HISTOIRE
DÉVOTION DES QUINTINAIS ENVERS LA CEINTURE DE LA SAINTE-VIERGE.
Dès que la Ceinture de Marie fut apportée à Quintin, on vit naître dans la ville une dévotion que nous retrouvons dans presque tous les lieux qui ont possédé de semblables trésors. Les femmes enceintes demandèrent à cette précieuse relique une protection contre les périls de la maternité. Au moment de sentir tout le poids de la malédiction lancée sur la première mère du genre humain, elles se tournaient avec une humble confiance vers Marie, la seconde mère, qui répara la faute de la première ; vers la nouvelle Eve, qui, préservée des funestes effets de la chute de son aïeule, non-seulement enfanta sans douleur, mais eut encore le glorieux privilège d’être mère sans perdre sa virginité. Des grâces sans nombre encourageaient dès lors cette dévotion, et la renommée de la sainte Ceinture se répandit dans toute la Bretagne.
Vers l’an 1451, Pierre II, duc de Bretagne, et sa digne compagne, la bienheureuse Françoise d’Amboise, sollicitèrent de Tristan du Périer, comte de Quintin, et du Chapitre de Notre-Dame, une petite portion de cette relique vénérée. Les deux nobles époux puisaient, dans une fervente dévotion à la Mère de Dieu, la force de pratiquer sur le trône les plus difficiles vertus, et en particulier cette héroïque chasteté qui leur suggéra de vivre toujours comme frère et soeur durant les quinze années de leur union sainte.
Ils avaient agrandi et doté la collégiale de Notre-Dame de Nantes, où ils s’étaient préparé un tombeau commun ; mais ces largesses n’avaient pas encore satisfait leur piété. Ils voulaient enrichir leur sanctuaire bien-aimé de quelque précieuse relique de la sainte Vierge.
Durant le long séjour qu’ils avaient fait à Guingamp, avant de monter sur le trône ducal, Pierre et Françoise avaient connu et sans doute vénéré la Ceinture de Marie que possédait notre collégiale, et ils l’enviaient pour celle qu’ils avaient dotée dans la plus grande ville de Bretagne. Les deux souverains n’usèrent pas cependant de leur autorité pour dépouiller notre église, et ils se bornèrent à adresser une prière que Tristan du Perrier et les chanoines ne purent repousser. Un petit fragment fut détaché de la précieuse Ceinture et porté à Nantes, où le duc et la duchesse le remirent solennellement au Chapitre de leur église préférée. Il fut renfermé dans un reliquaire d’argent et resta l’objet d’un culte fervent jusqu’à la Révolution française. Les femmes en travail d’enfant demandaient souvent que cette sainte relique leur fût portée par les chanoines de Notre-Dame de Nantes, et elles s’en trouvaient presque toujours miraculeusement soulagées (Charron, Calendrier historial de la Mère de Dieu, p. 590).
Comme tant d’autres objets sacrés, ce léger tissu eût dû périr durant la tourmente révolutionnaire ; mais le Dieu qui se fait gloire de veiller sur les ossements de ses saints, mit son honneur à sauver de la profanation cette humble relique d’un vêtement de sa Mère. Lorsque les commissaires du gouvernement impie de cette époque vinrent saisir l’argenterie de la collégiale de Nantes, le reliquaire de la Ceinture fut enlevé ; mais le chanoine trésorier, M. l’abbé Urien, parvint à conserver la précieuse relique. Devenu curé d’Ancenis après la pacification de la France, il en fit présent à son église paroissiale où elle est encore aujourd’hui l’objet des plus fervents hommages.
La chrétienne population de Quintin savait le prix du joyau qui enrichissait son église collégiale, et les générations qui se succédaient dans la ville se transmettaient le culte de la Ceinture de Marie comme l’héritage commun de toute la cité : aussi les précautions avaient été multipliées pour conserver la sainte relique.
Elle était toujours recouverte de deux ou trois enveloppes d’étoffe précieuse, qu’on appelait « ses tuniques », et renfermée dans un riche coffret d’argent que les prêtres seuls pouvaient ouvrir. Ce reliquaire était déposé lui-même dans un coffre bardé de fer, qui contenait les vases sacrés et les autres principales richesses de la Collégiale. Le chanoine sacristain avait la garde de ces objets précieux et venait chaque nuit coucher auprès d’eux dans la trésorerie de l’église, construite au pied du clocher, dans le petit cimetière attenant au château.
