Comme l’année précédente [1], le pape a voulu rassembler les curés et prédicateurs de carême de Rome pour leur donner ses conseils en vue de l’évangélisation des fidèles de son diocèse :
Au milieu des préoccupations et des inquiétudes de l’heure présente, votre venue près de Nous Nous est très agréable, chers fils, auxquels est confié le soin des âmes dans les paroisses toujours plus nombreuses de Rome, et vous, prédicateurs du carême, préparés et prêts à vous faire par votre prédication maîtres et ministres de réconciliation des hommes avec Dieu. Votre présence ravive en Nous l’affection qui, parce que par une disposition divine Nous sommes évêque de Rome, Nous unit d’une façon spéciale au cher peuple romain, partie choisie du troupeau du Christ et partie centrale de Notre immense devoir de pasteur universel de l’Eglise. Vous paissez le grand peuple de la Ville éternelle en Notre nom ; vous lui parlez pour Nous ; obéissant fidèlement à Notre très cher cardinal vicaire, soyez les pères et les guides dans la voie du salut spirituel, avec la sagesse dont la doctrine des apôtres est le plus haut phare de foi. Dans le Symbole des apôtres brille la plus éclatante lumière de la science de la foi et de la renaissance de l’esprit ; ce Symbole dont vous devez expliquer du haut de la chaire la seconde partie, riche de ces vérités qui concernent les dernières et suprêmes destinées de l’homme.
Pendant la sainte quarantaine, vous entretiendrez le peuple de ces destinées. Que cela ne vous soit point à charge si Nous-même Nous en parlons aujourd’hui devant vous. Nous voudrions qu’à vos oreilles résonne, plus que la Nôtre, la voix de saint Augustin qui, parlant de la voie universelle de libération de l’âme, voie ouverte à toutes les nations par la miséricorde divine, proclame le Christ voie, vérité et vie, le Christ prédit et incarné, et en même temps rappelle les choses merveilleuses réalisées en Lui et accomplies en son nom, comme aussi celles qui ont été prédites et promises et dont, dit-il, les innombrables que nous voyons réalisées, nous font justement et pieusement croire avec confiance que devront s’accomplir également celles qui sont à venir[2].
L’an dernier, les grands mystères contenus dans les six premiers articles du Symbole des apôtres, concernant Dieu, un et trine, Créateur de l’univers, et le Verbe de Dieu fait homme, Maître et Rédempteur, vainqueur de la mort par sa Résurrection et son Ascension au ciel, ont été prêchés et expliqués au peuple. Mais les non moins importants six articles qui restent sont d’une importance capitale pour le salut de l’homme.
« C’est de là-haut que le Christ viendra juger les vivants et les morts ».
Voilà le Christ qui, notre avocat (I Jean, ii, 1), siège à la droite du Père. Il n’est plus visible dans sa nature humaine parmi nous. Mais il daigne rester avec nous jusqu’à la consommation des siècles, invisible sous les apparences du pain et du vin dans le sacrement de son amour. C’est le grand mystère d’un Dieu présent et caché, de ce Dieu qui viendra un jour juger les vivants et les morts : inde venturus est judicare vivos et mortuos. Quand nous courbons la tête en méditant le cours inexorable du temps et en contemplant les ruines de cités et de peuples que l’ouragan de la présente guerre accumule sur la surface de la terre et que nous comparons l’envol du temps à l’inflexible immuabilité de la parole du Christ qui ne passera pas, alors que le ciel et la terre passeront (Matth., xxiv, 35) ; quand au centre de la plénitude du temps nous regardons le Christ affirmer, devant le tribunal de Caïphe, qu’il est le Fils de Dieu qui viendra un jour sur les nuées du ciel (Matth., xxvi, 64) ; notre foi, alors que le coeur est saisi par la peur, franchit les siècles, voit se terminer l’incessante succession des guerres et des paix dans le monde ; elle voit s’achever et se clore le grand volume de l’histoire du genre humain ; elle voit passer le ciel et la terre et, au milieu des nuées entrouvertes, apparaître le signe du Fils de l’homme (Matth., xxiv, 30) descendant de la droite du Père pour le jugement universel des élus et des réprouvés. Maintenant, c’est le temps favorable de la grâce, le temps du chemin de notre vie d’ici-bas, le temps de notre heureux ou malheureux pèlerinage vers le tribunal du Juge éternel, là où apparaîtra à la face de l’univers notre gloire ou notre infamie, notre joie ou notre désespoir éternel. Quel jour sera ce jour-là : Dies irae, dies illa ! [3]
