­té, les ins­ti­tu­tions ne suf­fisent pas à elles seules, car le déve­lop­pe­ment inté­gral de l’homme est d’abord une voca­tion et sup­pose donc que tous prennent leurs res­pon­sa­bi­li­tés de manière libre et soli­daire. Un tel déve­lop­pe­ment demande, en outre, une vision trans­cen­dante de la per­sonne ; il a besoin de Dieu : sans Lui, le déve­lop­pe­ment est nié ou confié aux seules mains de l’homme, qui s’expose à la pré­somp­tion de se sau­ver par lui-​même et finit par pro­mou­voir un déve­lop­pe­ment déshu­ma­ni­sé. D’autre part, seule la ren­contre de Dieu per­met de ne pas « voir dans l’autre que l’autre » [17], mais de recon­naître en lui l’image de Dieu, par­ve­nant ain­si à décou­vrir vrai­ment l’autre et à déve­lop­per un amour qui « devienne soin de l’autre pour l’autre » [18].

12. Le lien exis­tant entre Populorum pro­gres­sio et le Concile Vatican II ne repré­sente pas une cou­pure entre le magis­tère social de Paul VI et celui des Papes qui l’avaient pré­cé­dé, étant don­né que le Concile est un appro­fon­dis­se­ment de ce magis­tère dans la conti­nui­té de la vie de l’Église [19]. En ce sens, cer­taines sub­di­vi­sions abs­traites de la doc­trine sociale de l’Église sont aujourd’hui pro­po­sées qui ne contri­buent pas à cla­ri­fier les choses, car elles appliquent à l’enseignement social pon­ti­fi­cal des caté­go­ries qui lui sont étran­gères. Il n’y a pas deux typo­lo­gies dif­fé­rentes de doc­trine sociale, l’une pré-​conciliaire et l’autre post-​conciliaire, mais un unique ensei­gne­ment, cohé­rent et en même temps tou­jours nou­veau [20]. Il est juste de remar­quer les carac­té­ris­tiques propres à chaque ency­clique, à l’enseignement de chaque Pontife, mais sans jamais perdre de vue la cohé­rence de l’ensemble du cor­pus doc­tri­nal [21]. Cohérence ne signi­fie pas fer­me­ture, mais plu­tôt fidé­li­té dyna­mique à une lumière reçue. La doc­trine sociale de l’Église éclaire d’une lumière qui ne change pas les pro­blèmes tou­jours nou­veaux qui sur­gissent [22]. Cela pré­serve le carac­tère à la fois per­ma­nent et his­to­rique de ce « patri­moine » doc­tri­nal [23] qui, avec ses carac­té­ris­tiques spé­ci­fiques, appar­tient à la Tradition tou­jours vivante de l’Église [24]. La doc­trine sociale est construite sur le fon­de­ment trans­mis par les Apôtres aux Pères de l’Église, reçu et appro­fon­di ensuite par les grands Docteurs chré­tiens. Cette doc­trine ren­voie en défi­ni­tive à l’Homme nou­veau, au « der­nier Adam qui est deve­nu l’être spi­ri­tuel qui donne vie » (1 Co 15, 45), prin­cipe de la cha­ri­té qui « ne pas­se­ra jamais » (1 Co 13, 8). Elle reçoit le témoi­gnage des saints et de tous ceux qui ont don­né leurs vies pour le Christ Sauveur dans le domaine de la jus­tice et de la paix. En elle, s’exprime la mis­sion pro­phé­tique des Souverains Pontifes : gui­der d’une manière apos­to­lique l’Église du Christ et dis­cer­ner les nou­velles exi­gences de l’évangélisation. C’est pour ces rai­sons que Populorum pro­gres­sio, ins­crite dans le grand cou­rant de la Tradition, est encore en mesure de nous par­ler aujourd’hui.

13. Outre son rap­port avec l’ensemble de la doc­trine sociale de l’Église, Populorum pro­gres­sio est étroi­te­ment liée à tout le magis­tère de Paul VI et, en par­ti­cu­lier, à son magis­tère social. Cet ensei­gne­ment social fut d’une grande por­tée : il réaf­fir­ma l’importance déter­mi­nante de l’Évangile pour l’édification d’une socié­té de liber­té et de jus­tice, dans la pers­pec­tive idéale et his­to­rique d’une civi­li­sa­tion ani­mée par l’amour. Paul VI com­prit clai­re­ment que la ques­tion sociale était deve­nue mon­diale [25] et il sai­sit l’interaction exis­tant entre l’élan vers l’unification de l’humanité et l’idéal chré­tien d’une unique famille des peuples, soli­daire dans une com­mune fra­ter­ni­té. Il dési­gna le déve­lop­pe­ment, com­pris au sens humain et chré­tien, comme le cœur du mes­sage social chré­tien et pro­po­sa la cha­ri­té chré­tienne comme force prin­ci­pale au ser­vice du déve­lop­pe­ment. Poussé par le désir de rendre l’amour du Christ plei­ne­ment visible à ses contem­po­rains, Paul VI affron­ta avec déci­sion d’importantes ques­tions morales, sans céder aux fai­blesses cultu­relles de son temps.

14. Dans la lettre apos­to­lique Octogesima adve­niens de 1971, Paul VI abor­da par la suite la ques­tion du sens de la poli­tique et du péril repré­sen­té par des visions uto­piques et idéo­lo­giques qui com­pro­met­taient sa qua­li­té éthique et humaine. Il s’agit de sujets étroi­te­ment liés au déve­lop­pe­ment. Malheureusement, les idéo­lo­gies néfastes ne cessent de fleu­rir. Conscient du grand dan­ger de confier à la seule tech­nique tout le pro­ces­sus du déve­lop­pe­ment, qui ain­si demeu­re­rait sans ligne direc­trice, Paul VI avait déjà mis en garde contre l’idéologie tech­no­cra­tique, par­ti­cu­liè­re­ment forte aujourd’hui [26]. Considérée en elle-​même, la tech­nique est ambi­va­lente. Si, d’un côté, cer­tains tendent aujourd’hui à lui confier la tota­li­té du pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment, de l’autre on assiste à la nais­sance d’idéologies qui nient in toto l’utilité même du déve­lop­pe­ment, qu’elles consi­dèrent comme fon­ciè­re­ment anti­hu­main et exclu­si­ve­ment fac­teur de dégra­da­tion. Ainsi, finit-​on par condam­ner non seule­ment l’orientation par­fois fausse et injuste que les hommes donnent au pro­grès, mais aus­si les décou­vertes scien­ti­fiques elles-​mêmes qui, uti­li­sées à bon escient, consti­tuent au contraire une occa­sion de crois­sance pour tous. L’idée d’un monde sans déve­lop­pe­ment tra­duit une défiance à l’égard de l’homme et de Dieu. C’est donc une grave erreur que de mépri­ser les capa­ci­tés humaines de contrô­ler les dés­équi­libres du déve­lop­pe­ment ou même d’ignorer que l’homme est consti­tu­ti­ve­ment ten­du vers l’« être davan­tage ». Absolutiser idéo­lo­gi­que­ment le pro­grès tech­nique ou aspi­rer à l’utopie d’une huma­ni­té reve­nue à son état pre­mier de nature sont deux manières oppo­sées de sépa­rer le pro­grès de son éva­lua­tion morale et donc de notre responsabilité.

15. Deux autres docu­ments de Paul VI sont moins direc­te­ment liés à la doc­trine sociale : l’encyclique Humanæ vitæ du 25 juillet 1968 et l’exhortation apos­to­lique Evangelii nun­tian­di du 8 décembre 1975. Ils sont cepen­dant très impor­tants pour dis­cer­ner le sens plei­ne­ment humain du déve­lop­pe­ment pro­po­sé par l’Église. Il est donc oppor­tun de les lire en les met­tant eux aus­si en rela­tion avec Populorum pro­gres­sio.

L’encyclique Humanæ vitæ sou­ligne la signi­fi­ca­tion tout à la fois uni­tive et pro­créa­tive de la sexua­li­té, posant ain­si comme fon­de­ment de la socié­té le couple des époux, homme et femme, qui se reçoivent l’un l’autre dans la dis­tinc­tion et dans la com­plé­men­ta­ri­té ; en tant donc que couple ouvert à la vie [27]. Il ne s’agit pas ici de morale pure­ment indi­vi­duelle : Humanæ vitæ montre les liens forts qui existent entre éthique de la vie et éthique sociale, en inau­gu­rant une thé­ma­tique magis­té­rielle qui a pris corps dans dif­fé­rents docu­ments, et fina­le­ment dans l’encyclique Evangelium vitæ de Jean-​Paul II [28]. L’Église pro­pose avec force ce lien entre éthique de la vie et éthique sociale, consciente qu’une socié­té ne peut « avoir des bases solides si, tout en affir­mant des valeurs comme la digni­té de la per­sonne, la jus­tice et la paix, elle se contre­dit radi­ca­le­ment en accep­tant et en tolé­rant les formes les plus diverses de mépris et de vio­la­tion de la vie humaine, sur­tout si elle est faible et mar­gi­na­li­sée » [29].

L’exhortation apos­to­lique Evangelii nun­tian­di, pour sa part, est très étroi­te­ment liée au déve­lop­pe­ment, car « l’évangélisation – comme l’écrivait Paul VI– ne serait pas com­plète si elle ne tenait pas compte des rap­ports concrets et per­ma­nents qui existent entre l’Évangile et la vie per­son­nelle et sociale de l’homme [30]. « Entre l’évangélisation et la pro­mo­tion humaine – déve­lop­pe­ment, libé­ra­tion – il y a en effet des liens pro­fonds » [31] : conscient de cela,Paul VI éta­blis­sait un rap­port clair entre l’annonce du Christ et la pro­mo­tion de la per­sonne dans la socié­té. Le témoi­gnage de la cha­ri­té du Christ à tra­vers des œuvres de jus­tice, de paix et de déve­lop­pe­ment fait par­tie de l’évangélisation car, pour Jésus Christ, qui nous aime, l’homme tout entier est impor­tant. C’est sur ces ensei­gne­ments impor­tants que se fonde l’aspect mis­sion­naire [32] de la doc­trine sociale de l’Église en tant que com­po­sante essen­tielle de l’évangélisation [33]. La doc­trine sociale de l’Église est annonce et témoi­gnage de foi. C’est un ins­tru­ment et un lieu indis­pen­sable de l’éducation de la foi.

16. Dans Populorum pro­gres­sio, Paul VI a vou­lu nous dire, avant tout, que le pro­grès, dans son appa­ri­tion et son essence, est une voca­tion : « Dans le des­sein de Dieu, chaque homme est appe­lé à se déve­lop­per car toute vie est voca­tion » [34]. C’est pré­ci­sé­ment ce qui auto­rise l’Église à inter­ve­nir dans les pro­blé­ma­tiques du déve­lop­pe­ment. Si ce der­nier ne concer­nait que des aspects tech­niques de la vie de l’homme, et non le sens de sa marche dans l’Histoire avec ses autres frères ou la défi­ni­tion du but d’un tel che­mi­ne­ment, l’Église n’aurait aucun titre pour en par­ler. Comme Léon XIII dans Rerum nova­rum[35], Paul VIétait conscient de s’acquitter d’un devoir propre à sa charge, en pro­je­tant la lumière de l’Évangile sur les ques­tions sociales de son temps [36].

Définir le déve­lop­pe­ment comme une voca­tion, c’est recon­naître, d’un côté, qu’il naît d’un appel trans­cen­dant et, de l’autre, qu’il est inca­pable de se don­ner par lui-​même son sens propre ultime. Ce n’est pas sans rai­son que le mot « voca­tion » revient dans un autre pas­sage de l’encyclique, où il est affir­mé : « Il n’y a donc d’humanisme vrai qu’ouvert à l’Absolu, dans la recon­nais­sance d’une voca­tion, qui donne l’idée vraie de la vie humaine » [37]. Cette vision du déve­lop­pe­ment est le cœur de Populorum pro­gres­sio et anime toutes les réflexions de Paul VI sur la liber­té, la véri­té et la cha­ri­té dans le déve­lop­pe­ment. C’est la rai­son prin­ci­pale pour laquelle cette ency­clique demeure encore actuelle de nos jours.

17. La voca­tion est un appel qui réclame une réponse libre et res­pon­sable. Le déve­lop­pe­ment humain inté­gral sup­pose la liber­té res­pon­sable de la per­sonne et des peuples : aucune struc­ture ne peut garan­tir ce déve­lop­pe­ment en dehors et au-​dessus de la res­pon­sa­bi­li­té humaine. Les « mes­sia­nismes pro­met­teurs, mais bâtis­seurs d’illusions » [38] fondent tou­jours leurs pro­po­si­tions sur la néga­tion de la dimen­sion trans­cen­dante du déve­lop­pe­ment, étant cer­tains de l’avoir tout entier à leur dis­po­si­tion. Cette fausse sécu­ri­té se change en fai­blesse, parce qu’elle entraîne l’asservissement de l’homme, réduit à n’être qu’un moyen en vue du déve­lop­pe­ment, tan­dis que l’humilité de celui qui accueille une voca­tion se trans­forme en auto­no­mie véri­table, parce qu’elle libère la per­sonne. Paul VI ne doute pas que des obs­tacles et des condi­tion­ne­ments freinent le déve­lop­pe­ment, mais il reste cer­tain que « cha­cun demeure, quelles que soient les influences qui s’exercent sur lui, l’artisan prin­ci­pal de sa réus­site ou de son échec » [39]. Cette liber­té concerne le déve­lop­pe­ment qui a lieu sous nos yeux, mais aus­si, en même temps, les situa­tions de sous-​développement qui ne sont pas le fruit du hasard ou d’une néces­si­té his­to­rique, mais qui dépendent de la res­pon­sa­bi­li­té humaine. C’est pour­quoi « les peuples de la faim inter­pellent aujourd’hui de façon dra­ma­tique les peuples de l’opulence » [40]. Il s’agit là encore d’une voca­tion, en tant qu’appel adres­sé par des hommes libres à des hommes libres pour qu’ils prennent ensemble leurs res­pon­sa­bi­li­tés. Paul VI eut une com­pré­hen­sion péné­trante de l’importance des struc­tures éco­no­miques et des ins­ti­tu­tions, mais il per­çut tout aus­si clai­re­ment qu’elles étaient des ins­tru­ments au ser­vice de la liber­té humaine. Le déve­lop­pe­ment ne peut être inté­gra­le­ment humain que s’il est libre ; seul un régime de liber­té res­pon­sable lui per­met de se déve­lop­per de façon juste.

18. Outre la liber­té, le déve­lop­pe­ment inté­gral de l’homme comme voca­tion exige aus­si qu’on en res­pecte la véri­té. La voca­tion au pro­grès pousse les hommes à « faire, connaître et avoir plus, pour être plus »[41]. Mais là est le pro­blème : que signi­fie « être davan­tage » ? À cette ques­tion, Paul VI répond en indi­quant la carac­té­ris­tique essen­tielle du déve­lop­pe­ment authen­tique : il « doit être inté­gral, c’est-à-dire pro­mou­voir tout homme et tout l’homme »[42]. Parmi les dif­fé­rentes visions concur­rentes de l’homme pro­po­sées dans la socié­té d’aujourd’hui plus encore qu’au temps de Paul VI, la vision chré­tienne a la par­ti­cu­la­ri­té d’affirmer et de jus­ti­fier la valeur incon­di­tion­nelle de la per­sonne humaine et le sens de sa crois­sance. La voca­tion chré­tienne au déve­lop­pe­ment aide à pour­suivre la pro­mo­tion de tous les hommes et de tout l’homme. Paul VI écri­vait : « Ce qui compte pour nous, c’est l’homme, chaque homme, chaque grou­pe­ment d’hommes, jusqu’à l’humanité tout entière » [43]. La foi chré­tienne se pré­oc­cupe du déve­lop­pe­ment sans s’appuyer sur des pri­vi­lèges ou sur des posi­tions de pou­voir, ni même sur les mérites des chré­tiens qui ont certes exis­té et existent encore aujourd’hui en même temps que leurs limites natu­relles [44], mais uni­que­ment sur le Christ, à qui doit être rap­por­tée toute voca­tion authen­tique au déve­lop­pe­ment humain inté­gral. L’Évangile est un élé­ment fon­da­men­tal du déve­lop­pe­ment, parce qu’en lui le Christ, « dans la révé­la­tion même du mys­tère du Père et de son amour, mani­feste plei­ne­ment l’homme à lui-​même » [45]. Eduquée par son Seigneur, l’Église scrute les signes des temps et les inter­prète et elle offre au monde « ce qu’elle pos­sède en propre : une vision glo­bale de l’homme et de l’humanité » [46]. Précisément parce que Dieu pro­nonce le plus grand « oui » à l’homme [47], l’homme ne peut faire moins que de s’ouvrir à l’appel divin pour réa­li­ser son propre déve­lop­pe­ment. La véri­té du déve­lop­pe­ment réside dans son inté­gra­li­té : s’il n’est pas de tout l’homme et de tout homme, le déve­lop­pe­ment n’est pas un vrai déve­lop­pe­ment. Tel est le centre du mes­sage de Populorum pro­gres­sio, valable aujourd’hui et tou­jours. Le déve­lop­pe­ment humain inté­gral sur le plan natu­rel, réponse à un appel du Dieu créa­teur [48], demande de trou­ver sa véri­té dans un « huma­nisme trans­cen­dant, qui (…) donne [à l’homme] sa plus grande plé­ni­tude : telle est la fina­li­té suprême du déve­lop­pe­ment per­son­nel » [49]. La voca­tion chré­tienne à ce déve­lop­pe­ment concerne donc le plan natu­rel comme le plan sur­na­tu­rel ; c’est pour­quoi « quand Dieu est éclip­sé, notre capa­ci­té de recon­naître l’ordre natu­rel, le but et le « bien » com­mence à s’évanouir » [50].

19 Enfin, la vision du déve­lop­pe­ment en tant que voca­tion implique que la cha­ri­té y occupe une place cen­trale. Dans l’encyclique Populorum pro­gres­sio, Paul VI obser­vait que les causes du sous-​développement ne sont pas d’abord d’ordre maté­riel. Il nous invi­tait à les recher­cher dans d’autres dimen­sions de l’homme : tout d’abord dans la volon­té, qui se dés­in­té­resse sou­vent des devoirs de la soli­da­ri­té ; en second lieu, dans la pen­sée qui ne par­vient pas tou­jours à orien­ter conve­na­ble­ment le vou­loir. C’est pour­quoi, dans la quête du déve­lop­pe­ment, il faut « des sages de réflexion pro­fonde, à la recherche d’un huma­nisme nou­veau, qui per­mette à l’homme moderne de se retrou­ver lui-​même »[51]. Mais ce n’est pas tout. Le sous-​développement a une cause encore plus pro­fonde que le défi­cit de réflexion : c’est « le manque de fra­ter­ni­té entre les hommes et entre les peuples » [52]. Cette fra­ter­ni­té, les hommes pourront-​ils jamais la réa­li­ser par eux seuls ? La socié­té tou­jours plus mon­dia­li­sée nous rap­proche, mais elle ne nous rend pas frères. La rai­son, à elle seule, est capable de com­prendre l’égalité entre les hommes et d’établir une com­mu­nau­té de vie civique, mais elle ne par­vient pas à créer la fra­ter­ni­té. Celle-​ci naît d’une voca­tion trans­cen­dante de Dieu Père, qui nous a aimés en pre­mier, nous ensei­gnant par l’intermédiaire du Fils ce qu’est la cha­ri­té fra­ter­nelle. Dans sa pré­sen­ta­tion des dif­fé­rents niveaux du pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment de l’homme,Paul VI, après avoir men­tion­né la foi, met­tait au som­met « l’unité dans la cha­ri­té du Christ qui nous appelle tous à par­ti­ci­per en fils à la vie du Dieu vivant, Père de tous les hommes » [53].

20. Ces pers­pec­tives, ouvertes par Populorum pro­gres­sio, demeurent fon­da­men­tales pour don­ner une enver­gure et une orien­ta­tion à notre enga­ge­ment au ser­vice du déve­lop­pe­ment des peuples. Populorum pro­gres­sio sou­ligne ensuite à plu­sieurs reprises l’urgence des réformes [54] et demande que, face aux grands pro­blèmes de l’injustice dans le déve­lop­pe­ment des peuples, on agisse avec cou­rage et sans retard. Cette urgence est dic­tée aus­si par l’amour dans la véri­té. C’est la cha­ri­té du Christ qui nous pousse : « Caritas Christi urget nos » (2 Co 5, 14). L’urgence n’est pas seule­ment ins­crite dans les choses ; elle ne découle pas uni­que­ment de la pres­sion des évé­ne­ments et des pro­blèmes, mais aus­si de ce qui est pro­pre­ment en jeu : la réa­li­sa­tion d’une authen­tique fra­ter­ni­té. L’importance de cet objec­tif est telle qu’elle exige que nous la com­pre­nions plei­ne­ment et que nous nous mobi­li­sions concrè­te­ment avec le « cœur », pour faire évo­luer les pro­ces­sus éco­no­miques et sociaux actuels vers des formes plei­ne­ment humaines.

Ch. II. Le développement humain aujourd’hui

21. Paul VI avait une vision struc­tu­rée du déve­lop­pe­ment. Par le terme « déve­lop­pe­ment », il vou­lait dési­gner avant tout l’objectif de faire sor­tir les peuples de la faim, de la misère, des mala­dies endé­miques et de l’analphabétisme. Du point de vue éco­no­mique, cela signi­fiait leur par­ti­ci­pa­tion active, dans des condi­tions de pari­té, à la vie éco­no­mique inter­na­tio­nale ; du point de vue social, leur évo­lu­tion vers des socié­tés ins­truites et soli­daires ; du point de vue poli­tique, la conso­li­da­tion de régimes démo­cra­tiques capables d’assurer la paix et la liber­té. Après tant d’années, alors que nous obser­vons avec pré­oc­cu­pa­tion le déve­lop­pe­ment des crises qui se suc­cèdent en ces temps, ain­si que leurs consé­quences, nous nous deman­dons dans quelle mesure les attentes de Paul VI ont été satis­faites par le modèle de déve­lop­pe­ment qui a été adop­té au cours de ces der­nières décen­nies. Nous devons recon­naître que les pré­oc­cu­pa­tions de l’Église étaient fon­dées quant aux capa­ci­tés de l’homme pure­ment ‘tech­no­lo­gique’ à savoir se don­ner des objec­tifs réa­listes et à tou­jours savoir bien gérer les outils à sa dis­po­si­tion. Le pro­fit est utile si, en tant que moyen, il est orien­té vers un but qui lui donne un sens rela­tif aus­si bien quant à la façon de le créer que de l’utiliser. La visée exclu­sive du pro­fit, s’il est pro­duit de façon mau­vaise ou s’il n’a pas le bien com­mun pour but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pau­vre­té. Le déve­lop­pe­ment éco­no­mique que Paul VI sou­hai­tait devait être en mesure de pro­duire une crois­sance réelle, qui s’étende à tous et soit concrè­te­ment durable. Il est vrai que le déve­lop­pe­ment a eu lieu et qu’il conti­nue d’être un fac­teur posi­tif qui a tiré de la misère des mil­liards de per­sonnes et que, récem­ment encore, il a per­mis à de nom­breux pays de deve­nir des acteurs réels de la poli­tique inter­na­tio­nale. Toutefois, il faut recon­naître que ce même déve­lop­pe­ment éco­no­mique a été et conti­nue d’être obé­ré par des dés­équi­libres et par des pro­blèmes dra­ma­tiques, mis encore davan­tage en relief par l’actuelle situa­tion de crise. Celle-​ci nous met sans délai face à des choix qui sont tou­jours plus étroi­te­ment liés au des­tin même de l’homme, qui par ailleurs ne peut faire abs­trac­tion de sa nature. Les forces tech­niques employées, les échanges pla­né­taires, les effets délé­tères sur l’économie réelle d’une acti­vi­té finan­cière mal uti­li­sée et, qui plus est, spé­cu­la­tive, les énormes flux migra­toires, sou­vent pro­vo­qués et ensuite gérés de façon inap­pro­priée, l’exploitation anar­chique des res­sources de la terre, nous conduisent aujourd’hui à réflé­chir sur les mesures néces­saires pour résoudre des pro­blèmes qui non seule­ment sont nou­veaux par rap­port à ceux qu’affrontait le Pape Paul VI, mais qui ont aus­si, et sur­tout, un impact déci­sif sur le bien pré­sent et futur de l’humanité. Les aspects de la crise et de ses solu­tions, ain­si qu’un nou­veau et pos­sible déve­lop­pe­ment futur, sont tou­jours plus liés les uns aux autres. Ils s’impliquent réci­pro­que­ment et ils requièrent des efforts renou­ve­lés de com­pré­hen­sion glo­bale et une nou­velle syn­thèse huma­niste. La com­plexi­té et la gra­vi­té de la situa­tion éco­no­mique actuelle nous pré­oc­cupent à juste titre, mais nous devons assu­mer avec réa­lisme, confiance et espé­rance les nou­velles res­pon­sa­bi­li­tés aux­quelles nous appelle la situa­tion d’un monde qui a besoin de se renou­ve­ler en pro­fon­deur au niveau cultu­rel et de redé­cou­vrir les valeurs de fond sur les­quelles construire un ave­nir meilleur. La crise nous oblige à recon­si­dé­rer notre iti­né­raire, à nous don­ner de nou­velles règles et à trou­ver de nou­velles formes d’engagement, à miser sur les expé­riences posi­tives et à reje­ter celles qui sont néga­tives. La crise devient ain­si une occa­sion de dis­cer­ne­ment et elle met en capa­ci­té d’élaborer de nou­veaux pro­jets. C’est dans cette optique, confiants plu­tôt que rési­gnés, qu’il convient d’affronter les dif­fi­cul­tés du moment présent.

22. Le cadre du déve­lop­pe­ment est aujourd’hui mul­ti­po­laire. Les acteurs et les causes du sous-​développement comme du déve­lop­pe­ment sont mul­tiples, les erreurs et les mérites le sont aus­si. Cette don­née devrait conduire à se libé­rer des idéo­lo­gies, qui sim­pli­fient sou­vent de façon arti­fi­cielle la réa­li­té, et à exa­mi­ner avec objec­ti­vi­té la dimen­sion humaine des pro­blèmes. La ligne de démar­ca­tion entre pays riches et pauvres n’est plus aus­si nette qu’aux temps de Populorum pro­gres­sio, comme l’avait déjà indi­qué Jean-​Paul II [55]. La richesse mon­diale croît en termes abso­lus, mais les inéga­li­tés aug­mentent. Dans les pays riches, de nou­velles caté­go­ries sociales s’appauvrissent et de nou­velles pau­vre­tés appa­raissent. Dans des zones plus pauvres, cer­tains groupes jouissent d’une sorte de sur­dé­ve­lop­pe­ment où consom­ma­tion et gas­pillage vont de pair, ce qui contraste de façon inac­cep­table avec des situa­tions per­ma­nentes de misère déshu­ma­ni­sante. « Le scan­dale de dis­pa­ri­tés criantes » [56] demeure. La cor­rup­tion et le non-​respect des lois existent mal­heu­reu­se­ment aus­si bien dans le com­por­te­ment des acteurs éco­no­miques et poli­tiques des pays riches, anciens et nou­veaux, que dans les pays pauvres. Ceux qui ne res­pectent pas les droits humains des tra­vailleurs dans les dif­fé­rents pays sont aus­si bien de grandes entre­prises mul­ti­na­tio­nales que des groupes de pro­duc­tion locale. Les aides inter­na­tio­nales ont sou­vent été détour­nées de leur des­ti­na­tion, en rai­son d’irresponsabilités qui se situent aus­si bien dans la chaîne des dona­teurs que des béné­fi­ciaires. Nous pou­vons aus­si iden­ti­fier le même enchai­ne­ment de res­pon­sa­bi­li­tés dans les causes imma­té­rielles et cultu­relles du déve­lop­pe­ment et du sous-​développement. Il existe des formes exces­sives de pro­tec­tion des connais­sances de la part des pays riches à tra­vers l’utilisation trop stricte du droit à la pro­prié­té intel­lec­tuelle, par­ti­cu­liè­re­ment dans le domaine de la san­té. En même temps, dans cer­tains pays pauvres, sub­sistent des modèles cultu­rels et des normes sociales de com­por­te­ment qui ralen­tissent le pro­ces­sus de développement.

