Comment jugez-vous les années passées à la tête de la Congrégation du culte ?
Mon travail à la Congrégation a suivi les règles données par la Congrégation elle-même et par mes prédécesseurs. Plusieurs projets déjà commencés furent menés à leur fin.
Permettez-moi d’en citer quelques uns :
Le nouveau Rituel des Exorcismes, révisé selon le Concile Vatican II ;
La nouvelle édition typique du Martyrologe Romain, mise à jour de celui qui avait été promulgué dans la seconde moitié du siècle écoulé. Cette nouvelle édition inclut tous les bienheureux et saints proclamés par le pape Jean-Paul II jusqu’au 29 juin 2001 ;
Promulgation de la troisième édition typique du Missel Romain après Vatican II, avec plusieurs insertions dans le calendrier universel du rite romain et des améliorations dans les rubriques pour la célébration de l’Eucharistie ;
Publication de l’instruction Liturgiam authenticam, concernant les critères à suivre dans la traduction des textes liturgiques dans les langues vernaculaires ;
Publication du Directoire sur les dévotions et la Sainte Liturgie ;
Publication des nouvelles normes administratives à appliquer dans les jugements de nullité de la sainte ordination. En effet, les anciennes normes datant de 1931 nécessitaient de substantielles révisions ;
Publication de normes sur la liturgie des Bienheureux ;
Publication de linéaments adressés à tous les évêques et supérieurs majeurs des ordres religieux sur la manière de procéder dans les scrutins canoniques des candidats aux instituts religieux, au diaconat et au sacerdoce ;
Publication d’une Instruction sur l’obligation de la prière de la Liturgie des Heures pour les diacres et les prêtres en voyage, avec les situations et les circonstances où ils pourront être excusés ;
Standardisation des procédures de la Congrégation pour plus de simplicité, de clarté et l’élimination des obstacles bureaucratiques.
En sus de ces travaux majeurs, la Congrégation doit préparer les papiers de situation, répondre à la correspondance, résoudre des doutes et, avant tout, recevoir les évêques lors de leur visite ad limina à Rome.
L’une des tâches particulièrement importantes de la Congrégation est la révision et l’approbation des traductions des textes liturgiques en langue vernaculaire. Ce vaste travail est fait en collaboration avec les conférences épiscopales et suit les critères fixés par le Saint-Père, qui a demandé à la Congrégation d’être vigilante et de s’assurer que les traductions soient précises et fidèles à l’instruction Liturgiam authenticam. Maintenant que la troisième édition typique du Missel Romain a été publié dans l’original latin, le travail de la Congrégation sera probablement très augmenté à cause de l’exigence de l’édition typique que toutes les traductions, en incluant celles qui sont déjà approuvées, subissent une révision dans le but d’être rendues aussi fidèles que possible à l’original latin.
Ce fut un travail monumental, en vérité, que celui qui a été accompli, souvent dans de difficiles circonstances, grâce à la générosité de notre personnel. Je pense que nous avons fait du bon travail, bien que je réserve le jugement, non à nous-même, mais au Saint-Père et, par-dessus tout à Notre-Seigneur.
Au moment de ma démission, comme le droit canon le requiert, le Saint-Père, pour ma grande consolation, m’a remercié pour le travail bien fait. Je souhaite remercier pour leur collaboration les Congrégations pour la doctrine de la Foi, du Clergé, des causes des Saints et les Conseils Pontificaux pour la Famille, les Textes législatifs, les Laïcs, et les Commissions Pontificales pour l’Amérique latine et Ecclesia Dei.
Il semble que la question concernant la liturgie est très négligée. Et cependant, dans de nombreuses régions du monde, l’Italie incluse, les abus liturgiques continuent, les changements et les improvisations injustifiées introduisent la confusion chez les fidèles et les conduisent loin de l’Église. De nombreuses célébrations liturgiques manquent de sens du sacré. Que peut-il être fait à ce sujet ?
