Mgr Lefebvre : « Je vous conjure de demeurer attachés au Siège de Pierre »


Je vous avais pro­mis quelques objec­tions, et les réponses que nous pou­vons y faire. Abbé Michel Simoulin in Le Seignadou d’oc­tobre 2016.

Voici donc la pre­mière objec­tion, qui est peut-​être la seule vrai­ment sérieuse, celle des décla­ra­tions de Mgr Lefebvre affir­mant, prin­ci­pa­le­ment après 1988, vou­loir attendre la « conver­sion » de Rome avant de reprendre des démarches pour une récon­ci­lia­tion. Cette posi­tion est habi­tuel­le­ment pré­sen­tée sous cette for­mule : pas d’accord pra­tique avant un accord doc­tri­nal.

Cela est vrai et bien connu, mais Mgr lui-​même recon­nais­sait que cela pren­drait du temps, beau­coup de temps, et qu’il fau­drait attendre les signes de la Providence pour dis­cer­ner le moment oppor­tun. Et en cela, il s’en remet­tait tota­le­ment aux supé­rieurs de la Fraternité, ne ces­sant de nous répé­ter : pour moi, c’est fini… vous avez vos évêques, vos supé­rieurs, vos sémi­naires, vos prieu­rés, je vous ai don­né tout ce que j’avais reçu… à vous main­te­nant de conti­nuer sans moi !

En outre, et ceux qui furent des pre­miers com­pa­gnons de Monseigneur ne devraient pas l’oublier, au-​delà de ses décla­ra­tions par­fois fra­cas­santes, même aux heures les plus ten­dues avec Rome, Mgr Lefebvre a tou­jours agi et réagi en ser­vi­teur de l’Église et du Pape et en fils de Rome. Il avait le cœur romain plus que beau­coup d’entre nous, et dans toutes ses inter­ven­tions même les plus fortes, ceux qui le connais­saient sen­taient tou­jours sous-​jacente une vraie tris­tesse : tris­tesse ana­logue à celle de Jésus-​Christ pleu­rant sur Jérusalem mais tou­jours ani­mé du désir de sau­ver la cité sainte, tris­tesse de l’état de l’Église, tris­tesse de devoir réagir à l’encontre des auto­ri­tés de l’Église, et tris­tesse de n’être pas enten­du, ni com­pris. Jamais il n’aurait esquis­sé le pre­mier pas dans le sens d’une rup­ture avec Rome, et c’est tou­jours la « Rome conci­liaire » qui a pris l’initiative des mesures de « sépa­ra­tion », pour n’aboutir qu’à le sépa­rer un peu plus de la « Rome conci­liaire » en le pous­sant à se réfu­gier tou­jours plus dans le cœur de la « Rome Romaine » ! Romain il fut et romain il est demeu­ré jusqu’à son der­nier souffle. La « Romanité » n’est pas Un vain mot, furent qua­si­ment les der­niers mots de son Itinéraire spi­ri­tuel.

Mais reli­sons un peu l’histoire. D’abord, la Fraternité – qui n’est pas née pour s’opposer au concile ou à Rome, mais pour don­ner une struc­ture dans l’Église aux prêtres for­més au sémi­naire de Fribourg-​Ecône – a été recon­nue et éri­gée par et dans « l’Église conci­liaire ». Mgr Lefebvre et Mgr Charrière s’étaient connus à Dakar lorsque l’évêque de Fribourg était venu pen­dant une quin­zaine de jours visi­ter les Suisses ins­tal­lés au Sénégal. Ils avaient sym­pa­thi­sé et Mgr Lefebvre avait main­te­nu les rela­tions, sans plus… Mgr Charrière était en réa­li­té un véri­table esprit conci­liaire, avant même Vatican II, repré­sen­tant avant l’heure de ce que Mgr Benelli appe­la « l’Église conci­liaire ». Et c’est pour­tant lui qui a éri­gé l’institut de droit dio­cé­sain appe­lé : « Fraternité sacer­do­tale Saint-​Pie X ». Entre le 1° novembre 1970 et le 6 mai 1975, la Fraternité était donc bel et bien une œuvre de « l’Église conci­liaire », et cela ne gênait nul­le­ment notre fondateur !

Et c’est dans cette période que se situent les deux actes « fon­da­teurs » de sa posi­tion immuable, actes révé­la­teurs de ses dis­po­si­tions intimes : La décla­ra­tion du 21 novembre 1974 : « Oui à la Rome éter­nelle, non à la Rome moder­niste » ! Il recon­nais­sait lui-​même que cette décla­ra­tion était forte, et il nous en a don­né l’exégèse à de mul­tiples reprises : non pas le refus de tout ce qui venait de Rome, mais le refus de ce qui en venait sous l’inspiration de l’esprit moder­niste, étran­ger à la tra­di­tion catholique.

Et il y eut aus­si, sa fière réponse à l’éditorial de l’ab­bé de Nantes où celui-​ci l’in­ci­tait à rompre avec Rome, en février 1975 ! C’est dans la lettre de Mgr Lefebvre à l’ab­bé de Nantes qu’il lui répond : « Sachez que si un Évêque rompt avec Rome ce ne sera pas moi. Ma « Déclaration » le dit assez expli­ci­te­ment et for­te­ment. » Cette lettre est du 19 mars 1975 !

