Mgr Fellay : Adresse au Saint Père et étude doctrinale sur la nocivité de la Nouvelle Messe – 2 février 2001


A l’oc­ca­sion des nou­velles rela­tions de Rome avec la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, Mgr Fellay a fait adres­ser au Souverain Pontife une étude sur la réforme litur­gique de 1969, qui est au cœur de notre dif­fé­rent avec Rome. Il y a joint cette » Adresse au Souverain Pontife » que nous publions ci-dessous.

Très Saint Père,

Il y a plus de trente ans, sous votre pré­dé­ces­seur le pape Paul VI, une réforme majeure remo­de­lait le rite latin de la litur­gie catho­lique, spé­cia­le­ment l’ordo missæ.

Cette réforme sus­ci­ta immé­dia­te­ment troubles et contro­verses à tra­vers le monde entier. Des études moti­vées, notam­ment le Bref exa­men cri­tique du Novus ordo missæ remis au pape Paul VI par les car­di­naux Ottaviani et Bacci, signa­lèrent les défi­ciences et ambi­guï­tés trou­blantes affec­tant cette réforme.

De nom­breux fidèles et prêtres se trou­vèrent alors dans « la tra­gique néces­si­té de choi­sir ». Ce fut pour les catho­liques un drame spi­ri­tuel sans précédent.

Certains affir­mèrent cepen­dant que le temps devait mani­fes­ter l’oppor­tunité d’une telle réforme par ses fruits (cf. Mt 7, 15–20 et Lc 6, 43–44). Ce temps a désor­mais pas­sé. Or les contro­verses, loin de s’apaiser, ne font que gran­dir chaque jour. Des fidèles, des prêtres, des évêques et des car­di­naux, sans cesse plus nom­breux, expriment leur per­plexi­té devant la situa­tion actuelle de la litur­gie, et leur sou­hait de voir revivre plus lar­ge­ment la litur­gie anté­rieure à la réforme.

La litur­gie a certes évo­lué au cours de l’histoire, comme le montrent les réformes réa­li­sées au siècle pas­sé par saint Pie X, Pie XII ou Jean XXIII. Mais la réforme litur­gique post­con­ci­liaire, par son ampleur et sa bru­ta­li­té, repré­sente un bou­le­ver­se­ment inouï, comme une rup­ture radi­cale avec la tra­di­tion litur­gique romaine. Surtout, cette réforme contient des élé­ments inquié­tants, ambi­gus et périlleux pour la foi.

Devant ce dan­ger spi­ri­tuel, la véri­table obéis­sance au Siège de Pierre, la véri­table sou­mis­sion à l’Église Mère et Maîtresse nous a obli­gés, avec de très nom­breux autres catho­liques à tra­vers le monde, à res­ter fidèles coûte que coûte à cette véné­rable litur­gie que célèbre l’Église romaine depuis de longs siècles, litur­gie que vous-​même avez célé­brée autrefois.

Tel est l’héritage sacré que nous a légué le fon­da­teur de notre Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, Mgr Marcel Lefebvre : « Il est clair, il est net que c’est sur le pro­blème de la messe que se joue tout le drame entre Écône et Rome. (…) Nous avons la convic­tion que le rite nou­veau de la messe exprime une nou­velle foi, une foi qui n’est pas la nôtre, une foi qui n’est pas la foi catho­lique, (…) que ce rite nou­veau est sous-​tendu et si je puis dire sup­pose une autre concep­tion de la reli­gion catho­lique. (…) C’est pour­quoi nous sommes atta­chés à cette Tradition qui s’est expri­mée d’une manière admi­rable, et d’une manière défi­ni­tive, comme l’a dit si bien le pape saint Pie V, dans le sacri­fice de la messe » (29 juin 1976).

Après avoir réflé­chi et prié, nous sen­tons le devoir, devant Dieu, de nous adres­ser de nou­veau à Votre Sainteté au sujet de ce pro­blème de la litur­gie. Nous avons deman­dé à des pas­teurs d’âmes qua­li­fiés aux plans théo­lo­gique, litur­gique et cano­nique, de rédi­ger une syn­thèse de cer­taines dif­fi­cul­tés, par­mi les plus impor­tantes, que pose à la foi des catho­liques la litur­gie issue de la réforme postconciliaire.

