Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

12 mars 1950

Lettre encyclique Anni sacri

Sur un programme pour combattre la propagande athée

Table des matières

Le Saint-​Père, par une Lettre ency­clique, ordonne d’or­ga­ni­ser des prières publiques, le dimanche de la Passion, le 26 mars 1950, afin d’ob­te­nir une réno­va­tion chré­tienne des mœurs et la concorde entre les peuples.

Le Pape se réjouit tout d’a­bord des fruits pro­duits par la célé­bra­tion de l’Année Sainte, ceux du moins que les pre­miers mois ont déjà per­mis de constater :

L’Année Sainte qui est en cours nous a déjà don­né bien des sujets de conso­la­tion et de joie. De maintes par­ties de la terre, des foules de chré­tiens viennent dans cette ville de Rome, qui a vu luire et rayon­ner sur le monde, dès les ori­gines de l’Eglise, la lumière de la doc­trine évan­gé­lique. Nous avons vu ces foules qui en­touraient le Siège de Pierre, qui y fai­saient péni­tence pour leurs fautes, qui expiaient aus­si par d’ardentes suppli­cations les péchés du monde, et qui implo­raient le retour de toute la Communauté humaine à Dieu, qui seul peut rendre aux nations la paix des âmes, la concorde et la prospérité.

D’autres millions de pèlerins sont annoncés, au cours du printemps et de l’été :

Ces pre­miers flots de pèle­rins ne sont que les pré­mices de plus nom­breux et copieux pèle­ri­nages qui sont annon­cés pour la belle sai­son, et dont on peut espé­rer des fruits abon­dants et salutaires.

Néanmoins, l’horizon demeure sombre :

Si les pre­miers contacts Nous laissent de douces et conso­lantes impres­sions, il n’a pas man­qué non plus de sujets d’anxiété et d’angoisse, capables de contris­ter Notre cœur paternel.

En particulier, la paix n’est toujours pas fondée ; au contraire, les Etats continuent à accroître leurs armements, c’est-​à-​dire se préparent fébri­lement à faire face à l’éventualité d’une guerre :

Et tout d’abord, bien que la guerre ait depuis long­temps pris fin, le monde n’a pas retrou­vé la paix si dési­rée, une paix stable et solide, qui mette heu­reu­se­ment fin à de nom­breux et tou­jours crois­sants sujets de dis­corde. Les peuples se dressent les uns contre les autres, et parce qu’entre eux ne règne plus la confiance, voi­là que l’on accu­mule à l’envi les arme­ments, ce qui plonge et main­tient les peuples dans l’angoisse et dans la crainte1.

D’ailleurs, la moralité privée et publique est aujourd’hui universelle­ment et gravement blessée.

1. On ne respecte plus la vérité :

Il est un fait plus grave en lequel on peut décou­vrir la source de tous les maux : ce n’est plus la véri­té, c’est le men­songe qui sert de moyen de discussion.

2. On méprise la religion :

La reli­gion est trai­tée avec dédain, comme chose de nulle importance.

On l’a par­fois défi­ni­ti­ve­ment écar­tée de la famille et de la socié­té, comme une super­sti­tion des temps anciens. L’impiété s’étale en pri­vé et en public. On a écar­té Dieu et sa loi sainte, si bien que la morale est pri­vée de tout fon­de­ment. Trop sou­vent, la lit­té­ra­ture et la presse traitent outra­geu­se­ment les choses saintes.

3. On pervertit la jeunesse :

On y étale toutes sortes de tableaux obs­cènes qui font miroi­ter devant la jeu­nesse et l’adolescence l’attrait du vice et les y entraînent fâcheusement.

4. On leurre les masses :

On leurre les masses popu­laires par des pro­messes chi­mé­riques ; et lorsqu’on a réus­si à détruire en elles jus­qu’à sa racine, cette foi des ancêtres qui était leur grande source de conso­la­tion, au sein des inévi­tables misères de cette terre d’exil, ces masses popu­laires sont for­mées à la haine, à l’envie, à la révolution.

5. On instaure des régimes où règne la violence :

On en vient à la vio­lence et aux désordres, aux troubles inces­sants et pré­mé­di­tés, qui causent la ruine éco­no­mique des pays et font un tort irré­pa­rable au bien commun.

6. On méconnaît les droits de l’homme et des chrétiens :

Il est un autre fait que Nous déplo­rons avec une indi­cible tris­tesse : dans beau­coup de pays, les droits de Dieu, de l’Eglise et même de la nature humaine, sont offen­sés et fou­lés aux pieds.

7. On persécute l’Eglise dans ses membres et dans ses activités :

Des ministres des autels, même éle­vés en digni­té, sont arra­chés à leurs fonc­tions, envoyés en exil, jetés en pri­son, empê­chés tout au moins de rem­plir leur charge. Dans l’enseignement, aus­si bien à l’école qu’à l’Université, dans les livres et les publi­ca­tions impri­mées, on inter­dit d’expo­ser et de défendre les ensei­gne­ments et les lois de l’Eglise, ou bien ce n’est qu’avec des res­tric­tions et sous une cen­sure qui attestent un pro­pos déli­bé­ré d’asservir à l’autorité civile la véri­té, la liber­té et la foi elle-même.