Mais avant ce grand jour, chaque âme, parmi les fils et les filles d’Adam, aura déjà comparu et aura été jugée en particulier au tribunal du Christ, en passant de cette vie fugace à un monde où ne règne plus que la justice de Dieu, monde éternellement immuable comme le jugement divin est souverainement infaillible sur les œuvres, les paroles et les pensées des hommes. Mais ce jugement particulier ou privé suffit-il à la souveraine justice du Christ établi par le Père, même comme homme, juge de toute l’humanité ? N’est-il pas encore le restaurateur de la famille et de la société humaine, Celui qui a rétabli la soumission de la chair à l’esprit et de l’esprit à la sagesse divine dans la distribution des biens et des maux parmi les hommes ici-bas ? L’homme fait partie d’une famille et de la société, et en mourant il laisse souvent après lui des fils, des disciples, des imitateurs de ses actions bonnes ou mauvaises, qui accroissent au cours des temps sa récompense ou sa peine [4]. Il a un corps qui a été le compagnon et l’instrument du bien et du mal qu’il a fait à lui- même et aux autres ; revêtu de ce corps, il réapparaîtra au jugement universel, parmi les hommes, à la face du ciel et de la terre, pour être heureux ou pour être couvert de honte ; pour se réjouir ou rougir de cette réputation que souvent le jugement des hommes change et bouleverse parmi les mortels « en foulant aux pieds les bons et en exaltant les méchants » [5], en diffamant les hommes pieux et en glorifiant les impies. Aussi est-il juste que, devant le tribunal du Christ, Roi des rois et Seigneur des seigneurs (Apoc., xix, 16), comparaissent en même temps et au même lieu pères et fils, maîtres et disciples, princes et sujets, martyrs et saints avec leurs corps glorieux ; persécuteurs avec leurs mains maculées de sang ; les loups loués naguère comme des agneaux, et les agneaux jadis calomniés comme étant des loups, afin que, finalement, devant les yeux de tous, triomphe le bien récompensé et soit humilié le mal.
Prêchez, ô orateurs sacrés, ces très hautes vérités. De nos jours, la pensée chrétienne de la mort, d’où dépend toute l’éternité, menace de s’obscurcir toujours davantage. Ravivez-la dans la conscience des fidèles et expliquez-leur comment la gravité de la mort ne consiste pas tant dans ses circonstances extérieures que plutôt dans cette vérité que tout homme est responsable de son destin éternel et que ce dernier se fixe au moment de son départ de ce monde. Défendez l’infinie sagesse et justice de Dieu qui dans les événements heureux ou malheureux de cette terre souvent ne distingue pas les bons et les mauvais et fait briller son soleil sur les uns comme sur les autres (Matth., v, 45). Ses jugements ultimes ne sont pas rendus en cette vie, mais dans l’autre monde. Louez-le donc de ce que dans son gouvernement divin il réserve non seulement ses récompenses aux bons, mais encore les supplices aux mauvais. Faites taire ces murmures que parfois arrache aux lèvres de personnes même pieuses la vue des méchants, rendus puissants par la richesse, superbes dans leurs honneurs, heureux dans leurs succès. C’est pourquoi le psalmiste disait : « Mes pieds ont été sur le point de fléchir ; mes pas ont presque glissé, parce que j’ai envié les pervers en voyant la prospérité des méchants… Tels sont les méchants ! Ils sont les heureux du monde et amassent des richesses. Et j’ai dit : c’est donc en vain que j’aurais gardé mon cœur pur, que j’aurais conservé mes mains sans souillure et dans l’innocence, puisque je suis dans la tribulation tout le long du jour et que mon châtiment est de tous les matins » (Ps., lxxii, 2–3 et 12–14) [6].
