Paul VI

262e pape ; de 1963 à 1978

29 mai 1969

Instruction Memoriale Domini

Sur l'autorisation de recevoir la Sainte Communion dans la main

En célé­brant le mémo­rial du Seigneur, l’Église affirme par ce rite sa foi et l’a­do­ra­tion du Christ, pré­sent dans le sacri­fice et offert en nour­ri­ture à ceux qui par­ti­cipent à la table eucharistique.

C’est pour­quoi elle tient beau­coup à ce que l’Eucharistie soit célé­brée et qu’on y par­ti­cipe de la façon la plus digne et la plus fruc­tueuse, en gar­dant dans toute sa pure­té la tra­di­tion – par­ve­nue jus­qu’à nous avec un cer­tain déve­lop­pe­ment – dont les richesses sont pas­sées dans les usages et la vie de l’Église. Les docu­ments his­to­riques nous montrent en effet que l’Eucharistie a été célé­brée et dis­tri­buée de mul­tiples façons. Et de nos jours des chan­ge­ments impor­tants et nom­breux ont été intro­duits dans le rite de la célé­bra­tion de l’Eucharistie, afin qu’il réponde mieux aux besoins spi­ri­tuels et psy­cho­lo­giques des hommes d’au­jourd’­hui. De plus, dans la dis­ci­pline rela­tive au mode de par­ti­ci­pa­tion des fidèles au divin sacre­ment a été réta­bli, dans cer­taines cir­cons­tances, l’u­sage de la com­mu­nion sous les deux espèces du pain et du vin, qui était autre­fois com­mun, éga­le­ment dans le rite latin, et qui ensuite est pro­gres­si­ve­ment tom­bé en désué­tude. L’état de choses ain­si ins­tau­ré s’é­tait déjà géné­ra­li­sé au moment du Concile de Trente, lequel le sanc­tion­na et le défen­dit par une doc­trine dog­ma­tique, parce qu’il conve­nait à la situa­tion de cette époque [1].

Par ces élé­ments de renou­veau, le signe du ban­quet eucha­ris­tique et l’ac­com­plis­se­ment fidèle du man­dat du Christ sont deve­nus plus mani­festes et vivants. Mais en même temps, ces der­nières années, la par­ti­ci­pa­tion plus com­plète à la célé­bra­tion eucha­ris­tique, expri­mée par la com­mu­nion sacra­men­telle, a sus­ci­té çà et là le désir de reve­nir à l’an­cien usage de dépo­ser le Pain eucha­ris­tique dans la main du fidèle, lequel se com­mu­nie lui-​même en le por­tant à sa bouche.

Dans cer­tains endroits et dans cer­taines com­mu­nau­tés, cette façon de faire est pra­ti­quée, bien que le Saint-​Siège n’ait pas encore don­né l’au­to­ri­sa­tion deman­dée et que par­fois cette pra­tique ait été intro­duite sans que les fidèles y aient été pré­pa­rés convenablement.

Il est certes vrai qu’en ver­tu d’un usage ancien, les fidèles ont pu autre­fois rece­voir cet ali­ment divin dans la main et le por­ter eux-​mêmes à la bouche. Il est éga­le­ment vrai que, dans des temps très anciens, ils ont pu empor­ter le Saint Sacrement avec eux, depuis l’en­droit où était célé­bré le Saint Sacrifice, avant tout pour s’en ser­vir comme via­tique dans le cas où ils auraient à affron­ter la mort pour confes­ser leur foi.

Cependant, les pres­crip­tions de l’Église et les textes des Pères attestent abon­dam­ment le très pro­fond res­pect et les très grandes pré­cau­tions qui entou­raient la sainte Eucharistie. Ainsi, « que per­sonne… ne mange cette chair s’il ne l’a aupa­ra­vant ado­rée » [2], et à qui­conque la mange est adres­sé cet aver­tis­se­ment : « … reçois ceci, en veillant à n’en rien perdre » [3] : « C’est en effet le Corps du Christ » [4].

De plus, le soin et le minis­tère du Corps et du Sang du Christ étaient confiés d’une façon toute spé­ciale aux ministres sacrés ou aux hommes dési­gnés à cet effet : « Après que celui qui pré­side a réci­té les prières et que le peuple tout entier a accla­mé, ceux que nous appe­lons les diacres dis­tri­buent â tous ceux qui sont pré­sents, et portent aux absents, le pain, le vin et l’eau sur les­quels ont été don­nées les grâces » [5].

Aussi, la fonc­tion de por­ter la Sainte Eucharistie aux absents ne tarda-​t-​elle pas à être confiée uni­que­ment aux ministres sacrés, afin de mieux assu­rer le res­pect dû au Corps du Christ, et en même temps de mieux répondre aux besoins des fidèles. Par la suite, lorsque la véri­té et l’ef­fi­ca­ci­té du mys­tère eucha­ris­tique, ain­si que la pré­sence du Christ en lui, ont été plus appro­fon­dies, on a mieux res­sen­ti le res­pect dû à ce Très Saint Sacrement et l’hu­mi­li­té avec laquelle il doit être reçu, et la cou­tume s’est éta­blie que ce soit le ministre lui-​même qui dépose sur la langue du com­mu­niant une par­celle de Pain consacré.

