Entretien avec Mgr Bernard Fellay

Par Vincent PELLEGRINI

Mgr Bernard Fellay s’explique.

ÉCÔNE – Le chef de file des tra­di­tio­na­listes est Valaisan. Il nous a racon­té sa ren­contre du 29 août der­nier avec le pape Benoît XVI.
Entretien et ques­tions autour d’un dia­logue qui s’an­nonce très dif­fi­cile.
Lundi 26 sep­tembre 2005

Présentation par Vincent Pellegrini, journaliste au Nouvelliste

Mgr Bernard Fellay est Valaisan et supé­rieur géné­ral de la Fraternité sacer­do­tale saint Pie X. Il est l’un des quatre évêques consa­crés par Mgr Marcel Lefebvre. Cet homme de 47 ans est donc le numé­ro 1 du mou­ve­ment issu d’Ecône. C’est lui qui a ren­con­tré le 29 août der­nier à Castel Gondolfo le pape Benoît XVI et le car­di­nal Castrillon. Mgr Fellay était accom­pa­gné par son pre­mier assis­tant, l’ab­bé Franz Schmidberger. La ren­contre de trente-​cinq minutes – qui a été pré­cé­dée d’un échange de notes – s’est dérou­lée selon un com­mu­ni­qué du Vatican « dans un cli­mat d’a­mour pour l’Eglise et de désir d’ar­ri­ver à la pleine com­mu­nion ». Le ton est nou­veau. C’est pour­quoi nous avons sol­li­ci­té une inter­view de Mgr Fellay qui a accep­té de sor­tir du silence qu’il entre­tient face à la presse depuis sa ren­contre avec Benoît XVI. Le supé­rieur géné­ral des tra­di­tio­na­listes nous a reçu lun­di à Menzingen, dans le cadre de l’im­po­sante mai­son géné­rale de la fra­ter­ni­té, en pleine cam­pagne zou­goise. Entretien.

Le Nouvelliste : Mgr Bernard Fellay, qui a pris l’i­ni­tia­tive de cette ren­contre du 29 août ? Vous ou le Vatican ? Et quels en étaient les buts ?

Mgr Fellay : C’est nous. Cette ren­contre avait d’ailleurs de mul­tiples buts. Tout d’a­bord, nous vou­lions signi­fier notre défé­rence au sou­ve­rain pon­tife Benoît XVI, lui mon­trer que nous le recon­nais­sons comme notre pape. Tout comme le pape pré­cé­dent d’ailleurs. Cette ren­contre était pour nous l’ex­pres­sion sen­sible de notre catho­li­cisme. Nous sommes catho­liques et nous le mon­trons en allant rendre nos hom­mages au chef, à la tête de l’Eglise. Il était impor­tant que la Tradition rap­pelle qu’elle conser­vait bien sa catho­li­ci­té à l’heure où on lui reproche si sou­vent d’être refer­mée sur elle-​même. Le deuxième but était de témoi­gner de ce que nous fai­sons auprès du nou­veau pape. De lui mon­trer que ce que l’Eglise a tou­jours fait, nous le fai­sons aujourd’­hui dans le monde moderne et au milieu d’une crise qui touche autant la socié­té que l’Eglise. Que c’est fai­sable et que ce devrait être une indi­ca­tion pour sor­tir de la crise. Le troi­sième but de cette ren­contre était d’ap­pro­fon­dir nos rela­tions avec Rome et de les inten­si­fier pour arri­ver une fois à une solution.

Le Nouvelliste : Quel a été le cli­mat de cette rencontre ?

Mgr Fellay : L’ambiance a été tout à fait sereine. On voyait sans aucun doute qu’il y avait de la bien­veillance de la part du pape. D’ailleurs, depuis quelques années, Rome a adop­té un nou­veau ton à notre égard. La manière dont nous sommes reçus contraste de manière impres­sion­nante avec la façon dont les évêques nous traitent dans leurs diocèses.

Le Nouvelliste : Vous-​même avez par­lé à l’is­sue de cette ren­contre de « consen­sus pour résoudre les pro­blèmes ». S’agit-​il uni­que­ment d’un consen­sus sur la démarche à suivre où avez-​vous déjà abor­dé avec Rome des ques­tions de fond ?