Dans cette plainte des saints s’exprime le cri de l’infirmité de la nature humaine, mais non la voix de cet esprit dont ils étaient animés et dans lequel ils adoraient le mystère du gouvernement de Dieu dans les événements heureux et pénibles du monde. C’est une plainte que l’Eglise entend proférer par les lèvres de beaucoup de ses fidèles, mais qu’elle-même, confiante dans les plans de ce sage « Empereur qui règne là-haut », dépose au pied de son trône, afin que les plateaux des balances de la miséricorde et des consolations montent plus haut que ceux des justices et des douleurs. N’en doutez pas : au jour final, les ténèbres seront dissipées par les rayons fulgurants de la croix, étendard de l’Eglise militante et triomphante, qui illuminera les esprits et réconfortera les cœurs de ses fidèles disciples.
« Je crois au Saint-Esprit »
C’est vers ce grand jour de Dieu que s’avance l’humanité tout entière des siècles écoulés, du présent et de l’avenir. C’est vers ce jour que s’avance l’Eglise, maîtresse de foi et de morale pour toutes les nations, baptisant au nom du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint. Et nous, de même que nous croyons au Père, créateur du ciel et de la terre ; au Fils, rédempteur du genre humain, ainsi nous croyons également au Saint-Esprit : Credo in Spiritum Sanctum. Il est l’Esprit, procédant du Père et du Fils comme leur amour consubstantiel, promis et envoyé (cf. Jean, xvi, 7) par le Christ aux apôtres au jour de la Pentecôte, comme la vertu d’en haut qui les remplit, comme le Paraclet et le Consolateur qui demeure avec eux pour toujours, Esprit de vérité, Esprit invisible, inconnu du monde, qui leur enseigne et rappelle tout ce que Jésus leur a dit (Jean, xiv, 16–17, 26). Montrez au peuple chrétien la puissance divine infinie de cet Esprit créateur, don du Très-Haut, distributeur de tout charisme spirituel, consolateur très bon, lumière des cœurs, qui dans nos âmes lave tout ce qui est souillé, arrose ce qui est aride, guérit ce qui est blessé. De lui, amour éternel, descend le feu de cette charité que le Christ veut voir allumé ici-bas ; cette charité qui rend l’Eglise une, sainte, catholique, qui l’anime, la soutient et la rend invincible au milieu des assauts de la synagogue de Satan ; cette charité qui unit dans la communion des saints ; cette charité qui renouvelle l’amitié avec Dieu et remet le péché. Ne sont-ce pas là les grandes merveilles de la grâce du Saint-Esprit ? N’est-il pas, Lui, par ses dons, le Sanctificateur de l’Eglise et de l’union du peuple chrétien, qui fait ressusciter les morts à la vie de la grâce, qui libère ceux qui sont esclaves du péché ?