Toutes les fois que des femmes enceintes demandaient la Ceinture, un prêtre la sortait avec respect du reliquaire et la présentait aux pieuses clientes de Marie, qui la gardaient sur elles durant le saint sacrifice, qu’elles faisaient offrir pour leur heureuse délivrance. Quand, à l’heure de l’enfantement, l’une d’elles était en péril de mort, elle obtenait encore le secours de la précieuse Ceinture, qu’un des chanoines portait à sa maison. Comme de nos jours, Marie tenait à honneur de protéger ses humbles clientes, et un accident survenant à une mère ou à un nouveau-né était un fait inouï à Quintin. Aussi la Ceinture de la Sainte Vierge était-elle demandée dans les villes fort éloignées, et les chanoines de la Collégiale faisaient de fréquents voyages pour la porter à de nobles dames jusqu’à Rennes ou au fond de la Basse-Bretagne.
Le peuple quintinais ne voyait pas habituellement l’objet de sa vénération séculaire. Il avait besoin de concentrer autour de quelque signe extérieur les hommages de sa tendresse filiale et de sa reconnaissance envers Marie.
A l’entrée de la Collégiale, l’architecte avait ménagé un porche, qui était comme un premier sanctuaire érigé à la Mère de Dieu. Son image apparaissait à une place d’honneur au point central de l’édifice, dominant les deux portes qui donnaient entrée dans l’église. Au pied de la Vierge, le long des murailles, douze arcatures et douze piédestaux étaient disposés pour recevoir les statues des apôtres qui devaient former sa cour. La main d’un sculpteur habile avait couvert d’ornements délicats les parois de ce petit temple.
Le peuple quintinais s’éprit d’amour pour cette madone. Dans la simplicité de ses formes naïves, elle avait l’attitude majestueuse qui convient à une reine. Sur la tête elle portait la couronne, et de la main droite elle tenait un sceptre, tandis que la gauche soutenait son divin Fils portant le globe du monde.
Les seigneurs de Quintin n’avaient pas achevé la décoration de ce vestibule de la Collégiale et leurs héritiers, devenus comtes de Laval, s’intéressaient peu à cette église, où reposaient cependant toute une lignée de leurs ancêtres. Le peuple se chargea de terminer l’œuvre de ses comtes.
Au XVIème siècle, les murailles du porche furent ornées d’abord de brillantes peintures représentant les douze apôtres et des scènes de la vie de la sainte Vierge ; mais, l’humidité ayant détruit cette décoration fragile, douze vigoureuses statues de granit vinrent garnir les piédestaux inoccupés.
Aux pieds de la sainte Vierge, on plaça un petit autel, et, devant l’autel, pour recevoir les offrandes, un tronc qui donna aussitôt son nom à la statue vénérée. On l’appela longtemps Notre-Dame du Tronc mais la reconnaissance des femmes, qui avaient dû tant de fois leur salut à Marie au milieu des dangers de la maternité, décerna à son image un titre plus doux. Notre-Dame du Tronc devint Notre-Dame de Délivrance ou encore Notre-Dame de Miséricorde. Sous ces noms nouveaux, elle fut la reine de la cité, et la piété de nos aïeux sut inventer pour elle les honneurs les plus délicats.
Une confrérie fut établie pour la servir, et se fit gloire de porter son nom. Cette association eut ses dignitaires, ses offices, son autel dans l’église, et bientôt des revenus fixes et un trésor.
Le premier argent que gagnait un jeune apprenti, la première pièce de monnaie qu’un marchand recevait au commencement de la semaine, revenaient comme de droit à Notre-Dame de Délivrance et étaient fidèlement jetés dans le tronc établi à ses pieds.
Des cierges brûlaient nuit et jour sur un candélabre de fer placé devant son autel, et, en les comptant, on eût pu dire combien de familles dans la cité étaient à ce moment, ou sous la menace d’un malheur, ou dans la joie qu’apporte un bienfait du ciel.
Quand une femme était en travail, quand un malade était sur le point de mourir, on courait à Notre-Dame de Délivrance. De même qu’elle préservait tous les enfants de la cité des périls qui menacent l’homme à sa naissance, elle les délivrait de même des dernières embûches de l’ennemi. Protectrice de l’agonie, comme des heureux enfantements, elle ne cessait de veiller sur ses fils que lorsque leurs âmes étaient en possession de cette vie éternelle, dont elle leur avait assuré les prémices avec le saint baptême.