C’est pourquoi il est urgent de réaffirmer à la face du monde les exi­gences impérieuses de la religion et de la morale :

En pré­sence de tels maux, qui n’ont pour ori­gine, nous l’avons dit, que le mépris de Dieu et de sa loi, il est néces­saire, Vénérables Frères, de faire mon­ter vers le Ciel de fer­ventes sup­pli­ca­tions et de rap­pe­ler à l’attention des chré­tiens les divins pré­ceptes dont le res­pect peut seul, pro­cu­rer lumière aux intel­li­gences, paix et concorde aux âmes, jus­tice aux peuples et aux classes sociales.

Vous ne l’ignorez pas, non plus, une socié­té dont on a fait dis­pa­raître le sen­ti­ment reli­gieux ne peut plus être bien condi­tion­née, ni sub­sis­ter dans l’ordre.

Le clergé est appelé à prêcher une rénovation complète des mœurs :

Il importe donc que les ministres sacrés, gui­dés par l’épiscopat, se dépensent acti­ve­ment à cette tâche. Qu’ils ne s’épargnent aucune peine, sur­tout en cette Année Sainte, pour que leurs ouailles, répu­diant l’erreur, dépo­sant tout esprit de haine et de dis­corde, se nour­rissent tel­le­ment de la doc­trine chré­tienne qu’il s’opère une com­plète réno­va­tion des mœurs.

L’Action Catholique et tous les fidèles devront apporter leur concours à cette campagne de redressement religieux et moral ;

Mais comme le prêtre ne peut agir sur tous, ni suf­fire à tout, et que son minis­tère ne peut pas tou­jours sub­ve­nir comme on vou­drait à tous les besoins, il faut que les mili­tants de l’Action Catholique lui prêtent une aide active et dévouée. Personne ne peut res­ter à l’écart, ni refu­ser son tra­vail, ni res­ter indo­lent, quand on voit l’adversaire mettre tant de peine à ébran­ler les fon­de­ments de la reli­gion catho­lique et du culte chré­tien. Qu’il n’ar­rive plus désor­mais que « les fils de ce siècle soient plus pru­dents que les fils de la lumière »2, et que ceux-​ci se montrent moins ardents à leur tâche !

Les efforts des hommes ne seront efficaces que s’ils sont animés par la grâce divine. C’est pourquoi il faudra organiser une offensive de prières :

Mais les forces humaines res­tent impuis­santes sans l’aide de la grâce divine. Aussi vous invitons-​Nous, véné­rables Frères, à orga­ni­ser, cha­cun dans votre dio­cèse, une sorte de nou­velle croi­sade de prières, pour obte­nir du « Père des misé­ri­cordes et du Dieu de toute consola­tion3 », les remèdes appro­priés aux maux présents.

Le temps de la Passion est particulièrement favorisé pour pratiquer ces exercices de piété :

Nous dési­rons que ces prières publiques rejoignent les Nôtres le 26 mars pro­chain, au dimanche de la Passion, jour où la sainte Liturgie com­mence à com­mé­mo­rer les souf­frances que le divin Rédempteur a endu­rées pour nous déli­vrer de l’esclavage du démon et nous obte­nir la liber­té des enfants de Dieu.

Ce jour-​là, Nous Nous ren­drons dans la basi­lique de Saint-​Pierre et Nous join­drons Nos sup­pli­ca­tions, non seule­ment à celles de l’as­sis­tance, mais, Nous en avons la confiance, à celles de tout l’Univers chrétien.

Ceux que l’infirmité ou l’âge empêchent de se rendre à l’église, vou­dront offrir à Dieu, avec humi­li­té et confiance, leurs souf­frances et leurs dif­fi­cul­tés. Il y aura ain­si com­munauté de prières, d’aspirations et de vœux.

L’objet de ces prières sera de demander la paix.

En priant tous ensemble avec Nous, de la terre entière, les fidèles s’efforceront d’obtenir de la bon­té divine que cette réno­va­tion morale des chré­tiens entraîne aus­si, comme tous le sou­haitent ardem­ment, un nou­vel ordre de choses, basé sur la véri­té, la jus­tice et la charité.

Puisse un rayon de lumière céleste éclai­rer les intelli­gences de ceux qui tiennent en mains les des­ti­nées, des peuples ! Qu’ils se rendent bien compte que la paix est une œuvre de sagesse et de jus­tice, la guerre une œuvre de cruau­té aveugle et de haine. Qu’ils réflé­chissent bien qu’un jour ils auront à répondre de leurs actes, non seule­ment devant le juge­ment de l’histoire, mais au tri­bu­nal du Souverain Juge.

Ceux qui sèment à pleines mains l’envie, la dis­corde et la riva­li­té, ceux qui pro­voquent, en cachette ou ostensible­ment, l’agitation et la révolte, ceux qui trompent par de vaines pro­messes un peuple qui se laisse si faci­le­ment exci­ter, doivent finir par com­prendre que ce n’est ni la vio­lence, ni le désordre, mais bien de sages lois qui pro­cureront au monde la jus­tice à laquelle aspire le christia­nisme ; une jus­tice apte à rame­ner l’équilibre entre les classes sociales, en fai­sant régner entre elles la fra­ter­ni­té et la concorde.