23. Bien que de façon fra­gile et non homo­gène, de nom­breuses régions du globe se sont aujourd’hui déve­lop­pées, entrant au nombre des grandes puis­sances des­ti­nées à jouer un rôle impor­tant dans l’avenir. Il faut néan­moins sou­li­gner qu’il n’est pas suf­fi­sant de pro­gres­ser du seul point de vue éco­no­mique et tech­no­lo­gique. Il faut avant tout que le déve­lop­pe­ment soit vrai et inté­gral. Sortir du retard éco­no­mique, fait en soi posi­tif, ne résout pas la pro­blé­ma­tique com­plexe de la pro­mo­tion de l’homme, ni pour les pays béné­fi­ciaires de ces avan­cées, ni pour les pays déjà éco­no­mi­que­ment déve­lop­pés, ni non plus pour ceux qui res­tent pauvres ; ceux-​ci peuvent éga­le­ment souf­frir, en dehors des anciennes formes d’exploitation, des consé­quences néfastes pro­ve­nant d’une crois­sance mar­quée par des dévoie­ments et des déséquilibres.

Après l’écroulement du sys­tème éco­no­mique et poli­tique des pays com­mu­nistes de l’Europe de l’Est et la fin de ce que l’on appe­lait les blocs oppo­sés, une nou­velle réflexion glo­bale sur le déve­lop­pe­ment aurait été nécessaire.Jean-Paul II l’avait deman­dée, lui qui, en 1987, avait indi­qué l’existence de ces blocs comme une des prin­ci­pales causes du sous-​développement [57] car la poli­tique sous­trayait des res­sources à l’économie et à la culture et l’idéologie étouf­fait la liber­té. En 1991, après les évé­ne­ments de 1989, il avait aus­si récla­mé que, à la fin des blocs, cor­res­ponde une refonte glo­bale du déve­lop­pe­ment, non seule­ment dans ces pays, mais aus­si en Occident et dans les régions du monde qui se déve­lop­paient [58]. Cela n’est adve­nu que par­tiel­le­ment et conti­nue d’être un devoir réel qu’il convient d’honorer, éven­tuel­le­ment en met­tant vrai­ment à pro­fit les choix néces­saires pour dépas­ser les pro­blèmes éco­no­miques actuels.

24. Le monde que le Pape Paul VI avait sous les yeux, même si le pro­ces­sus de socia­li­sa­tion était déjà suf­fi­sam­ment avan­cé pour qu’il puisse par­ler d’une ques­tion sociale deve­nue mon­diale, était alors beau­coup moins inté­gré que celui d’aujourd’hui. L’activité éco­no­mique et la fonc­tion poli­tique s’exerçaient en grande par­tie à l’intérieur du même espace et pou­vaient donc s’appuyer l’une sur l’autre. L’activité de pro­duc­tion s’inscrivait prin­ci­pa­le­ment à l’intérieur des fron­tières natio­nales et les inves­tis­se­ments finan­ciers avaient une dimen­sion plu­tôt limi­tée à l’étranger, si bien que la poli­tique de nom­breux États pou­vait encore fixer les prio­ri­tés de l’économie et, d’une cer­taine façon, en orien­ter le fonc­tion­ne­ment avec les ins­tru­ments dont elle dis­po­sait. Pour cette rai­son, l’encyclique Populorum pro­gres­sio assi­gnait un rôle cen­tral, tou­te­fois de façon non exclu­sive, aux « pou­voirs publics » [59].

A notre époque, l’État se trouve dans la situa­tion de devoir faire face aux limites que pose à sa sou­ve­rai­ne­té le nou­veau contexte com­mer­cial et finan­cier inter­na­tio­nal, mar­qué par une mobi­li­té crois­sante des capi­taux finan­ciers et des moyens de pro­duc­tion maté­riels et imma­té­riels. Ce nou­veau contexte a modi­fié le pou­voir poli­tique des États.

Aujourd’hui, fort des leçons don­nées par l’actuelle crise éco­no­mique où les pou­voirs publics de l’État sont direc­te­ment impli­qués dans la cor­rec­tion des erreurs et des dys­fonc­tion­ne­ments, une éva­lua­tion nou­velle de leur rôle et de leur pou­voir semble plus réa­liste ; ceux-​ci doivent être sage­ment recon­si­dé­rés et repen­sés pour qu’ils soient en mesure, y com­pris à tra­vers de nou­velles moda­li­tés d’exercice, de faire face aux défis du monde contem­po­rain. A par­tir d’un rôle mieux ajus­té des pou­voirs publics, on peut espé­rer que se ren­for­ce­ront les nou­velles formes de par­ti­ci­pa­tion à la poli­tique natio­nale et inter­na­tio­nale qui voient le jour à tra­vers l’action des orga­ni­sa­tions opé­rant dans la socié­té civile. En ce sens, il est sou­hai­table que gran­dissent de la part des citoyens une atten­tion et une par­ti­ci­pa­tion plus larges à la res publi­ca.

25. Du point de vue social, les sys­tèmes de pro­tec­tion et de pré­voyance qui exis­taient déjà dans de nom­breux pays à l’époque de Paul VI, peinent et pour­raient avoir plus de mal encore à l’avenir à pour­suivre leurs objec­tifs de vraie jus­tice sociale dans un cadre éco­no­mique pro­fon­dé­ment modi­fié. Le mar­ché deve­nu mon­dial a sti­mu­lé avant tout, de la part de pays riches, la recherche de lieux où délo­ca­li­ser les pro­duc­tions à bas coût dans le but de réduire les prix d’un grand nombre de biens, d’accroître le pou­voir d’achat et donc d’accélérer le taux de crois­sance fon­dé sur une consom­ma­tion accrue du mar­ché interne. En consé­quence, le mar­ché a encou­ra­gé des formes nou­velles de com­pé­ti­tion entre les États dans le but d’attirer les centres de pro­duc­tion des entre­prises étran­gères, à tra­vers divers moyens, au nombre des­quels une fis­ca­li­té avan­ta­geuse et la déré­gu­la­tion du monde du tra­vail. Ces pro­ces­sus ont entraî­né l’affai­blis­se­ment des réseaux de pro­tec­tion sociale en contre­par­tie de la recherche de plus grands avan­tages de com­pé­ti­ti­vi­té sur le mar­ché mon­dial, fai­sant peser de graves menaces sur les droits des tra­vailleurs, sur les droits fon­da­men­taux de l’homme et sur la soli­da­ri­té mise en œuvre par les formes tra­di­tion­nelles de l’État social. Les sys­tèmes de sécu­ri­té sociale peuvent perdre la capa­ci­té de rem­plir leur mis­sion dans les pays émer­gents et dans les pays déjà déve­lop­pés, comme dans des pays pauvres. Là, les poli­tiques d’équilibre bud­gé­taire, avec des coupes dans les dépenses sociales, sou­vent recom­man­dées par les Institutions finan­cières inter­na­tio­nales, peuvent lais­ser les citoyens désar­més face aux risques nou­veaux et anciens. Une telle impuis­sance est accen­tuée par le manque de pro­tec­tion effi­cace de la part des asso­cia­tions de tra­vailleurs. L’ensemble des chan­ge­ments sociaux et éco­no­miques font que les orga­ni­sa­tions syn­di­cales éprouvent de plus grandes dif­fi­cul­tés à rem­plir leur rôle de repré­sen­ta­tion des inté­rêts des tra­vailleurs, encore accen­tuées par le fait que les gou­ver­ne­ments, pour des rai­sons d’utilité éco­no­mique, posent sou­vent des limites à la liber­té syn­di­cale ou à la capa­ci­té de négo­cia­tion des syn­di­cats eux-​mêmes. Les réseaux tra­di­tion­nels de soli­da­ri­té se trouvent ain­si contraints de sur­mon­ter des obs­tacles tou­jours plus impor­tants. L’invitation de la doc­trine sociale de l’Église, for­mu­lée dès Rerum nova­rum[60], à sus­ci­ter des asso­cia­tions de tra­vailleurs pour la défense de leurs droits, est donc aujourd’hui plus per­ti­nente encore qu’hier, ceci afin de don­ner avant tout une réponse immé­diate et clair­voyante à l’urgence d’instaurer de nou­velles syner­gies sur le plan inter­na­tio­nal comme sur le plan local.

La mobi­li­té du tra­vail, liée à la déré­gle­men­ta­tion géné­ra­li­sée, a été un phé­no­mène impor­tant, qui com­por­tait des aspects posi­tifs par sa capa­ci­té à sti­mu­ler la créa­tion de nou­velles richesses et l’échange entre dif­fé­rentes cultures. Toutefois, quand l’incertitude sur les condi­tions de tra­vail, en rai­son des pro­ces­sus de mobi­li­té et de déré­gle­men­ta­tion, devient endé­mique, sur­gissent alors des formes d’instabilité psy­cho­lo­gique, des dif­fi­cul­tés à construire un par­cours per­son­nel cohé­rent dans l’existence, y com­pris à l’égard du mariage. Cela a pour consé­quence l’apparition de situa­tions humaines dégra­dantes, sans par­ler du gas­pillage social. Si l’on com­pare avec ce qui se pas­sait dans la socié­té indus­trielle du pas­sé, le chô­mage entraîne aujourd’hui des aspects nou­veaux de non-​sens éco­no­mique et la crise actuelle ne peut qu’aggraver une telle situa­tion. La mise à l’écart du tra­vail pen­dant une longue période, tout comme la dépen­dance pro­lon­gée vis-​à-​vis de l’assistance publique ou pri­vée, minent la liber­té et la créa­ti­vi­té de la per­sonne ain­si que ses rap­ports fami­liaux et sociaux avec de fortes souf­frances sur le plan psy­cho­lo­gique et spi­ri­tuel. Je vou­drais rap­pe­ler à tous, et sur­tout aux gou­ver­nants enga­gés à don­ner un nou­veau pro­fil aux bases éco­no­miques et sociales du monde, que l’homme, la per­sonne, dans son inté­gri­té, est le pre­mier capi­tal à sau­ve­gar­der et à valo­ri­ser : « En effet, c’est l’homme qui est l’auteur, le centre et la fin de toute la vie économico-​sociale »[61].

26. Sur le plan cultu­rel, par rap­port à l’époque dePaul VI, la dif­fé­rence est encore plus mar­quée. Les cultures avaient alors des contours plu­tôt bien défi­nis et pos­sé­daient des capa­ci­tés plus grandes pour se défendre contre les ten­ta­tives d’homogénéisation cultu­relle. Aujourd’hui, les occa­sions d’inter­ac­tion entre les cultures ont sin­gu­liè­re­ment aug­men­té ouvrant de nou­velles pers­pec­tives au dia­logue inter­cul­tu­rel ; un dia­logue qui, pour être réel, doit avoir pour point de départ la conscience pro­fonde de l’identité spé­ci­fique des dif­fé­rents inter­lo­cu­teurs. On ne doit tou­te­fois pas négli­ger le fait que la mar­chan­di­sa­tion accrue des échanges cultu­rels favo­rise aujourd’hui un double dan­ger. On note, en pre­mier lieu, un éclec­tisme cultu­rel assu­mé sou­vent de façon non-​critique : les cultures sont sim­ple­ment mises côte à côte et consi­dé­rées comme sub­stan­tiel­le­ment équi­va­lentes et inter­chan­geables entre elles. Cela favo­rise un glis­se­ment vers un rela­ti­visme qui n’encourage pas le vrai dia­logue inter­cul­tu­rel ; sur le plan social, le rela­ti­visme cultu­rel conduit effec­ti­ve­ment les groupes cultu­rels à se rap­pro­cher et à coexis­ter, mais sans dia­logue authen­tique et, donc, sans véri­table inté­gra­tion. En second lieu, il existe un dan­ger consti­tué par le nivel­le­ment cultu­rel et par l’uniformisation des com­por­te­ments et des styles de vie. De cette manière, la signi­fi­ca­tion pro­fonde de la culture des dif­fé­rentes nations, des tra­di­tions des divers peuples, à l’intérieur des­quelles la per­sonne affronte les ques­tions fon­da­men­tales de l’existence en vient à dis­pa­raître [62]. Éclectisme et nivel­le­ment cultu­rel ont en com­mun de sépa­rer la culture de la nature humaine. Ainsi, les cultures ne savent plus trou­ver leur mesure dans une nature qui les trans­cende [63], et elles finissent par réduire l’homme à un don­né pure­ment cultu­rel. Quand cela advient, l’humanité court de nou­veaux périls d’asservissement et de manipulation.

27.Dans bien des pays pauvres, l’extrême insé­cu­ri­té vitale, qui est la consé­quence des carences ali­men­taires, demeure et risque de s’aggraver : la faim fauche encore de très nom­breuses vic­times par­mi les innom­brables Lazare aux­quels il n’est pas per­mis de s’asseoir, comme le sou­hai­tait Paul VI, à la table du mau­vais riche [64]. Donner à man­ger aux affa­més (cf. Mt 25, 35.37.42) est un impé­ra­tif éthique pour l’Église uni­ver­selle, qui répond aux ensei­gne­ments de soli­da­ri­té et de par­tage de son Fondateur, le Seigneur Jésus. Éliminer la faim dans le monde est deve­nu, par ailleurs, à l’ère de la mon­dia­li­sa­tion, une exi­gence à pour­suivre pour sau­ve­gar­der la paix et la sta­bi­li­té de la pla­nète. La faim ne dépend pas tant d’une carence de res­sources maté­rielles, que d’une carence de res­sources sociales, la plus impor­tante d’entre elles étant de nature ins­ti­tu­tion­nelle. Il manque en effet une orga­ni­sa­tion des ins­ti­tu­tions éco­no­miques qui soit en mesure aus­si bien de garan­tir un accès régu­lier et adap­té du point de vue nutri­tion­nel à la nour­ri­ture et à l’eau, que de faire face aux néces­si­tés liées aux besoins pri­maires et aux urgences des véri­tables crises ali­men­taires, pro­vo­quées par des causes natu­relles ou par l’irresponsabilité poli­tique natio­nale ou inter­na­tio­nale. Le pro­blème de l’insécurité ali­men­taire doit être affron­té dans une pers­pec­tive à long terme, en éli­mi­nant les causes struc­tu­relles qui en sont à l’origine et en pro­mou­vant le déve­lop­pe­ment agri­cole des pays les plus pauvres à tra­vers des inves­tis­se­ments en infra­struc­tures rurales, en sys­tèmes d’irrigation, de trans­port, d’organisation des mar­chés, en for­ma­tion et en dif­fu­sion des tech­niques agri­coles appro­priées, c’est-à-dire sus­cep­tibles d’utiliser au mieux les res­sources humaines, natu­relles et socio-​économiques les plus acces­sibles au niveau local, de façon à garan­tir aus­si leur dura­bi­li­té sur le long terme. Tout cela doit être réa­li­sé en impli­quant les com­mu­nau­tés locales dans les choix et les déci­sions rela­tives à l’usage des terres culti­vables. Dans une telle pers­pec­tive, il serait utile de consi­dé­rer les nou­velles fron­tières qui sont ouvertes par l’usage cor­rect des tech­niques de pro­duc­tion agri­cole aus­si bien tra­di­tion­nelles qu’innovantes, à condi­tion que ces der­nières, ayant été étu­diées atten­ti­ve­ment, soient recon­nues conve­nables, res­pec­tueuses de l’environnement et atten­tives aux popu­la­tions les plus défa­vo­ri­sées. En même temps, la ques­tion d’une juste réforme agraire dans les pays en voie de déve­lop­pe­ment ne devrait pas être négli­gée. Le droit à l’alimentation, de même que le droit à l’eau, revêtent un rôle impor­tant pour l’acquisition d’autres droits, en com­men­çant avant tout par le droit fon­da­men­tal à la vie. Il est donc néces­saire que se forme une conscience soli­daire qui consi­dère l’alimentation et l’accès à l’eau comme droits uni­ver­sels de tous les êtres humains, sans dis­tinc­tion ni dis­cri­mi­na­tion [65]. Il est en outre impor­tant de sou­li­gner com­bien la voie de la soli­da­ri­té pour le déve­lop­pe­ment des pays pauvres peut consti­tuer un pro­jet de solu­tion de la crise mon­diale actuelle, comme des hommes poli­tiques et des res­pon­sables d’Institutions inter­na­tio­nales l’ont mis en évi­dence ces der­niers temps. En sou­te­nant les pays éco­no­mi­que­ment pauvres par des plans de finan­ce­ment ins­pi­rés par la soli­da­ri­té, pour qu’ils pour­voient eux-​mêmes à la satis­fac­tion de la demande de biens de consom­ma­tion et de déve­lop­pe­ment pro­ve­nant de leurs propres citoyens, non seule­ment on peut pro­duire une vraie crois­sance éco­no­mique, mais on peut aus­si concou­rir à sou­te­nir les capa­ci­tés de pro­duc­tion des pays riches qui risquent d’être com­pro­mises par la crise.

28 Un des aspects les plus évi­dents du déve­lop­pe­ment contem­po­rain est l’importance du thème du res­pect de la vie, qui ne peut en aucun cas être dis­joint des ques­tions rela­tives au déve­lop­pe­ment des peuples. Il s’agit d’un point qui depuis quelque temps prend une impor­tance tou­jours plus grande, nous obli­geant à élar­gir les concepts de pau­vre­té [66]et de sous-​développement aux ques­tions liées à l’accueil de la vie, sur­tout là où celle-​ci est de diverses manières refusée.

Non seule­ment la pau­vre­té pro­voque encore dans de nom­breuses régions un taux éle­vé de mor­ta­li­té infan­tile, mais en plu­sieurs endroits du monde sub­sistent des pra­tiques de contrôle démo­gra­phique par les ins­tances gou­ver­ne­men­tales, qui sou­vent dif­fusent la contra­cep­tion et vont jusqu’à impo­ser l’avortement. Dans les pays éco­no­mi­que­ment plus déve­lop­pés, les légis­la­tions contraires à la vie sont très répan­dues et ont désor­mais condi­tion­né les cou­tumes et les usages, contri­buant à dif­fu­ser une men­ta­li­té anti­na­ta­liste que l’on cherche sou­vent à trans­mettre à d’autres États comme si c’était là un pro­grès culturel.

Certaines Organisations non-​gouvernementales tra­vaillent acti­ve­ment à la dif­fu­sion de l’avortement, et pro­meuvent par­fois dans les pays pauvres l’adoption de la pra­tique de la sté­ri­li­sa­tion, y com­pris à l’insu des femmes. Par ailleurs, ce n’est pas sans fon­de­ment que l’on peut soup­çon­ner les aides au déve­lop­pe­ment d’être par­fois liées à cer­taines poli­tiques sani­taires impli­quant de fait l’obligation d’un contrôle contrai­gnant des nais­sances. Sont éga­le­ment pré­oc­cu­pantes les légis­la­tions qui admettent l’euthanasie comme les pres­sions de groupes natio­naux et inter­na­tio­naux qui en reven­diquent la recon­nais­sance juridique.

L’ouver­ture à la vie est au centre du vrai déve­lop­pe­ment. Quand une socié­té s’oriente vers le refus et la sup­pres­sion de la vie, elle finit par ne plus trou­ver les moti­va­tions et les éner­gies néces­saires pour œuvrer au ser­vice du vrai bien de l’homme. Si la sen­si­bi­li­té per­son­nelle et sociale à l’accueil d’une nou­velle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil utiles à la vie sociale se des­sèchent [67]. L’accueil de la vie trempe les éner­gies morales et nous rend capables de nous aider mutuel­le­ment. En culti­vant l’ouverture à la vie, les peuples riches peuvent mieux per­ce­voir les besoins de ceux qui sont pauvres, évi­ter d’employer d’importantes res­sources éco­no­miques et intel­lec­tuelles pour satis­faire les dési­rs égoïstes de leurs citoyens et pro­mou­voir, en revanche, des actions béné­fiques en vue d’une pro­duc­tion mora­le­ment saine et soli­daire, dans le res­pect du droit fon­da­men­tal de tout peuple et de toute per­sonne à la vie.

29. Il y a encore un autre aspect de la réa­li­té d’aujourd’hui, lié de façon très étroite au déve­lop­pe­ment : c’est la néga­tion du droit à la liber­té reli­gieuse. Je ne me réfère pas seule­ment aux luttes et aux conflits qui, dans le monde, ont des motifs reli­gieux, même si par­fois les rai­sons reli­gieuses ne servent qu’à cou­vrir des rai­sons d’un autre genre, en l’occurrence la soif de pou­voir et de richesse. Comme mon pré­dé­ces­seur [68] l’avait publi­que­ment dit et déplo­ré à plu­sieurs reprises et ain­si que je l’ai fait moi-​même, de fait, aujourd’hui on tue sou­vent en invo­quant le saint nom de Dieu. Les vio­lences freinent le déve­lop­pe­ment authen­tique et empêchent la marche des peuples vers un plus grand bien-​être socio-​économique et spi­ri­tuel. Cela s’applique spé­cia­le­ment au ter­ro­risme de nature fon­da­men­ta­liste [69], qui engendre dou­leur, dévas­ta­tion et mort, bloque le dia­logue entre les nations et détourne d’importantes res­sources de leur usage paci­fique et civil. Il faut néan­moins ajou­ter que, outre le fana­tisme reli­gieux qui, en cer­tains milieux, empêche l’exercice du droit à la liber­té reli­gieuse, la pro­mo­tion pro­gram­mée de l’indifférence reli­gieuse ou de l’athéisme pra­tique de la part de nom­breux pays s’oppose elle aus­si aux exi­gences du déve­lop­pe­ment des peuples, en leur sous­trayant l’accès aux res­sources spi­ri­tuelles et humaines. Dieu est le garant du véri­table déve­lop­pe­ment de l’homme, puisque, l’ayant créé à son image, Il en fonde aus­si la digni­té trans­cen­dante et ali­mente en lui la soif d’« être plus ». L’homme n’est pas un atome per­du dans un uni­vers de hasard[70], mais il est une créa­ture de Dieu, à qui Il a vou­lu don­ner une âme immor­telle et qu’Il aime depuis tou­jours. Si l’homme n’était que le fruit du hasard ou de la néces­si­té, ou bien s’il devait réduire ses aspi­ra­tions à l’horizon res­treint des situa­tions dans les­quelles il vit, si tout n’était qu’histoire et culture et si l’homme n’avait pas une nature des­ti­née à être trans­cen­dée dans une vie sur­na­tu­relle, on pour­rait par­ler de crois­sance ou d’évolution, mais pas de déve­lop­pe­ment. Quand l’État pro­meut, enseigne, ou même impose, des formes d’athéisme pra­tique, il sous­trait à ses citoyens la force morale et spi­ri­tuelle indis­pen­sable pour s’engager en faveur du déve­lop­pe­ment humain inté­gral et il les empêche d’avancer avec un dyna­misme renou­ve­lé dans leur enga­ge­ment pour don­ner une réponse humaine plus géné­reuse à l’amour de Dieu [71]. Il arrive aus­si que les pays éco­no­mi­que­ment déve­lop­pés ou émer­gents exportent vers les pays pauvres, dans le contexte de leur rap­ports cultu­rels, com­mer­ciaux et poli­tiques, cette vision réduc­trice de la per­sonne et de sa des­ti­née. C’est le dom­mage que le « sur­dé­ve­lop­pe­ment » [72] inflige au déve­lop­pe­ment authen­tique, quand il s’accompagne d’un « sous-​développement moral » [73].

30. Dans cette pers­pec­tive, le thème du déve­lop­pe­ment humain inté­gral revêt une por­tée encore plus com­plexe : la cor­ré­la­tion entre ses mul­tiples com­po­santes exige qu’on s’efforce de faire inter­agir les divers niveaux du savoir humain en vue de la pro­mo­tion d’un vrai déve­lop­pe­ment des peuples. On estime sou­vent que le déve­lop­pe­ment, ou les mesures socio-​économiques qui s’y rap­portent, demandent seule­ment à être mis en œuvre comme fruit d’un agir com­mun. Toutefois, cet agir com­mun a besoin d’être orien­té, parce que « toute action sociale engage une doc­trine » [74]. Compte tenu de la com­plexi­té des pro­blèmes, il est évident que les dif­fé­rentes dis­ci­plines scien­ti­fiques doivent col­la­bo­rer dans une inter­dis­ci­pli­na­ri­té ordon­née. La cha­ri­té n’exclut pas le savoir, mais le réclame, le pro­meut et l’anime de l’intérieur. Le savoir n’est jamais seule­ment l’œuvre de l’intelligence. Il peut cer­tai­ne­ment être réduit à des cal­culs ou à des expé­riences, mais s’il veut être une sagesse capable de gui­der l’homme à la lumière des prin­cipes pre­miers et de ses fins der­nières, il doit être « rele­vé » avec le « sel » de la cha­ri­té. Le faire sans le savoir est aveugle et le savoir sans amour est sté­rile. En effet, « celui qui est ani­mé d’une vraie cha­ri­té est ingé­nieux à décou­vrir les causes de la misère, à trou­ver les moyens de la com­battre, à la vaincre réso­lu­ment » [75]. Face aux phé­no­mènes aux­quels nous sommes confron­tés, l’amour dans la véri­té demande d’abord et avant tout à connaître et à com­prendre, en recon­nais­sant et en res­pec­tant la com­pé­tence spé­ci­fique propre à chaque champ du savoir. La cha­ri­té n’est pas une adjonc­tion sup­plé­men­taire, comme un appen­dice au tra­vail une fois ache­vé des diverses dis­ci­plines, mais au contraire elle dia­logue avec elles du début à la fin. Les exi­gences de l’amour ne contre­disent pas celles de la rai­son. Le savoir humain est insuf­fi­sant et les conclu­sions des sciences ne pour­ront pas, à elles seules, indi­quer le che­min vers le déve­lop­pe­ment inté­gral de l’homme. Il est tou­jours néces­saire d’aller plus loin : l’amour dans la véri­té le com­mande [76]. Aller au-​delà, néan­moins, ne signi­fie jamais faire abs­trac­tion des conclu­sions de la rai­son ni contre­dire ses résul­tats. Il n’y a pas l’intelligence puis l’amour : il y a l’amour riche d’intelligence et l’intelligence pleine d’amour.

31. Cela signi­fie que les éva­lua­tions morales et la recherche scien­ti­fique doivent croître ensemble et que la cha­ri­té doit les ani­mer en un ensemble inter­dis­ci­pli­naire har­mo­nieux, fait d’unité et de dis­tinc­tion. La doc­trine sociale de l’Église, qui a « une impor­tante dimen­sion inter­dis­ci­pli­naire » [77], peut rem­plir, dans cette pers­pec­tive, une fonc­tion d’une effi­ca­ci­té extra­or­di­naire. Celle-​ci per­met à la foi, à la théo­lo­gie, à la méta­phy­sique et aux sciences de trou­ver leur place en col­la­bo­rant au ser­vice de l’homme. C’est ici sur­tout que la doc­trine sociale de l’Église concré­tise sa dimen­sion sapien­tielle. Paul VI avait vu clai­re­ment que par­mi les causes du sous-​développement, il y a un manque de sagesse, de réflexion, de pen­sée capable de réa­li­ser une syn­thèse direc­trice [78], pour laquelle « une claire vision de tous les aspects éco­no­miques, sociaux, cultu­rels et spi­ri­tuels » [79] est exi­gée. Le mor­cel­le­ment exces­sif du savoir [80], la fer­me­ture des sciences humaines à la méta­phy­sique [81], les dif­fi­cul­tés du dia­logue entre les sciences et la théo­lo­gie portent pré­ju­dice non seule­ment au déve­lop­pe­ment du savoir, mais aus­si au déve­lop­pe­ment des peuples car, quand cela se véri­fie, il devient plus dif­fi­cile de dis­tin­guer le bien inté­gral de l’homme dans les dif­fé­rentes dimen­sions qui le carac­té­risent. L’« élar­gis­se­ment de notre concep­tion et de notre usage de la rai­son » [82] est indis­pen­sable pour réus­sir à peser adé­qua­te­ment tous les termes de la ques­tion du déve­lop­pe­ment et de la solu­tion des pro­blèmes socio-économiques.

32.Les grandes nou­veau­tés, que le domaine du déve­lop­pe­ment des peuples pré­sente aujourd’hui, appellent en de nom­breux cas des solu­tions neuves. Celles-​ci doivent être recher­chées en même temps dans le res­pect des lois propres à chaque réa­li­té et à la lumière d’une vision inté­grale de l’homme qui prenne en compte les dif­fé­rents aspects de la per­sonne humaine, consi­dé­rée avec un regard puri­fié par la cha­ri­té. On décou­vri­ra alors de sin­gu­lières conver­gences et des pos­si­bi­li­tés concrètes de solu­tion, sans renon­cer à aucune com­po­sante fon­da­men­tale de la vie humaine.

