Benoît XVI

265e pape ; de 2005 à 2013

7 juillet 2007

Lettre aux évêques

Pour accompagner le Motu proprio Summorum Pontificum

Chers frères dans l’Episcopat,

C’est avec beau­coup de confiance et d’espérance que je remets entre vos mains de Pasteurs le texte d’une nou­velle Lettre Apostolique « Motu Proprio data », sur l’usage de la litur­gie romaine anté­rieure à la réforme de 1970. Ce docu­ment est le fruit de longues réflexions, de mul­tiples consul­ta­tions, et de la prière.

Des nou­velles et des juge­ments for­mu­lés sans infor­ma­tion suf­fi­sante, ont sus­ci­té beau­coup de confu­sion. On trouve des réac­tions très diverses les unes des autres, qui vont de l’acceptation joyeuse à une dure oppo­si­tion, à pro­pos d’un pro­jet dont le conte­nu n’était, en réa­li­té, pas connu.

Deux craintes s’opposaient plus direc­te­ment à ce docu­ment, et je vou­drais les exa­mi­ner d’un peu plus près dans cette lettre.

En pre­mier lieu il y a la crainte d’amenuiser ain­si l’Autorité du Concile Vatican II, et de voir mettre en doute une de ses déci­sions essen­tielles – la réforme liturgique.

Cette crainte n’est pas fon­dée. A ce pro­pos, il faut dire avant tout que le Missel, publié par Paul VI et réédi­té ensuite à deux reprises par Jean-​Paul II, est et demeure évi­dem­ment la Forme nor­male – la Forma ordi­na­ria – de la litur­gie Eucharistique. La der­nière ver­sion du Missale Romanum, anté­rieure au Concile, qui a été publiée sous l’autorité du Pape Jean XXIII en 1962 et qui a été uti­li­sée durant le Concile, pour­ra en revanche être uti­li­sée comme Forma extra­or­di­na­ria de la Célébration litur­gique. Il n’est pas conve­nable de par­ler de ces deux ver­sions du Missel Romain comme s’il s’agissait de « deux Rites ». Il s’agit plu­tôt d’un double usage de l’unique et même Rite.

Quant à l’usage du Missel de 1962, comme Forma extra­or­di­na­ria de la Liturgie de la Messe, je vou­drais atti­rer l’attention sur le fait que ce Missel n’a jamais été juri­di­que­ment abro­gé, et que par consé­quent, en prin­cipe, il est tou­jours res­té auto­ri­sé. Lors de l’introduction du nou­veau Missel, il n’a pas sem­blé néces­saire de publier des normes propres concer­nant la pos­si­bi­li­té d’utiliser le Missel anté­rieur. On a pro­ba­ble­ment sup­po­sé que cela ne concer­ne­rait que quelques cas par­ti­cu­liers, que l’on résou­drait loca­le­ment, au cas par cas. Mais, par la suite, il s’est vite avé­ré que beau­coup de per­sonnes res­taient for­te­ment atta­chées à cet usage du Rite romain, qui leur était deve­nu fami­lier depuis l’enfance. Ceci s’est pro­duit avant tout dans les pays où le mou­ve­ment litur­gique avait don­né à de nom­breuses de per­sonnes une remar­quable for­ma­tion litur­gique, ain­si qu’une fami­lia­ri­té pro­fonde et intime avec la Forme anté­rieure de la Célébration liturgique.

Nous savons tous qu’au sein du mou­ve­ment conduit par l’Archevêque Mgr Lefebvre, la fidé­li­té au Missel ancien est deve­nue un signe dis­tinc­tif exté­rieur ; mais les rai­sons de la frac­ture qui nais­sait sur ce point étaient à recher­cher plus en pro­fon­deur. Beaucoup de per­sonnes qui accep­taient clai­re­ment le carac­tère contrai­gnant du Concile Vatican II, et qui étaient fidèles au Pape et aux Evêques, dési­raient cepen­dant retrou­ver éga­le­ment la forme de la sainte Liturgie qui leur était chère ; cela s’est pro­duit avant tout parce qu’en de nom­breux endroits on ne célé­brait pas fidè­le­ment selon les pres­crip­tions du nou­veau Missel ; au contraire, celui-​ci finis­sait par être inter­pré­té comme une auto­ri­sa­tion, voire même une obli­ga­tion de créa­ti­vi­té ; cette créa­ti­vi­té a sou­vent por­té à des défor­ma­tions de la Liturgie à la limite du sup­por­table. Je parle d’expérience, parce que j’ai vécu moi aus­si cette période, avec toutes ses attentes et ses confu­sions. Et j’ai consta­té com­bien les défor­ma­tions arbi­traires de la Liturgie ont pro­fon­dé­ment bles­sé des per­sonnes qui étaient tota­le­ment enra­ci­nées dans la foi de l’Eglise.