… « La sainte Eglise catholique, la communion des saints »
O sainte Eglise catholique, par la grâce de l’Esprit-Saint, nous croyons que tu es, que tu vis, que tu « souffres, combats et vis » et que « tes tentes se déployent d’une mer à l’autre ». Credo sanctam ecclesiam catholicam. Camp de ceux qui croient, de ceux qui espèrent, de ceux qui aiment au profond de leur âme, montrez-la, ô chers fils, cette Eglise, mère des âmes, visible sur la montagne (cf. Matth., v, 14), lumière des peuples (Jean, xi, 10) ; visible dans sa vie, dans son histoire, dans ses luttes et dans ses triomphes, dans son culte, ses sacrements, ses ministres, sa hiérarchie ; visible en cette Rome, où le Vicaire du Christ est le centre de son unité et la source de l’autorité, comme celui à qui doivent être unis tous les autres pasteurs et de qui ils reçoivent immédiatement leur juridiction et leur mission. Il lui appartient de les confirmer dans la foi, en tant que premier et universel Pasteur, et Pasteur des pasteurs, de prévenir et de corriger les abus, de garder inviolable le dépôt de la doctrine du Christ et de la sainteté de la morale, de condamner authentiquement l’erreur. Lui seul, successeur de Pierre, pierre fondamentale de l’Eglise, peut, à l’instar de Pierre parmi les apôtres au premier concile de Jérusalem — de Pierre dont la dignité ne fait jamais défaut, même dans un indigne héritier[7] — se lever et, conscient de la dignité reçue du Christ, parler et dire : « Vous savez, frères, comment Dieu, depuis les premiers jours, m’a choisi parmi vous, afin que par ma bouche les gentils puissent entendre la parole de l’Evangile et croire » (Actes, xv, 7).
Non, si l’Eglise est en ce monde et composée d’hommes semblables aux poissons bons et mauvais du filet (cf. Matth., xiii, 47–48), elle n’est pas un royaume de ce monde ; sa politique n’est pas et ne peut être autre chose qu’une œuvre incessante et un sacrifice fécond au service de la vérité et de l’amour, de la justice et de la paix entre les hommes, les peuples et les nations. Le nom de catholique ne peut pas, sinon à tort et d’une façon erronée, être employé pour signifier et favoriser d’autres sentiments et d’autres idées parmi les fils qui ont la même foi et qui ont une même mère, l’Eglise, dont aucun chrétien, s’il est fils bien né, ne devrait rougir de son caractère de catholique, au même degré que de l’Evangile. Faites aimer et vénérer une telle Mère sainte ; elle régénère ses fils à la vie de la grâce, elle les fortifie pour les luttes de l’âme par le Pain des forts ; par ses ministres, elle les accompagne au long de la vie dans tous les pas agréables et pénibles ; elle les fait participer à ses trésors, à ses biens, dans la communion des saints, avec ses prières, avec ses mystères sacrés, avec tous ces biens qui découlent de la source de la charité dans le lien de la paix, à la façon d’un fleuve, pour atteindre même les pécheurs et pour exalter la bienveillante autant que généreuse maternité de l’Epouse du Christ.
Réveillez et ravivez chez les fidèles, en particulier chez les jeunes, cette force spirituelle aujourd’hui si nécessaire, mais qui trop souvent leur fait défaut : le sens de l’honneur catholique. C’est la louange et l’admiration du fils pour la Mère. C’est le sentire cum Ecclesia. C’est la conscience que l’Eglise est une société parfaite, avec un droit souverain à tout ce dont elle a besoin pour l’accomplissement de sa divine mission. La conscience que l’Eglise c’est le Christ qui continue à vivre ici-bas, et que l’amour pour le Christ équivaut à l’amour pour l’Eglise et réciproquement.
Credo Sanctorum communionem. L’appartenance à l’Eglise du Christ, une, sainte, catholique, dans laquelle tous les fidèles ont le même droit de citoyenneté ; la foi unique qui les rend tous un au sens le plus intime et le plus élevé ; la Table sainte unique qui, à travers les monts et les mers, unit tous les fidèles dans le Christ ; un seul Esprit-Saint dont tous sont le temple par l’effet de la grâce sanctifiante ; un unique Chef visible de l’Eglise catholique qui embrasse tous ses fils dans un même amour, tout cela constitue, par nature et par une expérience séculaire, le plus puissant moyen de guérir les plaies des guerres, de réconcilier et de pacifier les peuples.