La digni­té de la per­sonne et les exi­gences de la jus­tice demandent, aujourd’hui sur­tout, que les choix éco­no­miques ne fassent pas aug­men­ter de façon exces­sive et mora­le­ment inac­cep­table les écarts de richesse [83] et que l’on conti­nue à se don­ner comme objec­tif prio­ri­taire l’accès au tra­vail ou son main­tien, pour tous. Tout bien consi­dé­ré, c’est ce que la « rai­son éco­no­mique » exige aus­si. L’accroissement sys­té­mique des inéga­li­tés entre les groupes sociaux à l’intérieur d’un même pays et entre les popu­la­tions des dif­fé­rents pays, c’est-à-dire l’augmentation mas­sive de la pau­vre­té au sens rela­tif, non seule­ment tend à saper la cohé­sion sociale et met ain­si en dan­ger la démo­cra­tie, mais a aus­si un impact néga­tif sur le plan éco­no­mique à tra­vers l’érosion pro­gres­sive du « capi­tal social », c’est-à-dire de cet ensemble de rela­tions de confiance, de fia­bi­li­té, de res­pect des règles, indis­pen­sables à toute coexis­tence civile.

C’est encore la science éco­no­mique qui nous montre qu’une situa­tion struc­tu­relle d’insécurité pro­duit des com­por­te­ments anti-​productifs et des gas­pillages de res­sources humaines, dans la mesure où le tra­vailleur tend à s’adapter pas­si­ve­ment aux méca­nismes auto­ma­tiques, au lieu de libé­rer sa créa­ti­vi­té. Sur ce point éga­le­ment, il existe une conver­gence entre science éco­no­mique et éva­lua­tion morale. Les coûts humains sont tou­jours aus­si des coûts éco­no­miques et les dys­fonc­tion­ne­ments éco­no­miques entraînent tou­jours des coûts humains.

Il convient éga­le­ment de rap­pe­ler que la réduc­tion des cultures à la dimen­sion tech­no­lo­gique, si elle peut favo­ri­ser à court terme la réa­li­sa­tion de pro­fits, consti­tue un obs­tacle à long terme à l’enrichissement réci­proque et aux dyna­miques de col­la­bo­ra­tion. Il est impor­tant de dis­tin­guer entre les consi­dé­ra­tions éco­no­miques ou socio­lo­giques à court et à long terme. L’abaissement du niveau de pro­tec­tion des droits des tra­vailleurs et l’abandon des méca­nismes de redis­tri­bu­tion des reve­nus pour don­ner au pays une plus grande com­pé­ti­ti­vi­té inter­na­tio­nale gênent la conso­li­da­tion d’un déve­lop­pe­ment à long terme. On doit alors éva­luer atten­ti­ve­ment les consé­quences sur les per­sonnes des ten­dances actuelles vers une éco­no­mie du court, voire du très court terme. Cela demande une réflexion nou­velle et appro­fon­die sur le sens de l’économie et de ses fins [84], ain­si qu’une révi­sion pro­fonde et clair­voyante du modèle de déve­lop­pe­ment pour en cor­ri­ger les dys­fonc­tion­ne­ments et les dés­équi­libres. C’est ce qu’exige, en outre, l’état de san­té éco­lo­gique de la pla­nète et sur­tout ce qu’appelle la crise cultu­relle et morale de l’homme, dont les symp­tômes sont depuis long­temps évi­dents par­tout dans le monde.

33. Plus de qua­rante ans après la paru­tion de Populorum pro­gres­sio, sa thé­ma­tique de fond, le pro­grès, demeure un pro­blème en sus­pens, ren­du plus aigu et urgent en rai­son de la crise éco­no­mique et finan­cière actuelle. Si cer­taines régions du globe, autre­fois mar­quées par la pau­vre­té, ont connu des chan­ge­ments notables en termes de crois­sance éco­no­mique et de par­ti­ci­pa­tion à la pro­duc­tion mon­diale, d’autres régions sont encore plon­gées dans une situa­tion de misère com­pa­rable à celle qui exis­tait au temps de Paul VI. Dans cer­tains cas, on peut même par­ler d’une réelle aggra­va­tion. Il est signi­fi­ca­tif que plu­sieurs causes de cette situa­tion aient déjà été iden­ti­fiées par Populorum pro­gres­sio, comme par exemple les tarifs doua­niers éle­vés impo­sés par les pays éco­no­mi­que­ment déve­lop­pés et qui empêchent encore aujourd’hui les pro­duits pro­ve­nant des pays pauvres d’entrer sur leurs mar­chés. En revanche, d’autres causes, que l’encyclique avait seule­ment effleu­rées, se sont mani­fes­tées ensuite plus clai­re­ment. C’est le cas pour l’évaluation du pro­ces­sus de déco­lo­ni­sa­tion, alors en plein dérou­le­ment ; Paul VIsouhaitait un che­min d’autonomie à par­cou­rir dans la liber­té et dans la paix. Après plus de qua­rante ans, nous devons recon­naître com­bien ce par­cours a été dif­fi­cile, aus­si bien à cause de nou­velles formes de colo­nia­lisme et de dépen­dance à l’égard d’anciens comme de nou­veaux pays domi­nants, qu’en rai­son de graves irres­pon­sa­bi­li­tés internes aux pays deve­nus indépendants.

La nou­veau­té majeure a été l’explosion de l’interdépendance pla­né­taire, désor­mais com­mu­né­ment appe­lée mon­dia­li­sa­tion. Paul VI l’avait déjà par­tiel­le­ment pré­vue, mais les termes et la force avec laquelle elle s’est déve­lop­pée sont sur­pre­nants. Né au sein des pays éco­no­mi­que­ment déve­lop­pés, ce pro­ces­sus par sa nature a pro­duit une intri­ca­tion de toutes les éco­no­mies. Celui-​ci a été le prin­ci­pal moteur pour que des régions entières sortent du sous-​développement et il repré­sente en soi une grande oppor­tu­ni­té. Toutefois, sans l’orientation de l’amour dans la véri­té, cet élan pla­né­taire risque de pro­vo­quer des dom­mages incon­nus jusqu’alors ain­si que de nou­velles frac­tures au sein de la famille humaine. C’est pour­quoi l’amour et la véri­té nous placent devant une tâche inédite et créa­trice, assu­ré­ment vaste et com­plexe. Il s’agit d’élargir la rai­son et de la rendre capable de com­prendre et d’orienter ces nou­velles dyna­miques de grande ampleur, en les ani­mant dans la pers­pec­tive de cette « civi­li­sa­tion de l’amour » dont Dieu a semé le germe dans chaque peuple et dans chaque culture.

Ch. III. Fraternité, développement économique et société civile

34. L’amour dans la véri­té place l’homme devant l’étonnante expé­rience du don. La gra­tui­té est pré­sente dans sa vie sous de mul­tiples formes qui sou­vent ne sont pas recon­nues en rai­son d’une vision de l’existence pure­ment pro­duc­ti­viste et uti­li­ta­riste. L’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réa­lise sa dimen­sion de trans­cen­dance. L’homme moderne est par­fois convain­cu, à tort, d’être le seul auteur de lui-​même, de sa vie et de la socié­té. C’est là une pré­somp­tion, qui dérive de la fer­me­ture égoïste sur lui-​même, qui pro­vient – pour par­ler en termes de foi – du péché des ori­gines. La sagesse de l’Église a tou­jours pro­po­sé de tenir compte du péché ori­gi­nel même dans l’interprétation des faits sociaux et dans la construc­tion de la socié­té : « Ignorer que l’homme a une nature bles­sée, incli­née au mal, donne lieu à de graves erreurs dans le domaine de l’éducation, de la poli­tique, de l’action sociale et des mœurs » [85]. À la liste des domaines où se mani­festent les effets per­ni­cieux du péché, s’est ajou­té depuis long­temps déjà celui de l’économie. Nous en avons une nou­velle preuve, évi­dente, en ces temps-​ci. La convic­tion d’être auto­suf­fi­sant et d’être capable d’éliminer le mal pré­sent dans l’histoire uni­que­ment par sa seule action a pous­sé l’homme à faire coïn­ci­der le bon­heur et le salut avec des formes imma­nentes de bien-​être maté­riel et d’action sociale. De plus, la convic­tion de l’exigence d’autonomie de l’économie, qui ne doit pas tolé­rer « d’influences » de carac­tère moral, a conduit l’homme à abu­ser de l’instrument éco­no­mique y com­pris de façon des­truc­trice. À la longue, ces convic­tions ont conduit à des sys­tèmes éco­no­miques, sociaux et poli­tiques qui ont fou­lé aux pieds la liber­té de la per­sonne et des corps sociaux et qui, pré­ci­sé­ment pour cette rai­son, n’ont pas été en mesure d’assurer la jus­tice qu’ils pro­met­taient. Comme je l’ai affir­mé dans mon ency­clique Spe sal­vi, de cette manière on retranche de l’histoire l’espérance chré­tienne [86], qui est au contraire une puis­sante res­source sociale au ser­vice du déve­lop­pe­ment humain inté­gral, recher­ché dans la liber­té et dans la jus­tice. L’espérance encou­rage la rai­son et lui donne la force d’orienter la volon­té [87]. Elle est déjà pré­sente dans la foi qui la sus­cite. La cha­ri­té dans la véri­té s’en nour­rit et, en même temps, la mani­feste. Étant un don de Dieu abso­lu­ment gra­tuit, elle fait irrup­tion dans notre vie comme quelque chose qui n’est pas dû, qui trans­cende toute loi de jus­tice. Le don par sa nature sur­passe le mérite, sa règle est la sur­abon­dance. Il nous pré­cède dans notre âme elle-​même comme le signe de la pré­sence de Dieu en nous et de son attente à notre égard. La véri­té qui, à l’égal de la cha­ri­té, est un don, est plus grande que nous, comme l’enseigne saint Augustin [88]. De même, notre véri­té propre, celle de notre conscience per­son­nelle, nous est avant tout « don­née ». Dans tout pro­ces­sus cog­ni­tif, en effet, la véri­té n’est pas pro­duite par nous, mais elle est tou­jours décou­verte ou, mieux, reçue. Comme l’amour, elle « ne naît pas de la pen­sée ou de la volon­té mais, pour ain­si dire, s’impose à l’être humain »[89].

Parce qu’elle est un don que tous reçoivent, la cha­ri­té dans la véri­té est une force qui consti­tue la com­mu­nau­té, uni­fie les hommes de telle manière qu’il n’y ait plus de bar­rières ni de limites. Nous pou­vons par nous-​mêmes consti­tuer la com­mu­nau­té des hommes, mais celle-​ci ne pour­ra jamais être, par ses seules forces, une com­mu­nau­té plei­ne­ment fra­ter­nelle ni excé­der ses propres limites, c’est-à-dire deve­nir une com­mu­nau­té vrai­ment uni­ver­selle : l’unité du genre humain, com­mu­nion fra­ter­nelle dépas­sant toutes divi­sions, naît de l’appel for­mu­lé par la parole du Dieu-​Amour. En affron­tant cette ques­tion déci­sive, nous devons pré­ci­ser, d’une part, que la logique du don n’exclut pas la jus­tice et qu’elle ne se jux­ta­pose pas à elle dans un second temps et de l’extérieur et, d’autre part, que si le déve­lop­pe­ment éco­no­mique, social et poli­tique veut être authen­ti­que­ment humain, il doit prendre en consi­dé­ra­tion le prin­cipe de gra­tui­té comme expres­sion de fraternité.

35. Lorsqu’il est fon­dé sur une confiance réci­proque et géné­rale, le mar­ché est l’institution éco­no­mique qui per­met aux per­sonnes de se ren­con­trer, en tant qu’agents éco­no­miques, uti­li­sant le contrat pour régler leurs rela­tions et échan­geant des biens et des ser­vices fon­gibles entre eux pour satis­faire leurs besoins et leurs dési­rs. Le mar­ché est sou­mis aux prin­cipes de la jus­tice dite com­mu­ta­tive, qui règle jus­te­ment les rap­ports du don­ner et du rece­voir entre sujets égaux. Mais la doc­trine sociale de l’Église n’a jamais ces­sé de mettre en évi­dence l’importance de la jus­tice dis­tri­bu­tive et de la jus­tice sociale pour l’économie de mar­ché elle-​même, non seule­ment parce qu’elle est insé­rée dans les maillons d’un contexte social et poli­tique plus vaste, mais aus­si à cause de la trame des rela­tions dans les­quelles elle se réa­lise. En effet, aban­don­né au seul prin­cipe de l’équivalence de valeur des biens échan­gés, le mar­ché n’arrive pas à pro­duire la cohé­sion sociale dont il a pour­tant besoin pour bien fonc­tion­ner. Sans formes internes de soli­da­ri­té et de confiance réci­proque, le mar­ché ne peut plei­ne­ment rem­plir sa fonc­tion éco­no­mique. Aujourd’hui, c’est cette confiance qui fait défaut, et la perte de confiance est une perte grave.

Dans Populorum pro­gres­sio, Paul VI sou­li­gnait de façon oppor­tune le fait que le sys­tème éco­no­mique lui-​même aurait tiré avan­tage des pra­tiques géné­ra­li­sées de jus­tice, car les pre­miers à tirer béné­fice du déve­lop­pe­ment des pays pauvres auraient été les pays riches [90]. Il ne s’agit pas seule­ment de cor­ri­ger des dys­fonc­tion­ne­ments par l’assistance. Les pauvres ne sont pas à consi­dé­rer comme un « far­deau » [91], mais au contraire comme une res­source, même du point de vue stric­te­ment éco­no­mique. Il faut consi­dé­rer comme erro­née la concep­tion de cer­tains qui pensent que l’économie de mar­ché a struc­tu­rel­le­ment besoin d’un quo­ta de pau­vre­té et de sous-​développement pour pou­voir fonc­tion­ner au mieux. L’intérêt du mar­ché est de pro­mou­voir l’émancipation, mais pour le faire vrai­ment il ne peut pas comp­ter seule­ment sur lui-​même, car il n’est pas en mesure de pro­duire de lui-​même ce qui est au-​delà de ses pos­si­bi­li­tés. Il doit pui­ser des éner­gies morales auprès d’autres sujets, qui sont capables de les faire naître.

36.L’activité éco­no­mique ne peut résoudre tous les pro­blèmes sociaux par la simple exten­sion de la logique mar­chande. Celle-​là doit viser la recherche du bien com­mun, que la com­mu­nau­té poli­tique d’abord doit aus­si prendre en charge. C’est pour­quoi il faut avoir pré­sent à l’esprit que sépa­rer l’agir éco­no­mique, à qui il revien­drait seule­ment de pro­duire de la richesse, de l’agir poli­tique, à qui il revien­drait de recher­cher la jus­tice au moyen de la redis­tri­bu­tion, est une cause de graves déséquilibres.

L’Église a tou­jours esti­mé que l’agir éco­no­mique ne doit pas être consi­dé­ré comme anti­so­cial. Le mar­ché n’est pas de soi, et ne doit donc pas deve­nir, le lieu de la domi­na­tion du fort sur le faible. La socié­té ne doit pas se pro­té­ger du mar­ché, comme si le déve­lop­pe­ment de ce der­nier com­por­tait ipso fac­to l’extinction des rela­tions authen­ti­que­ment humaines. Il est cer­tai­ne­ment vrai que le mar­ché peut être orien­té de façon néga­tive, non parce que c’est là sa nature, mais parce qu’une cer­taine idéo­lo­gie peut l’orienter en ce sens. Il ne faut pas oublier que le mar­ché n’existe pas à l’état pur. Il tire sa forme des confi­gu­ra­tions cultu­relles qui le carac­té­risent et l’orientent. En effet, l’économie et la finance, en tant qu’instruments, peuvent être mal uti­li­sées quand celui qui les gère n’a comme point de réfé­rence que des inté­rêts égoïstes. Ainsi peut-​on arri­ver à trans­for­mer des ins­tru­ments bons en eux mêmes en ins­tru­ments nui­sibles. Mais c’est la rai­son obs­cur­cie de l’homme qui pro­duit ces consé­quences, non l’instrument lui-​même. C’est pour­quoi, ce n’est pas l’instrument qui doit être mis en cause mais l’homme, sa conscience morale et sa res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle et sociale.

La doc­trine sociale de l’Église estime que des rela­tions authen­ti­que­ment humaines, d’amitié et de socia­li­té, de soli­da­ri­té et de réci­pro­ci­té, peuvent éga­le­ment être vécues même au sein de l’activité éco­no­mique et pas seule­ment en dehors d’elle ou « après » elle. La sphère éco­no­mique n’est, par nature, ni éthi­que­ment neutre ni inhu­maine et anti­so­ciale. Elle appar­tient à l’activité de l’homme et, jus­te­ment parce que humaine, elle doit être struc­tu­rée et orga­ni­sée ins­ti­tu­tion­nel­le­ment de façon éthique.

Le grand défi qui se pré­sente à nous, qui res­sort des pro­blé­ma­tiques du déve­lop­pe­ment en cette période de mon­dia­li­sa­tion et qui est ren­du encore plus pres­sant par la crise éco­no­mique et finan­cière, est celui de mon­trer, au niveau de la pen­sée comme des com­por­te­ments, que non seule­ment les prin­cipes tra­di­tion­nels de l’éthique sociale, tels que la trans­pa­rence, l’honnêteté et la res­pon­sa­bi­li­té ne peuvent être négli­gées ou sous-​évaluées, mais aus­si que dans les rela­tions mar­chandes le prin­cipe de gra­tui­té et la logique du don, comme expres­sion de la fra­ter­ni­té, peuvent et doivent trou­ver leur place à l’intérieur de l’activité éco­no­mique nor­male. C’est une exi­gence de l’homme de ce temps, mais aus­si une exi­gence de la rai­son éco­no­mique elle-​même. C’est une exi­gence conjointe de la cha­ri­té et de la vérité.

37. La doc­trine sociale de l’Église a tou­jours sou­te­nu que la jus­tice se rap­porte à toutes les phases de l’activité éco­no­mique, parce qu’elle concerne tou­jours l’homme et ses exi­gences. La décou­verte des res­sources, les finan­ce­ments, la pro­duc­tion, la consom­ma­tion et toutes les autres phases du cycle éco­no­mique ont iné­luc­ta­ble­ment des impli­ca­tions morales. Ainsi toute déci­sion éco­no­mique a‑t-​elle une consé­quence de carac­tère moral. Les sciences sociales et les ten­dances de l’économie contem­po­raine le confirment éga­le­ment. Peut-​être fut-​il un temps pen­sable de confier en pre­mier lieu à l’économie la tâche de pro­duire des richesses, remet­tant ensuite à la poli­tique la tâche de les dis­tri­buer. Tout ceci se révèle aujourd’hui plus dif­fi­cile, puisque les acti­vi­tés éco­no­miques ne sont pas confi­nées à l’intérieur des limites ter­ri­to­riales, alors que l’autorité des gou­ver­ne­ments conti­nue à être essen­tiel­le­ment locale. C’est pour­quoi les règles de la jus­tice doivent être res­pec­tées dès la mise en route du pro­ces­sus éco­no­mique, et non avant, après ou paral­lè­le­ment. Il est néces­saire aus­si que, sur le mar­ché, soient ouverts des espaces aux acti­vi­tés éco­no­miques réa­li­sées par des sujets qui choi­sissent libre­ment de confor­mer leur propre agir à des prin­cipes dif­fé­rents de ceux du seul pro­fit, sans pour cela renon­cer à pro­duire de la valeur éco­no­mique. Les nom­breux types d’économie qui tirent leur ori­gine d’initiatives reli­gieuses et laïques démontrent que cela est concrè­te­ment possible.

À l’époque de la mon­dia­li­sa­tion, l’économie pâtit de modèles de com­pé­ti­tion liés à des cultures très dif­fé­rentes les unes des autres. Les com­por­te­ments éco­no­miques et indus­triels qui en découlent trouvent géné­ra­le­ment un point de ren­contre dans le res­pect de la jus­tice com­mu­ta­tive. La vie éco­no­mique a sans aucun doute besoin du contrat pour régle­men­ter les rela­tions d’échange entre valeurs équi­va­lentes. Mais elle a tout autant besoin de lois justes et de formes de redis­tri­bu­tion gui­dées par la poli­tique, ain­si que d’œuvres qui soient mar­quées par l’esprit du don. L’économie mon­dia­li­sée semble pri­vi­lé­gier la pre­mière logique, celle de l’échange contrac­tuel mais, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, elle montre qu’elle a aus­si besoin des deux autres, de la logique poli­tique et de la logique du don sans contrepartie.

38. Mon pré­dé­ces­seur Jean-​Paul II avait signa­lé cette pro­blé­ma­tique quand, dans Centesimus annus, il avait rele­vé la néces­si­té d’un sys­tème impli­quant trois sujets : le mar­ché, l’État et la socié­té civile [92]. Il avait iden­ti­fié la socié­té civile comme le cadre le plus appro­prié pour une éco­no­mie de la gra­tui­té et de la fra­ter­ni­té, mais il ne vou­lait pas l’exclure des deux autres domaines. Aujourd’hui, nous pou­vons dire que la vie éco­no­mique doit être com­prise comme une réa­li­té à plu­sieurs dimen­sions : en cha­cune d’elles, à divers degrés et selon des moda­li­tés spé­ci­fiques, l’aspect de la réci­pro­ci­té fra­ter­nelle doit être pré­sent. À l’époque de la mon­dia­li­sa­tion, l’activité éco­no­mique ne peut faire abs­trac­tion de la gra­tui­té, qui répand et ali­mente la soli­da­ri­té et la res­pon­sa­bi­li­té pour la jus­tice et pour le bien com­mun auprès de ses dif­fé­rents sujets et acteurs. Il s’agit, en réa­li­té, d’une forme concrète et pro­fonde de démo­cra­tie éco­no­mique. La soli­da­ri­té signi­fie avant tout se sen­tir tous res­pon­sables de tous [93], elle ne peut donc être délé­guée seule­ment à l’État. Si hier on pou­vait pen­ser qu’il fal­lait d’abord recher­cher la jus­tice et que la gra­tui­té devait inter­ve­nir ensuite comme un com­plé­ment, aujourd’hui, il faut dire que sans la gra­tui­té on ne par­vient même pas à réa­li­ser la jus­tice. Il faut, par consé­quent, un mar­ché sur lequel des entre­prises qui pour­suivent des buts ins­ti­tu­tion­nels dif­fé­rents puissent agir libre­ment, dans des condi­tions équi­tables. À côté de l’entreprise pri­vée tour­née vers le pro­fit, et des divers types d’entreprises publiques, il est oppor­tun que les orga­ni­sa­tions pro­duc­trices qui pour­suivent des buts mutua­listes et sociaux puissent s’implanter et se déve­lop­per. C’est de leur confron­ta­tion réci­proque sur le mar­ché que l’on peut espé­rer une sorte d’hybridation des com­por­te­ments d’entreprise et donc une atten­tion vigi­lante à la civi­li­sa­tion de l’économie. La cha­ri­té dans la véri­té, dans ce cas, signi­fie qu’il faut don­ner forme et orga­ni­sa­tion aux acti­vi­tés éco­no­miques qui, sans nier le pro­fit, entendent aller au-​delà de la logique de l’échange des équi­va­lents et du pro­fit comme but en soi.

39. Dans Populorum pro­gres­sio, Paul VI deman­dait que soit défi­ni un modèle d’économie de mar­ché capable d’intégrer, au moins ten­dan­ciel­le­ment, tous les peuples et non seule­ment ceux qui étaient en mesure d’y prendre part. Il deman­dait que le mar­ché inter­na­tio­nal soit le reflet d’un monde où « tous auront à don­ner et à rece­voir, sans que le pro­grès des uns soit un obs­tacle au déve­lop­pe­ment des autres »[94]. De cette manière, il éten­dait au niveau uni­ver­sel les requêtes et les aspi­ra­tions déjà conte­nues dans Rerum nova­rum, où pour la pre­mière fois, à la suite de la révo­lu­tion indus­trielle, était affir­mée l’idée – assu­ré­ment avan­cée pour l’époque – que pour sub­sis­ter l’ordre civil avait besoin aus­si de l’intervention redis­tri­bu­tive de l’État. Aujourd’hui cette vision est non seule­ment remise en ques­tion par les pro­ces­sus d’ouverture des mar­chés et des socié­tés, mais elle appa­raît aus­si incom­plète pour satis­faire les exi­gences d’une éco­no­mie plei­ne­ment humaine. Ce que la doc­trine sociale de l’Église a tou­jours sou­te­nu, en par­tant de sa vision de l’homme et de la socié­té, est aujourd’hui requis aus­si par les dyna­miques carac­té­ris­tiques de la mondialisation.

Quand la logique du mar­ché et celle de l’État s’accordent entre elles pour per­pé­tuer le mono­pole de leurs domaines res­pec­tifs d’influence, la soli­da­ri­té dans les rela­tions entre les citoyens s’amoindrit à la longue, de même que la par­ti­ci­pa­tion et l’adhésion, l’agir gra­tuit, qui sont d’une nature dif­fé­rente du don­ner pour avoir, spé­ci­fique à la logique de l’échange, et du don­ner par devoir, qui est propre à l’action publique, réglée par les lois de l’État. Vaincre le sous-​développement demande d’agir non seule­ment en vue de l’amélioration des tran­sac­tions fon­dées sur l’échange et des pres­ta­tions sociales, mais sur­tout sur l’ouverture pro­gres­sive, dans un contexte mon­dial, à des formes d’activité éco­no­mique carac­té­ri­sées par une part de gra­tui­té et de com­mu­nion. Le binôme exclu­sif marché-​État cor­rode la socia­li­té, alors que les formes éco­no­miques soli­daires, qui trouvent leur ter­rain le meilleur dans la socié­té civile sans se limi­ter à elle, créent de la socia­li­té. Le mar­ché de la gra­tui­té n’existe pas et on ne peut impo­ser par la loi des com­por­te­ments gra­tuits. Pourtant, aus­si bien le mar­ché que la poli­tique ont besoin de per­sonnes ouvertes au don réciproque.

40. Les dyna­miques éco­no­miques inter­na­tio­nales actuelles, carac­té­ri­sées par de graves déviances et des dys­fonc­tion­ne­ments, appellent éga­le­ment de pro­fonds chan­ge­ments dans la façon de conce­voir l’entreprise. D’anciennes formes de la vie des entre­prises dis­pa­raissent, tan­dis que d’autres, pro­met­teuses, se des­sinent à l’horizon. Un des risques les plus grands est sans aucun doute que l’entreprise soit presque exclu­si­ve­ment sou­mise à celui qui inves­tit en elle et que sa valeur sociale finisse ain­si par être amoin­drie. En rai­son de la crois­sance de leurs dimen­sions et du besoin de capi­taux tou­jours plus impor­tants, les entre­prises ont de moins en moins à leur tête un entre­pre­neur stable qui soit res­pon­sable à long terme de la vie et des résul­tats de l’entreprise et pas seule­ment à court terme, et elles sont aus­si tou­jours moins liées à un ter­ri­toire unique. En outre, la fameuse délo­ca­li­sa­tion de l’activité pro­duc­tive peut atté­nuer chez l’entrepreneur le sens de ses res­pon­sa­bi­li­tés vis-​à-​vis des por­teurs d’intérêts, tels que les tra­vailleurs, les four­nis­seurs, les consom­ma­teurs, l’environnement natu­rel et, plus lar­ge­ment, la socié­té envi­ron­nante, au pro­fit des action­naires, qui ne sont pas liés à un lieu spé­ci­fique et qui jouissent donc d’une extra­or­di­naire mobi­li­té. En effet, le mar­ché inter­na­tio­nal des capi­taux offre aujourd’hui une grande liber­té d’action. Il est vrai cepen­dant que l’on prend tou­jours davan­tage conscience de la néces­si­té d’une plus ample « res­pon­sa­bi­li­té sociale » de l’entreprise. Même si les posi­tions éthiques qui guident aujourd’hui le débat sur la res­pon­sa­bi­li­té sociale de l’entreprise ne sont pas toutes accep­tables selon la pers­pec­tive de la doc­trine sociale de l’Église, c’est un fait que se répand tou­jours plus la convic­tion selon laquelle la ges­tion de l’entreprise ne peut pas tenir compte des inté­rêts de ses seuls pro­prié­taires, mais aus­si de ceux de toutes les autres caté­go­ries de sujets qui contri­buent à la vie de l’entreprise : les tra­vailleurs, les clients, les four­nis­seurs des divers élé­ments de la pro­duc­tion, les com­mu­nau­tés humaines qui en dépendent. Ces der­nières années, on a vu la crois­sance d’une classe cos­mo­po­lite de mana­gers qui, sou­vent, ne répondent qu’aux indi­ca­tions des action­naires de réfé­rence, consti­tués en géné­ral par des fonds ano­nymes qui fixent de fait leurs rému­né­ra­tions. Cela n’empêche pas qu’aujourd’hui il y ait de nom­breux mana­gers qui, grâce à des ana­lyses clair­voyantes, se rendent compte tou­jours davan­tage des liens pro­fonds de leur entre­prise avec le ter­ri­toire ou avec les ter­ri­toires où elle opère. Paul VIinvitait à éva­luer sérieu­se­ment le pré­ju­dice que le trans­fert de capi­taux à l’étranger exclu­si­ve­ment en vue d’un pro­fit per­son­nel, peut cau­ser à la nation elle-​même [95]. Jean-​Paul II obser­vait qu’inves­tir, outre sa signi­fi­ca­tion éco­no­mique, revêt tou­jours une signi­fi­ca­tion morale [96]. Tout ceci – il faut le redire – est valable aujourd’hui encore, bien que le mar­ché des capi­taux ait été for­te­ment libé­ra­li­sé et que les men­ta­li­tés tech­no­lo­giques modernes puissent conduire à pen­ser qu’investir soit seule­ment un fait tech­nique et non pas aus­si humain et éthique. Il n’y a pas de rai­son de nier qu’un cer­tain capi­tal, s’il est inves­ti à l’étranger plu­tôt que dans sa patrie, puisse faire du bien. Cependant les requêtes de la jus­tice doivent être sau­ve­gar­dées, en tenant compte aus­si de la façon dont ce capi­tal a été consti­tué et des pré­ju­dices cau­sés aux per­sonnes par leur non emploi dans les lieux où ce capi­tal a été pro­duit [97]. Il faut évi­ter que le motif de l’emploi des res­sources finan­cières soit spé­cu­la­tif et cède à la ten­ta­tion de recher­cher seule­ment un pro­fit à court terme, sans recher­cher aus­si la conti­nui­té de l’entreprise à long terme, son ser­vice pré­cis à l’économie réelle et son atten­tion à la pro­mo­tion, de façon juste et conve­nable, d’initiatives éco­no­miques y com­pris dans les pays qui ont besoin de déve­lop­pe­ment. Il ne faut pas nier que lorsque la délo­ca­li­sa­tion com­porte des inves­tis­se­ments et offre de la for­ma­tion, elle peut être béné­fique aux popu­la­tions des pays d’accueil. Le tra­vail et la connais­sance tech­nique sont un besoin uni­ver­sel. Cependant il n’est pas licite de délo­ca­li­ser seule­ment pour jouir de faveurs par­ti­cu­lières ou, pire, pour exploi­ter la socié­té locale sans lui appor­ter une véri­table contri­bu­tion à la mise en place d’un sys­tème pro­duc­tif et social solide, fac­teur incon­tour­nable d’un déve­lop­pe­ment stable.