La paix n’est véritable que si elle a le Christ pour fondement :

Que tous enfin, éclai­rés par la lumière d’En-Haut, que leur obtien­dront nos com­munes prières, se per­suadent que Notre Divin Rédempteur est seul capable d’apaiser heu­reusement les nom­breuses et redou­tables causes de discor­de qui existent dans le monde. Le Christ Jésus s’est ap­pelé « la Voie, la Vérité et la Vie4 ». Lui seul peut don­ner la clar­té céleste à des esprits plon­gés dans les ténèbres, incul­quer la force d’En-Haut à des volon­tés sujettes au doute et à la paresse. « Sans connaître le che­min, on ne peut aller de l’avant ; sans véri­té, on ne peut déve­lop­per son savoir ; sans la vie, on ne peut vivre », a dit le livre de l’Imitation5. Seul notre Sauveur peut régler avec jus­tice les choses de la terre, les im­prégner de cha­ri­té et conduire à l’éternelle béa­ti­tude l’humanité, après en avoir inti­me­ment uni les membres, dès cette terre, par les liens d’un fra­ter­nel amour.

La paix n’est véritable que si elle a le Christ pour fondement :

C’est donc au Sauveur qu’iront nos prières ani­mées par la foi, l’amour et l’espérance.

Pie XII lui-​même prie le Christ d’exaucer ses fils :

Que dans Sa bon­té, Il jette les yeux, prin­ci­pa­le­ment pen­dant cette Année Sainte, sur le genre humain, affli­gé de tant de cala­mi­tés, en proie à tant de craintes, bat­tu par les flots de si trou­blantes dis­cordes. De même qu’autrefois, par un simple geste d’apaisement, Il a cal­mé les eaux tumul­tueuses du lac de Galilée, Il peut impo­ser aux tem­pêtes déchaî­nées sur le monde la tran­quilli­té et l’ordre.

Que Sa lumière démasque les men­songes des mé­chants ! Que l’orgueilleuse arro­gance des superbes soit abais­sée ! Que ceux qui jouissent abon­dam­ment des biens de ce monde s’exercent à pra­ti­quer la jus­tice, la bienfai­sance et la cha­ri­té ! Que ceux qui sont moins favo­ri­sés de la for­tune ou qui en sont même tota­le­ment pri­vés, méditent l’exemple de la famille de Nazareth, astreinte elle aus­si à gagner son pain par le tra­vail quo­ti­dien ! Que ceux qui gou­vernent se per­suadent que la loi chré­tienne et la liber­té de l’Eglise sont les fon­de­ments les plus solides de la Cité !

Rappelez ces choses, Vénérables Frères, en Notre nom, aux fidèles confiés à vos soins. Engagez-​les à se joindre à Nous pour adres­ser à Dieu des prières ferventes.

Confiant en votre com­plète et géné­reuse adhé­sion, Nous vous don­nons de tout Notre cœur, à vous et à vos ouailles, comme gage des faveurs célestes et en témoigna­ge de Notre bien­veillance, la Bénédiction apostolique.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie – D’après le texte latin des A. A. S., XXXXII, 1950, p. 217.

  1. L’U. R. S. S., en 1949, dis­po­sait de la plus forte armée du monde, ayant plus de 3.500.000 sol­dats sous les armes, 20.000 avions. En cette même année plus du 20 % de l’ac­ti­vi­té indus­trielle était des­ti­née à des fabri­ca­tions d’ar­me­ments. Le 23 sep­tembre 1949, la presse amé­ri­caine annon­çait qu’une explo­sion ato­mique avait eu lieu sur le ter­ri­toire de l’U. R. S. S.

    En face de ces menaces, les Etats-​Unis, la Grande-​Bretagne et la plu­part des pays d’Europe occi­den­tale éla­bo­rèrent un plan de réar­me­ment. A cet effet, le Congrès des Etats- Unis votait le 18 octobre un cré­dit de 15 mil­liards de dol­lars pour la défense du pays.

    Les pays membres du Pacte Atlantique (Belgique, Canada, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-​Bas, Norvège, Portugal, Grande-​Bretagne, Etats-​Unis) for­mèrent un conseil de défense mili­taire en sep­tembre 1949. Un plan com­mun d’ac­tion fut éla­bo­ré. Le 19 octobre 1949, les Etats-​Unis déci­daient d’ap­por­ter une aide finan­cière à l’Europe, d’un apport de 1.300 mil­lions de dol­lars, pour per­mettre l’a­chat de nou­veaux armements.

    Dès lors on vit, au cours de 1950, les pays d’Europe allon­ger la durée du ser­vice mili­taire et hâter la pro­duc­tion des armes. []

  2. Luc, XVI, 8. []
  3. II. Cor., I, 3. []
  4. Jn 14, 6. []
  5. Livre III, c, 56, v. 5. []