Le commerce de la toile répandait déjà l’aisance dans la cité. Le peuple voulut consacrer cette industrie à sa Reine bien-aimée. Une quenouille chargée de lin fut attachée sous le porche, à la balustrade qui entourait l’autel de Notre-Dame de Délivrance, et lorsqu’une petite fille était en âge d’apprendre à filer, sa mère l’envoyait à la collégiale chercher la quenouille de la sainte Vierge, et l’enfant faisait le premier apprentissage du métier qui devait lui donner son morceau de pain de chaque jour, sur le lin fourni par la Reine des cieux. Quand, après de longs efforts, la quenouille était épuisée, l’enfant la garnissait avec du lin que lui donnaient ses parents, et en la rapportant à l’église, elle déposait aux pieds de Marie son premier écheveau de fil, humbles prémices des travaux de toute sa vie.
Jamais enfin une personne pieuse ne sortait de la collégiale sans faire une station sous le porche, devant Notre-Dame de Délivrance pour la saluer par un dernier cri d’amour et lui confier une dernière prière.
Les manifestations de la miséricorde divine sont toujours proportionnées à la foi simple de ceux qui l’implorent. Aussi les miracles se multiplièrent devant l’image de Notre-Dame de Délivrance. Un pieux cantique composé en son honneur au XVIIIème siècle, et encore chanté dans notre ville, en perpétue le souvenir dans des vers malheureusement trop imparfaits (Cantique de la sainte Vierge, Mère de miséricorde, par l’abbé Le Floch du Volozenne, grand chantre de la cathédrale de Saint-Brieuc). Il semble même indiquer que la piété naïve de nos pères cherchait à lire sur le visage de la statue vénérée les sentiments de la Reine des cieux, et qu’on le voyait tantôt pâle, tantôt vermeil, selon que l’inquiétude ou l’espérance agitaient tour à tour le cœur maternel de Marie à la pensée de ses enfants (Alphonse Guépin).
GRÂCES ACCORDÉES PAR NOTRE-DAME DE DÉLIVRANCE DE QUINTIN.
Depuis la grande manifestation du 4 mai 1873, le culte de Notre-Dame de Délivrance et de la Ceinture de la sainte Vierge n’a cessé de se développer.
A partir de ce jour béni, la vieille madone du porche de la Collégiale a été l’objet de la dévotion la plus fervente ; aucun fidèle ne sortait plus de l’église sans la saluer par les trois Ave Maria recommandés par le Souverain Pontife. Elle est redevenue la confidente dans toutes les douleurs, la conseillère dans toutes les difficultés, l’objet de l’action de grâces dans toutes les joies.
Presque à chaque heure du jour, quelque pieux chrétien était agenouillé à ses pieds, et les cierges, entretenus devant elle par la dévotion et la reconnaissance, ne se sont point éteints un seul jour.
Deux quenouilles chargées de lin ont été placées auprès de la sainte image, et les jeunes filles de la ville, comme autrefois leurs mères et leurs aïeules, se sont appliquées avec une foi naïve à filer un écheveau de fil pour Notre-Dame de Délivrance, toutes les fois qu’elles avaient une grâce à obtenir de la Reine du Ciel.
Quand on pénétrait dans la Collégiale, la présence de la sainte relique était indiquée à l’autel de la sainte Vierge par des lampes constamment allumées. Plusieurs d’entre elles sont retenues à perpétuité par la piété de fidèles, redevables de quelque bienfait signalé à Notre-Dame de Délivrance ; les autres étaient allumées pour quelques jours seulement, d’ordinaire à l’occasion d’une neuvaine à la sainte Vierge.
Sur l’autel, à la place du tabernacle, une armoire d’une forme artistique quoique sévère, œuvre d’un sculpteur quintinais, renfermait le reliquaire de la sainte Ceinture. Au-dessus du reliquaire apparaissait une belle statue de Notre-Dame de Délivrance en argent, offerte par la piété des fidèles et la générosité d’une noble dame, dont Quintin n’oubliera jamais les bienfaits. De riches candélabres, chargés constamment de cierges allumés, complétaient la décoration de l’autel. Chaque mois, des messes fondées à perpétuité et annoncées au prône de la grand’messe, étaient célébrées à l’autel de la sainte Vierge pour les fondateurs et tous ceux qui se recommandent à Notre-Dame de Délivrance ; et on devait donner avec le temps plus de solennité à ces pieuses réunions.
