Ecône, en la Vigile de Noël 1978
Très Saint Père,
Comment douter que l’audience que vous m’avez accordée n’ait été voulue de Dieu. Ce fut pour moi une grande consolation de pouvoir en toute franchise exposer les circonstances et les motifs de l’existence de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, de ses séminaires, et les raisons qui m’ont amené à continuer l’Oeuvre, malgré les décisions venues de Fribourg et de Rome.
Le flot des nouveautés dans l’Eglise accepté et encouragé par l’Episcopat, flot ravageant tout sur son passage : la foi, la morale, les institutions de l’Eglise, ne pouvait pas admettre la présence d’un obstacle, d’une résistance.
Nous avions donc le choix ou de nous laisser emporter par le courant dévastateur et d’accroître le désastre, ou de résister contre vents et marées pour sauvegarder notre foi catholique et le sacerdoce catholique. Nous ne pouvions pas hésiter.
Depuis le 5 mai 1975, date de notre décision de tenir coûte que coûte, trois années et demi ont passé et nous donnent raison. Les ruines de l’Eglise s’accumulent : l’athéisme, l’immoralité, l’abandon des églises, la disparition des vocations religieuses et sacerdotales sont tels que les Evêques commencent à s’émouvoir et que le fait d’Ecône est constamment évoqué. Les sondages d’opinion manifestent qu’une grande partie des fidèles, parfois une majorité, sont en faveur de l’attitude d’Ecône.
Il est évident pour tout observateur impartial que notre Oeuvre est une pépinière de prêtres comme l’Eglise les a toujours souhaités et comme les vrais fidèles les désirent. Et on est en droit de penser que si Rome voulait bien admettre le fait et lui donner la légalité à laquelle il a droit, les vocations seraient encore beaucoup plus abondantes.
Très Saint Père, pour l’honneur de Jésus-Christ, pour le bien de l’Eglise, pour le salut des âmes, nous vous conjurons de dire un seul mot, une seule parole, comme Successeur de Pierre, comme Pasteur de l’Eglise universelle, aux Evêques du monde entier : « Laissez faire » ; « Nous autorisons le libre exercice de ce que la Tradition multiséculaire a utilisé pour la sanctification des âmes. »
Quelle difficulté présente une pareille attitude ? aucune. Les Evêques décideraient des lieux, des heures réservées à cette Tradition. L’unité se retrouverait immédiatement au niveau de l’Evêque du lieu. Par contre que d’avantages pour l’Eglise : le renouveau des Séminaires, des monastères ; une grande ferveur dans les paroisses. Les Evêques seraient stupéfaits de retrouver en quelques années un élan de dévotion et de sanctification qu’ils croyaient disparu à tout jamais.
Pour Ecône, ses séminaires, ses prieurés, tout se normaliserait comme pour les Congrégations de Lazaristes, Rédemptoristes… Les prieurés rendraient service aux diocèses par des prédications de Missions paroissiales, Retraites selon Saint lgnace, et services des paroisses, en pleine soumission aux Ordinaires des lieux.
Combien la situation de l’Eglise serait améliorée par ce moyen très simple et si conforme à l’esprit maternel de l’Eglise, ne refusant pas ce qui vient au secours des âmes, n’éteignant pas la mèche qui fume encore, se réjouissant de constater que la sève de la Tradition est encore pleine de vie et d’espoir !
Voilà ce que j’ai cru devoir écrire à Votre Sainteté, avant de me rendre auprès de S.E. le Cardinal Seper. Je crains que des discussions prolongées et subtiles n’aboutissent pas à un résultat satisfaisant et fassent traîner une solution qui, j’en suis persuadé, doit vous apparaître urgente.
La solution ne peut, en effet, se trouver dans un compromis qui pratiquement ferait disparaître notre Oeuvre, ajoutant à la destruction une contribution de plus.
Demeurant à l’entière disposition de Votre Sainteté, je La prie d’agréer mon profond et filial respect en Jésus et Marie.
† Marcel LEFEBVRE, ancien Archevêque-Evéque de Tulle