41. Dans le contexte de ce docu­ment, il est utile d’observer que l’entre­pre­neu­riat a et doit tou­jours plus avoir une signi­fi­ca­tion plu­ri­va­lente. La pré­émi­nence per­sis­tante du binôme marché-​État nous a habi­tués à pen­ser exclu­si­ve­ment à l’entrepreneur pri­vé de type capi­ta­liste, d’une part, et au haut-​fonctionnaire de l’autre. En réa­li­té, l’entrepreneuriat doit être com­pris de façon diver­si­fiée. Ceci découle d’une série de rai­sons méta-​économiques. Avant d’avoir une signi­fi­ca­tion pro­fes­sion­nelle, l’entrepreneuriat a une signi­fi­ca­tion humaine [98]. Il est ins­crit dans tout tra­vail, vu comme « actus per­sonæ » [99] c’est pour­quoi il est bon qu’à tout tra­vailleur soit offerte la pos­si­bi­li­té d’apporter sa contri­bu­tion propre de sorte que lui-​même « sache tra­vailler ‘à son compte’ » [100]. Ce n’est pas sans rai­son que Paul VI ensei­gnait que « tout tra­vailleur est un créa­teur » [101]. C’est jus­te­ment pour répondre aux exi­gences et à la digni­té de celui qui tra­vaille, ain­si qu’aux besoins de la socié­té, que divers types d’entreprises existent, bien au-​delà de la seule dis­tinc­tion entre « pri­vé » et « public ». Chacune requiert et exprime une capa­ci­té d’entreprise sin­gu­lière. Dans le but de créer une éco­no­mie qui, dans un proche ave­nir, sache se mettre au ser­vice du bien com­mun natio­nal et mon­dial, il est oppor­tun de tenir compte de cette signi­fi­ca­tion élar­gie de l’entrepreneuriat. Cette concep­tion plus large favo­rise l’échange et la for­ma­tion réci­proque entre les diverses typo­lo­gies d’entrepreneuriat, avec un trans­fert de com­pé­tences du monde du non pro­fit à celui du pro­fit et vice-​versa, du domaine public à celui de la socié­té civile, de celui des éco­no­mies avan­cées à celui des pays en voie de développement.

L’auto­ri­té poli­tique a, elle aus­si, une signi­fi­ca­tion plu­ri­va­lente qui ne peut être négli­gée, dans la mise en place d’un nou­vel ordre économico-​productif, socia­le­ment res­pon­sable et à dimen­sion humaine. De même qu’on entend culti­ver un entre­pre­neu­riat dif­fé­ren­cié sur le plan mon­dial, ain­si doit-​on pro­mou­voir une auto­ri­té poli­tique répar­tie et active sur plu­sieurs plans. L’économie inté­grée de notre époque n’élimine pas le rôle des États, elle engage plu­tôt les gou­ver­ne­ments à une plus forte col­la­bo­ra­tion réci­proque. La sagesse et la pru­dence nous sug­gèrent de ne pas pro­cla­mer trop hâti­ve­ment la fin de l’État. Lié à la solu­tion de la crise actuelle, son rôle semble des­ti­né à croître, tan­dis qu’il récu­père nombre de ses com­pé­tences. Il y a aus­si des nations pour les­quelles la construc­tion ou la recons­truc­tion de l’État conti­nue d’être un élé­ment clé de leur déve­lop­pe­ment. L’aide inter­na­tio­nale à l’intérieur d’un pro­jet de soli­da­ri­té ciblé en vue de la solu­tion des pro­blèmes éco­no­miques actuels, devrait en pre­mier lieu sou­te­nir la conso­li­da­tion de sys­tèmes consti­tu­tion­nels, juri­diques, admi­nis­tra­tifs dans les pays qui ne jouissent pas encore plei­ne­ment de ces biens. À côté des aides éco­no­miques, il doit y avoir celles qui ont pour but de ren­for­cer les garan­ties propres de l’État de droit, un sys­tème d’ordre public et de déten­tion effi­cace dans le res­pect des droits humains, des ins­ti­tu­tions vrai­ment démo­cra­tiques. Il n’est pas néces­saire que l’État ait par­tout les mêmes carac­té­ris­tiques : le sou­tien aux sys­tèmes consti­tu­tion­nels faibles en vue de leur ren­for­ce­ment peut très bien s’accompagner du déve­lop­pe­ment d’autres sujets poli­tiques, de nature cultu­relle, sociale, ter­ri­to­riale ou reli­gieuse, à côté de l’État. L’articulation de l’autorité poli­tique au niveau local, natio­nal et inter­na­tio­nal est, entre autres, une des voies maî­tresses pour par­ve­nir à orien­ter la mon­dia­li­sa­tion éco­no­mique. C’est aus­si le moyen pour évi­ter qu’elle ne mine dans les faits les fon­de­ments de la démocratie.

42. On relève par­fois des atti­tudes fata­listes à l’égard de la mon­dia­li­sa­tion, comme si les dyna­miques en acte étaient pro­duites par des forces imper­son­nelles ano­nymes et par des struc­tures indé­pen­dantes de la volon­té humaine [102]. Il est bon de rap­pe­ler à ce pro­pos que la mon­dia­li­sa­tion doit être cer­tai­ne­ment com­prise comme un pro­ces­sus socio-​économique, mais ce n’est pas là son unique dimen­sion. Derrière le pro­ces­sus le plus visible se trouve la réa­li­té d’une huma­ni­té qui devient de plus en plus inter­con­nec­tée. Celle-​ci est consti­tuée de per­sonnes et de peuples aux­quels ce pro­ces­sus doit être utile et dont il doit ser­vir le déve­lop­pe­ment [103]en ver­tu des res­pon­sa­bi­li­tés res­pec­tives prises aus­si bien par des indi­vi­dus que par la col­lec­ti­vi­té. Le dépas­se­ment des fron­tières n’est pas seule­ment un fait maté­riel, mais il est aus­si cultu­rel dans ses causes et dans ses effets. Si on regarde la mon­dia­li­sa­tion de façon déter­mi­niste, les cri­tères pour l’évaluer et l’orienter se perdent. C’est une réa­li­té humaine et elle peut avoir en amont diverses orien­ta­tions cultu­relles sur les­quelles il faut exer­cer un dis­cer­ne­ment. La véri­té de la mon­dia­li­sa­tion comme pro­ces­sus et sa nature éthique fon­da­men­tale dérivent de l’unité de la famille humaine et de son déve­lop­pe­ment dans le bien. Il faut donc tra­vailler sans cesse afin de favo­ri­ser une orien­ta­tion cultu­relle per­son­na­liste et com­mu­nau­taire, ouverte à la trans­cen­dance, du pro­ces­sus d’intégration pla­né­taire.

Malgré cer­taines de ses dimen­sions struc­tu­relles qui ne doivent pas être niées, ni abso­lu­ti­sées, « la mon­dia­li­sa­tion, a prio­ri, n’est ni bonne ni mau­vaise. Elle sera ce que les per­sonnes en feront » [104]. Nous ne devons pas en être les vic­times, mais les pro­ta­go­nistes, avan­çant avec bon sens, gui­dés par la cha­ri­té et par la véri­té. S’y oppo­ser aveu­glé­ment serait une atti­tude erro­née, pré­con­çue, qui fini­rait par igno­rer un pro­ces­sus por­teur d’aspects posi­tifs, avec le risque de perdre une grande occa­sion de sai­sir les mul­tiples oppor­tu­ni­tés de déve­lop­pe­ment qu’elle offre. Les pro­ces­sus de mon­dia­li­sa­tion, conve­na­ble­ment conçus et gérés, offrent la pos­si­bi­li­té d’une grande redis­tri­bu­tion de la richesse au niveau pla­né­taire comme cela ne s’était jamais pré­sen­té aupa­ra­vant ; s’ils sont mal gérés ils peuvent au contraire faire croître la pau­vre­té et les inéga­li­tés, et conta­mi­ner le monde entier par une crise. Il faut en cor­ri­ger les dys­fonc­tion­ne­ments, dont cer­tains sont graves, qui intro­duisent de nou­velles divi­sions entre les peuples et au sein des peuples, et faire en sorte que la redis­tri­bu­tion de la richesse n’entraîne pas une redis­tri­bu­tion de la pau­vre­té ou même son accen­tua­tion, comme une mau­vaise ges­tion de la situa­tion actuelle pour­rait nous le faire craindre. Pendant long­temps, on a pen­sé que les peuples pauvres devaient demeu­rer fixés à un stade pré­éta­bli de déve­lop­pe­ment et devaient se conten­ter de la phi­lan­thro­pie des peuples déve­lop­pés. Dans Populorum pro­gres­sio, Paul VI a pris posi­tion contre cette men­ta­li­té. Aujourd’hui les res­sources maté­rielles uti­li­sables pour faire sor­tir ces peuples de la misère sont théo­ri­que­ment plus impor­tantes qu’autrefois, mais ce sont les peuples des pays déve­lop­pés eux-​mêmes qui ont fini par en pro­fi­ter, eux qui ont pu mieux exploi­ter le pro­ces­sus de libé­ra­li­sa­tion des mou­ve­ments de capi­taux et du tra­vail. La dif­fu­sion du bien-​être à l’échelle mon­diale ne doit donc pas être frei­née par des pro­jets égoïstes, pro­tec­tion­nistes ou dic­tés par des inté­rêts par­ti­cu­liers. En effet, l’implication des pays émer­gents ou en voie de déve­lop­pe­ment per­met aujourd’hui de mieux gérer la crise. La tran­si­tion inhé­rente au pro­ces­sus de mon­dia­li­sa­tion pré­sente des dif­fi­cul­tés et des dan­gers impor­tants, qui pour­ront être sur­mon­tés seule­ment si on sait prendre conscience de cette dimen­sion anthro­po­lo­gique et éthique, qui pousse pro­fon­dé­ment la mon­dia­li­sa­tion elle-​même vers des objec­tifs d’humanisation soli­daire. Malheureusement cette dimen­sion est sou­vent domi­née et étouf­fée par des pers­pec­tives éthiques et cultu­relles de nature indi­vi­dua­liste et uti­li­ta­riste. La mon­dia­li­sa­tion est un phé­no­mène mul­ti­di­men­sion­nel et poly­va­lent, qui exige d’être sai­si dans la diver­si­té et dans l’unité de tous ses aspects, y com­pris sa dimen­sion théo­lo­gique. Cela per­met­tra de vivre et d’orien­ter la mon­dia­li­sa­tion de l’humanité en termes de rela­tion­na­li­té, de com­mu­nion et de par­tage.

Ch. IV. Développement des peuples, droits et devoirs, environnement

43. « La soli­da­ri­té uni­ver­selle qui est un fait, et un béné­fice pour nous, est aus­si un devoir » [105]. Aujourd’hui, nom­breux sont ceux qui sont ten­tés de pré­tendre ne rien devoir à per­sonne, si ce n’est à eux-​mêmes. Ils estiment n’être déten­teurs que de droits et ils éprouvent sou­vent de grandes dif­fi­cul­tés à gran­dir dans la res­pon­sa­bi­li­té à l’égard de leur déve­lop­pe­ment per­son­nel inté­gral et de celui des autres. C’est pour­quoi il est impor­tant de sus­ci­ter une nou­velle réflexion sur le fait que les droits sup­posent des devoirs sans les­quels ils deviennent arbi­traires [106]. Aujourd’hui, nous sommes témoins d’une grave contra­dic­tion. Tandis que, d’un côté, sont reven­di­qués de soi-​disant droits, de nature arbi­traire et volup­tuaire, avec la pré­ten­tion de les voir recon­nus et pro­mus par les struc­tures publiques, d’un autre côté, des droits élé­men­taires et fon­da­men­taux d’une grande par­tie de l’humanité sont igno­rés et vio­lés [107]. On a sou­vent noté une rela­tion entre la reven­di­ca­tion du droit au super­flu ou même à la trans­gres­sion et au vice, dans les socié­tés opu­lentes, et le manque de nour­ri­ture, d’eau potable, d’instruction pri­maire ou de soins sani­taires élé­men­taires dans cer­taines régions sous-​développées ain­si que dans les péri­phé­ries des grandes métro­poles. Cette rela­tion est due au fait que les droits indi­vi­duels, déta­chés du cadre des devoirs qui leur confère un sens plé­nier, s’affolent et ali­mentent une spi­rale de requêtes pra­ti­que­ment illi­mi­tée et pri­vée de repères. L’exaspération des droits abou­tit à l’oubli des devoirs. Les devoirs déli­mitent les droits parce qu’ils ren­voient au cadre anthro­po­lo­gique et éthique dans la véri­té duquel ces der­niers s’insèrent et ain­si ne deviennent pas arbi­traires. C’est pour cette rai­son que les devoirs ren­forcent les droits et situent leur défense et leur pro­mo­tion comme un enga­ge­ment à prendre en faveur du bien. Si, par contre, les droits de l’homme ne trouvent leur propre fon­de­ment que dans les déli­bé­ra­tions d’une assem­blée de citoyens, ils peuvent être modi­fiés à tout moment et, par consé­quent, le devoir de les res­pec­ter et de les pro­mou­voir dimi­nue dans la conscience com­mune. Les Gouvernements et les Organismes inter­na­tio­naux peuvent alors oublier l’objectivité et l’« indis­po­ni­bi­li­té » des droits. Quand cela se pro­duit, le véri­table déve­lop­pe­ment des peuples est mis en dan­ger [108]. De tels com­por­te­ments com­pro­mettent l’autorité des Organismes inter­na­tio­naux, sur­tout aux yeux des pays qui ont le plus besoin de déve­lop­pe­ment. Ceux-​ci demandent, en effet, que la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale consi­dère comme un devoir de les aider à être « les arti­sans de leur des­tin » [109], c’est-à-dire à assu­mer eux-​mêmes à leur tour des devoirs. Avoir en com­mun des devoirs réci­proques mobi­lise beau­coup plus que la seule reven­di­ca­tion de droits.

44. La concep­tion des droits et des devoirs dans le déve­lop­pe­ment est mise à l’épreuve de manière dra­ma­tique par les pro­blé­ma­tiques liées à la crois­sance démo­gra­phique. Il s’agit d’une limite très impor­tante pour le vrai déve­lop­pe­ment, parce qu’elle concerne les valeurs pri­mor­diales de la vie et de la famille [110]. Considérer l’augmentation de la popu­la­tion comme la cause pre­mière du sous-​développement est incor­rect, même du point de vue éco­no­mique : il suf­fit de pen­ser d’une part à l’importante dimi­nu­tion de la mor­ta­li­té infan­tile et à l’allongement moyen de la vie qu’on enre­gistre dans les pays éco­no­mi­que­ment déve­lop­pés, et d’autre part, aux signes de crises qu’on relève dans les socié­tés où l’on enre­gistre une baisse pré­oc­cu­pante de la nata­li­té. Il demeure évi­dem­ment néces­saire de prê­ter l’attention due à une pro­créa­tion res­pon­sable qui consti­tue, entre autres, une contri­bu­tion effi­cace au déve­lop­pe­ment humain inté­gral. L’Église, qui a à cœur le véri­table déve­lop­pe­ment de l’homme, lui recom­mande de res­pec­ter dans tout son agir la réa­li­té humaine authen­tique. Cette dimen­sion doit être recon­nue, en par­ti­cu­lier, en ce qui concerne la sexua­li­té : on ne peut la réduire à un pur fait hédo­niste et ludique, de même que l’éducation sexuelle ne peut être réduite à une ins­truc­tion tech­nique, dans l’unique but de défendre les inté­res­sés d’éventuelles conta­mi­na­tions ou du « risque » de pro­créa­tion. Cela équi­vau­drait à appau­vrir et à igno­rer le sens pro­fond de la sexua­li­té, qui doit au contraire être recon­nue et assu­mée avec res­pon­sa­bi­li­té, tant par l’individu que par la com­mu­nau­té. En effet, la res­pon­sa­bi­li­té inter­dit aus­si bien de consi­dé­rer la sexua­li­té comme une simple source de plai­sir, que de la régu­ler par des poli­tiques de pla­ni­fi­ca­tion for­cée des nais­sances. Dans ces deux cas, on est en pré­sence de concep­tions et de poli­tiques maté­ria­listes, où les per­sonnes finissent par subir dif­fé­rentes formes de vio­lence. À tout cela, on doit oppo­ser, en ce domaine, la com­pé­tence pri­mor­diale des familles [111] par rap­port à celle l’État et à ses poli­tiques contrai­gnantes, ain­si qu’une édu­ca­tion appro­priée des parents.

L’ouverture mora­le­ment res­pon­sable à la vie est une richesse sociale et éco­no­mique. De grandes nations ont pu sor­tir de la misère grâce au grand nombre de leurs habi­tants et à leurs poten­tia­li­tés. En revanches, des nations, un temps pros­pères, connaissent à pré­sent une phase d’incertitude et, dans cer­tains cas, de déclin à cause de la déna­ta­li­té qui est un pro­blème cru­cial pour les socié­tés de bien-​être avan­cé. La dimi­nu­tion des nais­sances, par­fois au-​dessous du fameux « seuil de renou­vel­le­ment », met aus­si en dif­fi­cul­té les sys­tèmes d’assistance sociale, elle en aug­mente les coûts, réduit le volume de l’épargne et, donc, les res­sources finan­cières néces­saires aux inves­tis­se­ments, elle réduit la dis­po­ni­bi­li­té d’une main‑d’œuvre qua­li­fiée, elle res­treint la réserve des « cer­veaux » utiles pour les besoins de la nation. De plus, dans les familles de petite, et même de toute petite dimen­sion, les rela­tions sociales courent le risque d’être appau­vries, et les formes de soli­da­ri­té tra­di­tion­nelle de ne plus être garan­ties. Ce sont des situa­tions symp­to­ma­tiques d’une faible confiance en l’avenir ain­si que d’une las­si­tude morale. Continuer à pro­po­ser aux nou­velles géné­ra­tions la beau­té de la famille et du mariage, la cor­res­pon­dance de ces ins­ti­tu­tions aux exi­gences les plus pro­fondes du cœur et de la digni­té de la per­sonne devient ain­si une néces­si­té sociale, et même éco­no­mique. Dans cette pers­pec­tive, les États sont appe­lés à mettre en œuvre des poli­tiques qui pro­meuvent le carac­tère cen­tral et l’intégrité de la famille, fon­dée sur le mariage entre un homme et une femme, cel­lule pre­mière et vitale de la socié­té [112]. pre­nant en compte ses pro­blèmes éco­no­miques et fis­caux, dans le res­pect de sa nature relationnelle.

45. Répondre aux exi­gences morales les plus pro­fondes de la per­sonne a aus­si des retom­bées impor­tantes et béné­fiques sur le plan éco­no­mique. En effet, pour fonc­tion­ner cor­rec­te­ment, l’économie a besoin de l’éthique ; non pas d’une éthique quel­conque, mais d’une éthique amie de la per­sonne. Aujourd’hui, on parle beau­coup d’éthique dans le domaine éco­no­mique, finan­cier ou indus­triel. Des Centres d’études et des par­cours de for­ma­tion de busi­ness ethics sont créés. Dans le monde déve­lop­pé, le sys­tème des cer­ti­fi­ca­tions éthiques se répand à la suite du mou­ve­ment d’idées né autour de la res­pon­sa­bi­li­té sociale de l’entreprise. Les banques pro­posent des comptes et des fonds d’investissement appe­lés « éthiques ». Une « finance éthique » se déve­loppe sur­tout à tra­vers le micro­cré­dit et, plus géné­ra­le­ment, la micro­fi­nance. Ces pro­ces­sus sont appré­ciables et méritent un large sou­tien. Leurs effets posi­tifs se font sen­tir même dans les régions les moins déve­lop­pées de la terre. Toutefois, il est bon d’élaborer aus­si un cri­tère valable de dis­cer­ne­ment, car on note un cer­tain abus de l’adjectif « éthique » qui, employé de manière géné­rique, se prête à dési­gner des conte­nus très divers, au point de faire pas­ser sous son cou­vert des déci­sions et des choix contraires à la jus­tice et au véri­table bien de l’homme.

En fait, cela dépend en grande par­tie du sys­tème moral auquel on se réfère. Sur ce thème, la doc­trine sociale de l’Église a une contri­bu­tion spé­ci­fique à appor­ter, qui se fonde sur la créa­tion de l’homme « à l’image de Dieu » (Gn 1, 27), prin­cipe d’où découle la digni­té invio­lable de la per­sonne humaine, de même que la valeur trans­cen­dante des normes morales natu­relles. Une éthique éco­no­mique qui mécon­naî­trait ces deux piliers, ris­que­rait inévi­ta­ble­ment de perdre sa signi­fi­ca­tion propre et de se prê­ter à des mani­pu­la­tions. Plus pré­ci­sé­ment, elle ris­que­rait de s’adapter aux sys­tèmes éco­no­miques et finan­ciers exis­tant, au lieu de cor­ri­ger leurs dys­fonc­tion­ne­ments. Elle fini­rait éga­le­ment, entre autres, par jus­ti­fier le finan­ce­ment de pro­jets non éthiques. En outre, il ne faut pas uti­li­ser le mot « éthique » de façon idéo­lo­gi­que­ment dis­cri­mi­na­toire, lais­sant entendre que les ini­tia­tives qui ne seraient pas for­mel­le­ment parées de cette qua­li­fi­ca­tion, ne seraient pas éthiques. Il faut œuvrer – et cette obser­va­tion est ici essen­tielle ! – non seule­ment pour que naissent des sec­teurs ou des lignes « éthiques » dans l’économie ou dans la finance, mais pour que toute l’économie et toute la finance soient éthiques et le soient non à cause d’un éti­que­tage exté­rieur, mais à cause du res­pect d’exigences intrin­sèques à leur nature même. La doc­trine sociale de l’Église aborde ce sujet avec clar­té quand elle rap­pelle que l’économie, en ses dif­fé­rentes rami­fi­ca­tions, est un sec­teur de l’activité humaine [113].

46. Considérant les thé­ma­tiques rela­tives au rap­port entre entre­prise et éthique, ain­si que l’évolution que le sys­tème de pro­duc­tion connaît actuel­le­ment, il semble que la dis­tinc­tion faite jusqu’ici entre entre­prises à but lucra­tif (pro­fit) et orga­ni­sa­tions à but non lucra­tif (non pro­fit) ne soit plus en mesure de rendre plei­ne­ment compte de la réa­li­té, ni d’orienter effi­ca­ce­ment l’avenir. Au cours de ces der­nières décen­nies, une ample sphère inter­mé­diaire entre ces deux types d’entreprises a sur­gi. Elle est consti­tuée d’entreprises tra­di­tion­nelles, – qui cepen­dant sous­crivent des pactes d’aide aux pays sous-​développés –, de fon­da­tions qui sont l’expression d’entreprises indi­vi­duelles, de groupes d’entreprises ayant des buts d’utilité sociale, du monde varié des acteurs de l’économie dite « civile et de com­mu­nion ». Il ne s’agit pas seule­ment d’un « troi­sième sec­teur », mais d’une nou­velle réa­li­té vaste et com­plexe, qui touche le pri­vé et le public et qui n’exclut pas le pro­fit mais le consi­dère comme un ins­tru­ment pour réa­li­ser des objec­tifs humains et sociaux. Le fait que ces entre­prises dis­tri­buent ou non leurs béné­fices ou bien qu’elles prennent l’une ou l’autre des formes pré­vues par les normes juri­diques devient secon­daire par rap­port à leur orien­ta­tion à conce­voir le pro­fit comme un moyen pour par­ve­nir à des objec­tifs d’humanisation du mar­ché et de la socié­té. Il est sou­hai­table que ces nou­veaux types d’entreprise trouvent éga­le­ment dans tous les pays un cadre juri­dique et fis­cal conve­nable. Sans rien ôter à l’importance et à l’utilité éco­no­mique et sociale des formes tra­di­tion­nelles d’entreprise, elles font évo­luer le sys­tème vers une plus claire et com­plète accep­ta­tion de leurs devoirs, de la part des agents éco­no­miques. Bien plus, la plu­ra­li­té même des formes ins­ti­tu­tion­nelles de l’entreprise crée un mar­ché plus civique et en même temps plus com­pé­ti­tif.

47. Le ren­for­ce­ment des diverses typo­lo­gies d’entreprises et, en par­ti­cu­lier, de celles capables de conce­voir le pro­fit comme un ins­tru­ment pour par­ve­nir à des objec­tifs d’humanisation du mar­ché et des socié­tés, doit être pour­sui­vi aus­si dans les pays qui sont exclus ou mis en marge des cir­cuits de l’économie mon­diale, et où il est très impor­tant d’avancer par le biais de pro­jets, fon­dés sur une sub­si­dia­ri­té conçue et admi­nis­trée de façon adap­tée, qui tendent à affer­mir les droits tout en pré­voyant tou­jours une prise de res­pon­sa­bi­li­tés cor­res­pon­dantes. Dans les inter­ven­tions en faveur du déve­lop­pe­ment, le prin­cipe de la cen­tra­li­té de la per­sonne humaine doit être pré­ser­vé car elle est le sujet qui, le pre­mier, doit prendre en charge la tâche du déve­lop­pe­ment. L’urgence prin­ci­pale est l’amélioration des condi­tions de vie des per­sonnes concrètes d’une région don­née, afin qu’elles puissent accom­plir ces tâches qu’actuellement leur indi­gence ne leur per­met pas de rem­plir. La sol­li­ci­tude ne peut jamais être une atti­tude abs­traite. Les pro­grammes de déve­lop­pe­ment, pour pou­voir être adap­tés aux situa­tions par­ti­cu­lières, doivent être carac­té­ri­sés par la flexi­bi­li­té. Et les per­sonnes qui en béné­fi­cient devraient être direc­te­ment asso­ciées à leur pré­pa­ra­tion et deve­nir pro­ta­go­nistes de leur réa­li­sa­tion. Il est aus­si néces­saire d’appliquer les cri­tères de la pro­gres­sion et de l’accompagnement – y com­pris pour le contrôle des résul­tats –, car il n’existe pas de recettes uni­ver­sel­le­ment valables. Cela dépend lar­ge­ment de la ges­tion concrète des inter­ven­tions. « Ouvriers de leur propre déve­lop­pe­ment, les peuples en sont les pre­miers res­pon­sables. Mais ils ne le réa­li­se­ront pas dans l’isolement » [114]. Aujourd’hui, avec la conso­li­da­tion du pro­ces­sus d’intégration pro­gres­sive de la pla­nète, cette exhor­ta­tion de Paul VI est encore plus actuelle. Les dyna­miques d’inclusion n’ont rien de méca­nique. Les solu­tions doivent être adap­tées à la vie des peuples et des per­sonnes concrètes, sur la base d’une éva­lua­tion pré­voyante de chaque situa­tion. À côté des macro­pro­jets, les micro­pro­jets sont néces­saires et, plus encore, la mobi­li­sa­tion effec­tive de tous les acteurs de la socié­té civile, des per­sonnes juri­diques comme des per­sonnes physiques.

