Sermon de Mgr Lefebvre – Notre-​Dame de Compassion – 10 avril 1981

Mes bien chères sœurs,

(…) Il est bien écrit en effet dans l’Évangile que la Vierge aura le cœur trans­per­cé par un glaive.

Ce cœur trans­per­cé par un glaive ne signi­fie pas autre chose que son asso­cia­tion à la Passion de son divin Fils. Et il est éga­le­ment signa­lé que la très Sainte Vierge Marie était à côté de Notre Seigneur Jésus-​Christ au moment de sa Passion et au moment de sa mort.

Stabat Mater jux­ta Crucem. Nous ne pou­vons donc pas nier que la Providence – que Dieu – ait vou­lu asso­cier la très Sainte Vierge Marie non seule­ment à sa nais­sance, à sa venue sur la terre, à son enfance, à son ado­les­cence, à sa vie publique, mais sur­tout à sa Passion. Car si le moment, le moment le plus impor­tant, l’heure de Notre Seigneur Jésus-​Christ, était l’heure de sa mort sur la Croix, était l’heure de sa Passion, l’heure de la très Sainte Vierge Marie aus­si fut sa com­pas­sion, son union intime à la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Comme je le disais, cette dévo­tion est ancienne dans l’Église. On ne sait pas à quelles dates exac­te­ment remontent ces fêtes : Notre-​Dame des Sept Douleurs et de la Compassion de la Vierge Marie. Mais dans la Sainte Église – et par l’intervention de la Vierge elle-​même – sont nées des socié­tés comme celle des Sept Fondateurs des Servîtes de Marie qui ont été fon­dées à la demande de la Vierge Marie elle-​même, pour médi­ter sur ses dou­leurs, pour médi­ter sur sa pas­sion par­ti­cu­liè­re­ment. Ainsi donc la Congrégation des Servites de Marie est par­ti­cu­liè­re­ment vouée à cette médi­ta­tion, à cette pen­sée, à cette union à la Vierge Marie.

Une autre socié­té est éga­le­ment vouée à cette contem­pla­tion, ce sont les Passionistes de Saint-​Paul de la Croix. Les Passionistes qui ont comp­té beau­coup de saints dans leur congrégation.

C’était une congré­ga­tion extrê­me­ment fer­vente. L’un d’entre eux en par­ti­cu­lier fut saint Gabriel de l’Addolorata. Saint Gabriel de l’Addolorata, qui a pris ce nom pré­ci­sé­ment de l’Addolorata parce qu’il vou­lait par­ti­cu­liè­re­ment pas­ser sa vie à médi­ter sur les souf­frances de la très Sainte Vierge Marie. Pourquoi cette médi­ta­tion ? Pourquoi cette union à la très Sainte Vierge Marie dans sa com­pas­sion, dans sa pas­sion, dans sa transfixion ?

Afin de nous asso­cier plus inti­me­ment à la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Car s’il y a un cœur qui a com­pa­ti au cœur de Jésus trans­per­cé sur la Croix ; s’il y a une âme qui a eu les pen­sées unies à celles de Notre Seigneur Jésus-​Christ sur sa Croix, c’est bien la très Sainte Vierge Marie.

Elle qui n’avait pas péché non plus – par consé­quent comme Notre Seigneur – elle n’avait pas à répa­rer pour elle-​même. Et cepen­dant tous les deux ont vou­lu souf­frir, souf­frir hor­ri­ble­ment, souf­frir pro­fon­dé­ment, souf­frir dans leur corps. On peut alors essayer de péné­trer les sen­ti­ments de ces deux cœurs : les Cœurs de Jésus et de Marie. Il est évident que le motif pro­fond et de la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ et de la Compassion de la très Sainte Vierge Marie, c’est la charité.

Leurs cœurs étaient dévo­rés par la cha­ri­té, embra­sés, par cet amour de l’Esprit Saint. Notre Seigneur, Verbe de Dieu, uni consub­stan­tiel­le­ment au Saint-​Esprit, était dévo­ré par l’amour du Saint-​Esprit, par ce Saint-​Esprit qui enflam­mait tout son Être, la Personne du Verbe, mais aus­si son âme et son corps et son cœur de chair, enflam­més par l’Esprit Saint.

La Vierge Marie imi­tait son divin Fils et elle aus­si essayait de mode­ler ses sen­ti­ments sur ceux de son divin Fils. Elle aus­si était rem­plie du Saint-​Esprit. Elle l’a été toute sa vie et par­ti­cu­liè­re­ment sans doute à ce moment-là.

