10 novembre 2018

Vae mundo a scandalis – Réflexions sur les scandales dans l’Église, don Mauro Tranquillo

La cité du Vatican, le 14 février 2013. Crédit : Brenda Colón Navar.

Væ mundo a scandalis1

Nous avons tous enten­du par­ler des récentes décou­vertes de scan­dales moraux, en par­ti­cu­lier aux États-​Unis, et du tra­vail de dénon­cia­tion de l’ex-​nonce Monseigneur Viganò, que le pon­tife a dit ne pas vou­loir prendre en consi­dé­ra­tion, lais­sant entendre aux jour­na­listes qu’il ne la pen­sait ni inté­res­sante ni sérieuse. Nous avons éga­le­ment vu com­ment, au contraire, une par­tie de l’é­pis­co­pat amé­ri­cain, de la presse étran­gère et du peuple chré­tien réclament clar­té et jus­tice sur ces infor­ma­tions, ain­si que sur les accu­sa­tions qui touchent le pape François pour com­pli­ci­té et silence devant des faits dont il avait eu connais­sance. Le pape a ensuite accu­sé le coup en convo­quant, comme nous l’a­vons enten­du, tous les pré­si­dents des confé­rences épis­co­pales pour une réunion sur le sujet.

Les lignes que nous écri­vons ici ne veulent pas être une répé­ti­tion d’in­for­ma­tions que l’on peut trou­ver ailleurs sans dif­fi­cul­té, ni un com­men­taire pure­ment mora­liste sur ces nom­breux désastres réels et /​ou pro­bables. Au lieu de cela, elles veulent être une ten­ta­tive de sur­mon­ter la dif­fi­cul­té que beau­coup de fidèles nous ont expri­mée, après avoir été cho­qués à juste titre par des nou­velles dif­fi­ciles à lire même avec un regard surnaturel.

Les consi­dé­ra­tions que nous allons faire, peut-​être dans un ordre un peu dis­per­sé, veulent don­ner des élé­ments pour gar­der un regard au-​dessus de ces évé­ne­ments si frus­trants pour tous les catho­liques, et pour essayer d’encadrer les faits dans une vision plus large, avec toute la déli­ca­tesse que le cas exige (parce que oui, il néces­site l’in­di­gna­tion et la colère, mais aus­si la déli­ca­tesse : consi­de­rans teip­sum, ne et tu ten­te­ris, dit Saint-​Paul2 à qui­conque aver­tit les autres en matière morale).

1 – L’Église a tou­jours connu en son sein l’im­mo­ra­li­té de ses membres et de ses hié­rar­chies. Depuis l’in­ces­tueux de Corinthe, du temps de saint Paul, jus­qu’à la cor­rup­tion du cler­gé à presque toutes les époques, l’Église n’a jamais eu que de membres saints. Même très récem­ment, des cas et des situa­tions simi­laires aux der­niers évé­ne­ments ont été signa­lés, même à très grande échelle ; sans men­tion­ner les scan­dales éco­no­miques et finan­ciers. Si nous regar­dons les siècles pas­sés de l’Église, même lorsque le moder­nisme était loin d’être théo­ri­sé, nous pour­rions trou­ver de grands et vastes réseaux pec­ca­mi­neux par­mi les membres du cler­gé et de la hié­rar­chie, même si ce fut à côté de grands saints et d’ins­ti­tu­tions saintes ; en effet, il ne faut pas oublier qu’au cours de nom­breuses époques le cler­gé, sous la pres­sion réfor­ma­trice des saints et des pon­tifes, fut géné­ra­le­ment très édifiant.

2 – Cela ne signi­fie pas pour autant que la situa­tion n’a pas de gra­vi­té spé­ci­fique, en res­tant dans le domaine pure­ment moral : nous décou­vrons que de nom­breux membres de la hié­rar­chie étaient acti­ve­ment impli­qués dans ce réseau, défen­dant les cou­pables plu­tôt que les vic­times, et étant per­son­nel­le­ment impli­qués dans ces abus, sys­té­ma­ti­que­ment. Et pen­dant des décen­nies, et qu’ils se sont pro­té­gés grâce à la puis­sance de l’argent et du pou­voir, pro­mou­vant ceux qui étaient comme eux pour per­pé­tuer leurs crimes. La der­nière accu­sa­tion concerne l’im­pli­ca­tion pré­su­mée, comme nous l’a­vons dit, du pape François lui-​même. Bien que ses res­pon­sa­bi­li­tés réelles doivent encore en par­tie être mise en évi­dence, il est clair que le pape s’est mon­tré zélé pour per­sé­cu­ter ceux qui ne pensent pas comme lui (ou qui est faci­le­ment sacri­fiable), mais – appa­rem­ment – il a été moins actif quand il s’est agi de per­sonnes à qui il doit des faveurs ou qui par­tagent ses idées.