Le culte de notre sainte relique n’est pas resté enfermé dans nos murs. Les rubans bénits et mis en contact avec la Ceinture de Marie ont été de plus en plus recherchés et ont produit au loin des grâces signalées, dont quelques-unes peuvent être appelées à bon droit de véritables miracles. Les plus nombreuses et les plus éclatantes ont été opérées en faveur de femmes enceintes ou d’enfants arrivant à la vie. Entre plusieurs faits de ce genre, nous citons comme au hasard les suivants, arrivés à des personnes dont nous pourrions dire les noms.
A Landerneau, une pauvre jardinière avait eu le malheur d’accoucher à plusieurs reprises d’enfants mort-nés. Enceinte de nouveau, elle tremblait, convaincue qu’une semblable infortune la menaçait encore, lorsque sa maîtresse lui donna une ceinture bénite à Quintin, en l’exhortant à avoir confiance dans la sainte Vierge. La pauvre femme prit le ruban ; mais elle n’osa demander à Marie qu’une seule grâce, que son enfant pût recevoir le baptême à l’église. Deux jours après, elle était prise des douleurs de l’enfantement. Deux médecins, appelés auprès d’elle, s’en allèrent, persuadés qu’un malheur était imminent et avouant que leur science était impuissante. Seule, la pauvre femme ne se lassait ni d’espérer, ni de prier, toujours dans la même intention. L’enfant naît enfin, mais presque expirant. On s’empresse de l’ondoyer sur-le-champ ; mais la mère, convaincue que la sainte Vierge lui accordera certainement sa demande, exige qu’il soit porté aussitôt à l’église. On accède à ses désirs, quoiqu’on ne doutât pas que l’enfant ne mourût en chemin. On arriva cependant à l’église ; le prêtre eut le temps de suppléer à toutes les cérémonies du baptême ; mais à peine avait-il achevé que l’âme de ce petit innocent s’en allait au ciel remercier Marie de lui avoir procuré le bonheur éternel. La mère se remit promptement et remplie désormais d’une confiance entière dans sa ceinture bénite, elle la garda soigneusement et la prit dès les premières annonces d’une nouvelle grossesse. Elle ne douta pas cette fois que la sainte Vierge ne lui fît mettre au monde un enfant viable. Sa foi n’a pas été trompée. Elle a eu une fille très vigoureuse, dont la santé parfaite console ses parents de leurs malheurs passés.
Près de Pont-Labbé, une paysanne avait failli périr dans ses deux premières couches. Les troisièmes s’annonçaient terribles et, d’après toutes les probabilités humaines, la pauvre mère devait y laisser la vie. Une jeune dame du voisinage lui prêta une ceinture bénite à Quintin, qui fut reçue comme gage d’une protection assurée de Marie. Cette foi simple eut sur-le-champ sa récompense. L’enfant et la mère furent sauvés.
Célestine Le Forestier, femme de Charles Rescourio, demeurant à Pontivy, avait eu cinq enfants tous mort-nés ; et à chacune de ses couches, sa vie avait été en grand péril. Quand elle devint enceinte pour la sixième fois, les médecins ne lui dissimulèrent pas le danger que courait sa vie. La pauvre femme était dans l’état d’anxiété la plus cruelle, lorsqu’une personne pieuse, émue de compassion envers elle, lui donna une ceinture de la sainte Vierge, bénite à Quintin. Célestine la reçut avec la foi et la consolation la plus vive, comme un gage certain d’une protection assurée du ciel. Sa confiance ne fut pas trompée. Quelques semaines après, elle mettait heureusement au monde une petite fille pleine de vie et de santé ; elle recouvra elle-même promptement ses forces et fut en état de nourrir et soigner seule son enfant.