Compte tenu de la situa­tion actuelle de l’Église dans le monde entier, cette façon de dis­tri­buer la Sainte Communion doit être conser­vée, non seule­ment parce qu’elle a der­rière elle une tra­di­tion mul­ti­sé­cu­laire, mais sur­tout parce qu’elle exprime le res­pect des fidèles envers l’Eucharistie.

Par ailleurs, cet usage ne blesse en rien la digni­té per­son­nelle de ceux qui s’ap­prochent de ce sacre­ment si éle­vé, et il fait par­tie de la pré­pa­ra­tion requise pour rece­voir le Corps du Seigneur d’une façon très fruc­tueuse [6]. Ce res­pect exprime bien qu’il s’a­git non pas « d’un pain et d’une bois­son ordi­naires » [7], mais du Corps et du Sang du Seigneur, par les­quels « le peuple de Dieu par­ti­cipe aux biens du sacri­fice pas­cal, réac­tua­lise l’al­liance nou­velle scel­lée une fois pour toutes par Dieu avec les hommes dans le Sang du Christ, et dans la foi et l’es­pé­rance pré­fi­gure et anti­cipe le ban­quet escha­to­lo­gique dans le Royaume du Père » [8].

De plus, cette façon de faire, qui doit déjà être consi­dé­rée comme tra­di­tion­nelle, assure plus effi­ca­ce­ment que la Sainte Communion soit dis­tri­buée avec le res­pect, le déco­rum et la digni­té qui lui conviennent ; que soit écar­té tout dan­ger de pro­fa­na­tion des espèces eucha­ris­tiques, dans les­quelles, « d’une façon unique, tota­le­ment et inté­gra­le­ment le Christ, Dieu et homme, se trouve pré­sent sub­stan­tiel­le­ment et sous un mode per­ma­nent » [9] ; et qu’en­fin soit atten­ti­ve­ment res­pec­té le soin que l’Église a tou­jours recom­mande à l’é­gard des frag­ments de Pain consa­cré : « Ce que tu as lais­sé tom­ber, consi­dère que c’est comme une par­tie de tes membres qui vient à te man­quer » [10].

Aussi, devant les demandes for­mu­lées par un petit nombre de Conférences épis­co­pales, et cer­tains évêques à titre indi­vi­duel, pour que sur leur ter­ri­toire soit admis l’u­sage de dépo­ser le Pain consa­cré dans les mains des fidèles, le Souverain Pontife a‑t-​il déci­dé de deman­der à tous les évêques de l’Église latine ce qu’ils pensent de l’op­por­tu­ni­té d’in­tro­duire ce rite. En effet, des chan­ge­ments appor­tés dans une ques­tion si impor­tante, qui cor­res­pond à une tra­di­tion très ancienne et véné­rable, non seule­ment touchent la dis­ci­pline, mais peuvent aus­si com­por­ter des dan­gers qui, comme on le craint, naî­traient éven­tuel­le­ment de cette nou­velle manière de dis­tri­buer la Sainte Communion, c’est-​à-​dire : un moindre res­pect pour l’au­guste sacre­ment de l’au­tel ; une pro­fa­na­tion de ce sacre­ment ; ou une alté­ra­tion de la vraie doctrine.

C’est pour­quoi trois ques­tions ont été posées aux évêques, dont les réponses s’é­ta­blissent ain­si à la date du 12 mars dernier :

1. Pensez-​vous qu’il faille exau­cer le vœu que, outre la manière tra­di­tion­nelle, soit éga­le­ment auto­ri­sé le rite de la récep­tion de la Communion dans la main ?

Placet : 567 /​Non pla­cet : 1 233 /​Placet jux­ta modum : 315 /​Réponses non valides : 20.

2. Aimeriez-​vous que ce nou­veau rite soit expé­ri­men­té d’a­bord dans de petites com­mu­nau­tés, avec l’au­to­ri­sa­tion de l’Ordinaire du lieu ?

Placet : 751 /​Non pla­cet : 1 215 /​Réponses non valides 70.

3. Pensez-​vous qu’a­près une bonne pré­pa­ra­tion caté­ché­tique, les fidèles accep­te­raient volon­tiers ce nou­veau rite ?

Placet : 835 /​Non pla­cet : 1185 /​Réponses non valides : 128.

Ces réponses montrent donc qu’une forte majo­ri­té d’é­vêques estiment que rien ne doit être chan­gé à la dis­ci­pline actuelle et que si on la chan­geait cela offen­se­rait le sen­ti­ment et la sen­si­bi­li­té spi­ri­tuelle de ces évêques et de nom­breux fidèles.