Mgr Fellay : Cette pre­mière audience n’a­vait pas pour but de résoudre des pro­blèmes de fond mais de poser des jalons, d’es­quis­ser un che­min. Nous ne sommes pas allés plus loin. Nous avons vou­lu mon­trer notre bonne volon­té en venant voir Benoît XVI. Nous lui avons dit que nous le recon­nais­sions comme pape et que nous priions pour lui. Je lui ai d’ailleurs écrit plu­sieurs lettres depuis son élec­tion pour lui dire cela. Nous avons sur­vo­lé les choses en gros et nous n’a­vons pas appro­fon­di de pro­blème très spé­ci­fique. Ce sont d’ailleurs tou­jours les mêmes pro­blèmes qui nous occupent et l’on peut les résu­mer à deux : la nou­velle messe et le Concile Vatican II.

Le Nouvelliste : Le com­mu­ni­qué du porte-​parole du Vatican parle de la volon­té des deux par­ties de « pro­cé­der par étapes et dans des délais rai­son­nables ». Que va-​t-​il se pas­ser ces pro­chains mois ? Y a‑t-​il un calendrier ?

Mgr Fellay : Il n’y a pas de calen­drier expli­cite, mais l’on sent que Rome est assez pres­sée. De notre côté, nous tenons sur­tout à appro­fon­dir cer­tains pro­blèmes et nous sommes moins pres­sés. Nous vou­drions d’a­bord que le pape se mani­feste de manière à ce que la Tradition soit accep­tée au niveau local, par les évêques. Car la Tradition ce n’est pas nous, mais tout le pas­sé de l’Eglise.

Le Nouvelliste : Comment vont conti­nuer les contacts avec le pape ?

Mgr Fellay : Les contacts vont conti­nuer, mais avec le délé­gué du pape, le car­di­nal Castrillon. Nous avons deman­dé notam­ment que l’am­biance change et que soit ren­due par Rome la pleine liber­té de dire l’an­cienne messe. La Curie admet d’ailleurs qu’il n’y a aucun argu­ment pour inter­dire l’an­cienne messe.

Le Nouvelliste : De fait, il y a déjà un indult de Rome pour ceux qui veulent dire l’an­cienne messe.

Mgr Fellay : Oui, mais les com­mu­nau­tés tra­di­tio­na­listes ral­liées à Rome ne sont pas bien trai­tées dans l’Eglise, en par­ti­cu­lier par les évêques. L’indult auto­rise l’an­cienne messe sous forme de conces­sion, d’in­dul­gence, presque de tolé­rance. Cela ne signi­fie pas pour un rite avoir plein droit à l’exis­tence. Rome admet que l’an­cienne messe n’a jamais été sup­pri­mée. Ce que nous deman­dons n’est donc que justice.

Le Nouvelliste : Vous avez deman­dé aus­si à Benoît XVI la levée des excom­mu­ni­ca­tions pro­non­cées contre les quatre évêques consa­crés par Mgr Lefebvre.

Mgr Fellay : Nous consi­dé­rons les excom­mu­ni­ca­tions comme nulles. Par ailleurs, si l’ex­com­mu­ni­ca­tion des ortho­doxes a été levée par Paul VI pour faci­li­ter le rap­pro­che­ment, je ne vois pas pour­quoi Rome ne pour­rait pas faire la même chose avec nous. J’ajouterai à ce sujet que si le pape veut trou­ver rapi­de­ment un accord avec nous, c’est aus­si parce que les ortho­doxes ne feront rien avec l’Eglise catho­lique tant que Benoît XVI n’au­ra pas réglé les pro­blèmes de Rome avec sa propre tra­di­tion.
Les ortho­doxes sont eux aus­si tra­di­tio­na­listes et la façon dont sera trai­tée la tra­di­tion latine dic­te­ra leurs rela­tions avec Rome. Or, le pape veut l’u­nion avec les ortho­doxes. Mais lorsque nous deman­dons un sta­tut cano­nique, nous deman­dons tout sim­ple­ment de pou­voir vivre comme des catho­liques dans l’Eglise. Nous sui­vons en tous points la doc­trine tra­di­tion­nelle de l’Eglise et nous sommes per­sé­cu­tés. Trouvez-​vous cela nor­mal alors que dans les uni­ver­si­tés catho­liques des pro­fes­seurs peuvent pro­fes­ser des héré­sies sans être inquié­tés ? Regardez le caté­chisme ensei­gné aux enfants dans les diocèses !