La coopé­ra­tion inter­na­tio­nale a besoin de per­sonnes qui aient en com­mun le sou­ci du pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment éco­no­mique et humain, par la soli­da­ri­té de la pré­sence, de l’accompagnement, de la for­ma­tion et du res­pect. De ce point de vue, les Organismes inter­na­tio­naux eux-​mêmes devraient s’interroger sur l’efficacité réelle de leurs struc­tures bureau­cra­tiques et admi­nis­tra­tives, sou­vent trop coû­teuses. Il arrive par­fois que celui à qui sont des­ti­nées des aides devienne utile à celui qui l’aide et que les pauvres servent de pré­texte pour faire sub­sis­ter des orga­ni­sa­tions bureau­cra­tiques coû­teuses qui réservent à leur propre sub­sis­tance des pour­cen­tages trop éle­vés des res­sources qui devraient au contraire être des­ti­nées au déve­lop­pe­ment. Dans cette pers­pec­tive, il serait sou­hai­table que tous les orga­nismes inter­na­tio­naux et les Organisations non gou­ver­ne­men­tales s’engagent à œuvrer dans la pleine trans­pa­rence, infor­mant leurs dona­teurs et l’opinion publique du pour­cen­tage des fonds reçus des­ti­né aux pro­grammes de coopé­ra­tion, du véri­table conte­nu de ces pro­grammes, et enfin de la répar­ti­tion des dépenses de l’institution elle-même.

48. Le thème du déve­lop­pe­ment est aus­si aujourd’hui for­te­ment lié aux devoirs qu’engendre le rap­port de l’homme avec l’environnement natu­rel. Celui-​ci a été don­né à tous par Dieu et son usage repré­sente pour nous une res­pon­sa­bi­li­té à l’égard des pauvres, des géné­ra­tions à venir et de l’humanité tout entière. Si la nature, et en pre­mier lieu l’être humain, sont consi­dé­rés comme le fruit du hasard ou du déter­mi­nisme de l’évolution, la conscience de la res­pon­sa­bi­li­té s’atténue dans les esprits. Dans la nature, le croyant recon­naît le mer­veilleux résul­tat de l’intervention créa­trice de Dieu, dont l’homme peut user pour satis­faire ses besoins légi­times – maté­riels et imma­té­riels – dans le res­pect des équi­libres propres à la réa­li­té créée. Si cette vision se perd, l’homme finit soit par consi­dé­rer la nature comme une réa­li­té intou­chable, soit, au contraire, par en abu­ser. Ces deux atti­tudes ne sont pas conformes à la vision chré­tienne de la nature, fruit de la créa­tion de Dieu.

La nature est l’expression d’un des­sein d’amour et de véri­té. Elle nous pré­cède et Dieu nous l’a don­née comme milieu de vie. Elle nous parle du Créateur (cf. Rm 1, 20) et de son amour pour l’humanité. Elle est des­ti­née à être « réca­pi­tu­lée » dans le Christ à la fin des temps (cf. Ep 1, 9–10 ; Col 1, 19–20). Elle a donc elle aus­si une « voca­tion » [115]. La nature est à notre dis­po­si­tion non pas comme « un tas de choses répan­dues au hasard » [116], mais au contraire comme un don du Créateur qui en a indi­qué les lois intrin­sèques afin que l’homme en tire les orien­ta­tions néces­saires pour « la gar­der et la culti­ver » (Gn 2, 15). Toutefois, il faut sou­li­gner que consi­dé­rer la nature comme plus impor­tante que la per­sonne humaine elle-​même est contraire au véri­table déve­lop­pe­ment. Cette posi­tion conduit à des atti­tudes néo-​païennes ou liées à un nou­veau pan­théisme : le salut de l’homme ne peut pas déri­ver de la nature seule, com­prise au sens pure­ment natu­ra­liste. Par ailleurs, la posi­tion inverse, qui vise à sa tech­ni­ci­sa­tion com­plète, est éga­le­ment à reje­ter car le milieu natu­rel n’est pas seule­ment un maté­riau dont nous pou­vons dis­po­ser à notre guise, mais c’est l’œuvre admi­rable du Créateur, por­tant en soi une « gram­maire » qui indique une fina­li­té et des cri­tères pour qu’il soit uti­li­sé avec sagesse et non pas exploi­té de manière arbi­traire. Aujourd’hui, de nom­breux obs­tacles au déve­lop­pe­ment pro­viennent pré­ci­sé­ment de ces concep­tions erro­nées. Réduire com­plè­te­ment la nature à un ensemble de don­nées de fait finit par être source de vio­lence dans les rap­ports avec l’environnement et fina­le­ment par moti­ver des actions irres­pec­tueuses envers la nature même de l’homme. Étant consti­tuée non seule­ment de matière mais aus­si d’esprit et, en tant que telle, étant riche de signi­fi­ca­tions et de buts trans­cen­dants à atteindre, celle-​ci revêt un carac­tère nor­ma­tif pour la culture. L’homme inter­prète et façonne le milieu natu­rel par la culture qui, à son tour, est orien­tée par la liber­té res­pon­sable, sou­cieuse des prin­cipes de la loi morale. Les pro­jets en vue d’un déve­lop­pe­ment humain inté­gral ne peuvent donc igno­rer les géné­ra­tions à venir, mais ils doivent se fon­der sur la soli­da­ri­té et sur la jus­tice inter­gé­né­ra­tion­nelles, en tenant compte de mul­tiples aspects : éco­lo­gique, juri­dique, éco­no­mique, poli­tique, cultu­rel [117].

49.Aujourd’hui, les ques­tions liées à la pro­tec­tion et à la sau­ve­garde de l’environnement doivent prendre en juste consi­dé­ra­tion les pro­blé­ma­tiques éner­gé­tiques. L’accaparement des res­sources éner­gé­tiques non renou­ve­lables par cer­tains États, groupes de pou­voir ou entre­prises, consti­tue, en effet, un grave obs­tacle au déve­lop­pe­ment des pays pauvres. Ceux-​ci n’ont pas les res­sources éco­no­miques néces­saires pour accé­der aux sources éner­gé­tiques non renou­ve­lables exis­tantes ni pour finan­cer la recherche de nou­velles sources sub­sti­tu­tives. L’accaparement des res­sources natu­relles qui, dans de nom­breux cas, se trouvent pré­ci­sé­ment dans les pays pauvres, engendre l’exploitation et de fré­quents conflits entre nations ou à l’intérieur de celles-​ci. Ces conflits se déroulent sou­vent sur le ter­ri­toire même de ces pays, entraî­nant de lourdes consé­quences : morts, des­truc­tions et autres dom­mages. La com­mu­nau­té inter­na­tio­nale a le devoir impé­ra­tif de trou­ver les voies ins­ti­tu­tion­nelles pour régle­men­ter l’exploitation des res­sources non renou­ve­lables, en accord avec les pays pauvres, afin de pla­ni­fier ensemble l’avenir.

Sur ce front aus­si, appa­raît l’urgente néces­si­té morale d’une soli­da­ri­té renou­ve­lée, spé­cia­le­ment dans les rela­tions entre les pays en voie de déve­lop­pe­ment et les pays hau­te­ment indus­tria­li­sés [118]. Les socié­tés tech­no­lo­gi­que­ment avan­cées peuvent et doivent dimi­nuer leur propre consom­ma­tion éner­gé­tique parce que d’une part, leurs acti­vi­tés manu­fac­tu­rières évo­luent et parce que d’autre part, leurs citoyens sont plus sen­sibles au pro­blème éco­lo­gique. Ajoutons à cela qu’il est pos­sible d’améliorer aujourd’hui la pro­duc­ti­vi­té éner­gé­tique et qu’il est pos­sible, en même temps, de faire pro­gres­ser la recherche d’énergies sub­sti­tu­tives. Toutefois, une redis­tri­bu­tion pla­né­taire des res­sources éner­gé­tiques est éga­le­ment néces­saire afin que les pays qui n’en ont pas puissent y accé­der. Leur des­tin ne peut être aban­don­né aux mains du pre­mier venu ou à la logique du plus fort. Ce sont des pro­blèmes impor­tants qui, pour être affron­tés de façon effi­cace, demandent de la part de tous une prise de conscience res­pon­sable des consé­quences qui retom­be­ront sur les nou­velles géné­ra­tions, sur­tout sur les très nom­breux jeunes pré­sents au sein des peuples pauvres et qui « demandent leur part active dans la construc­tion d’un monde meilleur » [119].

50. Cette res­pon­sa­bi­li­té est glo­bale, parce qu’elle ne concerne pas seule­ment l’énergie, mais toute la créa­tion, que nous ne devons pas trans­mettre aux nou­velles géné­ra­tions appau­vrie de ses res­sources. Il est juste que l’homme puisse exer­cer une maî­trise res­pon­sable sur la nature pour la pro­té­ger, la mettre en valeur et la culti­ver selon des formes nou­velles et avec des tech­no­lo­gies avan­cées, afin que la terre puisse accueillir digne­ment et nour­rir la popu­la­tion qui l’habite. Il y a de la place pour tous sur la terre : la famille humaine tout entière doit y trou­ver les res­sources néces­saires pour vivre cor­rec­te­ment grâce à la nature elle-​même, don de Dieu à ses enfants, et par l’effort de son tra­vail et de sa créa­ti­vi­té. Nous devons cepen­dant avoir conscience du grave devoir que nous avons de lais­ser la terre aux nou­velles géné­ra­tions dans un état tel qu’elles puissent elles aus­si l’habiter décem­ment et conti­nuer à la culti­ver. Cela implique de s’engager à prendre ensemble des déci­sions, « après avoir exa­mi­né de façon res­pon­sable la route à suivre, en vue de ren­for­cer l’alliance entre l’être humain et l’environnement, qui doit être le reflet de l’amour créa­teur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons » [120]. Il est sou­hai­table que la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale et chaque gou­ver­ne­ment sachent contre­car­rer effi­ca­ce­ment les moda­li­tés d’exploitation de l’environnement qui s’avèrent néfastes. Il est par ailleurs impé­ra­tif que les auto­ri­tés com­pé­tentes entre­prennent tous les efforts néces­saires afin que les coûts éco­no­miques et sociaux déri­vant de l’usage des res­sources natu­relles com­munes soient éta­blis de façon trans­pa­rente et soient entiè­re­ment sup­por­tés par ceux qui en jouissent et non par les autres popu­la­tions ou par les géné­ra­tions futures : la pro­tec­tion de l’environnement, des res­sources et du cli­mat demande que tous les res­pon­sables inter­na­tio­naux agissent ensemble et démontrent leur réso­lu­tion à tra­vailler hon­nê­te­ment, dans le res­pect de la loi et de la soli­da­ri­té à l’égard des régions les plus faibles de la pla­nète [121]. L’une des plus impor­tantes tâches de l’économie est pré­ci­sé­ment l’utilisation la plus effi­cace des res­sources, et non leur abus, sans jamais oublier que la notion d’efficacité n’est pas axio­lo­gi­que­ment neutre.

51. La façon dont l’homme traite l’environnement influence les moda­li­tés avec les­quelles il se traite lui-​même et réci­pro­que­ment. C’est pour­quoi la socié­té actuelle doit réel­le­ment recon­si­dé­rer son style de vie qui, en de nom­breuses régions du monde, est por­té à l’hédonisme et au consu­mé­risme, demeu­rant indif­fé­rente aux dom­mages qui en découlent [122]. Un véri­table chan­ge­ment de men­ta­li­té est néces­saire qui nous amène à adop­ter de nou­veaux styles de vie « dans les­quels les élé­ments qui déter­minent les choix de consom­ma­tion, d’épargne et d’investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ain­si que la com­mu­nion avec les autres hommes pour une crois­sance com­mune » [123]. Toute atteinte à la soli­da­ri­té et à l’amitié civique pro­voque des dom­mages à l’environnement, de même que la dété­rio­ra­tion de l’environnement, à son tour, pro­voque l’insatisfaction dans les rela­tions sociales. À notre époque en par­ti­cu­lier, la nature est tel­le­ment inté­grée dans les dyna­miques sociales et cultu­relles qu’elle ne consti­tue presque plus une don­née indé­pen­dante. La déser­ti­fi­ca­tion et la baisse de la pro­duc­ti­vi­té de cer­taines régions agri­coles sont aus­si le fruit de l’appauvrissement et du retard des popu­la­tions qui y habitent. En sti­mu­lant le déve­lop­pe­ment éco­no­mique et cultu­rel de ces popu­la­tions, on pro­tège aus­si la nature. En outre, com­bien de res­sources natu­relles sont dévas­tées par les guerres ! La paix des peuples et entre les peuples per­met­trait aus­si une meilleure sau­ve­garde de la nature. L’accaparement des res­sources, spé­cia­le­ment de l’eau, peut pro­vo­quer de graves conflits par­mi les popu­la­tions concer­nées. Un accord paci­fique sur l’utilisation des res­sources peut pré­ser­ver la nature et, en même temps, le bien-​être des socié­tés intéressées.

L’Église a une res­pon­sa­bi­li­té envers la créa­tion et doit la faire valoir publi­que­ment aus­si. Ce fai­sant, elle doit pré­ser­ver non seule­ment la terre, l’eau et l’air comme dons de la créa­tion appar­te­nant à tous, elle doit sur­tout pro­té­ger l’homme de sa propre des­truc­tion. Une sorte d’écologie de l’homme, com­prise de manière juste, est néces­saire. La dégra­da­tion de l’environnement est en effet étroi­te­ment liée à la culture qui façonne la com­mu­nau­té humaine : quand l’« éco­lo­gie humaine »[124] est res­pec­tée dans la socié­té, l’écologie pro­pre­ment dite en tire aus­si avan­tage. De même que les ver­tus humaines sont connexes, si bien que l’affaiblissement de l’une met en dan­ger les autres, ain­si le sys­tème éco­lo­gique s’appuie sur le res­pect d’un pro­jet qui concerne aus­si bien la saine coexis­tence dans la socié­té que le bon rap­port avec la nature.

Pour pré­ser­ver la nature, il n’est pas suf­fi­sant d’intervenir au moyen d’incitations ou de mesures éco­no­miques dis­sua­sives, une édu­ca­tion appro­priée n’y suf­fit pas non plus. Ce sont là des outils impor­tants, mais le point déter­mi­nant est la tenue morale de la socié­té dans son ensemble. Si le droit à la vie et à la mort natu­relle n’est pas res­pec­té, si la concep­tion, la ges­ta­tion et la nais­sance de l’homme sont ren­dues arti­fi­cielles, si des embryons humains sont sacri­fiés pour la recherche, la conscience com­mune finit par perdre le concept d’écologie humaine et, avec lui, celui d’écologie envi­ron­ne­men­tale. Exiger des nou­velles géné­ra­tions le res­pect du milieu natu­rel devient une contra­dic­tion, quand l’éducation et les lois ne les aident pas à se res­pec­ter elles-​mêmes. Le livre de la nature est unique et indi­vi­sible, qu’il s’agisse de l’environnement comme de la vie, de la sexua­li­té, du mariage, de la famille, des rela­tions sociales, en un mot du déve­lop­pe­ment humain inté­gral. Les devoirs que nous avons vis-​à-​vis de l’environnement sont liés aux devoirs que nous avons envers la per­sonne consi­dé­rée en elle-​même et dans sa rela­tion avec les autres. On ne peut exi­ger les uns et pié­ti­ner les autres. C’est là une grave anti­no­mie de la men­ta­li­té et de la praxis actuelle qui avi­lit la per­sonne, bou­le­verse l’environnement et dété­riore la société.

52​.La véri­té et l’amour que celle-​ci fait entre­voir ne peuvent être fabri­qués. Ils peuvent seule­ment être accueillis. Leur source ultime n’est pas, ni ne peut être, l’homme, mais Dieu, c’est-à-dire Celui qui est Vérité et Amour. Ce prin­cipe est très impor­tant pour la socié­té et pour le déve­lop­pe­ment, car ni l’une ni l’autre ne peuvent être pro­duits seule­ment par l’homme. La voca­tion elle-​même des per­sonnes et des peuples au déve­lop­pe­ment ne se fonde pas sur une simple déci­sion humaine, mais elle est ins­crite dans un des­sein qui nous pré­cède et qui consti­tue pour cha­cun de nous un devoir à accueillir libre­ment. Ce qui nous pré­cède et qui nous consti­tue – l’Amour et la Vérité sub­sis­tants – nous indique ce qu’est le bien et en quoi consiste notre bon­heur. Il nous montre donc la route qui conduit au véri­table déve­lop­pe­ment.

Ch. V. La collaboration de la famille humaine

53. Une des pau­vre­tés les plus pro­fondes que l’homme puisse expé­ri­men­ter est la soli­tude. Tout bien consi­dé­ré, les autres formes de pau­vre­té, y com­pris les pau­vre­tés maté­rielles, naissent de l’isolement, du fait de ne pas être aimé ou de la dif­fi­cul­té d’aimer. Les pau­vre­tés sont sou­vent la consé­quence du refus de l’amour de Dieu, d’une fer­me­ture ori­gi­nelle tra­gique de l’homme en lui-​même, qui pense se suf­fire à lui-​même, ou bien consi­dère qu’il n’est qu’un simple fait insi­gni­fiant et éphé­mère, un « étran­ger » dans un uni­vers qui s’est consti­tué par hasard. L’homme est alié­né quand il est seul ou quand il se détache de la réa­li­té, quand il renonce à pen­ser et à croire en un Fondement [125]. L’humanité tout entière est alié­née quand elle met sa confiance en des pro­jets pure­ment humains, en des idéo­lo­gies et en de fausses uto­pies [126]. De nos jours, l’humanité appa­raît beau­coup plus inter­ac­tive qu’autrefois : cette plus grande proxi­mi­té doit se trans­for­mer en une com­mu­nion véri­table. Le déve­lop­pe­ment des peuples dépend sur­tout de la recon­nais­sance du fait que nous for­mons une seule famille qui col­la­bore dans une com­mu­nion véri­table et qui est consti­tuée de sujets qui ne vivent pas sim­ple­ment les uns à côté des autres [127].

Paul VI remar­quait que « le monde est en malaise faute de pen­sée » [128]. Cette affir­ma­tion ren­ferme une consta­ta­tion, mais sur­tout un sou­hait : il faut qu’il y ait un renou­veau de la pen­sée pour mieux com­prendre ce qu’implique le fait que nous for­mons une famille ; les échanges entre les peuples de la pla­nète exigent un tel renou­veau, afin que l’intégration puisse se réa­li­ser sous le signe de la soli­da­ri­té [129] plu­tôt que de la mar­gi­na­li­sa­tion. Une telle pen­sée nous oblige à appro­fon­dir de manière cri­tique et sur le plan des valeurs la caté­go­rie de la rela­tion. Un tel effort ne peut être mené par les seules sciences sociales, car il requiert l’apport de savoirs tels que la méta­phy­sique et la théo­lo­gie, pour com­prendre de façon éclai­rée la digni­té trans­cen­dante de l’homme.

La créa­ture humaine, qui est de nature spi­ri­tuelle, se réa­lise dans les rela­tions inter­per­son­nelles. Plus elle les vit de manière authen­tique, plus son iden­ti­té per­son­nelle mûrit éga­le­ment. Ce n’est pas en s’isolant que l’homme se valo­rise lui-​même, mais en se met­tant en rela­tion avec les autres et avec Dieu. L’importance de ces rela­tions devient alors fon­da­men­tale. Cela vaut aus­si pour les peuples. Pour leur déve­lop­pe­ment, une vision méta­phy­sique de la rela­tion entre les per­sonnes est donc très utile. A cet égard, la rai­son trouve une ins­pi­ra­tion et une orien­ta­tion dans la révé­la­tion chré­tienne, selon laquelle la com­mu­nau­té des hommes n’absorbe pas en soi la per­sonne, anéan­tis­sant son auto­no­mie, comme cela se pro­duit dans les diverses formes de tota­li­ta­risme, mais elle la valo­rise encore davan­tage car le rap­port entre indi­vi­du et com­mu­nau­té est celui d’un tout vers un autre tout [130]. Tout comme la com­mu­nau­té fami­liale n’abolit pas en elle les per­sonnes qui la com­posent et comme l’Église elle-​même valo­rise plei­ne­ment la ‘créa­ture nou­velle’ (cf. Ga 6, 15 ; 2 Co 5, 17) qui, par le bap­tême, s’insère dans son Corps vivant, de la même manière l’unité de la famille humaine n’abolit pas en elle les per­sonnes, les peuples et les cultures, mais elle les rend plus trans­pa­rents les uns aux autres, plus unis dans leurs légi­times diversités.

54.Le thème du déve­lop­pe­ment coïn­cide avec celui de l’inclusion rela­tion­nelle de toutes les per­sonnes et de tous les peuples dans l’unique com­mu­nau­té de la famille humaine qui se construit dans la soli­da­ri­té sur la base des valeurs fon­da­men­tales de la jus­tice et de la paix. Cette pers­pec­tive est éclai­rée de manière déci­sive par la rela­tion entre les trois Personnes de la Sainte Trinité dans leur unique Substance divine. La Trinité est uni­té abso­lue, car les trois Personnes divines sont rela­tion­na­li­té pure. La trans­pa­rence réci­proque entre les Personnes divines est com­plète et le lien entre l’une et l’autre est total, parce qu’elles consti­tuent une uni­té et uni­ci­té abso­lue. Dieu veut nous asso­cier nous aus­si à cette réa­li­té de com­mu­nion : « pour qu’ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17, 22). L’Église est signe et ins­tru­ment de cette uni­té [131]. Les rela­tions entre les hommes tout au long de l’histoire ne peuvent que tirer avan­tage de cette réfé­rence au divin Modèle. À la lumière de la révé­la­tion du mys­tère de la Trinité, on com­prend en par­ti­cu­lier que l’ouverture authen­tique n’implique pas une dis­per­sion cen­tri­fuge, mais une com­pé­né­tra­tion pro­fonde. C’est ce qui appa­raît aus­si à tra­vers les expé­riences humaines com­munes de l’amour et de la véri­té. De même que l’amour sacra­men­tel entre les époux les unit spi­ri­tuel­le­ment en « une seule chair » (Gn 2, 24 ; Mt 19, 5 ; Ep 5, 31) et de deux qu’ils étaient en fait une uni­té rela­tion­nelle réelle, de manière ana­logue, la véri­té unit les esprits entre eux et les fait pen­ser à l’unisson, en les atti­rant et en les unis­sant en elle.

55. La révé­la­tion chré­tienne de l’unité du genre humain pré­sup­pose une inter­pré­ta­tion méta­phy­sique de l’ huma­num où la rela­tion est un élé­ment essen­tiel. D’autres cultures et d’autres reli­gions enseignent elles aus­si la fra­ter­ni­té et la paix, et pré­sentent donc une grande impor­tance pour le déve­lop­pe­ment humain inté­gral. Il n’est pas rare cepen­dant que des atti­tudes reli­gieuses ou cultu­relles ne prennent pas plei­ne­ment en compte le prin­cipe de l’amour et de la véri­té ; elles consti­tuent alors un frein au véri­table déve­lop­pe­ment humain et même un empê­che­ment. Le monde d’aujourd’hui est péné­tré par cer­taines cultures, dont le fond est reli­gieux, qui n’engagent pas l’homme à la com­mu­nion, mais l’isolent dans la recherche du bien-​être indi­vi­duel, se limi­tant à satis­faire ses attentes psy­cho­lo­giques. Une cer­taine pro­li­fé­ra­tion d’itinéraires reli­gieux sui­vis par de petits groupes ou même par des per­sonnes indi­vi­duelles, ain­si que le syn­cré­tisme reli­gieux peuvent être des fac­teurs de dis­per­sion et de désen­ga­ge­ment. La ten­dance à favo­ri­ser un tel syn­cré­tisme est un effet néga­tif pos­sible du pro­ces­sus de mon­dia­li­sa­tion [132], lorsqu’il ali­mente des formes de « reli­gion » qui rendent les per­sonnes étran­gères les unes aux autres au lieu de favo­ri­ser leur ren­contre et qui les éloignent de la réa­li­té. Dans le même temps, sub­sistent par­fois des héri­tages cultu­rels et reli­gieux qui figent la socié­té en castes sociales immuables, dans des croyances magiques qui ne res­pectent pas la digni­té de la per­sonne, dans des atti­tudes de sujé­tion à des forces occultes. Dans de tels contextes, l’amour et la véri­té peuvent dif­fi­ci­le­ment s’affirmer, non sans pré­ju­dice pour le déve­lop­pe­ment authentique.

C’est pour­quoi, s’il est vrai, d’une part, que le déve­lop­pe­ment a besoin des reli­gions et des cultures des dif­fé­rents peuples, il n’en reste pas moins vrai, d’autre part, qu’opérer un dis­cer­ne­ment appro­prié est néces­saire. La liber­té reli­gieuse ne veut pas dire indif­fé­rence reli­gieuse et elle n’implique pas que toutes les reli­gions soient équi­va­lentes [133]. Un dis­cer­ne­ment concer­nant la contri­bu­tion que peuvent appor­ter les cultures et les reli­gions en vue d’édifier la com­mu­nau­té sociale dans le res­pect du bien com­mun s’avère néces­saire, en par­ti­cu­lier de la part de ceux qui exercent le pou­voir poli­tique. Un tel dis­cer­ne­ment devra se fon­der sur le cri­tère de la cha­ri­té et de la véri­té. Et puisque est en jeu le déve­lop­pe­ment des per­sonnes et des peuples, il devra tenir compte de la pos­si­bi­li­té d’émancipation et d’intégration dans la pers­pec­tive d’une com­mu­nau­té humaine vrai­ment uni­ver­selle. « Tout l’homme et tous les hommes », c’est un cri­tère qui per­met d’évaluer aus­si les cultures et les reli­gions. Le Christianisme, reli­gion du « Dieu qui pos­sède un visage humain » [134] porte en lui un tel critère.

56. La reli­gion chré­tienne et les autres reli­gions ne peuvent appor­ter leur contri­bu­tion au déve­lop­pe­ment que si Dieu a aus­si sa place dans la sphère publique, et cela concerne les dimen­sions cultu­relle, sociale, éco­no­mique et par­ti­cu­liè­re­ment poli­tique. La doc­trine sociale de l’Église est née pour reven­di­quer ce « droit de cité »[135] de la reli­gion chré­tienne. La néga­tion du droit de pro­fes­ser publi­que­ment sa reli­gion et d’œuvrer pour que les véri­tés de la foi ins­pirent aus­si la vie publique a des consé­quences néga­tives sur le déve­lop­pe­ment véri­table. L’exclusion de la reli­gion du domaine public, comme, par ailleurs, le fon­da­men­ta­lisme reli­gieux, empêchent la ren­contre entre les per­sonnes et leur col­la­bo­ra­tion en vue du pro­grès de l’humanité. La vie publique s’appauvrit et la poli­tique devient oppri­mante et agres­sive. Les droits humains risquent de ne pas être res­pec­tés soit parce qu’ils sont pri­vés de leur fon­de­ment trans­cen­dant soit parce que la liber­té per­son­nelle n’est pas recon­nue. Dans le laï­cisme et dans le fon­da­men­ta­lisme, la pos­si­bi­li­té d’un dia­logue fécond et d’une col­la­bo­ra­tion effi­cace entre la rai­son et la foi reli­gieuse s’évanouit. La rai­son a tou­jours besoin d’être puri­fiée par la foi, et ceci vaut éga­le­ment pour la rai­son poli­tique, qui ne doit pas se croire toute puis­sante. A son tour, la reli­gion a tou­jours besoin d’être puri­fiée par la rai­son afin qu’apparaisse son visage humain authen­tique. La rup­ture de ce dia­logue a un prix très lourd au regard du déve­lop­pe­ment de l’humanité.