Alors ces deux cœurs enflam­més par l’Esprit Saint, avaient sur­tout pour but pre­mier – nous ne devons pas l’oublier – l’amour du Père. Car l’amour du Saint-​Esprit, ce feu dévo­rant, conduit au Père. Ce n’est pas autre chose que l’amour qui est Dieu, Dieu est cha­ri­té et par consé­quent l’Esprit Saint ne peut pas faire autre chose que de nous por­ter vers Dieu ; de nous por­ter vers le Père. Et c’est donc pour réta­blir l’honneur de Dieu, l’honneur du Père que d’abord, Jésus a souf­fert. Et la Vierge Marie aus­si. Elle s’est unie à cette souf­france de son divin Fis pour réta­blir l’honneur du Père. Et le Père rece­vait une gloire infi­nie de la part de son Divin Fils et Il rece­vait une gloire très grande de cette créa­ture, cette créa­ture pri­vi­lé­giée, qui était la très Sainte Vierge Marie, unie à son divin Fils.

La pre­mière vrai­ment rache­tée, par­fai­te­ment rache­tée en ce sens qu’elle n’avait même pas connu le péché. Mais c’est tout de même en rai­son de l’Incarnation de Notre Seigneur, qu’elle a été imma­cu­lée dans sa concep­tion et par consé­quent qu’elle n’a pas connu le péché. Alors elle chan­tait la gloire, la gloire dans la dou­leur, dans la souf­france, elle chan­tait la gloire de Dieu ; elle vou­lait réta­blir l’honneur et l’amour de Dieu sur terre.

Et cet amour qui les dévo­rait tous les deux les ren­dait alors plein de misé­ri­corde car la consé­quence immé­diate d’un grand amour, d’une grande cha­ri­té c’est la miséricorde.

Parce que cet amour que pos­sèdent ces cœurs, vou­drait qu’il soit dif­fu­sé, qu’il soit com­mu­ni­qué à tous ceux qui ne l’ont pas, à tous ceux qui en manquent. Et par consé­quent la vision que Notre Seigneur Jésus-​Christ avait de l’humanité, depuis Adam et Ève, sur tous les hommes qui seraient créés en ce monde, Notre Seigneur en avait la vision claire et com­plète par sa divi­ni­té, puisqu’il en était Lui-​même le Créateur, le Rédempteur. Alors Il consta­tait cette misère. Ces hommes éloi­gnés de Dieu ne pensent plus du tout à la Sainte Trinité, au Père, au Créateur, ni au Rédempteur aujourd’hui. Notre Seigneur voyait cela. Alors son cœur était plein de misé­ri­corde, rem­pli de misé­ri­corde et cette misé­ri­corde pousse jusqu’au Sacrifice. La misé­ri­corde est la source du Sacrifice. Elle pousse au Sacrifice parce qu’elle est prête à se don­ner tota­le­ment pour que soit réta­blie la cha­ri­té dans les cœurs.

Alors Notre Seigneur a souf­fert, souf­fert dans con Corps, quand Il est au Jardin de l’agonie ; des gouttes de sang per­laient sur son front. Notre Seigneur était rem­pli de misé­ri­corde. Et la très Sainte Vierge Marie elle-​même, vou­lant pré­ci­sé­ment com­pa­tir à la souf­france de Notre Seigneur et avoir le même motif aus­si : pen­ser à toutes ces âmes. Alors, tous les deux ensemble, souf­fraient et ont vou­lu souf­frir jusqu’à la mort, jusqu’au martyre.

Si Notre Seigneur Jésus-​Christ a vrai­ment don­né son der­nier souffle pour la gloire de son Père et pour le rachat des âmes, pour que l’Esprit Saint puisse enflam­mer tous les cœurs et toutes les âmes de l’amour de la très Sainte Trinité, la très Sainte Vierge Marie, elle, n’est pas morte sur le moment, mais elle a offert sa vie et elle a souf­fert le mar­tyre, puisqu’elle est appe­lée Reine des mar­tyrs. Elle a donc don­né elle aus­si tout son sang, toute sa vie, tout ce qu’elle avait – et en par­ti­cu­lier son divin Fils – au Bon Dieu, pour le rachat des âmes : Mère de misé­ri­corde : Mater mise­ri­cor­diæ.