L’envoi des ceintures bénites est fait d’ordinaire par M. le Curé de Quintin, par de pieuses zélatrices ou par les Soeurs du Saint-Esprit, qui dirigent le bureau de bienfaisance. Par les mêmes intermédiaires, des offrandes, presque toujours modestes mais très nombreuses, sont arrivées de tous les points de la France, comme actions de grâces à Notre-Dame de Délivrance. Un jour, c’était une noble dame qui envoyait cent francs du fond du Dauphiné ; une autre fois, c’était une jeune femme qui faisait remettre à Notre-Dame de Délivrance un louis d’or, premier cadeau que venait de recevoir son fils nouveau-né. L’envoi était accompagné d’une lettre touchante, dans laquelle la jeune mère racontait qu’ayant eu le malheur de perdre ses deux premiers enfants, à l’heure même de leur naissance, elle était sous le coup d’une angoisse indicible, quand elle se vit enceinte pour une troisième fois. Elle était convaincue qu’elle perdrait son enfant et succomberait elle-même. Les Soeurs du Conquet, sa paroisse, lui procurèrent une ceinture. « Je l’ai reçue, écrivait-elle, comme un gage assuré de la protection de la sainte Vierge ; aussi, dès ce moment, remplie de confiance en la ceinture que je portais, je ne craignais plus ni pour moi ni pour mon enfant. Je n’ai pas été trompée. J’ai conservé cet enfant pour lequel j’avais tant pleuré. Depuis j’en ai eu encore un autre, beau et fort comme son frère. Je ne puis être assez reconnaissante envers Marie, ma bonne Mère ».
Notre-Dame de Délivrance ne s’est pas seulement montrée secourable pour une seule des infirmités humaines. Sans parler des grâces spirituelles qu’elle accorde sans cesse à ses clients, nous pourrions relater des faits, dans lesquels il est difficile de ne pas voir une protection de Marie. En 1879, un jeune homme, né à Pontivy, mais habitant Paris, avait été pris, à la suite d’une maladie aiguë, de douleurs violentes dans tous les membres et souffrait le martyre. Il revint dans sa ville natale auprès de sa mère ; mais ni les soins dévoués de celle-ci, ni la science de trois médecins ne purent lui procurer aucun soulagement. Une personne pieuse, qui propage avec zèle la dévotion à Notre-Dame de Délivrance, parla à la mère de la précieuse ceinture, comme d’un remède qui réussissait souvent après l’application inutile des moyens humains. Le jeune homme refusa d’abord de s’en servir ; mais, à la suite d’une nuit plus douloureuse que les autres, il réclama de lui-même la ceinture. Les douleurs se calmèrent immédiatement ; au bout de quelques jours, le jeune homme put retourner à Paris et reprendre ses occupations, à la grande surprise des médecins qui ne comprenaient rien à cette amélioration subite. En partant, il voulut emporter sa ceinture ; depuis il ne l’a jamais quittée et sa santé s’est toujours maintenue parfaite.
A Saint-Brieuc, une pieuse mère, Mme P…, a l’habitude de faire porter à ses enfants en bandoulière sous leurs vêtements, la ceinture de la sainte Vierge. L’un d’entre eux, âgé de six ans, avait la vue tellement faible qu’il ne pouvait se diriger seul. Un jour, trompant la vigilance de sa mère, il s’était échappé dans la rue Saint-Gilles, lorsqu’une charrette pesamment chargée le renversa à terre et une des roues du lourd véhicule lui passa sur le corps. Ce ne fut qu’un cri parmi toutes les personnes qui virent cet accident ; on croyait l’enfant mort. La mère elle-même arrivait en tremblant. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver son fils sain et sauf ? Ses habits étaient sales et déchirés, mais il n’avait pas la plus légère contusion. En le déshabillant, l’heureuse mère vit seulement une marque rouge qui indiquait sur l’épaule de son fils la trace de la roue de la charrette ; mais à cet endroit même, l’enfant portait la précieuse-ceinture, qui avait amorti le coup et lui avait sauvé la vie.