Libre aux évêques indé­pen­dants de « l’Église Catholique » d’opérer cette rup­ture, mais qu’ils ne se réclament pas d’une soi-​disant fidé­li­té à la pen­sée de Mgr Lefebvre pour cela, et qu’ils cessent de nous faire rire jaune en par­lant de « la tra­hi­son des auto­ri­tés actuelles de la Fraternité Saint-​Pie X à l’es­prit et à l’œuvre de Monseigneur Marcel Lefebvre ». Qu’ont accep­té nos supé­rieurs par­mi ce que refu­sait Mgr Lefebvre : la nou­velle messe ? Les théo­ries conci­liaires ? La liber­té reli­gieuse ? Le culte de l’homme ? L’œcuménisme indif­fé­ren­tiste ? Ou bien encore, ont-​ils per­du cette roma­ni­té si chère à Monseigneur ? Au lieu de cri­ti­quer et condam­ner Mgr Fellay, que ces mes­sieurs fassent des pro­po­si­tions posi­tives et construc­tives. Que nous proposent-​ils comme solu­tion ? Rien, à part le refus et la rupture !

Puis-​je rap­pe­ler au pas­sage cette belle décla­ra­tion de l’abbé Williamson, direc­teur du sémi­naire amé­ri­cain de Ridgefield et actuel chef de file de la Résistance, le 8 décembre 1987 – après donc le « scan­dale » d’Assise – : « Prions pour la Fraternité ! Prions en par­ti­cu­lier pour le car­di­nal Gagnon qui revient aujourd’hui au sémi­naire de la Fraternité en Suisse, après avoir ter­mi­né sa visite d’un mois dans les mai­sons de la Fraternité en Suisse, en France et en Allemagne. Prions pour lui, lorsqu’il rédi­ge­ra son rap­port sur la Fraternité à l’intention du Saint-​Père, afin qu’il pré­sente la véri­té de telle sorte qu’il gagne l’approbation du pape. Prions pour le pape pour qu’il puisse faire ce qu’il devrait clai­re­ment faire : don­ner la juri­dic­tion et un sta­tut à la Fraternité, laquelle le mérite entiè­re­ment. Ceci est abso­lu­ment néces­saire pour le bien de l’Église uni­ver­selle, sans par­ler de la Fraternité. 

Il est humain, et je ne le repro­che­rai à per­sonne, de chan­ger par­fois d’avis, mais il ne me semble pas cor­rect d’accuser de tra­hi­son ceux qui n’ont pas chan­gé ! Et quand bien même ils auraient chan­gé de posi­tion en rai­son de nou­velles cir­cons­tances, ne peut-​on leur accor­der la même bien­veillance qu’à Mgr Williamson ?

Il y eut encore ces mots de Mgr aux futurs évêques : « Je vous conjure de demeu­rer atta­chés au Siège de Pierre, à l’Église Romaine, Mère et Maîtresse de toutes les Églises, dans la foi catho­lique intégrale ».

Et nous pou­vons conclure avec les pro­pos de Mgr lui-​même, fidèle à ses pre­mières posi­tions jusqu’au bout, dans les consi­dé­ra­tions qu’il adres­sait aux diacres en retraite à Montalenghe en juin 1989, et donc après les sacres épis­co­paux. Il leur don­nait une der­nière fois le sens de sa décla­ra­tion de 1974 : « Je pense quand même que nous avons besoin d’un lien avec Rome… Rome, c’est quand même là que se trouve la suc­ces­sion de Pierre, la suc­ces­sion des apôtres, de l’apôtre Pierre, de la pri­mau­té de Pierre et de l’Église ; si on coupe avec ce lien, on est vrai­ment comme une embar­ca­tion qui est lar­guée au grès des flots, sans plus savoir à quel lieu nous sommes rat­ta­chés et à qui nous sommes rat­ta­chés. Je pense qu’il est pos­sible de voir dans la per­sonne qui suc­cède à tous les papes pré­cé­dents, puisque s’il occupe le siège, il a été reçu comme évêque de Rome à saint Jean de Latran, or c’est l’évêque de Rome qui est le suc­ces­seur de Pierre, il est recon­nu comme suc­ces­seur de Pierre par tous les évêques du monde. Bon ! Qu’est-ce que vous vou­lez, on peut pen­ser qu’il est vrai­ment le suc­ces­seur de Pierre ! Et en ce sens nous nous rat­ta­chons à lui et à tra­vers lui à tous ses pré­dé­ces­seurs, onto­lo­gi­que­ment si je puis dire. Et puis ensuite, ses actions, ce qu’il fait, ce qu’il pense, et les idées qu’il répand, c’est autre chose, bien sûr. C’est une grande dou­leur pour l’Église catho­lique, pour nous, que nous soyons obli­gés de consta­ter une chose sem­blable. Mais je pense que c’est la solu­tion qui cor­res­pond à la réa­li­té. » (N.B. il s’agit de la trans­crip­tion écrite fidèle d’un texte par­lé, qui exprime bien la pen­sée, mais ne peut pas tou­jours res­pec­ter la grammaire). 

Ces véri­tés, bien connues déjà par les esprits bien­veillants, peuvent nous aider à y voir clair et à tenir bon, sans nous lais­ser séduire par ces lugubres et tristes sirènes de mal­heur qui oublient ce tré­sor caché dans l’âme de Mgr. Lefebvre, qui fut pour­tant leur père : l’amour de Rome où se trouve et se trou­ve­ra jusqu’à la fin des temps la suc­ces­sion de Pierre, la suc­ces­sion des apôtres, de l’apôtre Pierre, de la pri­mau­té de Pierre et de l’Église !

Abbé Michel Simoulin

Sources : Le Seignadou d’oc­tobre 2016/​La Porte Latine d’oc­tobre 2016