Je ne suis pas en situation d’évaluer les célébrations liturgiques de par le monde selon le rite Romain. Les abus existent. De nombreux prêtres, cependant, célèbrent la liturgie avec dignité et dans un complet respect des normes liturgiques. Il est également vrai qu’il y a des exemples où le sens du sacré est rabaissé ou tout à fait absent.
Sous cet aspect, j’aimerais rappeler le message du Saint-Père aux membres de la Plenaria de la Congrégation pour le culte divin, réunie en septembre 2001 :
« Le second concile du Vatican a souligné le principe que nul, même les prêtres, n’est autorisé à omettre, ajouter ou changer quoi que ce soit dans les célébrations liturgiques (Constitution Sacrosanctum Concilium, n. 22, 3). Il me semble que cette période de créativité superficielle et d’autres abus doit laisser la place à une compréhension plus profonde de l’idée que toute célébration liturgique est une action de l’Église, et non le fruit de la fantaisie personnelle. Les célébrations qui ne reflètent pas l’esprit de l’Église aliènent et éloignent de nombreux fidèles »
Les chapelles et les églises où la liturgie est célébrée selon le rite de St Pie V sont souvent emplies de jeunes, âgés de 15 à 30 ans. Les fidèles attachés au rite pré-conciliaire sont déjà une composante importante de l’Église. Ne serait-ce pas une occasion de reconnaître et de donner une pleine légitimité aux catholiques traditionnels ?
Je suis conscient des sentiments de nombreux catholiques pour la Sainte Messe célébrée selon le rite de St Pie V. Le motu proprio Ecclesia Dei, publié par le Pape Jean-Paul II, reconnaît le désir de ces traditionalistes et essaye de leur donner l’occasion de participer à la liturgie selon ce vénérable rite, qui a été le rite romain durant des siècles.
Le pape encourage les évêques à être généreux et ouverts à ces catholiques qui ne devraient pas être marginalisés ou traités comme membres de « seconde classe » de la communauté catholique. Je crois personnellement que de larges garanties devraient être données aux catholiques traditionalistes dont le seul désir est de suivre un rite légitime et approuvé. À une époque de l’histoire où le « pluralisme » jouit du droit de « citoyenneté », pourquoi ne pas reconnaître le même droit à ceux qui souhaitent célébrer la liturgie selon la manière utilisée durant plus de quatre siècles ?
Le cardinal Ratzinger a récemment écrit que l’Église n’a jamais interdit aucune forme orthodoxe de liturgie. L’Église a‑t-elle jamais interdit le rite de St Pie V, qui a été durant des siècles le rite officiel de l’Église ?
J’ai soigneusement étudié la question de l’abrogation du rite de St Pie V après le Concile Vatican II. Je suis un ami intime du cardinal Ratzinger, un grand théologien et homme d’Église que j’ai connu et admiré depuis 1962, et auquel je suis reconnaissant pour sa profonde pénétration liturgique. Sur la base de mes recherches, je ne puis conclure que le rite de St Pie V ait jamais été abrogé. Certains le pensent. D’autres ont un autre point de vue. C’est pourquoi, comme le dit le dicton latin : in dubiislibertas [en cas de doute, il y a liberté].
Pourquoi de si nombreux évêques, en Italie et ailleurs dans le monde, répugnent-ils tant à permettre la célébration de la liturgie selon le rite pré-conciliaire, en dépit du désir du Saint-Père et de sa demande ?
Je ne connais pas la raison derrière les décisions de mes frères évêques, et je n’ai donc pas d’opinion.
Prévoyez-vous qu’un jour le rite de St Pie V puisse coexister avec les autres rites ?
Personnellement, je n’y vois aucune difficulté particulière. Il y a déjà des exemples où certaines célébrations hors normes liturgiques jouissent d’une approbation tacite, et donc je ne vois pas de problème avec un rite vieux de quatre siècles, qui est également parfaitement orthodoxe. Une telle décision, cependant, appartient au Saint-Père, qui devrait prendre en compte les sentiments des fidèles, les opinions des évêques et les autres institutions de l’Église.
De Los Angeles à la Côte d’Ivoire, il y a beaucoup d’exemples de nouvelles églises construites dans un style qui marque un renversement complet des normes architecturales traditionnelles.