Une jeune fille âgée de quatorze ans, était élevée à Rennes, dans le pensionnat de Saint-Laurent, tenu par les Dames de Saint-Thomas-de-Villeneuve. Vers la fin de novembre 1877, le mauvais état de sa santé la fit rentrer dans la maison paternelle. Une fièvre typhoïde se déclara presque aussitôt, avec les symptômes les plus alarmants. La jeune malade perdit complètement connaissance, au point qu’elle se croyait toujours au pensionnat et ne reconnaissait pas ses parents. Le vendredi 19 décembre, elle entra en agonie, sans que sa mère s’en aperçût. On croyait qu’elle reposait, lorsqu’une voisine, venant pour voir la malade, s’approche de son lit et voit la sueur de la mort qui perlait déjà sur son front. « Allez vite chercher le médecin », dit-elle aux parents abusés. Le père y courut ; à peine le docteur fut-il arrivé qu’apercevant le danger, il conseilla de faire venir sans retard le prêtre : « la malade, ajouta-t-il, ne passera pas la nuit ». Informée de l’état désespéré de sa chère élève, la supérieure du pensionnat de Saint-Laurent, qui est quintinaise, lui envoya immédiatement une ceinture de la sainte Vierge, bénite à Quintin. On la mit sur l’enfant vers six heures du soir.
Aussitôt la malade parut plus calme ; cependant la nuit se passa dans de cruelles anxiétés pour tous ceux qui l’entouraient, lorsqu’à quatre heures du matin, la jeune fille appela sa mère et lui demanda à manger. La connaissance lui était revenue et elle mangea sans être incommodée. Grâce à la protection de la sainte Vierge, le danger avait disparu et bientôt elle fut complètement guérie.
Si nous pouvions dresser ici la liste des clients de Notre-Dame de Délivrance, au moyen des lettres qui demandent des prières ou des actions de grâces ; à côté d’humbles paysannes, nous devrions inscrire plusieurs des noms les plus illustres de l’aristocratie française. Des médecins, des magistrats, des officiers de terre et de mer ont foi dans la protection de notre sainte Relique aussi bien que les pauvres tisserands de Quintin. Puissent ces pages voler bien loin de notre cité pour répandre de plus en plus le culte de notre sainte Patronne ! Puisse leur lecture inspirer à ceux qui souffrent, à ceux qui désespèrent de recourir avec confiance à Marie, si justement appelée le Salut des infirmes, le Refuge des pécheurs, la Consolation des affligés !
Le vœu de 1871 a été pleinement accompli, avec un élan de piété et une magnificence qui a dépassé toutes les espérances. Notre-Dame de Délivrance a sa fête et la précieuse Ceinture, son reliquaire ; cependant la piété des Quintinais n’était pas satisfaite. A chacune des fêtes solennelles du premier dimanche de mai, la vieille Collégiale paraissait de plus en plus pauvre, délabrée, insuffisante pour le chiffre de la population, indigne en un mot de la précieuse relique qu’elle abritait. Le désir de tous était de la remplacer par un édifice consacré sous le vocable de Notre-Dame de Délivrance et de n’épargner aucun sacrifice pour cette nouvelle et pieuse entreprise.
Appelé à succéder en 1875 à M. l’abbé Guillemot, dans la cure de Quintin, M. l’abbé Gilbert Blanchet, comptant avec raison sur le concours d’une administration intelligente et chrétienne, s’est mis courageusement en avant pour cette grande œuvre. Son appel a été entendu tout d’abord par les descendants de la famille ducale de Lorge-Quintin, qui, des prérogatives de leurs pères, ne réclament que l’honneur de prendre une large part à toutes les bonnes œuvres de la ville et de la contrée. Il est inutile de citer des noms vénérés de tous et qui rappellent les plus hautes vertus et d’héroïques sacrifices.
La population quintinaise répondit avec un admirable élan à l’exemple du don princier de cette noble famille : conseil municipal, Fabrique de l’église, propriétaires, commerçants, ouvriers, jusqu’aux plus pauvres habitants, tous voulurent apporter leur pierre au sanctuaire de Notre-Dame de Délivrance. La Vierge Marie a vu à ce moment du haut du ciel des actes d’amour et d’admirable générosité, qui suffiraient à eux seuls pour assurer à toujours sa bénédiction à notre cité.
Un jour, l’antique Collégiale fut démolie ; seule la vieille tour resta debout et ses cloches appelèrent encore les fidèles à la prière. La chapelle de Notre-Dame de la Porte, sauvée de la profanation, devint l’abri provisoire de la paroisse : la Ceinture de la Sainte Vierge, son reliquaire, la statue d’argent de Notre-Dame de Délivrance, la vieille madone du porche, toutes ces choses saintes, qui sont comme le palladium de notre cité, trouvèrent leur place dans ce vieux sanctuaire, rendu à la prière, grâce à un nouveau et généreux sacrifice.
