Excellence,
Je vous remercie sincèrement de votre lettre du 8 juillet 1987, ainsi que de votre récent ouvrage dédicacé. Je ne manquerai pas de le lire avec intérêt. Le dossier que vous m’avez remis concernant la réponse de la Congrégation aux Dubia sur la liberté religieuse sera étudié avec toute l’attention requise et le résultat vous en sera communiqué en temps opportun. Votre grand désir de sauver la tradition en lui procurant les moyens de vivre et de se développer témoigne de votre attachement à la Foi de toujours, mais ils ne peuvent se réaliser que dans la communion au Vicaire du Christ, à qui sont confiés le dépôt de cette foi et le gouvernement de l’Église.
Le Saint-Père comprend votre souci et le partage. C’est pourquoi en son nom je vous transmets une nouvelle proposition, espérant vous donner ainsi une ultime possibilité d’un accord sur les problèmes qui vous tiennent à cœur : la situation commune de la Fraternité Saint-Pie‑X et l’avenir de vos Séminaires.
En voici le contenu :
Le Saint-Siège ne peut accorder des auxiliaires à la Fraternité Saint-Pie‑X sans que celle-ci soit dotée d’une structure juridique adéquate, et sans que ses rapports avec ce même siège apostolique soient réglés au préalable.
Le Saint-Siège est disposé à nommer, sans délai, sans aucune condition préalable, un cardinal visiteur dans le but de trouver pour la Fraternité une forme juridique aux normes du Droit Canon actuellement en vigueur.
En raison de l’institution divine de l’Église, une telle situation juridique comporte nécessairement référence et obéissance à l’autorité supérieure des membres de la Fraternité à l’égard du successeur de Pierre, Vicaire du Christ.
Dans les limites de cette obéissance, et dans le cadre des normes canoniques, le Saint-Siège est disposé à concéder à la Fraternité sa juste autonomie, et à lui garantir :
La continuité de la liturgie selon les livres liturgiques en vigueur dans l’Église en 1962.
Le droit de former des séminaristes dans des séminaires propres selon le charisme particulier de la Fraternité.
L’ordination sacerdotale des candidats au sacerdoce sous la responsabilité que, jusqu’à nouvelle décision, assumera le cardinal visiteur.
En attendant l’approbation de la structure juridique et définitive de la Fraternité, le cardinal visiteur se portera garant de l’orthodoxie de l’enseignement reçu au Séminaire dans l’esprit ecclésial de l’unité avec le Saint-Siège.
La structure juridique qu’il faudra trouver précisera en outre les modalités d’un rapport positif et convenable de la Fraternité avec les différents diocèses selon les normes prévues dans le Droit en des cas analogues.
Je vous demande, Excellence, de considérer attentivement cette proposition dans le but de trouver une solution positive et équitable, assurant la continuité de votre Œuvre dans la soumission du Siège Apostolique. Si malgré les efforts réitérés du Saint-Siège en vue d’une conciliation vous persistiez dans votre projet de vous donner un ou plusieurs auxiliaires, sans l’accord du Pape, et contre lui, il apparaîtrait clairement à tous que la rupture définitive dont vous faites mention dans votre lettre, ne saurait être en aucune manière attribuée à l’Église, mais qu’elle dépendrait exclusivement de votre initiative personnelle.
Les conséquences en seraient graves pour cette Église que vous dites tant aimer, pour vous-même et pour votre Œuvre. L’institution divine, l’Église a les promesses de l’assistance du Christ jusqu’à la fin des temps. La rupture de son unité par un acte de grave désobéissance de votre part lui causerait des dommages incalculables et détruirait l’avenir de votre œuvre elle-même parce que hors de l’union avec Pierre, il n’y aurait pas d’avenir, mais seulement la ruine de tout ce que vous avez voulu et entrepris. L’histoire a bien été souvent témoin de l’inutilité d’un apostolat accompli en dehors de la soumission à l’Église et à son chef.
En fournissant une interprétation personnelle des textes du Magistère, vous feriez paradoxalement preuve de ce libéralisme que vous combattez si fortement, et agiriez contre le but que vous poursuivez.
C’est en effet à Pierre que le Seigneur a confié le gouvernement de son Église ; c’est donc le Pape qui est le principal artisan de son unité, à assurer les promesses du Christ. Jamais il ne pourra mettre en opposition dans l’Église le Magistère authentique de celle-ci et la saine Tradition.
Excellence, peut-être trouverez-vous mes propos sévères. J’aurais aimé certes m’exprimer d’une autre manière, mais la gravité du problème en jeu ne laissait guère de choix. Du reste, je suis certain que vous reconnaîtrez la générosité de la proposition qui vous est faite au nom du Saint-Père et qui constitue le moyen réel de sauvegarder votre Œuvre dans l’unité et la catholicité de l’Église.
Au début de cette année mariale, c’est à la Vierge Mater Ecclesiæ que je confie le règlement de ce long différend qui nous oppose, certain que sa puissante intercession obtiendra les grâces et les lumières nécessaires à cet effet.
Avec l’assurance de ma prière veuillez agréer, Excellence, l’expression de mon religieux dévouement dans le Seigneur.
Joseph card. RATZINGER