Le Nouvelliste : Mais quelles condi­tions pose Rome par rap­port au Concile Vatican II ?

Mgr Fellay : Mgr Fellay : Tant pour la messe que pour le concile, avec le temps, les exi­gences de Rome se font plus pré­cises. Rome a même lâché un peu de lest. Pour la nou­velle messe, on nous demande sim­ple­ment de recon­naître qu’elle est valide. Nous sommes d’au­tant plus d’ac­cord que Rome ajoute qu’elle est valide lorsque le prêtre a l’in­ten­tion de célé­brer le sacri­fice de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Pour le Concile Vatican II, Rome vou­drait reprendre le pro­to­cole signé en 1988 par Mgr Lefebvre et par le car­di­nal Ratzinger. Ce pro­to­cole dit qu’une seule inter­pré­ta­tion du Concile Vatican II est valable. Celle qui est faite à la lumière de la Tradition. Mais même si cela n’a pas été dit très expli­ci­te­ment, nous avons bien com­pris au cours de notre ren­contre avec le pape qu’il nous consi­dé­rait comme vieux jeu et que le concile c’est aus­si un esprit que nous devons acqué­rir. Je suis d’ac­cord avec la for­mule du concile inter­pré­té à la lumière de la Tradition mais je ne puis pas la signer dans le contexte actuel.

Le Nouvelliste : C’est parce que vous n’a­vez tou­jours pas la même appré­cia­tion du Concile Vatican II que Rome que vous ne vou­lez pas signer une for­mule d’ac­cord qui semble pour­tant accep­table par vous ?

Mgr Fellay : C’est un pro­blème de vision, d’é­tat de la ques­tion. Le pro­blème que nous sommes cen­sés cau­ser à l’Eglise n’est pas per­çu de la même manière par Rome et par nous et c’est pour­quoi nos solu­tions divergent pro­fon­dé­ment. Or, pour arri­ver à une solu­tion il faut être d’ac­cord sur l’é­tat de la ques­tion. Nous sommes allés à Rome pour poser le pro­blème cor­rec­te­ment. En clair, nous ne sommes pas le pro­blème. Car même si nous n’exis­tions pas, la crise de l’Eglise serait tout aus­si grave. Nous ne fai­sons en effet que réagir à la crise du monde catho­lique. Notre manière de voir le Concile Vatican II ne cor­res­pond pas à celle de Rome actuel­le­ment, c’est vrai. Et c’est pour­quoi l’on ne peut pas res­ter dans des for­mules d’ac­cord super­fi­cielles. Il faut aller au fond des choses. Nous n’au­rions aucun pro­blème à signer un accord super­fi­ciel, mais nous ne vou­lons pas d’une récon­ci­lia­tion sim­ple­ment tac­tique qui ne condui­rait à rien. Il faut que cet accord soit vrai, pro­fond. Il ne ser­vi­rait à rien de don­ner l’im­pres­sion que tout est ren­tré dans l’ordre alors que rien n’est réglé. Dans la situa­tion actuelle, un tel accord trom­pe­rait tout le monde. J’ai peur que le pape et la curie ne soient blo­qués par la ligne pro­gres­siste. Cela expli­que­rait cette foca­li­sa­tion sur le seul Concile Vatican II. Je vous le répète, si Rome fait le moindre effort sérieux pour sor­tir de la crise, sans même par­ler de nous, le pro­blème n’exis­te­ra plus car l’am­biance et l’es­prit auront changé.

Le Nouvelliste : A vous entendre, il ne reste plus guère d’es­poir pour un accord.

Mgr Fellay : A vues humaines oui, mais il ne faut jamais oublier que l’es­prit catho­lique est dans l’Eglise et qu’il reprend force actuel­le­ment. C’est une ques­tion de temps pour qu’il reprenne la pre­mière place.

Le Nouvelliste : Mais vu le blo­cage idéo­lo­gique qui semble patent à entendre ce que vous me dites, pour­quoi alors renouer avec Rome ?