Ô pasteurs et orateurs sacrés, que votre parole exhorte, invite, pousse à cet acte où la communion des saints s’achève dans le divin banquet du Corps du Christ au temps pascal, repas qui est le souvenir de sa Passion, trésor abondant de grâces, gage de vie éternelle ! Il convient que là se rejoignent le jeune homme et la jeune fille, toute la famille chrétienne ; parce que là on leur donne le Pain vivant descendu du ciel qui, en nourrissant les âmes, les fortifie quand elles sont débiles, les protège quand elles sont en péril, les guide quand elles sont dans le doute, les réconforte quand elles sont affaiblies par les travaux et par les luttes, les console, les rend supérieures à elles-mêmes et au monde qui leur tend des embûches et les combat. Combien le Christ se complaît et combien l’Eglise a confiance dans un progrès spirituel plus grand chez le peuple chrétien, en contemplant les groupes de ses fidèles de tout âge et de toute condition se réunir avec piété et une dévotion ardente autour de la Table eucharistique ! Les églises en tressaillent, les anges, qui gardent avec tant de vénération le divin tabernacle, s’en réjouissent ! L’expérience enseigne qu’aujourd’hui, dans la lutte acharnée entre le bien et le mal, entre Dieu et Satan, on ne peut plus trop compter sur ceux qui ne s’approchent qu’une seule fois par an de la sainte Table. Nous avons besoin de fortes et compactes phalanges d’hommes et de jeunes gens qui, se tenant étroitement unis au Christ, reçoivent au moins chaque mois le Pain de vie et engagent aussi les autres à suivre leur exemple. Tel est, Nous le croyons, un des devoirs les plus urgents et les plus importants du ministère paroissial.
… « La rémission des péchés »
Mais, de même que sans la charité répandue dans notre cœur par l’Esprit-Saint on ne participe pas pleinement à la communion des saints, de même sans la pureté de conscience personne ne s’approche dignement du céleste banquet du Corps du Christ, devant lequel l’homme doit s’éprouver lui-même. C’est le grand mystère de la rémission des péchés : Credo remissionem peccatorum. C’est le mystère de la justice et de l’amour divins d’un Dieu fait homme qui, mourant crucifié sur le Golgotha pour le salut du monde, donne au Père céleste dans son propre sang le prix du pardon des péchés des hommes et, ressuscité, laisse à l’Eglise, avant de monter au ciel, les clés divines pour remettre et retenir les péchés [8], Dans un tel mystère, montrez à ceux qui vous écoutent l’infinie bonté de Dieu qui, dans le secret colloque du prêtre et du pénitent, daigne ériger l’inviolable tribunal de sa réconciliation avec l’homme et de son pardon, quelle que soit la faute qui charge une conscience repentante. Très haute et très vénérable, s’il en fut jamais, cette puissance accordée au prêtre, comme instrument et ministre de Dieu, de transformer les pécheurs en justes et de leur ouvrir les portes du ciel. Encore une fois, la sainte Eglise, en ramenant au bien les âmes qui se sont égarées, en les rendant héritières d’une vie bienheureuse et digne de la vision divine, se fait et se montre mère des saints, pendant qu’elle enseigne que c’est dans la réconciliation avec Dieu et dans l’amitié avec lui que consiste essentiellement le salut.
Et vous, gardiens, pères et médecins des âmes, choisis et établis par le Christ pour « donner à son peuple la connaissance du salut par la rémission des péchés » (Luc, i, 77), soyez pour le peuple chrétien des maîtres de cette science du salut. Oui, qu’on étudie aussi toutes les sciences et toutes les disciplines, tous les arts et les métiers, qu’on scrute les cieux, les mers, la terre et les profondeurs abyssales de la nature et de ses divers règnes. Mais l’homme, doué d’une âme immortelle, devra apprendre à sonder les profondeurs de son cœur, à sentir l’impulsion première qui le pousse avec force vers Dieu, à distinguer les biens éternels des biens temporaires et passagers, la vertu du vice, les mérites des démérites en face du tribunal de Dieu, à réfléchir sur l’offense et sur le remords et le regret qui l’efface. Les fidèles désirent avoir de bons confesseurs à la doctrine solide et réfléchie, qui leur indiquent avec clarté les limites du licite et de l’illicite, et sans imposer des charges ou obligations non nécessaires, leur viennent en aide quand la justice le demande et la charité le conseillé ; des confesseurs prudents, auxquels leurs pénitents peuvent tout confier sans danger de blessures spirituelles ; des confesseurs remplis de l’esprit de Dieu, qui sachent les conduire à la perfection qui convient à leur condition. Montrez-vous, chers fils, dignes d’un si haut ministère !