C’est pour ce motif que le Pape Jean-​Paul II s’est vu dans l’obligation de don­ner, avec le Motu Proprio « Ecclesia Dei » du 2 juillet 1988, un cadre nor­ma­tif pour l’usage du Missel de 1962 ; ce cadre ne conte­nait cepen­dant pas de pres­crip­tions détaillées, mais fai­sait appel de manière plus géné­rale à la géné­ro­si­té des Evêques envers les « justes aspi­ra­tions » des fidèles qui récla­maient cet usage du Rite romain. A cette époque, le Pape vou­lait ain­si aider sur­tout la Fraternité Saint-​Pie X à retrou­ver la pleine uni­té avec le suc­ces­seur de Pierre, en cher­chant à gué­rir une bles­sure per­çue de façon tou­jours plus dou­lou­reuse. Cette récon­ci­lia­tion n’a mal­heu­reu­se­ment pas encore réus­si ; cepen­dant, une série de com­mu­nau­tés a pro­fi­té avec gra­ti­tude des pos­si­bi­li­tés offertes par ce Motu Proprio. Par contre, en dehors de ces groupes, pour les­quels man­quaient des normes juri­diques pré­cises, la ques­tion de l’usage du Missel de 1962 est res­tée dif­fi­cile, avant tout parce que les Evêques crai­gnaient, dans ces situa­tions, que l’on mette en doute l’autorité du Concile.

Aussitôt après le Concile Vatican II, on pou­vait sup­po­ser que la demande de l’usage du Missel de 1962 aurait été limi­tée à la géné­ra­tion plus âgée, celle qui avait gran­di avec lui, mais entre­temps il est appa­ru clai­re­ment que des per­sonnes jeunes décou­vraient éga­le­ment cette forme litur­gique, se sen­taient atti­rées par elle et y trou­vaient une forme de ren­contre avec le mys­tère de la Très Sainte Eucharistie qui leur conve­nait par­ti­cu­liè­re­ment. C’est ain­si qu’est né le besoin d’un règle­ment juri­dique plus clair, que l’on ne pou­vait pas pré­voir à l’époque du Motu Proprio de 1988 ; ces Normes entendent éga­le­ment déli­vrer les Evêques de la néces­si­té de rééva­luer sans cesse la façon de répondre aux diverses situations.

En second lieu, au cours des dis­cus­sions sur ce Motu Proprio atten­du, a été expri­mée la crainte qu’une plus large pos­si­bi­li­té d’utiliser le Missel de 1962 puisse por­ter à des désordres, voire à des frac­tures dans les com­mu­nau­tés parois­siales. Cette crainte ne me paraît pas non plus réel­le­ment fon­dée. L’usage de l’ancien Missel pré­sup­pose un mini­mum de for­ma­tion litur­gique et un accès à la langue latine ; ni l’un ni l’autre ne sont tel­le­ment fré­quents. De ces élé­ments préa­lables concrets découle clai­re­ment le fait que le nou­veau Missel res­te­ra cer­tai­ne­ment la Forme ordi­naire du Rite Romain, non seule­ment en rai­son des normes juri­diques, mais aus­si à cause de la situa­tion réelle dans les­quelles se trouvent les com­mu­nau­tés de fidèles.

Il est vrai que les exa­gé­ra­tions ne manquent pas, ni par­fois des aspects sociaux indû­ment liés à l’attitude de cer­tains fidèles liés à l’ancienne tra­di­tion litur­gique latine. Votre cha­ri­té et votre pru­dence pas­to­rale ser­vi­ront de sti­mu­lant et de guide pour per­fec­tion­ner les choses. D’ailleurs, les deux Formes d’usage du Rite Romain peuvent s’enrichir réci­pro­que­ment : dans l’ancien Missel pour­ront être et devront être insé­rés les nou­veaux saints, et quelques-​unes des nou­velles pré­faces. La Commission « Ecclesia Dei », en lien avec les diverses enti­tés dédiées à l’usus anti­quior, étu­die­ra quelles sont les pos­si­bi­li­tés pra­tiques. Dans la célé­bra­tion de la Messe selon le Missel de Paul VI, pour­ra être mani­fes­tée de façon plus forte que cela ne l’a été sou­vent fait jusqu’à pré­sent, cette sacra­li­té qui attire de nom­breuses per­sonnes vers le rite ancien. La meilleure garan­tie pour que le Missel de Paul VI puisse unir les com­mu­nau­tés parois­siales et être aimé de leur part est de célé­brer avec beau­coup de révé­rence et en confor­mi­té avec les pres­crip­tions ; c’est ce qui rend visible la richesse spi­ri­tuelle et la pro­fon­deur théo­lo­gique de ce Missel.

