On a discuté dernièrement de la possibilité métaphysique, et non pas seulement juridique, qu’aurait un Pape d’abdiquer de sa charge.
D’aucuns ont prétendu que cela soit simplement impossible, en niant donc la bonté morale et l’efficacité de la norme canonique, et ils ont prévu que le Conclave aurait nécessairement élu un antipape. Est-ce que ces raisonnements auraient des fondements ?
Nous allons faire ici quelques observations générales, en faisant abstraction de la question de l’opportunité et de la licéité morale de l’abdication de Benoit XVI, de ses conséquences et du message qu’elle a fait passer (ce que nous avons traité dans un autre article).
D’abord la question théorique de la possibilité pour le Pape de quitter son office, qui avait été soulevée par les théologiens à l’époque de Célestin V, n’est plus librement discutée entre catholiques. Célestin V lui-même et Boniface VIII ont publié une sentence magistérielle qui tranche la question au niveau dogmatique, et non pas seulement une décision disciplinaire. Cet argument d’autorité est souverain en théologie, voilà pourquoi nous le citons en premier lieu. Il nous plaît donc de reporter ici le texte du décret De renuntiatione de Boniface VIII (VI Decr., Lib. I, tit. VII, cap. I), publié en 1299, et qui, comme on le voit, n’est pas une simple loi canonique mais une définition magistérielle :
« Puisque des curieux, qui discutent de choses qui ne conviennent pas, et qui cherchent témérairement de savoir plus qu’il n’est dû (contre la doctrine de l’Apôtre), semblent peu prudemment mettre en doute que le Pontife Romain (surtout lorsqu’il se découvre insuffisant au gouvernement de l’Eglise universelle, et à porter le poids du Pontificat suprême) puisse renoncer à la Papauté avec ses honneurs et ses charges : notre Prédécesseur le Pape Célestin V (tandis qu’il présidait au gouvernement de l’Eglise), voulant trancher sur ce point toute matière à hésitation, après avoir délibéré avec ses frères, les Cardinaux de la Sainte Eglise Romaine (du nombre desquels nous étions à l’époque), avec leur conseil et accord unanime, avec l’autorité apostolique établît que le Pontife Romain peut librement démissionner. Nous donc, afin que ce statut ne soit point oublié avec le temps, ou qu’il n’arrive que le même doute soit à nouveau discuté de façon récidive, nous avons décidé, de l’avis de nos frères, de l’insérer parmi les autres constitutions, à perpétuelle mémoire ».
En restant toujours aux arguments d’autorité, et donc tranchants, il faut rappeler que les lois universelles de l’Eglise sont infaillibles, dans les sens qu’elles ne peuvent être en désaccord avec le droit divin ou naturel, ni porter au mal, ni violer la réalité métaphysique. La possibilité de l’abdication papale, tout le monde l’a entendu dire dans les derniers mois, est contenue comme telle dans les lois canoniques depuis des siècles, et est entrée dans le Code de droit canonique de 1917. Elle est donc une loi universelle de l’Eglise, et ne peut pas être considérée comme mauvaise, ou en contraste avec le droit divin ; elle est même l’expression indirecte d’une réalité doctrinale.
Un autre argument d’autorité consiste dans la canonisation de Papes ayant abdiqué, comme saint Pontien et saint Célestin V. Si leur acte eût été contre une loi essentielle et divine, même en bonne foi, ils n’auraient certainement pu être proposés infailliblement à la vénération de tous les fidèles comme modèles de vertus héroïques.
La raison métaphysique et théologique de cette possibilité est que la Papauté est un accident (un pouvoir de gouvernement universel qui n’est pas permanent – et en effet il cesse à la mort du Pape) donné immédiatement par Dieu à un sujet désigné par l’élection légitime (cause matérielle) et l’acceptation de celle-ci (cause formelle). On peut donc retirer l’acceptation, qui est un acte personnel et volontaire, avec un autre acte personnel et volontaire, l’abdication, qui dissout le sujet-Pape tout comme la mort. La seule exception, d’après les théologiens, aurait été celle de saint Pierre, qui n’était pas devenu Pape par acceptation de l’élection, mais directement par désignation de la part du Christ lui-même. La Papauté n’est pas un caractère sacramentel ou une qualité connaturelle permanente, donc il est métaphysiquement possible de séparer cette qualité du sujet dans lequel elle se trouve, de la même façon qu’elle s’est unie à ce sujet : par un acte volontaire.
En tant que révocation d’un acte personnel, l’abdication sera valide si volontaire, même si elle est extorquée avec la crainte grave ou la violence (non absolue) ou la tromperie (ces choses n’annulent pas le volontaire), et même sans des bonnes raisons (en ce dernier cas, on pourra évaluer la licéité morale de l’abdication, mais non pas sa validité canonique) : seul le volontaire est requis, ainsi que l’affirment les canonistes Coronata e Cappello. Pour la licéité morale, il faudra évidemment des causes gravissimes. Ces conditions sont simplement celles qui font définir volontaire n’importe quel acte (coacta voluntas voluntas est : seul la vis absoluta e le metus tollens usum rationis excluraient le volontaire).
On comprend donc qu’on ne peut parler d’antipape suite à une abdication légitime.
Don Mauro Tranquillo
Source :/Traduction du District d’Italie