3 – Un autre élé­ment par­ti­cu­liè­re­ment grave à sou­li­gner (aus­si évident que cela puisse paraître) est que nous ne sommes pas face à des chutes dues à la fra­gi­li­té humaine, à cer­tains moments de fai­blesse, de la part de ministres de Dieu cepen­dant de bonne volon­té ; mais à une volon­té per­verse, sou­vent anté­cé­dente à la récep­tion du sacer­doce, de vivre dans le péché, peut-​être contre nature. Volonté favo­ri­sée et même sus­ci­tée par cer­tains hié­rarques, ce qui est lié non seule­ment au sixième com­man­de­ment, mais aus­si à ce péché contre le Saint-​Esprit qui est l’obs­ti­na­tion dans le mal et au scan­dale des petits mau­dit par l’Évangile.

4 – Ce n’est pas une simple fra­gi­li­té humaine, aus­si parce que les péchés en ques­tion sont presque tou­jours de véri­tables crimes (même pour les lois pénales modernes), com­mis avec un abus de pou­voir envers les petits ou les subor­don­nés, ce qui implique néces­sai­re­ment une mali­gni­té de la volon­té qui va au-​delà du simple mou­ve­ment des pas­sions, du moins chez ceux qui ont pro­té­gé et pro­mu ces péchés. La vio­lence et l’injustice s’ajoutent donc à la « simple » impureté.

5 – Comme nous l’a­vons vu, cette impu­re­té est presque tou­jours contre-​nature, ce qui est clai­re­ment un autre élé­ment qui rend plus grave le péché, même si le Saint-​Siège et le monde entier veulent dési­gner uni­que­ment la vio­lence comme seul fac­teur aggra­vant (il serait poli­ti­que­ment très incor­rect de dénon­cer l’ho­mo­sexua­li­té en tant que « pro­blème » spé­ci­fique). Nous abor­de­rons dans les points sui­vants la ques­tion de l’idéologie « homo­sexua­liste » qui du monde est entrée à l’intérieur de l’Église.

6 – Ces pré­misses, si elles nous font com­prendre la gra­vi­té de la situa­tion, ne nous disent pas encore clai­re­ment les causes, si ce n’est que dans un sens géné­ral, elles nous parlent de la per­ver­si­té du cœur humain, mais aus­si de celle des âmes consa­crées qui peuvent tom­ber dans toute sorte de péché. Le fait que des situa­tions simi­laires aient été dénon­cées à tous les âges (même si avec des gra­vi­tés et des exten­sions très dif­fé­rentes) ne nous per­met pas de conclure hon­nê­te­ment à la cor­ré­la­tion abso­lue entre moder­nisme et cor­rup­tion morale. D’autres fac­teurs, très dif­fé­rents de l’hé­ré­sie, ont pu à d’autres moments his­to­riques pro­duire des effets simi­laires. Cependant on ne peut nier que, en ce moment his­to­rique, l’une des causes de la cor­rup­tion morale à une si grande échelle soit l’a­ban­don des justes doc­trines de l’Église. Il y a et il y a eu des catho­liques impurs et des héré­tiques purs : mais il est cer­tain que l’a­ban­don de la foi faci­lite tou­jours l’a­ban­don de la morale. Le moder­nisme n’est pas en soi lié à une mau­vaise conduite, mais dans les faits il a joué un rôle. La pro­fes­sion de la vraie foi n’est pas en soi une garan­tie de pure­té et d’hon­nê­te­té, mais cer­tai­ne­ment elle peut favo­ri­ser la ver­tu mieux qu’une héré­sie qui fait dou­ter de toute la religion.