57. Le dia­logue fécond entre foi et rai­son ne peut que rendre plus effi­cace l’œuvre de la cha­ri­té dans le champ social et consti­tue le cadre le plus appro­prié pour encou­ra­ger la col­la­bo­ra­tion fra­ter­nelle entre croyants et non-​croyants dans leur com­mune inten­tion de tra­vailler pour la jus­tice et pour la paix de l’humanité. Dans la Constitution pas­to­rale Gaudium et Spes, les Pères du Concile affir­maient : « Croyants et incroyants sont géné­ra­le­ment d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordon­né à l’homme comme à son centre et à son som­met » [136]. Pour les croyants, le monde n’est le fruit ni du hasard ni de la néces­si­té, mais celui d’un pro­jet de Dieu. De là naît pour les croyants le devoir d’unir leurs efforts à ceux de tous les hommes et toutes les femmes de bonne volon­té appar­te­nant à d’autres reli­gions ou non croyants, afin que notre monde soit effec­ti­ve­ment conforme au pro­jet divin : celui de vivre comme une famille sous le regard du Créateur. Le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té [137], expres­sion de l’inaliénable liber­té humaine, est, à cet égard, une mani­fes­ta­tion par­ti­cu­lière de la cha­ri­té et un guide éclai­rant pour la col­la­bo­ra­tion fra­ter­nelle entre croyants et non croyants. La sub­si­dia­ri­té est avant tout une aide à la per­sonne, à tra­vers l’autonomie des corps inter­mé­diaires. Cette aide est pro­po­sée lorsque la per­sonne et les acteurs sociaux ne réus­sissent pas à faire par eux-​mêmes ce qui leur incombe et elle implique tou­jours que l’on ait une visée éman­ci­pa­trice qui favo­rise la liber­té et la par­ti­ci­pa­tion en tant que res­pon­sa­bi­li­sa­tion. La sub­si­dia­ri­té res­pecte la digni­té de la per­sonne en qui elle voit un sujet tou­jours capable de don­ner quelque chose aux autres. En recon­nais­sant que la réci­pro­ci­té fonde la consti­tu­tion intime de l’être humain, la sub­si­dia­ri­té est l’antidote le plus effi­cace contre toute forme d’assistance pater­na­liste. Elle peut rendre compte aus­si bien des mul­tiples arti­cu­la­tions entre les divers plans et donc de la plu­ra­li­té des acteurs, que de leur coor­di­na­tion. Il s’agit donc d’un prin­cipe par­ti­cu­liè­re­ment apte à gou­ver­ner la mon­dia­li­sa­tion et à l’orienter vers un véri­table déve­lop­pe­ment humain. Pour ne pas engen­drer un dan­ge­reux pou­voir uni­ver­sel de type mono­cra­tique, la « gou­ver­nance » de la mon­dia­li­sa­tion doit être de nature sub­si­diaire, arti­cu­lée à de mul­tiples niveaux et sur divers plans qui col­la­borent entre eux. La mon­dia­li­sa­tion réclame cer­tai­ne­ment une auto­ri­té, puisque est en jeu le pro­blème du bien com­mun qu’il faut pour­suivre ensemble ; cepen­dant cette auto­ri­té devra être exer­cée de manière sub­si­diaire et poly­ar­chique [138] pour, d’une part, ne pas por­ter atteinte à la liber­té et, d’autre part, être concrè­te­ment efficace.

58.Le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té doit être étroi­te­ment relié au prin­cipe de soli­da­ri­té et vice-​versa, car si la sub­si­dia­ri­té sans la soli­da­ri­té tombe dans le par­ti­cu­la­risme, il est éga­le­ment vrai que la soli­da­ri­té sans la sub­si­dia­ri­té tombe dans l’assistanat qui humi­lie celui qui est dans le besoin. Cette règle de carac­tère géné­ral doit être prise sérieu­se­ment en consi­dé­ra­tion notam­ment quand il s’agit d’affronter des ques­tions rela­tives aux aides inter­na­tio­nales pour le déve­lop­pe­ment. Malgré l’intention des dona­teurs, celles-​ci peuvent par­fois main­te­nir un peuple dans un état de dépen­dance et même aller jusqu’à favo­ri­ser des situa­tions de domi­na­tion locale et d’exploitation dans le pays qui reçoit cette aide. Les aides éco­no­miques, pour être vrai­ment telles, ne doivent pas pour­suivre des buts secon­daires. Elles doivent être accor­dées en col­la­bo­ra­tion non seule­ment avec les gou­ver­ne­ments des pays inté­res­sés, mais aus­si avec les acteurs éco­no­miques locaux et les acteurs de la socié­té civile qui sont por­teurs de culture, y com­pris les Églises locales. Les pro­grammes d’aide doivent prendre de plus en plus les carac­té­ris­tiques de pro­grammes inté­grés sou­te­nus par la base. Rappelons que la plus grande res­source à mettre en valeur dans les pays qui ont besoin d’aide au déve­lop­pe­ment, est la res­source humaine : c’est là le véri­table capi­tal qu’il faut faire gran­dir afin d’assurer aux pays les plus pauvres un ave­nir auto­nome effec­tif. Il convient aus­si de rap­pe­ler que, dans le domaine éco­no­mique, l’aide pri­mor­diale dont les pays en voie de déve­lop­pe­ment ont besoin est de per­mettre et de favo­ri­ser l’introduction pro­gres­sive de leurs pro­duits sur les mar­chés inter­na­tio­naux, ren­dant ain­si pos­sible leur pleine par­ti­ci­pa­tion à la vie éco­no­mique inter­na­tio­nale. Trop sou­vent, par le pas­sé, les aides n’ont ser­vi qu’à créer des mar­chés mar­gi­naux pour les pro­duits de ces pays. Cela est sou­vent dû à l’absence d’une véri­table demande pour ces pro­duits : il est donc néces­saire d’aider ces pays à amé­lio­rer leurs pro­duits et à mieux les adap­ter à la demande. Il faut sou­li­gner encore que nom­breux sont ceux qui ont long­temps craint la concur­rence des impor­ta­tions de pro­duits, en géné­ral agri­coles, pro­ve­nant des pays éco­no­mi­que­ment pauvres. Il ne faut cepen­dant pas oublier que pour ces pays, la pos­si­bi­li­té de com­mer­cia­li­ser ces pro­duits signi­fie sou­vent assu­rer leur sur­vie à court et à long terme. Un com­merce inter­na­tio­nal juste et équi­li­bré dans le domaine agri­cole peut être pro­fi­table à tous, aus­si bien du côté de l’offre que de celui de la demande. C’est pour­quoi, il est néces­saire, non seule­ment, d’orienter ces pro­duc­tions sur le plan com­mer­cial, mais aus­si d’établir des règles com­mer­ciales inter­na­tio­nales qui les sou­tiennent, tout en ren­for­çant le finan­ce­ment des aides au déve­lop­pe­ment pour rendre ces éco­no­mies plus productives.

59. La coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment ne doit pas prendre en consi­dé­ra­tion la seule dimen­sion éco­no­mique ; elle doit deve­nir une grande occa­sion de ren­contre cultu­relle et humaine. Si les acteurs de la coopé­ra­tion des pays éco­no­mi­que­ment déve­lop­pés ne prennent pas en compte leur propre iden­ti­té cultu­relle, comme cela arrive par­fois, ni celle des autres et des valeurs humaines qui y sont liées, ils ne peuvent pas ins­tau­rer un dia­logue pro­fond avec les citoyens des pays pauvres. Si, à leur tour, ces der­niers s’ouvrent, indif­fé­rem­ment et sans dis­cer­ne­ment, à n’importe quelle pro­po­si­tion cultu­relle, ils ne sont plus en mesure d’assumer la res­pon­sa­bi­li­té de leur déve­lop­pe­ment authen­tique [139]. Les socié­tés tech­no­lo­gi­que­ment avan­cées ne doivent pas confondre leur propre déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique avec une pré­ten­due supé­rio­ri­té cultu­relle, mais elles doivent redé­cou­vrir en elles-​mêmes les ver­tus, par­fois oubliées, qui les ont fait pro­gres­ser tout au long de leur his­toire. Les socié­tés en voie de déve­lop­pe­ment doivent res­ter fidèles à tout ce qui est authen­ti­que­ment humain dans leurs tra­di­tions, en évi­tant d’y super­po­ser auto­ma­ti­que­ment les méca­nismes de la civi­li­sa­tion tech­no­lo­gique mon­diale. De mul­tiples et sin­gu­lières conver­gences éthiques se trouvent dans toutes les cultures ; elles sont l’expression de la même nature humaine, vou­lue par le Créateur et que la sagesse éthique de l’humanité appelle la loi natu­relle [140]. Cette loi morale uni­ver­selle est le fon­de­ment solide de tout dia­logue cultu­rel, reli­gieux et poli­tique et elle per­met au plu­ra­lisme mul­ti­forme des diverses cultures de ne pas se déta­cher de la recherche com­mune du vrai, du bien et de Dieu. L’adhésion à cette loi ins­crite dans les cœurs, est donc le pré­sup­po­sé de toute col­la­bo­ra­tion sociale construc­tive. Toutes les cultures ont des pesan­teurs dont elles doivent se libé­rer, des ombres aux­quelles elles doivent se sous­traire. La foi chré­tienne, qui s’incarne dans les cultures en les trans­cen­dant, peut les aider à gran­dir dans la convi­via­li­té et dans la soli­da­ri­té uni­ver­selles au béné­fice du déve­lop­pe­ment com­mu­nau­taire et planétaire.

60. Dans la recherche de solu­tions à la crise éco­no­mique actuelle, l’aide au déve­lop­pe­ment des pays pauvres doit être consi­dé­rée comme un véri­table ins­tru­ment de créa­tion de richesse pour tous. Quel pro­jet d’aide peut pré­voir une crois­sance de valeur aus­si signi­fi­ca­tive – y com­pris de l’économie mon­diale – comme peut le faire le sou­tien aux popu­la­tions qui se trouvent encore à une phase ini­tiale ou peu avan­cée de leur pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment éco­no­mique ? Dans cette pers­pec­tive, les États éco­no­mi­que­ment plus déve­lop­pés feront tout leur pos­sible pour des­ti­ner aux aides au déve­lop­pe­ment un pour­cen­tage plus impor­tant de leur pro­duit inté­rieur brut, en res­pec­tant les enga­ge­ments pris dans ce domaine au niveau de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale. Ils pour­ront le faire aus­si en révi­sant leurs poli­tiques inté­rieures d’assistance et de soli­da­ri­té sociale, y appli­quant le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té et créant des sys­tèmes de pro­tec­tion sociale mieux inté­grés, qui favo­risent une par­ti­ci­pa­tion active des per­sonnes pri­vées et de la socié­té civile. De cette manière, il est même pos­sible d’améliorer les ser­vices sociaux et les orga­nismes d’assistance et, en même temps, d’épargner des res­sources en éli­mi­nant le gas­pillage et les indem­ni­tés abu­sives, qui pour­raient être des­ti­nées à la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale. Un sys­tème de soli­da­ri­té sociale plus lar­ge­ment par­ti­ci­pa­tif et mieux orga­ni­sé, moins bureau­cra­tique sans être pour autant moins coor­don­né, per­met­trait de valo­ri­ser de nom­breuses éner­gies, actuel­le­ment en som­meil, et tour­ne­rait à l’avantage de la soli­da­ri­té entre les peuples.

Une pos­si­bi­li­té d’aide au déve­lop­pe­ment pour­rait rési­der dans l’application effi­cace de ce qu’on appelle com­mu­né­ment la sub­si­dia­ri­té fis­cale, qui per­met­trait aux citoyens de déci­der de la des­ti­na­tion d’une part de leurs impôts ver­sés à l’État. En ayant soin d’éviter toute dégé­né­ra­tion dans le par­ti­cu­la­risme, cela peut aider à encou­ra­ger des formes de soli­da­ri­té sociale à par­tir des citoyens eux-​mêmes, avec des béné­fices évi­dents sur le plan de la soli­da­ri­té pour le développement.

61. Une soli­da­ri­té plus large au niveau inter­na­tio­nal s’exprime avant tout en conti­nuant à pro­mou­voir, même dans des situa­tions de crise éco­no­mique, un meilleur accès à l’éducation, qui est, par ailleurs, la condi­tion essen­tielle pour que la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale elle-​même soit effi­cace. Le terme « édu­ca­tion » ne ren­voie pas seule­ment à l’instruction ou à la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle, toutes deux essen­tielles pour le déve­lop­pe­ment, mais à la for­ma­tion com­plète de la per­sonne. A ce pro­pos, il convient de sou­li­gner un aspect pro­blé­ma­tique : pour édu­quer il faut savoir qui est la per­sonne humaine, en connaître la nature. Une vision rela­ti­viste de cette nature qui tend à s’affirmer de plus en plus pose de sérieux pro­blèmes pour l’éducation, et en par­ti­cu­lier pour l’éducation morale, car elle en com­pro­met l’extension au niveau uni­ver­sel. Si l’on cède à un tel rela­ti­visme, tous deviennent plus pauvres et cela n’est pas sans consé­quences néga­tives sur l’efficacité même des aides en faveur des popu­la­tions dému­nies, qui n’ont pas que des néces­si­tés éco­no­miques ou tech­niques mais qui ont aus­si besoin de voies et de moyens péda­go­giques qui puissent sou­te­nir les per­sonnes en vue de leur plein épa­nouis­se­ment humain.

Un exemple de l’importance de ce pro­blème nous est offert par le phé­no­mène du tou­risme inter­na­tio­nal [141] qui peut consti­tuer un fac­teur notable de déve­lop­pe­ment éco­no­mique et de crois­sance cultu­relle, mais qui peut aus­si se trans­for­mer en occa­sion d’exploitation et de déchéance morale. La situa­tion actuelle offre des oppor­tu­ni­tés uniques pour que les aspects éco­no­miques du déve­lop­pe­ment, c’est-à-dire les mou­ve­ments de fonds et la créa­tion au niveau local d’entreprises d’importance signi­fi­ca­tive, arrivent à être asso­ciés aux aspects cultu­rels, au nombre des­quels l’aspect édu­ca­tif figure en pre­mier lieu. Cela se réa­lise en de nom­breux cas, mais en bien d’autres le tou­risme inter­na­tio­nal est un fac­teur contre-​éducatif aus­si bien pour le tou­riste que pour les popu­la­tions locales. Ces der­nières sont sou­vent confron­tées à des com­por­te­ments immo­raux ou même per­vers, comme c’est le cas du tou­risme dit sexuel, pour lequel tant d’êtres humains sont sacri­fiés, même à un jeune âge. Il est dou­lou­reux de consta­ter que cela se pro­duit sou­vent avec l’aval des gou­ver­ne­ments locaux, avec le silence de ceux d’où pro­viennent les tou­ristes et avec la com­pli­ci­té de nom­breux opé­ra­teurs de ce sec­teur. Même si l’on n’atteint pas tou­jours de tels excès, le tou­risme inter­na­tio­nal est vécu, bien sou­vent, dans un esprit de consom­ma­tion et de manière hédo­niste ; il est vu comme une éva­sion, avec des modes d’organisation spé­ci­fiques aux pays de pro­ve­nance, de sorte qu’il ne favo­rise en rien une ren­contre véri­table entre per­sonnes et cultures. Il convient alors d’imaginer un tou­risme dif­fé­rent, capable de pro­mou­voir une vraie connais­sance réci­proque, sans enle­ver les espaces néces­saires au repos et à un sain diver­tis­se­ment : un tou­risme de ce type doit être déve­lop­pé, en favo­ri­sant des liens plus étroits entre les expé­riences de coopé­ra­tion inter­na­tio­nale et celles d’entreprises pour le développement.

62. Le phé­no­mène des migra­tions est un autre aspect qui mérite atten­tion quand on parle de déve­lop­pe­ment humain inté­gral. C’est un phé­no­mène qui impres­sionne en rai­son du nombre de per­sonnes qu’il concerne, des pro­blé­ma­tiques sociale, éco­no­mique, poli­tique, cultu­relle et reli­gieuse qu’il sou­lève, et à cause des défis dra­ma­tiques qu’il lance aux com­mu­nau­tés natio­nales et à la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale. Nous pou­vons dire que nous nous trou­vons face à un phé­no­mène social carac­té­ris­tique de notre époque, qui requiert une poli­tique de coopé­ra­tion inter­na­tio­nale forte et pers­pi­cace sur le long terme afin d’être pris en compte de manière adé­quate. Une telle poli­tique doit être déve­lop­pée en par­tant d’une étroite col­la­bo­ra­tion entre les pays d’origine des migrants et les pays où ils se rendent ; elle doit s’accompagner de normes inter­na­tio­nales adé­quates, capables d’harmoniser les divers ordres légis­la­tifs, dans le but de sau­ve­gar­der les exi­gences et les droits des per­sonnes et des familles émi­grées et, en même temps, ceux des socié­tés où arrivent ces mêmes émi­grés. Aucun pays ne peut pen­ser être en mesure de faire face seul aux pro­blèmes migra­toires de notre temps. Nous sommes tous témoins du poids de souf­frances, de malaise et d’aspirations qui accom­pagne les flux migra­toires. La ges­tion de ce phé­no­mène est com­plexe, nous le savons tous ; il s’avère tou­te­fois que les tra­vailleurs étran­gers, mal­gré les dif­fi­cul­tés liées à leur inté­gra­tion, apportent par leur tra­vail, une contri­bu­tion appré­ciable au déve­lop­pe­ment éco­no­mique du pays qui les accueille, mais aus­si à leur pays d’origine par leurs envois d’argent. Il est évident que ces tra­vailleurs ne doivent pas être consi­dé­rés comme une mar­chan­dise ou sim­ple­ment comme une force de tra­vail. Ils ne doivent donc pas être trai­tés comme n’importe quel autre fac­teur de pro­duc­tion. Tout migrant est une per­sonne humaine qui, en tant que telle, pos­sède des droits fon­da­men­taux inalié­nables qui doivent être res­pec­tés par tous et en toute cir­cons­tance [142].

63. En consi­dé­rant les pro­blèmes du déve­lop­pe­ment, on ne peut omettre de sou­li­gner le lien étroit exis­tant entre pau­vre­té et chô­mage. Dans de nom­breux cas, la pau­vre­té est le résul­tat de la vio­la­tion de la digni­té du tra­vail humain, soit parce que les pos­si­bi­li­tés de tra­vail sont limi­tées (chô­mage ou sous-​emploi), soit parce qu’on més­es­time « les droits qui en pro­viennent, spé­cia­le­ment le droit au juste salaire, à la sécu­ri­té de la per­sonne du tra­vailleur et de sa famille » [143]. C’est pour­quoi, le 1er mai 2000, mon Prédécesseur de véné­rée mémoire, Jean-​Paul II, lan­çait un appel à l’occasion du Jubilé des Travailleurs pour « une coa­li­tion mon­diale en faveur du tra­vail digne » [144], en encou­ra­geant la stra­té­gie de l’Organisation Internationale du Travail. De cette manière, il don­nait une forte réponse morale à cet objec­tif auquel aspirent les familles dans tous les pays du monde. Que veut dire le mot « digne » lorsqu’il est appli­qué au tra­vail ? Il signi­fie un tra­vail qui, dans chaque socié­té, soit l’expression de la digni­té essen­tielle de tout homme et de toute femme : un tra­vail choi­si libre­ment, qui asso­cie effi­ca­ce­ment les tra­vailleurs, hommes et femmes, au déve­lop­pe­ment de leur com­mu­nau­té ; un tra­vail qui, de cette manière, per­mette aux tra­vailleurs d’être res­pec­tés sans aucune dis­cri­mi­na­tion ; un tra­vail qui donne les moyens de pour­voir aux néces­si­tés de la famille et de sco­la­ri­ser les enfants, sans que ceux-​ci ne soient eux-​mêmes obli­gés de tra­vailler ; un tra­vail qui per­mette aux tra­vailleurs de s’organiser libre­ment et de faire entendre leur voix ; un tra­vail qui laisse un temps suf­fi­sant pour retrou­ver ses propres racines au niveau per­son­nel, fami­lial et spi­ri­tuel ; un tra­vail qui assure aux tra­vailleurs par­ve­nus à l’âge de la retraite des condi­tions de vie dignes.

64.En réflé­chis­sant sur le thème du tra­vail, il est oppor­tun d’évoquer l’exigence urgente que les orga­ni­sa­tions syn­di­cales des tra­vailleurs, qui ont tou­jours été encou­ra­gées et sou­te­nues par l’Église, s’ouvrent aux nou­velles pers­pec­tives qui émergent dans le domaine du tra­vail. Dépassant les limites propres des syn­di­cats caté­go­riels, les orga­ni­sa­tions syn­di­cales sont appe­lées à affron­ter les nou­veaux pro­blèmes de nos socié­tés : je pense, par exemple, à l’ensemble des ques­tions que les spé­cia­listes en sciences sociales repèrent dans les conflits entre individu-​travailleur et individu-​consommateur. Sans néces­sai­re­ment épou­ser la thèse selon laquelle on est pas­sé de la posi­tion cen­trale du tra­vailleur à celle du consom­ma­teur, il semble tou­te­fois que cela soit un ter­rain favo­rable à des expé­riences syn­di­cales nova­trices. Le contexte d’ensemble dans lequel se déroule le tra­vail requiert lui aus­si que les orga­ni­sa­tions syn­di­cales natio­nales, qui se limitent sur­tout à la défense des inté­rêts de leurs propres adhé­rents, se tournent vers ceux qui ne le sont pas et, en par­ti­cu­lier, vers les tra­vailleurs des pays en voie de déve­lop­pe­ment où les droits sociaux sont sou­vent vio­lés. La défense de ces tra­vailleurs, pro­mue aus­si à tra­vers des ini­tia­tives oppor­tunes envers les pays d’origine, per­met­tra aux orga­ni­sa­tions syn­di­cales de mettre en évi­dence les authen­tiques rai­sons éthiques et cultu­relles qui leur ont per­mis, dans des contextes sociaux et de tra­vail dif­fé­rents, d’être un fac­teur déci­sif du déve­lop­pe­ment. L’enseignement tra­di­tion­nel de l’Église reste tou­jours valable lorsqu’il pro­pose la dis­tinc­tion des rôles et des fonc­tions du syn­di­cat et de la poli­tique. Cette dis­tinc­tion per­met­tra aux orga­ni­sa­tions syn­di­cales de déter­mi­ner dans la socié­té civile le domaine qui sera le plus appro­prié à leur action néces­saire pour la défense et la pro­mo­tion du monde du tra­vail, sur­tout en faveur des tra­vailleurs exploi­tés et non repré­sen­tés, dont l’amère condi­tion demeure sou­vent igno­rée par les yeux dis­traits de la société.

65​.Il faut enfin que la finance en tant que telle, avec ses struc­tures et ses moda­li­tés de fonc­tion­ne­ment néces­sai­re­ment renou­ve­lées après le mau­vais usage qui en a été fait et qui a eu des consé­quences néfastes sur l’économie réelle, rede­vienne un ins­tru­ment visant à une meilleure pro­duc­tion de richesses et au déve­lop­pe­ment. Toute l’économie et toute la finance, et pas seule­ment quelques-​uns de leurs sec­teurs, doivent, en tant qu’instruments, être uti­li­sés de manière éthique afin de créer les condi­tions favo­rables pour le déve­lop­pe­ment de l’homme et des peuples. Il est cer­tai­ne­ment utile, et en cer­taines cir­cons­tances indis­pen­sable, de don­ner vie à des ini­tia­tives finan­cières où la dimen­sion huma­ni­taire soit domi­nante. Mais cela ne doit pas faire oublier que le sys­tème finan­cier tout entier doit être orien­té vers le sou­tien d’un déve­lop­pe­ment véri­table. Il faut sur­tout que l’objectif de faire le bien ne soit pas oppo­sé à celui de la capa­ci­té effec­tive à pro­duire des biens. Les opé­ra­teurs finan­ciers doivent redé­cou­vrir le fon­de­ment véri­ta­ble­ment éthique de leur acti­vi­té afin de ne pas faire un usage abu­sif de ces ins­tru­ments sophis­ti­qués qui peuvent ser­vir à trom­per les épar­gnants. L’intention droite, la trans­pa­rence et la recherche de bons résul­tats sont com­pa­tibles et ne doivent jamais être sépa­rés. Si l’amour est intel­li­gent, il sait trou­ver même les moyens de faire des opé­ra­tions qui per­mettent une juste et pré­voyante rétri­bu­tion, comme le montrent, de manière signi­fi­ca­tive, de nom­breuses expé­riences dans le domaine du cré­dit coopératif.

Une régle­men­ta­tion de ce sec­teur qui vise à pro­té­ger les sujets les plus faibles et à empê­cher des spé­cu­la­tions scan­da­leuses, tout comme l’expérimentation de formes nou­velles de finance des­ti­nées à favo­ri­ser des pro­jets de déve­lop­pe­ment sont des expé­riences posi­tives qu’il faut appro­fon­dir et encou­ra­ger, en fai­sant appel à la res­pon­sa­bi­li­té même de l’épargnant. L’expé­rience de la micro­fi­nance elle aus­si, qui s’enracine dans la réflexion et dans l’action de citoyens huma­nistes – je pense sur­tout à la créa­tion des Monts de Piété –, doit être ren­for­cée et actua­li­sée, sur­tout en ces temps où les pro­blèmes finan­ciers peuvent deve­nir dra­ma­tiques pour les couches les plus vul­né­rables de la popu­la­tion qu’il faut pro­té­ger contre les risques du prêt usu­raire ou du déses­poir. Il faut que les sujets les plus faibles apprennent à se défendre des pra­tiques usu­raires, tout comme il faut que les peuples pauvres apprennent à tirer pro­fit du micro­cré­dit, décou­ra­geant de cette manière les formes d’exploitation pos­sibles en ces deux domaines. Puisqu’il existe éga­le­ment de nou­velles formes de pau­vre­té dans les pays riches, la micro­fi­nance peut appor­ter des aides concrètes pour la créa­tion d’initiatives et de sec­teurs nou­veaux en faveur des franges les plus fra­giles de la socié­té, même en une période d’appauvrissement pos­sible de l’ensemble de la société.

66. L’interconnexion mon­diale a fait sur­gir un nou­veau pou­voir poli­tique, celui des consom­ma­teurs et de leurs asso­cia­tions. C’est un phé­no­mène sur lequel il faut appro­fon­dir la réflexion : il com­porte des élé­ments posi­tifs qu’il convient d’encourager et aus­si des excès à évi­ter. Il est bon que les per­sonnes se rendent compte qu’acheter est non seule­ment un acte éco­no­mique mais tou­jours aus­si un acte moral. Le consom­ma­teur a donc une res­pon­sa­bi­li­té sociale pré­cise qui va de pair avec la res­pon­sa­bi­li­té sociale de l’entreprise. Les consom­ma­teurs doivent être édu­qués en per­ma­nence [145] sur le rôle qu’ils jouent chaque jour et qu’ils peuvent exer­cer dans le res­pect des prin­cipes moraux, sans dimi­nuer la ratio­na­li­té éco­no­mique intrin­sèque de l’acte d’acheter. Dans ce domaine des achats aus­si, sur­tout en des moments comme ceux que nous vivons, où le pou­voir d’achat risque de s’affaiblir et où il fau­dra consom­mer de manière plus sobre, il est oppor­tun d’ouvrir d’autres voies, comme par exemple des formes de coopé­ra­tion à l’achat, telles que les coopé­ra­tives de consom­ma­tion, créées à par­tir du XIXe siècle grâce notam­ment à l’initiative des catho­liques. Il est en outre utile de favo­ri­ser de nou­velles formes de com­mer­cia­li­sa­tion des pro­duits en pro­ve­nance des régions pauvres de la pla­nète afin d’assurer aux pro­duc­teurs une rétri­bu­tion décente, à condi­tion tou­te­fois que le mar­ché soit vrai­ment trans­pa­rent, que les pro­duc­teurs ne reçoivent pas seule­ment des marges béné­fi­ciaires supé­rieures mais aus­si une meilleure for­ma­tion, une com­pé­tence pro­fes­sion­nelle et tech­no­lo­gique et qu’enfin des idéo­lo­gies par­ti­sanes ne soient pas asso­ciées à de telles expé­riences d’économie pour le déve­lop­pe­ment. Il est sou­hai­table que, comme fac­teur de démo­cra­tie éco­no­mique, les consom­ma­teurs aient un rôle plus déci­sif, à condi­tion qu’ils ne soient pas eux-​mêmes mani­pu­lés par des asso­cia­tions peu représentatives.