.. « La résurrection de la chair »
Mais qu’est donc la science du salut, sinon la connaissance de soi-même, de la fin suprême de la vie d’ici-bas, de la résurrection, de la mort du péché à la vie de la grâce et des bonnes œuvres, pour que, ainsi que nous exhorte l’apôtre saint Paul : « Comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire de son Père, nous recevions, nous aussi, une nouvelle vie. » (Rom., vi, 4). Quels sont, chers fils, votre intention et le but de votre prédication quadragésimale ? N’est-ce pas de préparer le peuple chrétien aux joies de la résurrection du Christ ? La résurrection spirituelle des âmes est figurée par la résurrection corporelle du Christ, crucifié pour la rémission des péchés, revenu à la vie comme le premier-né d’entre les morts (Apoc., i, 5), prémices de ceux qui dorment leur dernier sommeil (i Cor., xv, 20). Par lui, nous croyons aussi à la résurrection de la chair : Credo carnis resurrectionem. Vainqueur de la mort infligée par le premier Adam à tous ses descendants, le Christ, nouvel Adam, plus puissant que le premier, restituera au dernier jour la vie à tout le genre humain. Tous, oui, tous nous ressusciterons, élus et réprouvés. Des entrailles de la terre, des abîmes des mers et des océans, des tombes innombrables des cimetières et des champs de bataille, des millions et des millions de lieux cachés, la mort lèvera la tête et, étonnée autant que la nature, dira : où est ma victoire ? où est le coup porté par mon bras ? (cf. i Cor., xv, 55). Elle sera, par la résurrection, désormais précipitée éternellement dans le néant.
Volontiers, la pensée moderne revient au christianisme primitif. Or, il n’y a pas d’idée qui domine autant dans les pensées des chrétiens des premiers siècles que la ἀνὰστασις, la résurrection. Il importe donc que vous imprimiez profondément cette assurance dans la conscience de vos auditeurs ; assurance qui fortifie d’une force surhumaine, quand il s’agit de demeurer fidèles, fût-ce au prix de grands sacrifices, au Christ et à son Eglise.
Dieu, de même qu’il a créé l’âme du premier homme et lui a donné un corps de limon et qu’il a, dans le cours du temps et dans l’écoulement des siècles, formé dans le sein de la femme les membres de tous les fils et de toutes les filles d’Adam, saura les reformer et représenter chacun d’eux dans sa propre personne au tribunal de son divin Fils qui les jugera tous selon leurs œuvres ; et « ceux qui auront fait le bien sortiront du tombeau pour la résurrection de la vie ; ceux qui auront fait le mal sortiront pour la résurrection de la damnation » (Jean, v, 29). Chacun reprendra son propre corps et contemplera de ses propres yeux le Christ. Il est bien juste que le corps, compagnon dans le bien et dans le mal de la vie passagère d’ici-bas, soit aussi le compagnon de l’âme dans la vie heureuse ou malheureuse de l’éternité. Pourquoi punir seulement l’âme ? La chair n’a‑t-elle pas été non seulement la complice dans le mal, mais la conseillère, l’instigatrice, la charmeuse avec les cajoleries, les promesses traîtresses, les suggestions violentes ? Les fatigues et les mérites, l’activité et la souffrance ne furent-ils pas communs à l’âme et au corps dans la pratique du bien ? La faim et le froid, la sueur et la lassitude, les châtiments et les coups, les jeûnes et les veilles, la prostration dans la prière et les chants nocturnes, les chaînes et les martyres, la solitude et les durs traitements appartiennent au corps. L’âme du juste n’a‑t-elle pas acquis la gloire par les peines du corps, le bonheur par ses tourments et ses larmes ; n’a‑t-elle pas conquis le ciel par les sueurs du corps ? Que le corps soit donc le compagnon de l’âme dans la béatitude, qu’il soit impassible, qu’il soit éclatant, qu’il soit agile et, dans la soumission à l’âme bienheureuse, qu’il participe à la puissance de l’esprit.