7 – Pendant de nom­breuses années, les ecclé­sias­tiques ont donc com­mis des crimes graves contre la chas­te­té pétrie de vio­lence et d’a­bus, créant en par­tie un réseau de pro­tec­tion et de pro­mo­tion du péché lui-​même. Tout cela s’est quand même pas­sé rela­ti­ve­ment dans l’ombre, parce que cela était consi­dé­ré comme un mal à cacher. Dans la même période, juste avant le Concile, presque toute la hié­rar­chie, à com­men­cer par les papes, a pro­mu au grand jour un crime encore plus grand, l’hé­ré­sie du moder­nisme, qui a por­té pré­ju­dice à l’en­semble de l’Église. L’hérésie était (et est) pré­sen­tée au peuple comme le plus grand bien et même comme la volon­té du Saint-​Esprit. Il y a eu très peu de réac­tions à cet effon­dre­ment. Si le sou­ci du pre­mier bien que doit gar­der la hié­rar­chie, l’or­tho­doxie de la foi, a donc été aban­don­né ain­si col­lec­ti­ve­ment, pouvons-​nous être éton­nés par les silences et les com­pli­ci­tés sur d’autres péchés ? Une hié­rar­chie qui per­ver­tit sa mis­sion pri­mor­diale, ne pourra-​t-​elle pas per­ver­tir aus­si tout le reste ? C’est là que réside la vraie dif­fi­cul­té mais aus­si la vraie dif­fé­rence entre la situa­tion actuelle et l’im­mo­ra­li­té « his­to­rique » d’une par­tie du clergé.

8 – Existe-​t-​il une cor­ré­la­tion entre ces scan­dales, tel­le­ment tein­tés d’ho­mo­sexua­li­té, et l’hé­ré­sie « homo­sexua­liste » que le sys­tème moder­niste, qui suit le monde, porte en avant ? C’est-​à-​dire la pra­tique du vice influence-​t-​elle d’une cer­taine manière un chan­ge­ment de la doc­trine « offi­cielle » de l’Église conci­liaire concer­nant le vice contre la nature ? C’est l’une des ques­tions les plus répan­dues et l’un des dan­gers les plus graves. La réponse est, à notre avis, un peu plus com­plexe qu’il n’y parait. Il ne fait aucun doute que dans la phase actuelle du moder­nisme, on essaie de chan­ger la morale sexuelle. Amoris lae­ti­tia était la pre­mière étape, la révi­sion de Humanae vitae sera pro­ba­ble­ment la seconde, et nous savons com­bien, du pape aux rangs en-​dessous, la ten­dance est à « la misé­ri­corde » envers les per­sonnes (et les idées) homo­sexuelles, avec divers théo­ri­ciens de nou­velles doc­trines en cir­cu­la­tion, à com­men­cer par le célèbre jésuite Martin et par de nom­breux évêques (voir la réunion de « Chrétiens LGBT » orga­ni­sée à Albano Laziale sous l’é­gide de Mgr Semeraro, proche col­la­bo­ra­teur du pape). Vous pou­vez consul­ter, tant sur le phé­no­mène de l’ho­mo­sexua­li­té dans le cler­gé que sur la ques­tion de la dite « homo­hé­ré­sie », les pré­cieuses études du prêtre polo­nais Dariusz Oko, qui démontrent l’existence d’une cor­ré­la­tion effec­tive entre la pro­pa­ga­tion du vice et la ten­ta­tive d’in­tro­duire une nou­velle doc­trine. Cependant, tous les théo­ri­ciens de ces héré­sies ne sont pas impli­qués dans des scan­dales homo­sexuels ; et il est très dif­fi­cile d’af­fir­mer que tous les reli­gieux qui pra­tiquent le péché d’ho­mo­sexua­li­té soient impli­qués dans l’opération visant à chan­ger la doc­trine. Il existe donc un « com­plot » homo­sexuel pour dis­si­mu­ler ses propres crimes et péchés, comme celui récem­ment décou­vert aux États-​Unis, qui a béné­fi­cié, semble-​t-​il, de pré­cieux silences pon­ti­fi­caux ; et il existe une doc­trine homo­sexuelle « chré­tienne » qui avance et pro­fite du « qui suis-​je pour juger » pon­ti­fi­cal. Selon toute vrai­sem­blance, les membres des deux groupes ne sont pas super­po­sables tota­le­ment ; mais il est cer­tain que ceux qui se conduisent mal seront dif­fi­ci­le­ment des oppo­sants aux nou­velles doc­trines, ne serait-​ce que pour le simple fait qu’on peut les faire chan­ter faci­le­ment s’ils veulent mani­fes­ter leur opposition.