Ce tra­vail a cher­ché à remon­ter aux causes pro­pre­ment doc­tri­nales de la crise actuelle, met­tant au jour les prin­cipes qui sont à l’origine de la réforme litur­gique et les confron­tant à la doc­trine catholique.

La lec­ture de ce docu­ment mani­feste clai­re­ment, croyons-​nous, que la « théo­lo­gie du mys­tère pas­cal », à qui porte fut lais­sée ouverte à l’occa­sion du concile Vatican II, est l’âme de la réforme litur­gique. Parce qu’elle est réduc­trice du mys­tère de la Rédemption ; parce qu’elle consi­dère le sacre­ment uni­que­ment dans son rap­port au « mys­tère » ; parce que la concep­tion qu’elle se fait du « mémo­rial » altère la dimen­sion sacri­fi­cielle de la messe, cette « théo­lo­gie du mys­tère pas­cal » éloigne dan­ge­reu­se­ment la litur­gie post­con­ci­liaire de la doc­trine catho­lique, à laquelle cepen­dant la conscience chré­tienne demeure liée à jamais.

Très Saint Père,

La foi catho­lique nous fait une grave obli­ga­tion de ne pas taire les inter­ro­ga­tions qui assaillent notre esprit.

N’y a‑t-​il pas, dans les défi­ciences de cette théo­lo­gie et de la litur­gie qui en est issue, une des causes prin­ci­pales de la crise qui affecte l’Église depuis trente ans et plus ? Une telle situa­tion ne réclame-​t-​elle pas des cla­ri­fi­ca­tions doc­tri­nales et litur­giques de la part de l’Autorité suprême ? Les sujets, pour le bien des­quels est faite la loi, n’ont-ils pas le droit et le devoir, si la loi se révèle nocive, de deman­der au légis­la­teur, avec une confiance filiale, sa modi­fi­ca­tion ou son abrogation ?

Parmi les mesures les plus urgentes, ne conviendrait-​il pas de faire connaître de façon publique la facul­té que pos­sède tout prêtre de célé­brer selon l’intègre et fécond mis­sel romain révi­sé par saint Pie V, tré­sor pré­cieux si pro­fon­dé­ment enra­ci­né dans la tra­di­tion mil­lé­naire de l’Église Mère et Maîtresse ?

Ces cla­ri­fi­ca­tions doc­tri­nales et litur­giques, jointes au renou­veau uni­ver­sel de la litur­gie romaine tra­di­tion­nelle, ne sau­raient man­quer de por­ter d’immenses fruits spi­ri­tuels : res­tau­ra­tion de la vraie notion du sacer­doce et du sacri­fice, et en consé­quence réno­va­tion de la sain­te­té sacer­do­tale et reli­gieuse ; aug­men­ta­tion de la fer­veur des fidèles ; ren­for­ce­ment de l’unité de l’Église ; impul­sion puis­sante pour l’évangéli­sa­tion des pays ancien­ne­ment chré­tiens et des pays infidèles.

Nous sup­plions ins­tam­ment Votre Sainteté, qui seule en a le pou­voir comme Successeur de Pierre et Pasteur de l’Église uni­ver­selle, de confir­mer ses frères dans la foi et de sanc­tion­ner de son auto­ri­té apos­to­lique les indis­pen­sables cla­ri­fi­ca­tions que réclame la tra­gique situa­tion pré­sente de l’Église.

Cependant, une res­tau­ra­tion si néces­saire ne pour­ra se faire dans l’Église sans un secours extra­or­di­naire de l’Esprit-Saint, obte­nu par l’intercession de la bien­heu­reuse Vierge Marie. C’est donc par la prière, spé­cia­le­ment par le saint sacri­fice de la messe, qu’adviendra cette réno­va­tion tant dési­rée, et c’est ce à quoi, pour notre part et avec la grâce de Dieu, nous nous appli­quons et dési­rons nous appli­quer tou­jours davantage.

Daigne Votre Sainteté agréer nos sen­ti­ments de filial res­pect en Jésus et Marie.

Flavigny, en la fête de la Présentation du Seigneur, le 02 février 2001,

+ Bernard Fellay, Supérieur géné­ral de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X.