Voilà quelles sont les ori­gines de cette pas­sion de la très Sainte Vierge Marie. Loin de croire que cette pas­sion l’ait jetée dans une tris­tesse déses­pé­rante, dans une tris­tesse qui aurait mis leur âme dans une espèce de déses­poir. Oh non ! puisque c’était jus­te­ment la cha­ri­té qui en était l’origine ; la cha­ri­té pro­duit dans les cœurs la paix et la joie ; autant que cela même, puisse être invrai­sem­blable, d’uni à cette pas­sion, cette com­pas­sion, cette misé­ri­corde, à une joie pro­fonde. Oui, le cœur de Notre Seigneur Jésus-​Christ était rem­pli de joie et le cœur de la Vierge Marie aus­si, uni à celui de Jésus, rem­pli de la joie de la très Sainte Trinité, la joie que pro­cure la grande cha­ri­té ; la paix aus­si que pro­duit dans les âmes cette cha­ri­té qui est une paix inef­fable. Jésus et Marie n’étaient pas dans la tor­ture comme le sont bien sou­vent mal­heu­reu­se­ment les âmes qui souffrent et des per­sonnes qui souffrent dans leur corps, qui ont des sen­ti­ments de tris­tesse pro­fonde et de déses­poir. Non, ce n’était pas de cette manière-​là que souf­fraient Jésus et Marie. Ils souf­fraient, mais leurs cœurs étaient tel­le­ment dans la séré­ni­té, dans la paix, ce qui per­met­tait à la très Sainte Vierge Marie de res­ter debout auprès de la Croix.

Si elle n’avait pas eu cette paix ; si elle n’avait pas eu cette cha­ri­té, si elle n’avait pas eu cette joie intime et pro­fonde, de s’associer aux souf­frances de son divin Fils, de s’associer à sa cha­ri­té, d’être rem­plie de l’Esprit Saint, elle ne serait pas res­tée debout. L’Évangile n’aurait pas dit : Stabat Mater. Et les per­sonnes qui entou­raient la très Sainte Vierge, vrai­sem­bla­ble­ment, mani­fes­taient beau­coup plus que la très Sainte Vierge, une dou­leur exté­rieure, par des gestes et des pleurs et des sen­ti­ments exté­rieurs. La Vierge res­tait calme, dans la paix.

Eh bien voi­là ce qu’est votre Patronne, mes bien chères sœurs. Et puisque vous avez bien vou­lu venir ici, vous unir à nous, ici par­ti­cu­liè­re­ment dans cette mai­son d’Écône où sont pas­sées pra­ti­que­ment toutes les oblates – à peu près – en tout cas elle s’y unissent. Elles sont venues s’associer aux prêtres, car le prêtre est un autre Christ. Et le prêtre doit s’associer par­ti­cu­liè­re­ment par le Sacrifice qu’il offre, à la Passion de Notre Seigneur Jésus-​Christ, épou­ser les sen­ti­ments de Jésus dans son cœur. Par consé­quent épou­ser lui aus­si, les sen­ti­ments de Marie et deman­der à la Vierge de com­prendre ses sen­ti­ments afin de mieux les res­sen­tir et de mieux les épouser.

Et alors, vous, auxi­liaires du prêtre, auxi­liaires non pas seule­ment de vos mains, mais auxi­liaires aus­si de vos âmes, de votre esprit, du sacer­doce, du Sacrifice de Notre Seigneur Jésus-​Christ, de sa Croix, de l’extension de son règne, de l’extension de son amour, alors vous vous uni­rez d’une manière toute par­ti­cu­lière à la très Sainte Vierge Marie. Comme elle, auprès de son divin Fils, vous com­pa­ti­rez et ain­si vous contri­bue­rez aus­si d’une manière très effi­cace à la rédemp­tion des âmes, dans la mesure où vous pou­vez le faire, dans la mesure où la Providence vous donne les grâces pour le faire.

Ainsi vous vous asso­cie­rez d’une manière plus pro­fonde au sacer­doce des prêtres, deman­dant que ces prêtres, que ces sémi­na­ristes que vous ser­vez, que ces sémi­na­ristes deviennent de vrais prêtres, qu’ils deviennent vrai­ment d’autres Christ ; qu’ils s’associent, eux, d’une manière encore plus pro­fonde, plus par­faite à la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Vous le deman­de­rez à la très Sainte Vierge Marie. Alors offrez vos souf­frances, offrez vos sacri­fices dans cette inten­tion, afin que le règne de Notre Seigneur Jésus-​Christ s’étende.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.