Le vaticaniste Sandro Magister donne sur son site chiesa.espressonline.it, en date du 9 février 2013, une recension de l’ouvrage Il domani – terribile o radioso ? – del dogma (« Les lendemains – terribles ou radieux ? – du dogme »), à paraître prochainement sous la plume du Professeur Enrico Maria Radaelli, disciple de l’auteur de Iota Unum, Romano Amerio. Dans ce livre, le Professeur Radaelli cite des extraits des carnets inédits du Père Divo Barsotti (1914–2006), auteur estimé de plusieurs ouvrages de spiritualité, qui formule une critique vigoureuse du concile Vatican II. On peut ainsi lire : « Je suis perplexe en ce qui concerne le Concile : la pléthore de documents, leur longueur et souvent leur langage me font peur. Ce sont des documents qui témoignent d’une sûreté tout humaine, plutôt que d’une fermeté simple de la foi. Mais ce qui m’indigne surtout, c’est le comportement des théologiens ».
Egalement : « Le Concile et l’exercice suprême du magistère ne sont justifiés que par une nécessité suprême. La gravité impressionnante de la situation actuelle de l’Eglise ne pourrait-elle pas découler justement du fait que l’on a voulu, avec légèreté, provoquer et tenter le Seigneur ? Peut-être a‑t-on voulu contraindre Dieu à parler alors que cette nécessité suprême n’existait pas ? Peut-être en est-il ainsi ? Pour justifier un concile qui a voulu rénover toutes choses, il fallait affirmer que tout allait mal, ce qui est fait sans cesse sinon par les évêques, en tout cas par les théologiens ».
Et enfin : « Rien ne me paraît plus grave, contre la sainteté de Dieu, que la présomption des clercs qui croient, avec un orgueil qui n’est que diabolique, qu’ils peuvent manipuler la vérité, qui veulent renouveler l’Eglise et sauver le monde sans se renouveler eux-mêmes. Dans toute l’histoire de l’Eglise il n’y a rien de comparable au dernier concile, dans lequel l’épiscopat catholique a cru pouvoir renouveler toutes choses en n’obéissant qu’à son orgueil, sans s’efforcer à la sainteté, en une opposition si patente à la loi de l’évangile qui nous impose de croire que l’humanité du Christ a été l’instrument de la toute-puissance de l’amour qui sauve, dans sa mort ».
Sandro Magister tire de ces affirmations du Père Barsotti, deux réflexions :
- ces critiques proviennent d’un homme à la vision théologale profonde, ayant une réputation de sainteté, très obéissant envers l’Eglise ;
- ces critiques ne s’adressent pas aux déviations de l’après-concile, mais au Concile lui-même.
Résumant l’argumentaire du livre d’Enrico Maria Radaelli, Sandro Magister écrit que, selon lui, la crise actuelle de l’Eglise est la conséquence non pas d’une application erronée du Concile, mais d’un péché originel commis par le Concile lui-même, à savoir l’abandon du langage dogmatique – précisément celui employé par tous les conciles précédents, avec l’affirmation de la vérité et la condamnation des erreurs – et son remplacement par un vague et nouveau langage « pastoral ».
Sandro Magister poursuit : « D’aucuns disent – et Radaelli le fait remarquer – que, même parmi les chercheurs de tendance progressiste, on reconnaît dans le langage pastoral une nouveauté décisive et caractéristique du dernier concile. C’est ce qu’a soutenu récemment, par exemple, le jésuite John O’Malley dans son ouvrage à succès L’événement Vatican II. Mais alors qu’O’Malley et les progressistes portent un jugement tout à fait positif sur le nouveau langage adopté par le concile, Radaelli, Roberto de Mattei et d’autres représentants importants de la pensée traditionaliste stigmatisent – comme Romano Amerio l’avait déjà fait précédemment – le langage pastoral dans lequel ils voient la racine de tous les maux. Selon ces derniers, en effet, le Concile aurait prétendu – abusivement – que l’obéissance due à l’enseignement dogmatique de l’Eglise l’était également au langage pastoral, élevant ainsi au niveau d’un indiscutable « super-dogme » des affirmations et des argumentations dépourvues d’une véritable base dogmatique, à propos desquelles il serait au contraire légitime et nécessaire d’émettre des critiques et des réserves. »
De ces deux langages opposés, le dogmatique et le pastoral, Radaelli voit découler et se séparer « presque deux Eglises » que Magister présente de façon synthétique :
- Dans la première, celle des traditionalistes les plus cohérents, Radaelli inclut les ‘lefebvristes’, pleinement « catholiques pour ce qui est de la doctrine et du rite » et « obéissants au dogme », en dépit de leur désobéissance au pape qui leur a valu d’être excommuniés pendant 25 ans. Cette Eglise est celle qui, précisément en raison de sa fidélité au dogme, « rejette Vatican II en tant qu’assemblée conciliaire en rupture totale avec la Tradition ».