J’en arrive ain­si à la rai­son posi­tive qui est le motif qui me fait actua­li­ser par ce Motu Proprio celui de 1988. Il s’agit de par­ve­nir à une récon­ci­lia­tion interne au sein de l’Eglise. En regar­dant le pas­sé, les divi­sions qui ont lacé­ré le corps du Christ au cours des siècles, on a conti­nuel­le­ment l’impression qu’aux moments cri­tiques où la divi­sion com­men­çait à naître, les res­pon­sables de l’Eglise n’ont pas fait suf­fi­sam­ment pour conser­ver ou conqué­rir la récon­ci­lia­tion et l’unité ; on a l’impression que les omis­sions dans l’Eglise ont eu leur part de culpa­bi­li­té dans le fait que ces divi­sions aient réus­si à se conso­li­der. Ce regard vers le pas­sé nous impose aujourd’hui une obli­ga­tion : faire tous les efforts afin que tous ceux qui dési­rent réel­le­ment l’unité aient la pos­si­bi­li­té de res­ter dans cette uni­té ou de la retrou­ver à nou­veau. Il me vient à l’esprit une phrase de la seconde épître aux Corinthiens, où Saint Paul écrit : « Nous vous avons par­lé en toute liber­té, Corinthiens ; notre cœur s’est grand ouvert. Vous n’êtes pas à l’é­troit chez nous ; c’est dans vos cœurs que vous êtes à l’é­troit. Payez-​nous donc de retour ; … ouvrez tout grand votre cœur, vous aus­si ! » (2Co 6,11–13). Paul le dit évi­dem­ment dans un autre contexte, mais son invi­ta­tion peut et doit aus­si nous tou­cher, pré­ci­sé­ment sur ce thème. Ouvrons géné­reu­se­ment notre cœur et lais­sons entrer tout ce à quoi la foi elle-​même fait place.

Il n’y a aucune contra­dic­tion entre l’une et l’autre édi­tion du Missale Romanum. L’histoire de la litur­gie est faite de crois­sance et de pro­grès, jamais de rup­ture. Ce qui était sacré pour les géné­ra­tions pré­cé­dentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrou­ver tota­le­ment inter­dit, voire consi­dé­ré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conser­ver les richesses qui ont gran­di dans la foi et dans la prière de l’Eglise, et de leur don­ner leur juste place. Evidemment, pour vivre la pleine com­mu­nion, les prêtres des com­mu­nau­tés qui adhèrent à l’usage ancien ne peuvent pas non plus, par prin­cipe, exclure la célé­bra­tion selon les nou­veaux livres. L’exclusion totale du nou­veau rite ne serait pas cohé­rente avec la recon­nais­sance de sa valeur et de sa sainteté.

Pour conclure, chers Confrères, il me tient à cœur de sou­li­gner que ces nou­velles normes ne dimi­nuent aucu­ne­ment votre auto­ri­té et votre res­pon­sa­bi­li­té, ni sur la litur­gie, ni sur la pas­to­rale de vos fidèles. Chaque Evêque est en effet le « modé­ra­teur » de la litur­gie dans son propre dio­cèse (cf. Sacrosanctum Concilium, n. 22 : « Sacrae litur­giae mode­ra­tio ab Ecclesiae auc­to­ri­tate unice pen­det : quae qui­dem est apud Apostolicam Sedem et, ad nor­mam iuris, apud Episcopum »).

Rien n’est donc reti­ré à l’autorité de l’Evêque dont le rôle demeu­re­ra de toute façon celui de veiller à ce que tout se passe dans la paix et la séré­ni­té. Si quelque pro­blème devait sur­gir et que le curé ne puisse pas le résoudre, l’Ordinaire local pour­ra tou­jours inter­ve­nir, en pleine har­mo­nie cepen­dant avec ce qu’établissent les nou­velles normes du Motu Proprio.

Je vous invite en outre, chers Confrères, à bien vou­loir écrire au Saint-​Siège un compte-​rendu de vos expé­riences, trois ans après l’entrée en vigueur de ce Motu Proprio. Si de sérieuses dif­fi­cul­tés étaient vrai­ment appa­rues, on pour­rait alors cher­cher des voies pour y por­ter remède.

Chers Frères, c’est en esprit de recon­nais­sance et de confiance que je confie à votre cœur de Pasteurs ces pages et les normes du Motu Proprio. Souvenons-​nous tou­jours des paroles de l’Apôtre Paul, adres­sées aux prêtres d’Ephèse : « Soyez atten­tifs à vous-​mêmes, et à tout le trou­peau dont l’Esprit-​Saint vous a éta­blis gar­diens, pour paître l’Eglise de Dieu, qu’il s’est acquise par le sang de son propre Fils » (Ac 20,28).

Je confie à la puis­sante inter­ces­sion de Marie, Mère de l’Eglise, ces nou­velles normes, et j’accorde de tout mon cœur ma Bénédiction Apostolique à vous, chers Confrères, aux curés de vos dio­cèses, et à tous les prêtres vos col­la­bo­ra­teurs ain­si qu’à tous vos fidèles.

Fait auprès de Saint-​Pierre, le 7 juillet 2007.

1er janvier 2013
Message pour la Journée Mondiale de la Paix
  • Benoît XVI