Nous vivons à une époque de « culture physique » et l’on accuse l’Eglise de ne lui donner que trop peu d’importance. Assertion non fondée. L’Eglise n’a jamais condamné ce que les exercices physiques offrent de naturel, de sain, d’utile ; elle-même, au contraire, les développe (là du moins où elle n’est pas empêchée) avec le plus grand succès dans l’éducation et dans les organisations de la jeunesse. Si elle affirme et applique le principe que les choses du corps doivent être subordonnées à celles de l’esprit, elle ne fait qu’élever une digue contre les flots dépravants d’un culte de la chair qui fait retourner au paganisme sans âme et sans conscience. Mais précisément de cette conception il découle que là où, pour les autres, s’achève la culture du corps, elle commence, au contraire, dans le vrai sens du mot, pour le chrétien. II sait, lui, que le corps de celui qui vit en état de grâce est le temple du Saint-Esprit (i Cor., vi, 19), qu’il est destiné à la résurrection, à une vie éternelle de gloire. Voilà le plus noble titre, la plus haute estime du corps, infiniment plus riche et élevée que toutes les formes qui dérivent d’une vision purement terrestre et matérialiste du corps lui-même.
… « La vie éternelle, ainsi soit-il ».
Inclinons donc la tête, chers fils, devant la foi ; que chacun de nous dise en lui-même : Credo vitam aeternam ; à cette vie heureuse qui n’a pas de fin. Aujourd’hui, elle n’est pas encore déserte et inhabitée, cette « plate-bande qui nous rend si féroces ». Aujourd’hui encore l’homme est en marche vers l’éternité ; aujourd’hui, c’est le temps favorable, temps de miséricorde, de grâce et de rémission des péchés, d’espérance et de salut. Nous sommes encore pérégrinant vers la patrie du ciel, vers la vie éternelle, que le Symbole nous montre comme terme de notre voyage durant cette vie mortelle, but vers lequel nous devons toujours tenir fixé notre regard et diriger nos pas, notre foi, notre espérance, notre amour. Mais éternelle sera aussi cette vie immortelle qu’est la seconde mort des impies : misère, peine et tourment sans fin. La vie éternelle pour laquelle nous avons été créés et formés par la bienveillance divine, est joie sempiternelle, félicité perpétuelle, ineffable société avec les anges et les saints dans la vision à découvert de Dieu un et trine. C’est là la vie éternelle que le Verbe incarné, par sa vie, sa mort et sa résurrection, donne à celui qui croit en lui : « Et la vie éternelle — dit-il dans la prière à son Père céleste — c’est de vous connaître vous, le seul vrai Dieu, et votre envoyé, Jésus-Christ » (Jean, xvii, 3). Prêchez cette vie éternelle, cette félicité qui ne finira pas ; exaltez- en la grandeur et les merveilles ; excitez-en le profond désir dans le cœur des hommes, parce que Dieu a mis au fond de tout cœur un élan irrésistible vers le bonheur, élan que les philosophes et les savants de ce monde reconnaîtront comme ne pouvant être satisfait par les biens d’ici-bas. Seule la foi montre le terme et le rassasiement de ce bonheur ; le Symbole des apôtres, résumé de la foi, en a marqué et scellé le nom. Dans la cité éternelle, cette sainte cité de Dieu, Dieu sera notre Dieu et nous serons son peuple (cf. Lév., xxvi, 12). Dieu sera ce dont nous sommes rassasiés ; il sera toutes les choses que les hommes désirent légitimement : vie, santé, nourriture, richesse, gloire, honneur, paix, biens de tout genre. Il sera le terme de nos désirs, terme qui sera vu sans fin, aimé sans ennui, loué sans lassitude.
