A l’occasion des nouvelles relations de Rome avec la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, Mgr Fellay a fait adresser au Souverain Pontife une étude sur la réforme liturgique de 1969, qui est au cœur de notre différent avec Rome. Il y a joint cette » Adresse au Souverain Pontife » que nous publions ci-dessous.
Très Saint Père,
Il y a plus de trente ans, sous votre prédécesseur le pape Paul VI, une réforme majeure remodelait le rite latin de la liturgie catholique, spécialement l’ordo missæ.
Cette réforme suscita immédiatement troubles et controverses à travers le monde entier. Des études motivées, notamment le Bref examen critique du Novus ordo missæ remis au pape Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci, signalèrent les déficiences et ambiguïtés troublantes affectant cette réforme.
De nombreux fidèles et prêtres se trouvèrent alors dans « la tragique nécessité de choisir ». Ce fut pour les catholiques un drame spirituel sans précédent.
Certains affirmèrent cependant que le temps devait manifester l’opportunité d’une telle réforme par ses fruits (cf. Mt 7, 15–20 et Lc 6, 43–44). Ce temps a désormais passé. Or les controverses, loin de s’apaiser, ne font que grandir chaque jour. Des fidèles, des prêtres, des évêques et des cardinaux, sans cesse plus nombreux, expriment leur perplexité devant la situation actuelle de la liturgie, et leur souhait de voir revivre plus largement la liturgie antérieure à la réforme.
La liturgie a certes évolué au cours de l’histoire, comme le montrent les réformes réalisées au siècle passé par saint Pie X, Pie XII ou Jean XXIII. Mais la réforme liturgique postconciliaire, par son ampleur et sa brutalité, représente un bouleversement inouï, comme une rupture radicale avec la tradition liturgique romaine. Surtout, cette réforme contient des éléments inquiétants, ambigus et périlleux pour la foi.
Devant ce danger spirituel, la véritable obéissance au Siège de Pierre, la véritable soumission à l’Église Mère et Maîtresse nous a obligés, avec de très nombreux autres catholiques à travers le monde, à rester fidèles coûte que coûte à cette vénérable liturgie que célèbre l’Église romaine depuis de longs siècles, liturgie que vous-même avez célébrée autrefois.
Tel est l’héritage sacré que nous a légué le fondateur de notre Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, Mgr Marcel Lefebvre : « Il est clair, il est net que c’est sur le problème de la messe que se joue tout le drame entre Écône et Rome. (…) Nous avons la conviction que le rite nouveau de la messe exprime une nouvelle foi, une foi qui n’est pas la nôtre, une foi qui n’est pas la foi catholique, (…) que ce rite nouveau est sous-tendu et si je puis dire suppose une autre conception de la religion catholique. (…) C’est pourquoi nous sommes attachés à cette Tradition qui s’est exprimée d’une manière admirable, et d’une manière définitive, comme l’a dit si bien le pape saint Pie V, dans le sacrifice de la messe » (29 juin 1976).
Après avoir réfléchi et prié, nous sentons le devoir, devant Dieu, de nous adresser de nouveau à Votre Sainteté au sujet de ce problème de la liturgie. Nous avons demandé à des pasteurs d’âmes qualifiés aux plans théologique, liturgique et canonique, de rédiger une synthèse de certaines difficultés, parmi les plus importantes, que pose à la foi des catholiques la liturgie issue de la réforme postconciliaire.
Ce travail a cherché à remonter aux causes proprement doctrinales de la crise actuelle, mettant au jour les principes qui sont à l’origine de la réforme liturgique et les confrontant à la doctrine catholique.
La lecture de ce document manifeste clairement, croyons-nous, que la « théologie du mystère pascal », à qui porte fut laissée ouverte à l’occasion du concile Vatican II, est l’âme de la réforme liturgique. Parce qu’elle est réductrice du mystère de la Rédemption ; parce qu’elle considère le sacrement uniquement dans son rapport au « mystère » ; parce que la conception qu’elle se fait du « mémorial » altère la dimension sacrificielle de la messe, cette « théologie du mystère pascal » éloigne dangereusement la liturgie postconciliaire de la doctrine catholique, à laquelle cependant la conscience chrétienne demeure liée à jamais.
Très Saint Père,
La foi catholique nous fait une grave obligation de ne pas taire les interrogations qui assaillent notre esprit.
N’y a‑t-il pas, dans les déficiences de cette théologie et de la liturgie qui en est issue, une des causes principales de la crise qui affecte l’Église depuis trente ans et plus ? Une telle situation ne réclame-t-elle pas des clarifications doctrinales et liturgiques de la part de l’Autorité suprême ? Les sujets, pour le bien desquels est faite la loi, n’ont-ils pas le droit et le devoir, si la loi se révèle nocive, de demander au législateur, avec une confiance filiale, sa modification ou son abrogation ?
Parmi les mesures les plus urgentes, ne conviendrait-il pas de faire connaître de façon publique la faculté que possède tout prêtre de célébrer selon l’intègre et fécond missel romain révisé par saint Pie V, trésor précieux si profondément enraciné dans la tradition millénaire de l’Église Mère et Maîtresse ?
Ces clarifications doctrinales et liturgiques, jointes au renouveau universel de la liturgie romaine traditionnelle, ne sauraient manquer de porter d’immenses fruits spirituels : restauration de la vraie notion du sacerdoce et du sacrifice, et en conséquence rénovation de la sainteté sacerdotale et religieuse ; augmentation de la ferveur des fidèles ; renforcement de l’unité de l’Église ; impulsion puissante pour l’évangélisation des pays anciennement chrétiens et des pays infidèles.
Nous supplions instamment Votre Sainteté, qui seule en a le pouvoir comme Successeur de Pierre et Pasteur de l’Église universelle, de confirmer ses frères dans la foi et de sanctionner de son autorité apostolique les indispensables clarifications que réclame la tragique situation présente de l’Église.
Cependant, une restauration si nécessaire ne pourra se faire dans l’Église sans un secours extraordinaire de l’Esprit-Saint, obtenu par l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie. C’est donc par la prière, spécialement par le saint sacrifice de la messe, qu’adviendra cette rénovation tant désirée, et c’est ce à quoi, pour notre part et avec la grâce de Dieu, nous nous appliquons et désirons nous appliquer toujours davantage.
Daigne Votre Sainteté agréer nos sentiments de filial respect en Jésus et Marie.
Flavigny, en la fête de la Présentation du Seigneur, le 02 février 2001,
+ Bernard Fellay, Supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.