67. Face au déve­lop­pe­ment irré­sis­tible de l’interdépendance mon­diale, et alors que nous sommes en pré­sence d’une réces­sion éga­le­ment mon­diale, l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture éco­no­mique et finan­cière inter­na­tio­nale en vue de don­ner une réa­li­té concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho. On res­sent éga­le­ment for­te­ment l’urgence de trou­ver des formes inno­vantes pour concré­ti­ser le prin­cipe de la res­pon­sa­bi­li­té de pro­té­ger [146]et pour accor­der aux nations les plus pauvres une voix opé­rante dans les déci­sions com­munes. Cela est d’autant plus néces­saire pour la recherche d’un ordre poli­tique, juri­dique et éco­no­mique, sus­cep­tible d’accroître et d’orienter la col­la­bo­ra­tion inter­na­tio­nale vers le déve­lop­pe­ment soli­daire de tous les peuples. Pour le gou­ver­ne­ment de l’économie mon­diale, pour assai­nir les éco­no­mies frap­pées par la crise, pour pré­ve­nir son aggra­va­tion et de plus grands dés­équi­libres, pour pro­cé­der à un sou­hai­table désar­me­ment inté­gral, pour arri­ver à la sécu­ri­té ali­men­taire et à la paix, pour assu­rer la pro­tec­tion de l’environnement et pour régu­ler les flux migra­toires, il est urgent que soit mise en place une véri­table Autorité poli­tique mon­diale telle qu’elle a déjà été esquis­sée par mon Prédécesseur, le bien­heu­reux Jean XXIII. Une telle Autorité devra être réglée par le droit, se confor­mer de manière cohé­rente aux prin­cipes de sub­si­dia­ri­té et de soli­da­ri­té, être ordon­née à la réa­li­sa­tion du bien com­mun [147], s’engager pour la pro­mo­tion d’un authen­tique déve­lop­pe­ment humain inté­gral qui s’inspire des valeurs de l’amour et de la véri­té. Cette Autorité devra en outre être recon­nue par tous, jouir d’un pou­voir effec­tif pour assu­rer à cha­cun la sécu­ri­té, le res­pect de la jus­tice et des droits [148]. Elle devra évi­dem­ment pos­sé­der la facul­té de faire res­pec­ter ses déci­sions par les dif­fé­rentes par­ties, ain­si que les mesures coor­don­nées adop­tées par les divers forums inter­na­tio­naux. En l’absence de ces condi­tions, le droit inter­na­tio­nal, mal­gré les grands pro­grès accom­plis dans divers domaines, ris­que­rait en fait d’être condi­tion­né par les équi­libres de pou­voir entre les plus puis­sants. Le déve­lop­pe­ment inté­gral des peuples et la col­la­bo­ra­tion inter­na­tio­nale exigent que soit ins­ti­tué un degré supé­rieur d’organisation à l’échelle inter­na­tio­nale de type sub­si­diaire pour la gou­ver­nance de la mon­dia­li­sa­tion [149] et que soit fina­le­ment mis en place un ordre social conforme à l’ordre moral et au lien entre les sphères morale et sociale, entre le poli­tique et la sphère éco­no­mique et civile que pré­voyait déjà le Statut des Nations Unies.

Ch. VI. Le développement des peuples et la technique

68. Le thème du déve­lop­pe­ment des peuples est inti­me­ment lié à celui du déve­lop­pe­ment de chaque homme. Par nature, la per­sonne humaine est en ten­sion dyna­mique vers son déve­lop­pe­ment. Il ne s’agit pas d’un déve­lop­pe­ment assu­ré par des méca­nismes natu­rels, car cha­cun de nous se sait capable de faire des choix libres et res­pon­sables. Il ne s’agit pas non plus d’un déve­lop­pe­ment livré à notre fan­tai­sie, puisque nous savons tous que nous sommes don­nés à nous-​mêmes, sans être le résul­tat d’un auto-​engendrement. En nous, la liber­té humaine est, dès l’origine, carac­té­ri­sée par notre être et par ses limites. Personne ne modèle arbi­trai­re­ment sa conscience, mais tous construisent leur propre « moi » sur la base d’un « soi » qui nous a été don­né. Non seule­ment nous ne pou­vons pas dis­po­ser des autres, mais nous ne pou­vons pas davan­tage dis­po­ser de nous-​mêmes. Le déve­lop­pe­ment de la per­sonne s’étiole, si elle pré­tend en être l’unique auteur. Analogiquement, le déve­lop­pe­ment des peuples se déna­ture, si l’humanité croit pou­voir se recréer en s’appuyant sur les « pro­diges » de la tech­no­lo­gie. De même, le déve­lop­pe­ment éco­no­mique s’avère fac­tice et nui­sible, s’il s’en remet aux « pro­diges » de la finance pour sou­te­nir une crois­sance arti­fi­cielle liée à une consom­ma­tion exces­sive. Face à cette pré­ten­tion pro­mé­théenne, nous devons mani­fes­ter un amour plus fort pour une liber­té qui ne soit pas arbi­traire, mais vrai­ment huma­ni­sée par la recon­nais­sance du bien qui la pré­cède. Dans ce but, il faut que l’homme rentre en lui-​même pour recon­naître les normes fon­da­men­tales de la loi morale que Dieu a ins­crite dans son cœur.

69.Le pro­blème du déve­lop­pe­ment est aujourd’hui très étroi­te­ment lié au pro­grès tech­no­lo­gique et à ses stu­pé­fiantes appli­ca­tions dans le domaine de la bio­lo­gie. La tech­nique – il est bon de le sou­li­gner – est une réa­li­té pro­fon­dé­ment humaine, liée à l’autonomie et à la liber­té de l’homme. Elle exprime et affirme avec force la maî­trise de l’esprit sur la matière. L’esprit, ren­du ain­si « moins esclave des choses, peut faci­le­ment s’élever jusqu’à l’adoration et à la contem­pla­tion du Créateur » » [150]. La tech­nique per­met de domi­ner la matière, de réduire les risques, d’économiser ses forces et d’améliorer les condi­tions de vie. Elle répond à la voca­tion même du tra­vail humain : par la tech­nique, œuvre de son génie, l’homme recon­naît ce qu’il est et accom­plit son huma­ni­té. La tech­nique est l’aspect objec­tif de l’agir humain[151], dont l’origine et la rai­son d’être résident dans l’élément sub­jec­tif : l’homme qui tra­vaille. C’est pour­quoi la tech­nique n’est jamais pure­ment tech­nique. Elle mani­feste l’homme et ses aspi­ra­tions au déve­lop­pe­ment, elle exprime la ten­dance de l’esprit humain au dépas­se­ment pro­gres­sif de cer­tains condi­tion­ne­ments maté­riels. La tech­nique s’inscrit donc dans la mis­sion de culti­ver et de gar­der la terre (cf. Gn 2, 15) que Dieu a confiée à l’homme, et elle doit tendre à ren­for­cer l’alliance entre l’être humain et l’environnement appe­lé à être le reflet de l’amour créa­teur de Dieu.

70. Le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique peut ame­ner à pen­ser que la tech­nique se suf­fit à elle-​même, quand l’homme, en s’interrogeant uni­que­ment sur le com­ment, omet de consi­dé­rer tous les pour­quoi qui le poussent à agir. C’est pour cela que la tech­nique prend des traits ambi­gus. Née de la créa­ti­vi­té humaine comme ins­tru­ment de la liber­té de la per­sonne, elle peut être com­prise comme un élé­ment de liber­té abso­lue, liber­té qui veut s’affranchir des limites que les choses portent en elles-​mêmes. Le pro­ces­sus de mon­dia­li­sa­tion pour­rait sub­sti­tuer aux idéo­lo­gies la tech­no­lo­gie[152], deve­nue à son tour un pou­voir idéo­lo­gique qui expo­se­rait l’humanité au risque de se trou­ver enfer­mée dans un a prio­ri d’où elle ne pour­rait sor­tir pour ren­con­trer l’être et la véri­té. Dans un tel cas, tous nous connaî­trions, appré­cie­rions et déter­mi­ne­rions toutes les situa­tions de notre vie à l’intérieur d’un hori­zon cultu­rel tech­no­cra­tique auquel nous appar­tien­drions struc­tu­rel­le­ment, sans jamais pou­voir trou­ver un sens qui ne soit pas notre œuvre. Cette vision donne aujourd’hui à la men­ta­li­té tech­ni­ciste tant de force qu’elle fait coïn­ci­der le vrai avec le fai­sable. Mais lorsque les seuls cri­tères de véri­té sont l’efficacité et l’utilité, le déve­lop­pe­ment est auto­ma­ti­que­ment nié. En effet, le vrai déve­lop­pe­ment ne consiste pas d’abord dans le « faire ». La clef du déve­lop­pe­ment, c’est une intel­li­gence capable de pen­ser la tech­nique et de sai­sir le sens plei­ne­ment humain du « faire » de l’homme, sur l’horizon de sens de la per­sonne prise dans la glo­ba­li­té de son être. Même quand l’homme agit à l’aide d’un satel­lite ou d’une impul­sion élec­tro­nique à dis­tance, son action reste tou­jours humaine, expres­sion d’une liber­té res­pon­sable. La tech­nique attire for­te­ment l’homme, parce qu’elle le sous­trait aux limites phy­siques et qu’elle élar­git son hori­zon. Mais la liber­té humaine n’est vrai­ment elle-​même que lorsqu’elle répond à la fas­ci­na­tion de la tech­nique par des déci­sions qui sont le fruit de la res­pon­sa­bi­li­té morale. Il en résulte qu’il est urgent de se for­mer à la res­pon­sa­bi­li­té éthique dans l’usage de la tech­nique. Partant de la fas­ci­na­tion qu’exerce la tech­nique sur l’être humain, on doit retrou­ver le vrai sens de la liber­té, qui ne réside pas dans l’ivresse d’une auto­no­mie totale, mais dans la réponse à l’appel de l’être, en com­men­çant par l’être que nous sommes nous-mêmes.

71. Les phé­no­mènes de la tech­ni­ci­sa­tion aus­si bien du déve­lop­pe­ment que de la paix montrent clai­re­ment que la men­ta­li­té tech­nique a pu être détour­née de sa source huma­niste ori­gi­naire. Le déve­lop­pe­ment des peuples est sou­vent consi­dé­ré comme un pro­blème d’ingénierie finan­cière, d’ouverture des mar­chés, d’abattement de droits de douane, d’investissements pro­duc­tifs et de réformes ins­ti­tu­tion­nelles : en défi­ni­tive comme un pro­blème pure­ment tech­nique. Tous ces domaines sont assu­ré­ment impor­tants, mais on doit se deman­der pour­quoi les choix de nature tech­nique n’ont connu jusqu’ici que des résul­tats impar­faits. La rai­son doit être recher­chée plus en pro­fon­deur. Le déve­lop­pe­ment ne sera jamais com­plè­te­ment garan­ti par des forces, pour ain­si dire auto­ma­tiques et imper­son­nelles, que ce soit celles du mar­ché ou celles de la poli­tique inter­na­tio­nale. Le déve­lop­pe­ment est impos­sible, s’il n’y a pas des hommes droits, des acteurs éco­no­miques et des hommes poli­tiques for­te­ment inter­pel­lés dans leur conscience par le sou­ci du bien com­mun. La com­pé­tence pro­fes­sion­nelle et la cohé­rence morale sont néces­saires l’une et l’autre. Quand l’absolutisation de la tech­nique pré­vaut, il y a confu­sion entre les fins et les moyens : pour l’homme d’affaires, le seul cri­tère d’action sera le pro­fit maxi­mal de la pro­duc­tion ; pour l’homme poli­tique, le ren­for­ce­ment du pou­voir ; pour le scien­ti­fique, le résul­tat de ses décou­vertes. Ainsi, il arrive sou­vent que, dans les réseaux des échanges éco­no­miques, finan­ciers ou poli­tiques, demeurent des incom­pré­hen­sions, des malaises et des injus­tices ; les flux des connais­sances tech­niques se mul­ti­plient, mais au béné­fice de leurs pro­prié­taires, tan­dis que la situa­tion réelle des popu­la­tions qui vivent sous ces flux dont elles ignorent presque tout, demeure inchan­gée et sans pos­si­bi­li­té réelle d’émancipation.

72. La paix, elle aus­si, risque par­fois d’être consi­dé­rée comme un pro­duit tech­nique, fruit des seuls accords entre les gou­ver­ne­ments ou d’initiatives des­ti­nées à pro­cu­rer des aides éco­no­miques effi­caces. Il est vrai que bâtir la paix demande que l’on tisse sans cesse des contacts diplo­ma­tiques, des échanges éco­no­miques et tech­no­lo­giques, des ren­contres cultu­relles, des accords sur des pro­jets com­muns, ain­si que le déploie­ment d’efforts réci­proques pour endi­guer les menaces de guerre et cou­per à la racine la ten­ta­tion récur­rente du ter­ro­risme. Toutefois, pour que ces efforts puissent avoir des effets durables, il est néces­saire qu’ils s’appuient sur des valeurs enra­ci­nées dans la véri­té de la vie. Autrement dit, il faut écou­ter la voix des popu­la­tions concer­nées et exa­mi­ner leur situa­tion pour en inter­pré­ter les attentes avec jus­tesse. On doit, pour ain­si dire, s’inscrire dans la conti­nui­té de l’effort ano­nyme de tant de per­sonnes for­te­ment enga­gées pour pro­mou­voir les ren­contres entre les peuples et favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment à par­tir de l’amour et de la com­pré­hen­sion réci­proques. Parmi ces per­sonnes, se trouvent aus­si des chré­tiens, impli­qués dans la grande tâche de don­ner au déve­lop­pe­ment et à la paix un sens plei­ne­ment humain.

73​.Au déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique est liée la dif­fu­sion crois­sante des moyens de com­mu­ni­ca­tion sociale. Il est désor­mais presque impos­sible d’imaginer que la famille humaine puisse exis­ter sans eux. Pour le bien et pour le mal, ils sont insé­rés à ce point dans la vie du monde, qu’il semble vrai­ment absurde, comme cer­tains le font, de pré­tendre qu’ils seraient neutres, et de reven­di­quer leur auto­no­mie à l’égard de la morale rela­tive aux per­sonnes. De telles pers­pec­tives, qui sou­lignent à l’excès la nature stric­te­ment tech­nique des médias, favo­risent en réa­li­té leur subor­di­na­tion au cal­cul éco­no­mique, dans le but de domi­ner les mar­chés et, ce qui n’est pas le moins, au désir d’imposer des para­mètres cultu­rels de fonc­tion­ne­ment à des fins idéo­lo­giques et poli­tiques. Etant don­né leur impor­tance fon­da­men­tale dans la déter­mi­na­tion des chan­ge­ments dans la manière de per­ce­voir et de connaître la réa­li­té et la per­sonne humaine elle-​même, il devient néces­saire de réflé­chir atten­ti­ve­ment à leur influence, en par­ti­cu­lier sur le plan éthico-​culturel de la mon­dia­li­sa­tion et du déve­lop­pe­ment soli­daire des peuples. Conformément à ce que requiert une ges­tion cor­recte de la mon­dia­li­sa­tion et du déve­lop­pe­ment, le sens et la fina­li­té des médias doivent être recher­chés sur une base anthro­po­lo­gique. Cela signi­fie qu’ils peuvent être une occa­sion d’humanisation non seule­ment quand, grâce au déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique, ils offrent de plus grandes pos­si­bi­li­tés de com­mu­ni­ca­tion et d’information, mais sur­tout quand ils sont struc­tu­rés et orien­tés à la lumière d’une image de la per­sonne et du bien com­mun qui en res­pecte les valeurs uni­ver­selles. Les moyens de com­mu­ni­ca­tion sociale ne favo­risent pas la liber­té de tous et n’universalisent pas le déve­lop­pe­ment et la démo­cra­tie pour tous sim­ple­ment parce qu’ils mul­ti­plient les pos­si­bi­li­tés d’interconnexion et de cir­cu­la­tion des idées. Pour atteindre de tels objec­tifs, il faut qu’ils aient pour objec­tif prin­ci­pal la pro­mo­tion de la digni­té des per­sonnes et des peuples, qu’ils soient expres­sé­ment ani­més par la cha­ri­té et mis au ser­vice de la véri­té, du bien et d’une fra­ter­ni­té natu­relle et sur­na­tu­relle. Dans l’humanité, en effet, la liber­té est intrin­sè­que­ment liée à ces valeurs supé­rieures. Les médias peuvent consti­tuer une aide puis­sante pour faire gran­dir la com­mu­nion de la famille humaine et l’ethos des socié­tés, quand ils deviennent des ins­tru­ments de pro­mo­tion de la par­ti­ci­pa­tion de tous à la recherche com­mune de ce qui est juste.

74. Un domaine pri­mor­dial et cru­cial de l’affrontement cultu­rel entre la tech­nique consi­dé­rée comme un abso­lu et la res­pon­sa­bi­li­té morale de l’homme est aujourd’hui celui de la bioé­thique, où se joue de manière radi­cale la pos­si­bi­li­té même d’un déve­lop­pe­ment humain inté­gral. Il s’agit d’un domaine par­ti­cu­liè­re­ment déli­cat et déci­sif, où émerge avec une force dra­ma­tique la ques­tion fon­da­men­tale de savoir si l’homme s’est pro­duit lui-​même ou s’il dépend de Dieu. Les décou­vertes scien­ti­fiques en ce domaine et les pos­si­bi­li­tés d’intervention tech­nique semblent tel­le­ment avan­cées qu’elles imposent de choi­sir entre deux types de ratio­na­li­té, celle de la rai­son ouverte à la trans­cen­dance et celle d’une rai­son close dans l’immanence tech­no­lo­gique. On se trouve devant un « ou bien, ou bien » (aut aut) déci­sif. Pourtant, la ‘ratio­na­li­té’ de l’agir tech­nique cen­tré sur lui-​même s’avère irra­tion­nelle, parce qu’elle com­porte un refus déci­sif du sens et de la valeur. Ce n’est pas un hasard si la fer­me­ture à la trans­cen­dance se heurte à la dif­fi­cul­té de com­prendre com­ment du néant a pu jaillir l’être et com­ment du hasard est née l’intelligence [153]. Face à ces pro­blèmes dra­ma­tiques, la rai­son et la foi s’aident réci­pro­que­ment. Ce n’est qu’ensemble qu’elles sau­ve­ront l’homme. Attirée par l’agir tech­nique pur, la rai­son sans la foi est des­ti­née à se perdre dans l’illusion de sa toute-​puissance. La foi, sans la rai­son, risque de deve­nir étran­gère à la vie concrète des per­sonnes [154].

75. Paul VI avait déjà recon­nu et mis en évi­dence l’horizon mon­dial de la ques­tion sociale [155]. En le sui­vant sur ce che­min, il faut affir­mer aujourd’hui que la ques­tion sociale est deve­nue radi­ca­le­ment une ques­tion anthro­po­lo­gique, au sens où elle implique la manière même, non seule­ment de conce­voir, mais aus­si de mani­pu­ler la vie, remise tou­jours plus entre les mains de l’homme par les bio­tech­no­lo­gies. La fécon­da­tion in vitro, la recherche sur les embryons, la pos­si­bi­li­té du clo­nage et de l’hybridation humaine appa­raissent et sont pro­mues dans la culture contem­po­raine du désen­chan­te­ment total qui croit avoir dis­si­pé tous les mys­tères, parce qu’on est désor­mais par­ve­nu à la racine de la vie. C’est ici que l’absolutisme de la tech­nique trouve son expres­sion la plus grande. Dans ce genre de culture, la conscience n’est appe­lée à prendre acte que d’une pure pos­si­bi­li­té tech­nique. On ne peut mini­mi­ser alors les scé­na­rios inquié­tants pour l’avenir de l’homme ni la puis­sance des nou­veaux ins­tru­ments dont dis­pose la « culture de mort ». À la plaie tra­gique et pro­fonde de l’avortement, pour­rait s’ajouter à l’avenir, et c’est déjà subrep­ti­ce­ment in nuce (en germe), une pla­ni­fi­ca­tion eugé­nique sys­té­ma­tique des nais­sances. D’un autre côté, on voit une mens euta­na­si­ca (men­ta­li­té favo­rable à l’euthanasie) se frayer un che­min, mani­fes­ta­tion tout aus­si abu­sive d’une volon­té de domi­na­tion sur la vie, qui, dans cer­taines condi­tions, n’est plus consi­dé­rée comme digne d’être vécue. Derrière tout cela se cachent des posi­tions cultu­relles néga­trices de la digni­té humaine. Ces pra­tiques, à leur tour, ren­forcent une concep­tion maté­ria­liste et méca­niste de la vie humaine. Qui pour­ra mesu­rer les effets néga­tifs d’une pareille men­ta­li­té sur le déve­lop­pe­ment ? Comment pourra-​t-​on s’étonner de l’indifférence devant des situa­tions humaines de dégra­da­tion, si l’indifférence carac­té­rise même notre atti­tude à l’égard de la fron­tière entre ce qui est humain et ce qui ne l’est pas ? Ce qui est stu­pé­fiant, c’est la capa­ci­té de sélec­tion­ner arbi­trai­re­ment ce qui, aujourd’hui, est pro­po­sé comme digne de res­pect. Prompts à se scan­da­li­ser pour des ques­tions mar­gi­nales, beau­coup semblent tolé­rer des injus­tices inouïes. Tandis que les pauvres du monde frappent aux portes de l’opulence, le monde riche risque de ne plus entendre les coups frap­pés à sa porte, sa conscience étant désor­mais inca­pable de recon­naître l’humain. Dieu révèle l’homme à l’homme ; la rai­son et la foi col­la­borent pour lui mon­trer le bien, à condi­tion qu’il veuille bien le voir ; la loi natu­relle, dans laquelle res­plen­dit la Raison créa­trice, montre la gran­deur de l’homme, mais aus­si sa misère, quand il mécon­naît l’appel de la véri­té morale.

76. Un des aspects de l’esprit tech­ni­ciste moderne se véri­fie dans la ten­dance à ne consi­dé­rer les pro­blèmes et les mou­ve­ments liés à la vie inté­rieure que d’un point de vue psy­cho­lo­gique, et cela jusqu’au réduc­tion­nisme neu­ro­lo­gique. L’homme est ain­si pri­vé de son inté­rio­ri­té, et l’on assiste à une perte pro­gres­sive de la conscience de la consis­tance onto­lo­gique de l’âme humaine, avec les pro­fon­deurs que les Saints ont suson­der. Le pro­blème du déve­lop­pe­ment est stric­te­ment lié aus­si à notre concep­tion de l’âme humaine, dès lors que notre moi est sou­vent réduit à la psy­ché et que la san­té de l’âme se confond avec le bien-​être émo­tion­nel. Ces réduc­tions se fondent sur une pro­fonde incom­pré­hen­sion de la vie spi­ri­tuelle et elles conduisent à mécon­naître que le déve­lop­pe­ment de l’homme et des peuples dépend en fait aus­si de la réso­lu­tion de pro­blèmes de nature spi­ri­tuelle. Le déve­lop­pe­ment doit com­prendre une crois­sance spi­ri­tuelle, et pas seule­ment maté­rielle, parce que la per­sonne humaine est une « uni­té d’âme et de corps »[156], née de l’amour créa­teur de Dieu et des­ti­née à vivre éter­nel­le­ment. L’être humain se déve­loppe quand il gran­dit dans l’esprit, quand son âme se connaît elle-​même et connaît les véri­tés que Dieu y a impri­mées en germe, quand il dia­logue avec lui-​même et avec son Créateur. Loin de Dieu, l’homme est inquiet et fra­gile. L’aliénation sociale et psy­cho­lo­gique, avec toutes les névroses qui carac­té­risent les socié­tés opu­lentes, s’explique aus­si par des causes d’ordre spi­ri­tuel. Une socié­té du bien-​être, maté­riel­le­ment déve­lop­pée, mais oppres­sive pour l’âme, n’est pas de soi orien­tée vers un déve­lop­pe­ment authen­tique. Les nou­velles formes d’esclavage de la drogue et le déses­poir dans lequel tombent de nom­breuses per­sonnes ont une expli­ca­tion non seule­ment socio­lo­gique et psy­cho­lo­gique, mais essen­tiel­le­ment spi­ri­tuelle. Le vide auquel l’âme se sent livrée, mal­gré de nom­breuses thé­ra­pies pour le corps et pour la psy­ché, pro­duit une souf­france. Il n’y pas de déve­lop­pe­ment plé­nier et de bien com­mun uni­ver­sel sans bien spi­ri­tuel et moral des per­sonnes, consi­dé­rées dans l’intégrité de leur âme et de leur corps.

77. L’absolutisme de la tech­nique tend à pro­vo­quer une inca­pa­ci­té à per­ce­voir ce qui ne s’explique pas par la simple matière. Pourtant, les hommes expé­ri­mentent tous les nom­breux aspects de leur vie qui ne sont pas de l’ordre de la matière, mais de l’esprit. Connaître n’est pas seule­ment un acte phy­sique, car le connu cache tou­jours quelque chose qui va au-​delà du don­né empi­rique. Chacune de nos connais­sances, même la plus simple, est tou­jours un petit pro­dige, parce qu’elle ne s’explique jamais com­plè­te­ment par les ins­tru­ments maté­riels que nous uti­li­sons. En toute véri­té, il y a plus que tout ce à quoi nous nous serions atten­dus ; dans l’amour que nous rece­vons, il y a tou­jours quelque chose qui nous sur­prend. Nous ne devrions jamais ces­ser de nous éton­ner devant ces pro­diges. En chaque connais­sance et en chaque acte d’amour, l’âme de l’homme fait l’expérience d’un « plus » qui s’apparente beau­coup à un don reçu, à une hau­teur à laquelle nous nous sen­tons éle­vés. Le déve­lop­pe­ment de l’homme et des peuples se place lui aus­si à une hau­teur sem­blable, si nous consi­dé­rons la dimen­sion spi­ri­tuelle que doit néces­sai­re­ment com­por­ter ce déve­lop­pe­ment pour qu’il puisse être authen­tique. Il demande des yeux et un cœur nou­veaux, capables de dépas­ser la vision maté­ria­liste des évé­ne­ments humains et d’entrevoir dans le déve­lop­pe­ment un « au-​delà » que la tech­nique ne peut offrir. Sur ce che­min, il sera pos­sible de pour­suivre ce déve­lop­pe­ment humain inté­gral dont le cri­tère d’orientation se trouve dans la force active de la cha­ri­té dans la vérité.

Conclusion

78.Sans Dieu, l’homme ne sait où aller et ne par­vient même pas à com­prendre qui il est. Face aux énormes pro­blèmes du déve­lop­pe­ment des peuples qui nous pous­se­raient presque au décou­ra­ge­ment et au défai­tisme, la parole du Seigneur Jésus Christ vient à notre aide en nous ren­dant conscients de ce fait que : « Sans moi, vous ne pou­vez rien faire » (Jn 15, 5); elle nous encou­rage : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Face à l’ampleur du tra­vail à accom­plir, la pré­sence de Dieu aux côtés de ceux qui s’unissent en son Nom et tra­vaillent pour la jus­tice nous sou­tient. Paul VI nous a rap­pe­lé dans Populorum pro­gres­sio que l’homme n’est pas à même de gérer à lui seul son pro­grès, parce qu’il ne peut fon­der par lui-​même un véri­table huma­nisme. Nous ne serons capables de pro­duire une réflexion nou­velle et de déployer de nou­velles éner­gies au ser­vice d’un véri­table huma­nisme inté­gral que si nous nous recon­nais­sons, en tant que per­sonnes et en tant que com­mu­nau­tés, appe­lés à faire par­tie de la famille de Dieu en tant que fils. La plus grande force qui soit au ser­vice du déve­lop­pe­ment, c’est donc un huma­nisme chré­tien [157], qui ravive la cha­ri­té et se laisse gui­der par la véri­té, en accueillant l’une et l’autre comme des dons per­ma­nents de Dieu. L’ouverture à Dieu entraîne l’ouverture aux frères et à une vie com­prise comme une mis­sion soli­daire et joyeuse. Inversement, la fer­me­ture idéo­lo­gique à l’égard de Dieu et l’athéisme de l’indifférence, qui oublient le Créateur et risquent d’oublier aus­si les valeurs humaines, se pré­sentent aujourd’hui par­mi les plus grands obs­tacles au déve­lop­pe­ment. L’humanisme qui exclut Dieu est un huma­nisme inhu­main. Seul un huma­nisme ouvert à l’Absolu peut nous gui­der dans la pro­mo­tion et la réa­li­sa­tion de formes de vie sociale et civile – dans le cadre des struc­tures, des ins­ti­tu­tions, de la culture et de l’ethos – en nous pré­ser­vant du risque de deve­nir pri­son­niers des modes du moment. C’est la conscience de l’Amour indes­truc­tible de Dieu qui nous sou­tient dans l’engagement, rude et exal­tant, en faveur de la jus­tice, du déve­lop­pe­ment des peuples avec ses suc­cès et ses échecs, dans la pour­suite inces­sante d’un juste ordon­nan­ce­ment des réa­li­tés humaines. L’amour de Dieu nous appelle à sor­tir de ce qui est limi­té et non défi­ni­tif ; il nous donne le cou­rage d’agir et de per­sé­vé­rer dans la recherche du bien de tous, même s’il ne se réa­lise pas immé­dia­te­ment, même si ce que nous-​mêmes, les auto­ri­tés poli­tiques, ain­si que les acteurs éco­no­miques réus­sis­sons à faire est tou­jours infé­rieur à ce à quoi nous aspi­rons [158]. Dieu nous donne la force de lut­ter et de souf­frir par amour du bien com­mun, parce qu’Il est notre Tout, notre plus grande espérance.