Mgr Fellay : Nous devons avoir des rela­tions sui­vies avec Rome. Elles nous per­mettent notam­ment d’en­voyer des études appro­fon­dies. Nous avons par ailleurs des alliés à Rome et dans les diocèses.

Le Nouvelliste : Les vati­ca­nistes parlent d’un pos­sible geste de Rome très pro­chai­ne­ment pour libé­ra­li­ser lar­ge­ment l’u­sage de l’an­cienne messe et don­ner un sta­tut juri­dique aux tra­di­tio­na­listes dans l’Eglise.

Mgr Fellay : C’est pos­sible, mais je n’en sais rien. Pour la Fraternité saint Pie X, cela n’i­ra sans doute pas aus­si vite. Par contre, pour les mou­ve­ments Ecclesia Dei (n.d.l.r.: pour les com­mu­nau­tés tra­di­tio­na­listes ral­liées à Rome), cela pour­rait aller plus vite. Nous atten­dons pour voir.

Le Nouvelliste : Mais que demandez-​vous au fond pour vous récon­ci­lier avec Rome ? Que le Vatican signe une décla­ra­tion ? Ce serait uto­pique de votre part.

Mgr Fellay : Nous ne deman­dons pas de décla­ra­tion de la part de Rome. Nous deman­dons sim­ple­ment que le cli­mat change, que Rome reprenne les com­mandes de l’Eglise. Un des prin­ci­paux pro­blèmes dans l’Eglise aujourd’­hui se situe en effet entre Rome et les confé­rences épis­co­pales qui ne veulent pas se lais­ser faire et qui ont pris goût à l’in­dé­pen­dance au point de ne plus obéir vrai­ment aux direc­tives émises depuis le Vatican. On l’a vu ces der­nières années avec la décla­ra­tion « Dominus Jesus » ou cer­tains docu­ments sur les laïcs et l’Eucharistie par exemple qui ont sus­ci­té au mieux l’in­dif­fé­rence de nombre d’évêques.

Le Nouvelliste : Joseph Ratzinger tra­vaille sur le dos­sier tra­di­tio­na­liste depuis plus de vingt ans. C’est un pour­fen­deur du rela­ti­visme contem­po­rain et il est plu­tôt bien vu de vos milieux qui ont salué son élec­tion. Il y a trois ans, il a même cor­res­pon­du avec vous pour une reprise du dia­logue sur des ques­tions théo­lo­giques. Avez-​vous l’im­pres­sion que Benoît XVI est plus sen­sible à la tra­di­tion que son pré­dé­ces­seur Jean Paul II en ce qui concerne les ques­tions litur­giques et doc­tri­nales que vous posez ?

Mgr Fellay : Sans aucun doute. La doc­trine a plus d’im­por­tance pour Benoît XVI que pour Jean Paul II. Ce der­nier accor­dait plus d’im­por­tance à la pas­to­rale, au vécu, à la com­mu­nion prise au sens de l’être avec. J’ai l’im­pres­sion que pour Benoît XVI, la foi a un rôle plus impor­tant et je pense qu’on le ver­ra dans la nou­velle struc­ture de la curie ain­si que dans sa façon de gou­ver­ner l’Eglise. Il va mettre à nou­veau la foi à la pre­mière place, au-​dessus de la poli­tique et de la secré­tai­re­rie d’Etat. Paradoxalement, cela rend nos rap­ports à la fois plus faciles et plus dif­fi­ciles. D’un point de vue litur­gique, Benoît XVI a une incli­na­tion mar­quée contre la nou­velle litur­gie. Je pense qu’il va conduire une réforme litur­gique, une nou­velle « nou­velle messe » à base de l’an­cienne selon une for­mule dont il a usé il y a deux ans. L’on peut s’at­tendre en tout cas à une réforme de la réforme.

Le Nouvelliste : Evaluez-​vous la ren­contre du 29 août comme une porte entrou­verte par Benoît XVI aux tra­di­tio­na­listes de la Fraternité saint Pie X et comme un signe d’es­pé­rance pour l’unité ?

Mgr Fellay : Ce n’est ni le pre­mier ni le der­nier pas, mais il va dans la bonne direc­tion. D’un côté comme de l’autre, il va fal­loir cepen­dant du temps même si Rome m’ap­pa­raît rela­ti­ve­ment pressée.

Source : Le Nouvelliste

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.