Sans être pessimiste, il me semble que nous pouvons tout craindre de ce synode sur la famille. Je ne commenterai pas ici les actes récents relatifs à la procédure d’annulation des mariages, car cela a été fait ailleurs de main de maître par M. de Mattei.
Je m’arrêterai plutôt aux débats de la « Journée d’études communes sur des questions de la pastorale du mariage et de la famille » à l’initiative des présidents des conférences épiscopales d’Allemagne, de France et de Suisse.
L’un des intervenants, le père Alain Thomasset, S.J., est rebuté par l’idée que certains actes sont intrinsèquement mauvais : « L’interprétation de la doctrine des actes dits « intrinsèquement mauvais » me paraît être l’une des sources fondamentales des difficultés actuelles de la pastorale des familles, car elle détermine en grande partie la condamnation de la contraception artificielle, celle des actes sexuels des couples divorcés et remariés et celle des couples homosexuels, même stables.
Elle apparaît à beaucoup comme incompréhensible et semble contreproductive sur le plan pastoral. »
Il s’agit donc, en fait, de redéfinir le péché. Les actes de cette « Journée d’études communes » se terminent par un « Résumé » des débats. La tentative de nier l’existence du péché en le redéfinissant est clairement évidente :
« Les images directrices du mariage et de la famille définissent un référentiel éthique de haut niveau dont les êtres humains ne peuvent jamais, autrement que graduellement, transformer les différentes facettes en réalité. D’un autre côté vaut ce principe : qui aime vit une expérience transcendantale. Il se trouve donc aussi dans les relations d’amour qui ne se conforment apparemment pas aux normes de l’Eglise, des aspects qu’il faut considérer comme d’authentiques témoignages de l’amour de Dieu et de l’action de l’Esprit. Nous devons chercher Dieu partout ! Dans ce contexte a été signalée l’importance de la réflexion théologique sur les « logoi spermatikoi » (semences du Verbe). Face à ces structures de la réalité se pose pour l’Eglise le défi de surmonter toute forme de réflexion sans nuances. Relativement à la thématique de l’homosexualité se pose ici un défi particulier auquel il faut répondre dans la réflexion. »
Et personne n’a éclaté de rire devant pareille sottise ! Les présidents des conférences épiscopales d’Allemagne, de France et de Suisse, ont écouté et approuvé cela avec beaucoup de sérieux !
Nous voici donc revenus au temps du « pecca fortiter sed crede fortius » de Luther (qui a désormais une place au cœur de la ville de Rome, inaugurée le 16 septembre). Si celui qui « pèche » le fait avec sincérité et dans l’amour (amour de qui ? de quoi ?), il vit une « expérience transcendantale » qui constitue un « authentique témoignage de l’amour de Dieu et de l’action de l’Esprit », qui révèle la présence des « semences du verbe » de Dieu cachées dans ce qu’une réflexion « sans nuances » a considérées jusqu’ici, bien à tort, comme des offenses graves à Dieu.
Le péché n’a plus aucune réalité objective, comme si la nature des choses et leur finalité étaient de purs phantasmes, et un acte n’est considéré comme mauvais que s’il n’est pas vécu dans « l’Amour » ! Cet amour indéterminé fait échapper celui que nous considérions naguère comme pécheur, aux basses réalités de la vie humaine, et le fait planer dans un univers transcendantal, où tout devient pur et angélique !
C’en est fini de cette conception figée d’une nature concrète déterminée, avec des fonctions naturelles répondant à une finalité précise : manger pour se nourrir et croître, marcher pour se rendre en un lieu désiré et choisi, parler pour communiquer une vérité, regarder pour admirer ou écouter pour s’informer, et bien d’autres fonctions parmi lesquelles l’union des sexes qui a pour finalité naturelle la génération. Certes, à l’exercice de ces fonctions est attaché un réel et légitime plaisir, destiné à en faciliter l’accomplissement, voire à en provoquer le désir. Mais nous savons que c’est déjà un désordre que de se laisser dominer par l’attrait du plaisir au point d’exagérer dans l’usage de ces fonctions, même sans aller jusqu’à en empêcher l’effet naturel. Et voici que tout cet ordre naturel, certes exigeant et contraignant, est privé de toute finalité objective, et mis au service de ce plaisir baptisé amour et de l’épanouissement de soi-même dans un amour transcendantal suscité par l’Esprit de Dieu. Pécher n’est donc plus un désordre, il n’y a plus d’acte intrinsèquement mauvais, à moins de n’être pas sincère avec l’amour qui nous meut !
Caricature ? Je le voudrais et je voudrais que ce synode me rassure.
Mais je pense à Padre Pio qui pleurait, et souffrait la passion du Christ, Padre Pio qui pleurait lorsque lui-même se confessait et confiait au moine qui s’étonnait de ses larmes :
« Mon fils, toi tu penses que le péché consiste à transgresser une loi. Non ! Le péché est trahison de l’amour. Qu’a fait pour moi le Seigneur et moi, qu’est-ce que je fais pour lui ? »
En outre, si ces « actes intrinsèquement mauvais » n’existent plus, il me semble logique d’en conclure que l’enfer non plus n’existe plus ! Je conclurais donc mes réflexions avec quelques extraits des notes d’une sainte religieuse décédée il y a cent ans, le 14 mai 1915, Mère Louis-Marguerite Claret de La Touche.
« Mais c’est précisément parce que je crois à ton Amour, ô mon grand Dieu, puissant et bon, que je crois à l’enfer. …Tu as tout créé par amour ; Tu as formé l’homme à ta divine ressemblance ; Tu l’as vivifié de ton propre souffle, Tu l’as comblé de tes dons et Tu n’as demandé à cette créature si richement dotée, qu’un peu de confiance, de fidélité et d’amour ; et quand elle te méprise et se révolte contre Toi, Tu resterais impassible, comme un être incomplet privé d’amour et de sentiment ?
Ô mon Dieu, je crois aux rigueurs de ta Justice parce que je crois aux excessives tendresses de ton Cœur…
Quand je vois un prince laisser dans son royaume tous les crimes impunis ; quand je le vois distribuer ses largesses avec autant de profusion sur les félons et les traîtres que sur ses sujets fidèles, et trainer dans l’avilissement la grandeur et la majesté royales, je ne puis que le mépriser et le nommer injuste et lâche ! Non, s’il n’y avait pas d’enfer, je ne pourrais pas t’aimer … S’il n’y avait pas d’enfer, il manquerait trois fleurons splendides à la couronne de tes sublimes perfections : il y manquerait la justice, la puissance et la dignité !
Et d’ailleurs, ce n’est pas Toi, mon Dieu, souverainement bon, qui condamnes et qui damnes ; ce sont les méchants eux-mêmes qui, refusant de se jeter dans les flammes de ton éternel Amour, se précipitent dans celles de ta Justice éternelle. Oui, je t’aime tel que Tu es. Je t’adore couronné de l’ensemble infini de toutes les perfections, aussi Juste que bon, aussi grand par ta puissance et par ta sainteté que par ta miséricorde, et toujours l’Amour, l’Amour Infini, l’Amour qui crée, qui donne, qui pardonne, qui vivifie ; l’Amour qui commande, qui reprend et qui châtie. »
Depuis cent ans, Dieu a‑t-il changé ?
Le bien et le mal, le vrai et le faux se sont-ils réconciliés ?
Abbé Michel Simouin, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Seignadou d’octobre 2015/LPL