Les fondements de la future église furent jetés dans le sol ; malgré des difficultés pénibles et inattendues, la foi des habitants de Quintin ne se démentit pas un seul instant, et la génération qui a voulu la construction du sanctuaire de Marie a réalisé ses désirs.
Les plans avaient été dressés par un habile architecte, M. A. Baillargé, connu par le projet magnifique de restauration de saint-Martin de Tours. Ce fut M. Th. Maignan qui les exécuta, avec M. Yves Bellec comme entrepreneur.
Le 6 mai 1883, l’évêque de Saint-Brieuc, Monseigneur Bouché, bénissait solennellement la prière principale ; quatre ans après, le nouvel édifice, était achevé. Le jeudi 11 août 1887, M. le chanoine Blanchet, curé-doyen, avait la grande joie de le bénir, comme délégué de l’Evêque, et le Saint Sacrement, escorté par une foule pieusement émue, quittait l’église provisoire pour prendre possession de sa demeure définitive.
Bâtie sur les fondations mêmes de la vieille Collégiale, l’église de Notre-Dame de Délivrance en rappelle les dispositions principales. A l’entrée, sur le tympan intérieur du porche, l’image de la Reine de la cité, tenant une quenouille à la main, se détache sur un fond d’or en mosaïque. Celle que l’Eglise se plaît à invoquer comme la Porte du ciel, Janua cœli, semble placée là pour attendre ses visiteurs et les introduire près de son divin Fils.
En franchissant le seuil du temple, par delà le maître-autel où réside l’Hôte divin de nos tabernacles, le pèlerin aperçoit au fond de l’abside, sur un autel somptueux en marbre blanc, le reliquaire de la précieuse Ceinture, surmonté de la statue de Notre-Dame de Délivrance, et sa première prière est comme nécessairement pour la patronne principale de l’église et de la cité.
Saint Thurian a conservé, lui aussi, les droits que lui assure son ancien patronage ; son autel se voit, du côté de l’Evangile, dans le transept nord, faisant face aux fonts baptismaux.
La dévotion à sainte Anne si chère à nos aïeux, les dévotions au Sacré-Cœur et à saint Joseph qui sont la gloire et la consolation particulière de notre temps, ont à juste titre trouvé place dans le nouvel édifice.
C’est ainsi qu’à force de sacrifices et de prières, les pieux fidèles de Quintin ont vu aboutir cette sainte entreprise conçue dans un véritable amour de Dieu et de Marie. Et enfin est venu le jour solennel [Note : Annoncée plusieurs mois à l’avance par S. G. Monseigneur Serrand, Evêque de Saint-Brieuc et Tréguier, la consécration de l’église de Notre-Dame de Délivrance a été fixée au dimanche 5 octobre 1930. Les évêques originaires du diocèse, heureux de donner à notre madone, vénérée un témoignage de leur filiale dévotion, ont accepté de participer à l’imposante cérémonie, de consacrer les six autels, et de présider la grande procession mariale, l’après-midi, à travers les rues de la ville] où le Pontife du Seigneur oint avec le saint chrème les murailles du nouveau sanctuaire et en consacre les autels. Avec quels sentiments de reconnaissance tous redisent la prière que l’ancien peuple d’Israël, par la bouche de son roi, adressait à Dieu au jour de la dédicace du Temple :
« Soyez béni, Seigneur, qui avez donné la paix à votre peuple, selon votre promesse. Soyez avec nous, Seigneur, notre Dieu, comme vous avez été avec nos pères, ne nous abandonnant pas, ne nous rejetant pas de votre face. Inclinez nos cœurs vers vous, afin que nous marchions dans toutes vos voies, que nous conservions vos commandements, votre culte et tout ce que vous avez ordonné à nos pères ; que les paroles de cette prière que nous faisons devant vous, Seigneur, vous soient présentes nuit et jour, afin que chaque jour vous fassiez justice à vos serviteurs et à votre peuple. Amen ».
(Alphonse Guépin)
LA RELIQUE DE LA CEINTURE
C’est un fin réseau de lin, à mailles inégales, dont il ne reste qu’un fragment d’environ 8 cm de côté. La relique porte les traces de l’incendie de 1600 mais elle avait été déjà réduite par le don d’une partie à la bienheureuse Françoise d’Amboise, épouse de Pierre II, duc de Bretagne.