- Dans la seconde Eglise, Radaelli place tous les autres, c’est-à-dire la quasi-totalité des évêques, des prêtres et des fidèles, y compris le pape actuel. C’est cette Eglise qui a renoncé au langage dogmatique et qui « se fait en tous points fille de Vatican II, dont elle proclame – et cela y compris au niveau du trône le plus élevé, mais sans jamais en donner les preuves – qu’il est en totale continuité avec l’Eglise préconciliaire, même si c’est dans le cadre d’une certaine réforme ».
Comment Radaelli pense-t-il que cette opposition puisse être résolue ? A son avis « ce n’est pas le modèle de l’Eglise obéissante au dogme qui doit recommencer à se soumettre au pape », mais « c’est plutôt le modèle obéissant au pape qui doit recommencer à se soumettre au dogme ». Et Magister de citer : « Ce n’est pas Ecône qui doit se soumettre à Rome, c’est Rome qui doit se soumettre au Ciel : toutes les difficultés existant entre Ecône et Rome ne seront résolues qu’après le retour de l’Eglise à son propre langage dogmatique ».
Radaelli présuppose, pour que cet objectif soit atteint, deux points :
- que Rome garantisse aux « lefebvristes » le droit de célébrer la messe et les sacrements uniquement selon le rite de saint Pie V ;
– que l’obéissance demandée envers Vatican II soit ramenée aux limites de son langage « faux-pastoral » et donc susceptible de faire l’objet de critiques et de réserves.
Mais avant d’en arriver là, ajoute Radaelli, il faudra également que deux autres demandes soient exaucées :
- la première, formulée au mois de décembre 2011 par Mgr Athanasius Schneider, évêque d’Astana au Kazakhstan, est la publication, par le pape, d’une sorte de nouveau « Syllabus » frappant d’anathème toutes « les erreurs actuelles » ;
- la seconde, qui a déjà été proposée par le théologien romain, Mgr Brunero Gherardini, au magistère suprême de l’Eglise, est celle d’une « révision des documents conciliaires et magistériels du dernier demi-siècle », qui devrait être effectuée « à la lumière de la Tradition ».
De cette analyse d’Enrico Maria Radaelli, Sandro Magister tire les conclusions suivantes : « Les choses étant présentées ainsi, il y a donc lieu de penser que la réconciliation entre les « lefebvristes » et l’Eglise de Rome est tout sauf facile et proche. Comme le prouve le fait que les négociations entre les deux parties sont dans une impasse, situation qui dure maintenant depuis plusieurs mois.
« Mais le fossé s’élargit également avec ceux des traditionalistes qui sont restés en communion avec l’Eglise, de Radaelli à de Mattei et à Gherardini. Ils ne cachent plus la déception que leur inspire le pontificat de Benoît XVI, en qui ils avaient mis certaines espérances. À leur avis, seul un net retour du magistère du pape et des évêques aux déclarations dogmatiques pourra remettre l’Eglise dans le droit chemin, avec, comme conséquence, la correction de toutes les erreurs propagées par le langage pastoral du Concile. »
Erreurs dont Radaelli dresse la liste dans une page de son livre, en les qualifiant de « véritables hérésies » et où l’on trouve entre autres : « la collégialité, l’œcuménisme, le syncrétisme, l’irénisme (en particulier envers le protestantisme, l’islam et le judaïsme), la transformation de la ‘doctrine du remplacement’ de la Synagogue par l’Eglise en ‘doctrine des deux saluts parallèles’, l’anthropocentrisme, la diminution des réalités ultimes (ainsi que des limbes et de l’enfer), l’abandon de la théodicée correcte (d’où résulte beaucoup d’athéisme comme ‘fuite pour échapper à un Père méchant’), la perte du sens du péché et de la grâce, la ‘dédogmatisation’ de la liturgie, le renversement de la liberté religieuse… »
Le livre d’Enrico Maria Radaelli, édité par Aurea Domus (278 p., 35 €), est préfacé par le philosophe britannique Roger Scruton et accompagné de trois commentaires, signés respectivement par Mgr Mario Oliveri, évêque d’Albenga-Imperia, par Mgr Brunero Gherardini et par les journalistes Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro.
Sources : chiesa.espressonline.it – du 15/02/13