79. Le déve­lop­pe­ment a besoin de chré­tiens qui aient les mains ten­dues vers Dieu dans un geste de prière, conscients du fait que l’amour riche de véri­té, cari­tas in veri­tate, d’où pro­cède l’authentique déve­lop­pe­ment, n’est pas pro­duit par nous, mais nous est don­né. C’est pour­quoi, même dans les moments les plus dif­fi­ciles et les situa­tions les plus com­plexes, nous devons non seule­ment réagir en conscience, mais aus­si et sur­tout nous réfé­rer à son amour. Le déve­lop­pe­ment sup­pose une atten­tion à la vie spi­ri­tuelle, une sérieuse consi­dé­ra­tion des expé­riences de confiance en Dieu, de fra­ter­ni­té spi­ri­tuelle dans le Christ, de remise de soi à la Providence et à la Miséricorde divine, d’amour et de par­don, de renon­ce­ment à soi-​même, d’accueil du pro­chain, de jus­tice et de paix. Tout cela est indis­pen­sable pour trans­for­mer les « cœurs de pierre » en « cœurs de chair » (Ez 36, 26), au point de rendre la vie sur terre « divine » et, par consé­quent, plus digne de l’homme. Tout cela vient à la fois de l’homme, parce que l’homme est le sujet de son exis­tence, et de Dieu, parce que Dieu est au prin­cipe et à la fin de tout ce qui a de la valeur et qui libère : « Le monde et la vie et la mort, le pré­sent et l’avenir : tout est à vous ! Mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu » (1 Co 3, 22–23). Le chré­tien désire ardem­ment que toute la famille humaine puisse appe­ler Dieu « Notre Père ! ». Avec le Fils unique, puissent tous les hommes apprendre à prier le Père et à Lui deman­der, avec les mots que Jésus lui-​même nous a ensei­gnés, de savoir Le sanc­ti­fier en vivant selon Sa volon­té, et ensuite d’avoir le pain quo­ti­dien néces­saire, d’être com­pré­hen­sifs et géné­reux à l’égard de leurs débi­teurs, de ne pas être mis à l’épreuve à l’excès et d’être déli­vrés du mal (cf. Mt 6, 9–13) !

Au terme de l’Année Paulinienne, il me plaît d’exprimer ce vœu avec les paroles mêmes de l’Apôtre dans sa Lettre aux Romains : « Que votre amour soit sans hypo­cri­sie. Fuyez le mal avec hor­reur, attachez-​vous au bien. Soyez unis les uns les autres par l’affection fra­ter­nelle, riva­li­sez de res­pect les uns pour les autres » (12, 9–10). Que la Vierge Marie, pro­cla­mée par Paul VI Mère de l’Église et hono­rée par le peuple chré­tien comme Miroir de la jus­tice et Reine de la paix, nous pro­tège et nous obtienne, par son inter­ces­sion céleste, la force, l’espérance et la joie néces­saires pour conti­nuer à nous dévouer géné­reu­se­ment à la réa­li­sa­tion du « déve­lop­pe­ment de tout l’homme et de tous les hommes » [159] !

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 29 juin 2009, fête des saints Apôtres Pierre et Paul, en la cin­quième année de mon pontificat.

BENEDICTUS PP. XVI

Notes de bas de page
  1. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 22 : AAS 59 (1967), 268 ; La Documentation catho­lique (par la suite : DC ) 64 (1967) col. 682 ; cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 69, §1.[]
  2. Paul VI, Allocution de la messe pour la Journée du déve­lop­pe­ment, Bogota, 23 août 1968 : AAS 60 (1968) pp. 626–627 ; DC 65 (1968) col. 1547.[]
  3. Cf. Jean-​Paul II, Message pour la Journée mon­diale de prière pour la Paix 2002 : AAS 94 (2002), 132–140 ; DC 99 (2002) pp. 4–8.[]
  4. Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. Past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 26.[]
  5. Cf. Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in ter­ris (11 avril 1963), nn. 68–70 : AAS 55 (1963), 268–270 ; DC 60 (1963) col. 525–526.[]
  6. Cf. n. 16 : loc. cit., 265 ; DC 64 (1967) col. 680.[]
  7. Cf. ibid., n. 82 : loc. cit., 297 ; DC 64 (1967) col. 701.[]
  8. Ibid., n. 42 : loc. cit., 278 ; DC 64 (1967) col. 689.[]
  9. Ibid., n. 20 : loc. cit., 267 ; DC 64 (1967) col. 681.[]
  10. Cf. Conc. œcum. Vat. II ; Const. Past sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n.36 ; Paul VI, Lett. apost. Octogesima adve­niens (14 mai 1971), n. 4 : AAS 63 (1971), 403–404 ; DC 68 (1971) pp. 502–503 ; Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 43 : AAS 83 (1991), 847 ; DC 88 (1991) p. 540.[]
  11. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 13 : loc. cit., 263–264 ; DC 64 (1967) col. 679.[]
  12. Cf. Conseil pon­ti­fi­cal pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 76.[]
  13. Cf. Benoît XVI, Discours d’inauguration de la Ve Conférence géné­rale de l’Épiscopat d’Amérique latine et des Caraibes, Aparecida 13 mai 2007 ; DC 104 (2007) pp. 532–541.[]
  14. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio(26 mars 1967), nn. 3.4.5 : loc. cit., 258–260 ; DC 64 (1967) col. 675–676.[]
  15. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), nn. 6.7 : AAS 80 (1988), 517–519 ; DC 85 (1988) p. 235.[]
  16. Cf. Paul VI, Lett. enc. >Populorum pro­gres­si (26 mars 1967), n. 14 : loc. cit., 264 ; DC 64 (1967) col. 679.[]
  17. Benoît XVI, Lett. enc. Deus cari­tas est (25 décembre 2005), n 18 : AAS 98 (2006), 232 ; DC 103 (2006) p. 175.[]
  18. Ibid., n. 6 : loc. cit., 222 ; DC, ibid. p. 169.[]
  19. Cf. Benoît XVI, Discours à la Curie Romaine pour la pré­sen­ta­tion des vœux de Noël ; L’Osservatore Romano en langue fran­çaise (par la suite : Oss. Rom. fr.) n. 52 (2005) pp. 3–5.[]
  20. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), n. 3 : loc. cit., 515 ; DC 85 (1988) p. 234.[]
  21. Cf. ibid. n. 1 : loc. cit. , 513–514 ; DC 85 (1988) p. 234.[]
  22. Cf. ibid. n. 3 : loc. cit., 515 ; DC 85 (1988) p. 234.[]
  23. Jean-​Paul II, Lett. enc. Laborem exer­cens (14 sep­tembre 1981), n. 3 : AAS 73 (1981), 583–584 ; DC 78 (1981) p. 837.[]
  24. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 3 : loc. cit., 794–796 ; DC 88 (1991) pp. 518–519.[]
  25. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 3 : loc. cit., 258 ; DC 64 (1967) col. 675.[]
  26. Cf. ibid., n. 34 : loc. cit., 274 ; DC 64 (1967) col. 686.[]
  27. Cf. nn. 8–9 : AAS 60 (1968), 485–487 ; DC 65 (1968) col. 1445–1446 ; Benoît XVI, Audience au Congrès International orga­ni­sé à l’occasion du 40e anni­ver­saire d’Humanæ vitæ, 10 mai 2008 ; Oss. Rom. fr. n. 20 (2008) p. 5.[]
  28. Cf. Lett. enc. Evangelium vitæ(25 mars 1995), n. 93 : AAS 87 (1995), 507–508 ; DC 92 (1995) pp. 397–398.[]
  29. Ibid., n. 101 : loc. cit., 516–518 ; DC 92 (1995) p. 401–402.[]
  30. n. 29 : AAS 68 (1976), 25 ; DC 73 (1976) p. 6.[]
  31. Ibid., n. 31 : loc. cit., 26 ; DC 73 (1976) p. 6.[]
  32. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), n. 41 : loc. cit., 570–572 ; DC 85 (1988) p. 251.[]
  33. Cf. ibid.; Idem, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), nn. 5.54 : loc. cit., 799.859–860 ; DC 88 (1991) pp. 520–521, 545–546.[]
  34. N. 15 : loc. cit., 265 ; DC 64 (1967) col. 679.[]
  35. Cf. ibid., n. 2 ; DC 64 (1967) col. 675 ; Léon XIII, Lett. enc. Rerum nova­rum (15 mai 1891), n. 1 : Leonis XIII P.M. Acta, XI, Romæ 1892, 97 ; Jean-​Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), n. 8 : loc. cit., 519–520 ; DC 85 (1988) pp. 235–236 ; Idem., Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 5 : loc. cit., 799 ; DC 88 (1991) pp. 520–521[]
  36. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), nn. 2. 13 ; DC 64 (1967) col. 675. 679.[]
  37. Ibid., n. 42 : loc. cit., 278 ; DC 64 (1967) col. 689.[]
  38. Ibid., n. 11 ; DC 64 (1967) col. 678 ; cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 25 : loc. cit., 822–824 ; DC 88 (1991) pp. 230–231.[]
  39. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 15 : loc. cit., 265 ; DC 64 (1967) col. 679.[]
  40. Ibid., n. 3 : loc. cit., 258 ; DC 64 (1967) col. 675.[]
  41. Ibid., n. 6 : loc. cit., 260 ; DC 64 (1967) col. 676.[]
  42. Ibid., n. 14 : loc. cit., 264 ; DC 64 (1967) col. 679.[]
  43. Ibid.; cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), nn. 53–62 : loc. cit., 859–867 ; DC 88 (1991) pp. 545–548 ; Idem, Lett. enc. Redemptor homi­nis (4 mars 1979), nn. 13–14 : AAS 71 (1979), 282–286 ; DC 76 (1979) pp. 308–309.[]
  44. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 12 : loc. cit., 262–263 ; DC 64 (1967) col. 678.[]
  45. Conc. œcum. Vat. II, Const. past sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 22[]
  46. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 13 : loc. cit., 263–264 ; DC 64 (1967) col. 679.[]
  47. Cf. Benoît XVI, Discours aux par­ti­ci­pants du IVe Congrès ecclé­sial natio­nal ita­lien, Vérone, 19 octobre 2006, Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) p. 3–4.[]
  48. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 16 : loc. cit., 265 ; DC 64 (1967) col. 680.[]
  49. Ibid[]
  50. Benoît XVI, Discours aux jeunes, Sydney 17 juillet 2008 ; DC 105 (2008) p. 778.[]
  51. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 20 : loc. cit., 267 ; DC 64 (1967) col. 681.[]
  52. Ibid., n. 66 : loc. cit., 289–290 ; DC 64 (1967) col. 696.[]
  53. Ibid., n. 21 : loc. cit., 267–268 ; DC 64 (1967) col. 681.[]
  54. Cf.nn. 3.29.32 : loc. cit., 258.272.273 ; DC 64 (1967) col. 675. 684–685.[]
  55. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), n. 28 : loc. cit., 548–550 ; DC 85 (1988) p. 244.[]
  56. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 9 : loc. cit., 261–262 ; DC 64 (1967) col. 677.[]
  57. Cf. Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), n. 20 : loc. cit., 536–537 ; DC 85 (1988) pp. 240–241.[]
  58. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), pas­sim ; DC 88 (1991) pp. 518–550, pas­sim.[]
  59. Cf. nn. 23.33 : loc. cit., 268–269.273–274 ; DC 64 (1967) col. 682. 685–686.[]
  60. Cf. loc. cit., 135.[]
  61. > Conc. œcum. Vat. II, Const. past. Sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 63.[]
  62. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 24 : loc. cit., 821–822 ; DC 88 (1991) p. 431.[]
  63. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Veritatis splen­dor (6 août 1993), nn. 33.46.51 : AAS 85 (1993), 1160.1169–1171 ; DC 90 (1993) pp. 913, 917, 918–920 ; Id., Message à l’Assemblée des Nations Unies, 5 octobre 1995, n. 3 ; DC 92 (1995) p. 918.[]
  64. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 47 : loc. cit., 280–281 ; DC 64 (1967) col. 690–691 ; Jean-​Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), n. 42 : loc. cit., 572–574 ; DC 85 (1988) p. 252.[]
  65. Cf. Benoît XVI, Message à la FAO pour la Journée mon­diale de l’alimentation 2007 : AAS 99 (2007), 933–935 ; DC 105 (2008) pp. 55–56.[]
  66. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Evangelium vitæ(25 mars 1995), nn. 18.59.63–64 : loc. cit.,419–421.467–468.472–475 ; DC 92 (1995) pp. 359, 381, 383, 384.[]
  67. Cf. Benoît XVI, Message pour la Journée mon­diale de la paix 2007, n. 5 ; DC 104 (2007) p. 57.[]
  68. Cf. Jean-​Paul II, Message pour la Journée mon­diale de la Paix 2002, nn. 4–7,12–15 : AAS 94 (2002), 134–136.138–140 ; DC 99 (2002) pp. 5–6, 7–8 ; Id., Message pour la Journée mon­diale de la Paix 2004, n. 8 : AAS 96 (2004), 119 ; DC 101 (2004) pp. 7 ; Id., Message pour la Journée mon­diale de la Paix 2005, n. 4 : AAS 97 (2005), 177–178 ; DC 102 (2005) p. 5 ; Benoît XVI, Message pour la Journée mon­diale de la Paix 2006, nn. 9–10 : AAS 98 (2006), 60–61 ; DC 103 (2006) pp. 4–5 ; Id., Message pour la Journée mon­diale de la Paix 2007, nn. 5.14 : loc. cit., 778, 782–783 ; DC 104 (2007) pp. 57. 59–60.[]
  69. Cf. Jean-​Paul II, Message pour la Journée mon­diale de la Paix 2002, n. 6 : loc. cit, 135 ; DC 99 (2002) pp. 5–6 ; Benoît XVI, Message pour la Journée mon­diale de la Paix 2006, nn. 9–10 : loc. cit., 60–61 ; DC 103 (2006) pp. 4–5.[]
  70. Cf. Benoît XVI, Homélie pour la messe sur l’Islinger Feld de Ratisbonne, 12 sep­tembre 2006 ; DC 103 (2006) pp. 921–923.[]
  71. Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Deus cari­tas est (25 décembre 2005), n. 1 : loc. cit., 217–218 ; DC 103 (2006) p. 166.[]
  72. Jean-​Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), n. 28 : loc. cit., 548–550 ; DC 85 (1988) p. 244.[]
  73. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 19 : loc. cit., 266–267 ; DC 64 (1967) col. 681.[]
  74. Ibid., n. 39 : loc. cit., 276–277 ; DC 64 (1967) col. 688.[]
  75. Ibid., n. 75 : loc. cit., 293–294 ; DC 64 (1967) col. 699.[]
  76. Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Deus cari­tas est (25 décembre 2005), n. 28 : loc. cit., 238–240 ; DC 103 (2006) pp. 178–180.[]
  77. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 59 : loc. cit., 864 ; DC 88 (1991) p. 547.[]
  78. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), nn. 40.85 : loc. cit., 277.298–299 ; DC 64 (1967) col. 688. 702.[]
  79. Ibid., n. 13 : loc. cit., 263–264 ; DC 64 (1967) col. 679.[]
  80. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Fides et ratio (14 sep­tembre 1998), n. 85 : AAS 91 (1999), 72–73 ; DC 95 (1998) p. 932.[]
  81. Cf. Ibid., n. 83 : loc. cit., 70–71 ; DC 95 (1998) p. 931.[]
  82. Benoît XVI, Discours à l’Université de Ratisbonne, 12 sep­tembre 2006 ; DC 103 (2006) pp. 924–929.[]
  83. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 33 : loc. cit., 273–274 ; DC 64 (1967) col. 685.[]
  84. Cf. Jean-​Paul II, Message pour la Journée mon­diale de la Paix 2000, n. 15 : AAS 92 (2000), 366 ; DC 97 (2000) pp. 4–5.[]
  85. Catéchisme de l’Église catho­lique, n. 407. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 25 : loc. cit., 822–824. DC 88 (1991), pp. 530–531.[]
  86. Cf. n.17 : AAS 99 (2007), 1000. DC 105 (2008) p. 22.[]
  87. Cfr. ibid., n. 23 : loc. cit., 1004–1005. DC 105 (2008) pp. 24–25.[]
  88. Saint Augustin expose de façon détaillée cet ensei­gne­ment dans le dia­logue sur le libre arbitre (De libe­ro arbi­trio II 3, 8 ss.). Il indique l’existence dans l’âme humaine d’un « sens interne ». Ce sens consiste en un acte qui se réa­lise en dehors des fonc­tions nor­males de la rai­son, acte spon­ta­né et qua­si ins­tinc­tif, pour lequel la rai­son, se ren­dant compte de sa condi­tion éphé­mère et faillible, admet au-​dessus de soi l’existence de quelque chose d’éternel, d’absolument vrai et cer­tain. Le nom que saint Augustin donne à cette véri­té inté­rieure est par­fois celui de Dieu (Confessions X, 24, 35 ; XII, 25, 35 ; De libe­ro arbi­trio II 3, 8, 27), plus sou­vent celui du Christ (De magis­tro 11, 38 ; Confessions VII, 18, 24 ; XI, 2, 4).[]
  89. Benoît XVI, Lett. enc. Deus cari­tas est (25 décembre 2005), n. 3 : loc. cit., 219. DC 103 (2006) p. 167.[]
  90. Cf. n. 49 : loc. cit., 281. DC 64 (1967) col. 691.[]
  91. > Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 28 : loc. cit., 827–828. DC 88 (1991) p. 532.[]
  92. Cf. n. 35 : loc. cit., 836–838. DC 88 (1991) pp. 535–536.[]
  93. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), n. 38 : loc. cit., 565–566. DC 85 (1988) pp. 249–250.[]
  94. N. 44 : loc. cit., 279. DC 64 (1967), col. 690.[]
  95. Cf. ibid., n. 24 : loc. cit., 269. DC 64 (1967) col. 682–683.[]
  96. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36 : loc. cit., 838–840. DC 88 (1991) pp. 248–249.[]
  97. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 24 : loc. cit., 269. DC 64 (1967) col. 682–683.[]
  98. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 32 : loc. cit., 832–833. DC 88 (1991) pp. 246–247 ; Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 25 : loc. cit., 269–270. DC 64 (1967) col. 683.[]
  99. Jean-​Paul II, Lett. enc. Laborem exer­cens (14 sep­tembre 1981), n. 24 : loc. cit., 637–638. DC 78 (1981) p. 852.[]
  100. Ibid., n. 15 : loc. cit., 616–618. DC 78 (1981) p. 846.[]
  101. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 27 : loc. cit., 271. DC 64 (1967) col. 684.[]
  102. Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Libertatis conscien­tia (22 mars 1987), n. 74 : AAS 79 (1987), 587. DC 83 (1986) p. 405.[]
  103. Cf. Jean-​Paul II, Interview au quo­ti­dien catho­lique La Croix, du 20 août 1997.[]
  104. Jean-​Paul II, Discours à l’Académie des Sciences sociales, 27 avril 2001 ; Oss. Rom. fr. 19 (2001), p. 9.[]
  105. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 17 : loc. cit., 265–266 ; DC 64 (1967) col. 680.[]
  106. Cf. Jean-​Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2003, n. 5 : AAS 95 (2003), 343 ; DC 100 (2003) p. 6.[]
  107. Cf. ibid.[]
  108. Cf. Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n. 13 : loc. cit., 781–782 ; DC 104 (2007) p. 59.[]
  109. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 65 : loc. cit., 289 ; DC 64 (1967) col. 696.[]
  110. Cf. ibid. nn. 36.37 : loc. cit., 275–276 ; DC 64 (1967) col. 687.[]
  111. Cf. ibid. n. 37 : loc. cit., 275–276 ; DC 64 (1967) col. 687.[]
  112. Cf. Conc. œcum. Vat. II, Décr. Apostolicam actuo­si­ta­tem, n. 11.[]
  113. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 14 : loc. cit., 264 ; Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 32 : loc. cit., 832–833 ; DC 88 (1991) p. 534.[]
  114. Paul VI, Lett. enc. >Populorum pro­gres­sio(26 mars 1967) n 77 : loc. cit., 295 ; DC 64 (1967) p. 700.[]
  115. Jean-​Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 6 : AAS 82 (1990), 150 ; DC 87 (1990) p. 10.[]
  116. Héraclite d’Ephèse (Ephèse 535 av. J‑C envi­ron – 475 av. J‑C envi­ron), Fragment 22B124, en H. Diels et W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, Weidmann, Berlin 19526.[]
  117. Cf. Conseil Pontifical pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, nn. 451–487.[]
  118. Cf. Jean-​Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 10 : loc. cit., 152–153 ; DC 87 (1990) p. 11[]
  119. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio(26 mars 1967), n. 65 : loc. cit., 289 ; DC 64 (1967) col. 696.[]
  120. Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2008, n. 7 : AAS 100 (2008), 41 ; DC 105 (2008) p. 4.[]
  121. Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008 ; DC 105 (2008) pp. 533–537.[]
  122. Cf. Jean-​Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 13 : loc. cit., 154–155 ; DC 87 (1990) pp. 11–12[]
  123. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36 : loc. cit., 838–840 ; DC 88 (1991) pp. 536–537.[]
  124. Ibid. n. 38 : loc. cit., 840–841 ; DC 88 (1991) pp. 537–538 ; Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2007, n.8 : loc. cit., 779 ; DC 104 (2007) pp. 57–58.[]
  125. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 41 : loc. cit., 843–845 ; DC 88 (1991) pp. 538–539.[]
  126. Cf. ibid.[]
  127. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Evangelium vitæ (25 mars 1995), n. 20 : loc. cit., 422–424 ; DC 92 (1995) p. 360.[]
  128. Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 85 : loc. cit., 298–299 ; DC 64 (1967) p. 702.[]
  129. Cf. Jean-​Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1998, n. 3 : AAS 90 (1998), 150 ; DC 95 (1998) pp. 2–3 ; Id., Discours aux membres de la Fondation Centesimus annus pro Pontefice, 9 mai 1998, n. 2 ; Oss. Rom. fr. n. 20 (1998) p. 2 ; Id., Discours aux Autorités et au Corps diplo­ma­tique, Vienne, 20 juin 1998, n. 8 ; DC 95 (1998) p. 689 ; Id., Message au Recteur de l’Université catho­lique du Sacré-​Cœur, 5 mai 2000, n. 6 ; Insegnamenti di Giovanni Paolo II XXIII, 1 (2000), 759–760.[]
  130. Selon saint Thomas « ratio par­tis contra­ria­tur ratio­ni per­so­nae » in III Sent. D. 5, 3, 2 ; et aus­si « Homo non ordi­na­tur ad com­mu­ni­ta­tem poli­ti­cam secun­dum se totum et secun­dum omnia sua » in Summa Theologiae I‑II, q. 21, a. 4, ad 3um.[]
  131. Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. dogm. sur l’Église Lumen gen­tium, n.1.[]
  132. Cf. Jean-​Paul II, Discours à la VIe séance publique des Académies Pontificales, 8 novembre 2001, n. 3 ; Oss. Rom. fr. n. 47 (2001) p. 6[]
  133. Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclaration Dominus Iesus (6 août 2000), n. 22 : AAS 92 (2000), 763–764 ; DC 97 (2000) p. 820 ; Id., Note doc­tri­nale à pro­pos de ques­tions sur l’engagement et le com­por­te­ment des catho­liques dans la vie poli­tique (24 novembre 2002), n. 8 ; DC 100 (2003) p. 136.[]
  134. Benoît XVI, Lett. enc. Spe sal­vi (30 novembre 2007), n. 31 : loc. cit., 1010 ; DC 105 (2008) p.28 ; Id. Discours aux par­ti­ci­pants du IVe Congrès ecclé­sial natio­nal ita­lien, Vérone, 19 octobre 2006 ; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3–5.[]
  135. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 5 : loc. cit., 798–800 ; DC 88 (1991) p. 521 ; Benoît XVI, Discours aux par­ti­ci­pants du IVe Congrès ecclé­sial natio­nal ita­lien, Vérone, 19 octobre 2006 ; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3–5.[]
  136. N. 12.[]
  137. Cf. Pie XI, Lett. enc. Quadragesimo anno (15 mai 1931): AAS 23 (1931) 203 ; Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 48 : loc. cit., 852–854 ; DC 88 (1991) p. 543 ; cf. Catéchisme de l’Église catho­lique, n.1883.[]
  138. Cf. Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in ter­ris (11 avril 1963), n. 74 : loc. cit., 274 ; DC 60 (1963) col. 526–527.[]
  139. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), nn. 10.41 : loc. cit., 262.277–278 ; DC 64 (1967) col. 677–678. 688–689.[]
  140. Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de la Commission théo­lo­gique inter­na­tio­nale, 5 octobre 2007 ; DC 104 (2007) pp. 1084–1086 ; Id., Discours au Congrès inter­na­tio­nal sur la loi natu­relle, Université pon­ti­fi­cale du Latran, 12 février 2007 ; DC 104 (2007) pp. 354–356.[]
  141. Cf. Benoît XVI, Discours aux évêques de Thaïlande en visite ad limi­na, 16 mai 2008 ; DC 105 (2008) p. 652. Oss. Rom. fr. n. 22 (2008) p. 10.[]
  142. Cf. Conseil pon­ti­fi­cal pour la Pastorale des Migrants et des Personnes en dépla­ce­ment, Instruction Erga migrantes cari­tas Christi, 3 mai 2004 : AAS 96 (2004), 762–822 ; DC 101 (2004) pp. 658–692.[]
  143. Jean-​Paul II, Lett. enc. Laborem exer­cens (14 sep­tembre 1981), n. 8 : loc. cit., 594–598 ; DC 78 (1981) p. 840.[]
  144. Jean-​Paul II, Jubilé des Travailleurs, Discours au terme de la concé­lé­bra­tion eucha­ris­tique ; DC 97 (2000) p. 455[]
  145. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 36 : loc. cit., 838–840 ; DC 88 (1991) p. 536.[]
  146. Cf. Benoît XVI, Discours aux membres de l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, New York, 18 avril 2008 ; DC 105 (2008) pp. 533–537.[]
  147. Cf. Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in ter­ris(11 avril 1963): loc. cit., 293 ; DC 60 (1963) col. 526–527 ; Conseil pon­ti­fi­cal pour la Justice et la Paix, Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 441.[]
  148. Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. Past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 82.[]
  149. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socia­lis (30 décembre 1987), n. 43 : loc. cit., 574–575 ; DC 85 (1988) pp. 252–253.[]
  150. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 41 : loc. cit., 277–278 ; DC 64 (1967) col. 688 ; cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 57, § 4.[]
  151. Cf. Jean-​Paul II, Lett. enc. Laborem exer­cens (14 sep­tembre 1981), n. 5 : loc. cit., 586–589 ; DC 78 (1981) p. 838.[]
  152. Cf. PaulVI, Lett. ap. Octogesima adve­niens (14 mai 1971), n. 29 : loc. cit., 420 ; DC 68 (1971) p. 508.[]
  153. Cf. Benoît XVI, Discours aux par­ti­ci­pants du IVe Congrès ecclé­sial natio­nal ita­lien, Vérone, 19 octobre 2006 ; Oss. Rom. fr. n. 43 (2006) pp. 3–5 ; Id. Homélie pour la messe sur l’Islinger Feld de Ratisbonne, 12 sep­tembre 2006, 12 sep­tembre 2006 ; DC 103 (2006) pp. 921–923.[]
  154. Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Dignitas per­so­nae sur quelques ques­tions de bioé­thique (8 sep­tembre 2008): AAS 100 (2008), 858–887 ; DC 106 (2009) pp. 23–38.[]
  155. Cf. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 3 : loc. cit., 258. DC 64 (1967) col. 675.[]
  156. Conc. œcum. Vat. II, Const. past. sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et Spes, n. 14.[]
  157. Cf. n. 42 : loc. cit., 278 ; DC 64 (1967) col. 689.[]
  158. Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Spe sal­vi(30 novembre 2007), n. 35 : loc. cit., 1013–1014 ; DC 105 (2008) pp. 29–30.[]
  159. Paul VI, Lett. enc. Populorum pro­gres­sio (26 mars 1967), n. 42 : loc. cit., 278 ; DC 64 (1967) col. 689.[]
7 juillet 2007
Lettre apostolique, Motu Proprio, du Souverain Pontife Benoît XVI sur l’usage de la Liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970
  • Benoît XVI