9 – Quel est l’a­ve­nir du pape François dans cette situa­tion ? Le mépri­sant « no com­ment » du pon­tife sur les docu­ments de Viganò lors de son retour d’Irlande ne semble pas avoir pro­duit les résul­tats média­tiques sou­hai­tés, en par­ti­cu­lier hors d’Italie. La presse n’est plus una­nime à défendre le pape François, même s’il est pos­sible qu’il s’en sorte de toute façon, son image de garant de l’ultra-progressisme mon­dial étant trop impor­tante pour être sérieu­se­ment remise en cause. Certes, l’his­toire a eu de très lourdes consé­quences sur l’é­pis­co­pat amé­ri­cain et le Saint-​Siège lui-​même doit faire face aux demandes d’é­clair­cis­se­ment des évêques et des fidèles, ain­si qu’avec les démis­sions des per­sonnes impli­qués, très proches du pape Bergoglio (voir le car­di­nal Wuerl). Un cer­tain dis­cré­dit dû à ces évé­ne­ments pour­rait (le condi­tion­nel est une néces­si­té) ralen­tir le cours des chan­ge­ments doc­tri­naux et obli­ger à un ralen­tis­se­ment. À notre avis, ce qui reste extrê­me­ment impro­bable, c’est que l’on arrive à la « démis­sion » du pape ou à un schisme. Nous pen­sons que ces scé­na­rios ne méritent pas d’être pris en compte.

10 – L’hérésie moder­niste unie à ces évé­ne­ments nous parle d’une situa­tion de l’Église qui a cer­tai­ne­ment atteint ses limites, d’un cadre de sub­ver­sion totale qui rap­pelle les pro­phé­ties sur les temps de l’Antéchrist. Nous ne devrions pas être sur­pris que le mal gran­disse, car l’Écriture et les pères nous enseignent qu’il arri­ve­ra à la fin des temps à un paroxysme qui don­ne­ra presque natu­rel­le­ment nais­sance à la figure de l’homme de péché, la paro­die blas­phé­ma­toire de l’antichrist. Certes, une grande par­tie du cler­gé n’est pas tou­chée par cette immo­ra­li­té et nous ne devons pas don­ner cré­dit aux médias anti-​chrétiens qui veulent traî­ner l’Église en tant que telle dans la boue. L’Église est encore capable, avec sa vraie doc­trine et ses vrais sacre­ments, de géné­rer des saints, et elle le sera jus­qu’à la fin des temps. Mais il serait tout aus­si dan­ge­reux de pré­tendre igno­rer la gra­vi­té et l’am­pleur du phé­no­mène, ren­du public désor­mais, et de se cacher der­rière un doigt. L’hérésie et l’im­mo­ra­li­té ont cer­tai­ne­ment accom­pa­gné, à des degrés divers, toute l’his­toire de l’Église ; mais ces temps voient l’hé­ré­sie se pro­pa­ger direc­te­ment à par­tir de la hié­rar­chie et l’im­pu­re­té contre nature éri­gée de manière dia­bo­lique en tant que sys­tème de vie et éven­tuel­le­ment en tant que doc­trine dif­fu­sée par un nombre impor­tant d’hommes de l’Église. La saveur anti­chris­tique est spé­ci­fi­que­ment en cela. Seule la prière de l’Église, en par­ti­cu­lier celle de la litur­gie authen­tique, et la recons­truc­tion d’une struc­ture sociale chré­tienne, même de cer­taines familles et de cer­taines écoles, peuvent frei­ner un tant soit peu cette accé­lé­ra­tion finale.

Don Mauro Tranquillo, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X

Sources : District d’Itallie /​Traduction de F. de Villasmundo pour LPL /​La Porte Latine du 20 novembre 2018

  1. Math. 18/​7 : Vae mun­do a scan­da­lis ! Necesse est enim ut veniant scan­da­la : verum­ta­men vae homi­ni illi, per quem scan­da­lum venit. Malheur au monde à cause des scan­dales ! Il est néces­saire qu’il arrive des scan­dales ; mais mal­heur à l’homme par qui le scan­dale arrive ! []
  2. Galates 6/​1 : Frères, lors même qu’un homme se serait lais­sé sur­prendre à quelque faute, vous qui êtes spi­ri­tuels, redressez-​le avec un esprit de dou­ceur, pre­nant garde à vous-​mêmes, de peur que vous ne tom­biez aus­si en ten­ta­tion. []