Je ne suis pas architecte, ni n’ai poursuivi des études particulières en architecture sacrée. Je peux seulement parler de mon expérience d’évêque diocésain dans deux diocèses, au Chili, qui ont été frappés par le tremblement de terre de 1985. J’ai entrepris la tâche de reconstruire plus de 50 églises que le tremblement de terre avait complètement mises hors d’usage. Il n’existe pas de « style catholique ». Il y a différents styles : celui de la première chrétienté ; d’autres tels que le roman, l’ogival, le gothique et le baroque ; un autre est appelé « moderne ». J’admire Matisse, Gaudi et l’église de Ronchamp, et aussi celui de l’abbaye de La Condes, à Santiago du Chili, mon propre pays. Je comprends que nous avons à faire à différents goûts et sensibilités et qu’un style particulier peut avoir différents effets sur différentes personnes.
Il y a cependant certains critères, renfermés dans l’Instruction Générale du Missel Romain, qui devraient être pris en compte lors de la construction d’une nouvelle église : la place centrale de l’autel, la place de la chaire, pour la proclamation de la Parole de Dieu, une place proéminente et visible pour le Saint-Sacrement, une taille suffisamment large, etc. Il n’y a pas de solutions aisées à ce problème ; plusieurs facteurs entrent en jeu, tels que la compétence de l’architecte, mais aussi un sens aiguisé des célébrations liturgiques, qui manque parfois même chez les architectes catholiques. Tout plan impliquant la construction d’une nouvelle église devrait être un effort conjoint des architectes, des prêtres et des fidèles, et il devrait refléter les principes théologiques de la liturgie sacrée. Par conséquent, l’on ne doit pas supposer que tout projet est bon, seulement parce qu’il est « moderne », ni un projet « moderne » ne doit être rejeté tant qu’il respecte les normes fondamentales de la liturgie.
Durant les dernières années, vous avez occasionnellement célébré en public la messe traditionnelle. Pouvez-vous nous faire part de vos impressions ?
Mon ordination et ma première messe ont toutes deux été célébrées selon le rite de St Pie V. Après 15 années de sacerdoce, j’ai arrêté la célébration de la Messe selon l’ancien rite, lorsque le pape Paul VI a promulgué la réforme liturgique. Je dois admettre, cependant, que je n’ai aucune difficulté avec le nouvel Ordo de Paul VI. Après mon transfert à Rome, sur l’invitation de groupes de catholiques traditionalistes, j’ai occasionnellement célébré la Sainte Messe et accompli d’autres cérémonies liturgiques dans l’ancien rite. Je l’ai fait avec un esprit de simplicité, me rappelant mes premières années de prêtre, quand je célébrais l’ancien rite, que je me rappelais assez bien. Je dois confesser que j’aime beaucoup prier en latin, car dans cette langue, les prières du Missel Romain sont plus pénétrantes et transmettent un message simple, mais substantiel, à la différence des traductions modernes qui sont soit incorrectes, soit malheureusement, infidèles au texte original.
Que pensez-vous de la disparition presque complète du chant Grégorien dans la liturgie ?
Il est évident que la disparition du chant Grégorien est un appauvrissement fâcheux de la liturgie, de même que la disparition presque complète du latin, qui est le soubassement irremplaçable de la musique grégorienne. La beauté de ces mélodies, partie intégrante durant des siècles des textes liturgiques du rite romain, captive même ceux qui ne sont pas familiarisés avec le latin et la musique grégorienne.
Au Vatican, quand le Saint-Père préside aux cérémonies de béatification ou de canonisation, des parties de l’ordinaire de la Messe sont encore chantées en grégorien, et nombreux sont ceux qui, dans l’assistance, suivent ces mélodies centenaires, même si elles ne sont pas toujours exécutées dans le style solennel et impersonnel caractéristique d’une musique qui n’a pas été créée pour polariser l’attention sur l’habileté d’un chanteur ou pour devenir une performance où l’individu prend le pas sur la communauté qui chante et qui prie.