« Cette vision, cette affection, cette louange seront assurément communes à tous, comme la vie éternelle elle-même » [9].
Ces hautes vérités de la foi apostolique qui nous instruisent sur le changement de notre vie mortelle en une vie meilleure et que vous, chers curés et orateurs sacrés, allez plus particulièrement expliquer au peuple chrétien pour le préparer au renouvellement spirituel et à la joie pascale, méditons-les aussi pour nous ; afin que le feu que le Christ est venu porter sur la terre, et qu’il veut voir allumé, le feu du zèle pastoral et apostolique, jaillisse fortement du cœur qui en est rempli et s’enflamme davantage par la méditation. Vous allez prêcher à Rome, Notre diocèse particulier ; dans ces basiliques, ces églises, ces temples où, sur les autels et sur les murs, les statues, les tableaux, les décorations sacrées que la sublimité de l’art a vivifiés de dévotion et de piété, rendront un silencieux témoignage à vos paroles. Donnez une solide nourriture aux âmes affamées de nourriture spirituelle, qui ont soif de cette eau qui jaillit pour la vie éternelle et qu’elles ne puisent pas aux fontaines de la science et de la sagesse profane, si profonde et si étendue qu’elle soit. Ces âmes vous viennent des chaires, des universités, des maisons de recherche scientifique et intellectuelle, des laboratoires, des écoles, des bureaux, des ateliers, des foyers, des affaires, pour s’élever dans les régions de la foi, pour satisfaire cette impulsion de l’âme qui les ramène aux rudiments religieux et chrétiens de l’adolescence et de la jeunesse, jamais effacés par les luttes et les vicissitudes de l’âme et réapparaissant toujours, aux heures où les passions font silence et où l’on entend le cri de la conscience du bien et du mal. Indiquez- leur la science du salut et le chemin qui conduit au pardon et au baiser du Christ, au festin de l’amitié divine et du relèvement dans la joie d’un Dieu ressuscité. Soyez des pères, des maîtres et des médecins sages et zélés, qui ont Dieu dans le cœur et le cœur en Dieu seul ; et Dieu donnera à votre parole, annonciatrice de la vérité descendue du ciel pour nous élever là-haut, cette efficacité pénétrante et victorieuse qui, seule, est louange et gloire de la foi dans le Christ, qui viendra juger les vivants et les morts et donner à celui qui l’aura servi et aimé la vie éternelle.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte italien des A. A. S., XXXIV, 1942, p. 137 ; cf. la traduction française des Actes de S.S. Pie XII, t. IV, p. 29.
- Cf. Documents Pontificaux 1941, p. 48.[↩]
- S. Augustin, De civitate Dei, lib. X, c. XXXII.[↩]
- Séquence de la messe pour les défunts.[↩]
- Cf. Summa Theol., IIIa, q. 59, a. 5 in c. et ad Ium ; Catech. Conc. Trid., p. I, a. 7, n. 3–4.[↩]
- Dante, Enfer, XIX, 105.[↩]
- Cf. Catech. Conc. Trid., p. I, a. 7, n. 4.[↩]
- S. Léon le Grand, Serm. III in anniv. die Assampt. Suæ, cap. IV ; Migne, P. L., t. LIV, col. 147.[↩]
- Summa Theol., IIIa, Suppl., q. 17 et suiv.[↩]
- S. Augustin, De civitate Dei, 1. XXII, c. XXX, n. 1 ; Migne, P. L., t. XLI, col. 801–802.[↩]