C’est pour­quoi, compte-​tenu des remarques et des conseils de ceux que « l’Esprit-​Saint a consti­tués inten­dants pour gou­ver­ner » les Églises [11], eu égard à la gra­vi­té du sujet et à la valeur des argu­ments invo­qués, le Souverain Pontife n’a pas pen­sé devoir chan­ger la façon tra­di­tion­nelle de dis­tri­buer la Sainte Communion aux fidèles.

Aussi, le Saint-​Siège exhorte-​t-​il vive­ment les évêques, les prêtres et les fidèles à res­pec­ter atten­ti­ve­ment la loi tou­jours en vigueur et qui se trouve confir­mée de nou­veau, en pre­nant en consi­dé­ra­tion tant le juge­ment émis par la majo­ri­té de l’é­pis­co­pat catho­lique que la forme uti­li­sée actuel­le­ment dans la sainte litur­gie, et enfin le bien com­mun de l’Église.

Mais là où s’est déjà intro­duit un usage dif­fé­rent – celui de dépo­ser la Sainte Communion dans la main – le Saint-​Siège, afin d’ai­der les Conférences épis­co­pales à accom­plir leur tâche pas­to­rale, deve­nue sou­vent plus dif­fi­cile dans les cir­cons­tances actuelles, confie à ces mêmes Conférences la charge et le devoir de peser avec soin les cir­cons­tances par­ti­cu­lières qui pour­raient exis­ter, à condi­tion cepen­dant d’é­car­ter tout risque de manque de res­pect ou d’o­pi­nions fausses qui pour­raient s’in­si­nuer dans les esprits au sujet de la Très Sainte Eucharistie, et d’é­vi­ter soi­gneu­se­ment tous autres inconvénients.

De plus, en pareils cas, pour que cet usage s’é­ta­blisse comme il faut, les Conférences épis­co­pales pren­dront, après pru­dent exa­men, les déci­sions oppor­tunes, par vote secret et à la majo­ri­té des deux tiers. Ces déci­sions seront ensuite sou­mises au Saint-​Siège, pour en rece­voir la néces­saire confir­ma­tion [12], accom­pa­gnées d’un expo­sé pré­cis des causes qui les ont moti­vées. Le Saint-​Siège exa­mi­ne­ra chaque cas atten­ti­ve­ment, en tenant compte des liens exis­tant entre les dif­fé­rentes églises locales, ain­si qu’entre cha­cune d’elles et l’Église uni­ver­selle, afin de pro­mou­voir le bien com­mun et l’é­di­fi­ca­tion com­mune, et afin que l’exemple mutuel accroisse la foi et la piété.

Cette ins­truc­tion, rédi­gée par man­dat spé­cial du Souverain Pontife Paul VI, a été approu­vée par lui-​même, en ver­tu de son auto­ri­té apos­to­lique, le 28 mai 1969, et il a déci­dé qu’elle soit por­tée à la connais­sance des évêques par l’in­ter­mé­diaire des pré­si­dents des Conférences épiscopales.

Nonobstant toutes dis­po­si­tions contraires.

À Rome, le 29 mai 1969.

Benno, Card. Gut, Préfet

A. Bugnini, Secrétaire

Notes de bas de page
  1. Cf. Conc. Trid., Sess. XXI, Doctina de com­mu­nione sub utraque spe­cie et par­vu­lo­rum : DS 1726–1727 (930) ; Sess. XXII, Decretum super peti­tio­nem conces­sio­nis cali­cis : DS 1760.[]
  2. Augustinus, Enarrationes in Psalmos 98, 9 : PL 37, 1264.[]
  3. Cyrillus Hieros., Catecheses Mystagogicæ 5, 21 : PG 33, 1126.[]
  4. Hippolytus, Traditio Apostolica 37 : ed. B. Botte, 1963, p. 84.[]
  5. Iustinus, Apologia I, 65 : PG 6, 427.[]
  6. Cf. Augustinus, Enarrationes in Psalmos 98, 9 : PL 37, 1264–1265.[]
  7. Cf. Augustinus, Apologia I, 66 : PG 6, 427 ; cf. Irenæus, Adversus Hæreses I. 4, c. 18, n. 5 : PG 7, 1028–1029.[]
  8. Sacra Congregatio Rituum, Instr. Eucharisticum mys­te­rium, n. 3a : AAS 59 (1967) 541.[]
  9. Cf. ibid., n. 9 : p. 547.[]
  10. Cyrillus Hieros., Catecheses Mystagogicæ 5, 21 PG 33, 1126.[]
  11. Cf. Act. 20, 28[]
  12. Cf. Conc. oec. Vat II, Decr. Christus Dominus, n. 38, 4 : AAS 58 (1966) 693.[]