Cette portion de la relique fut déposée à la cathédrale de Nantes et, au moment de la révolution, transférée à l’église d’Ancenis. Une photocopie de la Relique est actuellement exposée dans le tabernacle de l’autel de Notre-Dame de Délivrance.
» Comment dans le passé se présentait la Relique ? Elle était toujours recouverte de deux ou trois enveloppes d’étoffe précieuse, qu’on appelait ses « tuniques » et renfermée dans un coffret d’argent, fermé à clé. Ce reliquaire était déposé dans un coffre bardé de fer, à la garde du chanoine sacristain.Toutes les fois que des futures mamans demandaient la Ceinture, un prêtre la sortait avec respect du reliquaire et la portait aux pieuses clientes de Marie, qui la gardaient sur elles durant le saint sacrifice qu’elles faisaient offrir pour leur heureuse délivrance. En cas de danger grave, au moment de l’enfantement, il arrivait qu’on la portât à domicile. Aussi les chanoines de la Collégiale faisaient de fréquents voyages pour la porter dans maintes régions de la Bretagne » (F. Potier).
Plusieurs fois sauvée du vol, épargnée par l’incendie de 1600, la relique a failli être victime de l’excès de dévotion des chrétiens. Au moment des naissances, certaines familles avaient le privilège d’emporter quelquefois fort loin, la relique de la Ceinture. Les uns et les autres n’hésitaient pas à conserver un fil ou même un fragment du tissu. Devant le risque de voir détruite, peu à peu, la relique, le roi Louis XIII, à la demande de l’évêque de Saint Brieuc, écrivit au Sénéchal du Goëlo pour ordonner que, désormais, la Ceinture ne puisse être confiée à des particuliers (voir le texte de l’ordonnance royale).
» Le respect dont fut toujours entourée la Relique de la Ceinture, la foi qu’elle suscita au cours des siècles, les dangers auxquels elle échappa sont déjà une indéniable garantie d’authenticité. Mais il y a mieux : un véritable miracle en sa faveur. Le samedi 8 janvier 1600, le chanoine Jacques Rault vint coucher, comme à l’ordinaire, à la trésorerie, au-dessus de la sacristie. Vers 11 heures du soir, le cri « Au Feu » retentit dans la ville. Des flammes s’échappaient de la toiture de la sacristie. On se précipite vers la porte de la sacristie. On l’enfonce… Trop tard, le sacristain était mort. Tout flambait. Impossible d’arrêter l’incendie. Calices, ostensoirs, reliquaire, tout était détruit. Quintin avait perdu son trésor ! On ne pouvait humainement conserver aucun espoir : plusieurs jours durant, le feu s’acharna sur les ruines. Le 18 janvier, le clerc tonsuré Julien Pichon est occupé à remuer les cendres et enlever les décombres. Tout à coup, il pousse un cri et appelle son oncle, Dom Charles Pichon, le nouveau sacristain. La Ceinture est là, au milieu des charbons encore fumants, intacte et seulement roussie légèrement à l’une de ses extrémités. Miracle manifeste ! C’était le 18 janvier. Le lendemain, toute la ville en liesse participa à une grande procession d’action de grâces. En 1611, Mgr. Melchior de Marconnay, évêque de Saint-Brieuc, fit ouvrir sur cet événement une enquête minutieuse, dont les pièces originales existent toujours dans les archives paroissiales » (F. Potier).
» Ordonnance de Louis XIII. Nous avons dit que la Relique de la Ceinture était parfois portée à domicile. Il arriva qu’un zèle indiscret et de coupables larcins la réduisirent un peu plus chaque jour. L’évêque de Saint-Brieuc s’alarma et ordonna qu’elle ne quitterait plus la Collégiale. De son côté, le Roi Louis XIII, écrivait à son Sénéchal du Goëllo de veiller à l’exécution de l’ordonnance épiscopale : « Il est de votre devoir, disait le vieux monarque, d’employer votre autorité à la conservation d’une si précieuse relique et de mettre ordre à ce qu’elle soit gardée avec le respect et l’honneur qui lui sont dûs » (Ordonnance du 12 Avril 1641). C’est depuis cette époque que l’on prit l’habitude, comme compensation, d’envoyer aux mères chrétiennes des rubans bénits, mis en contact avec la Relique » (F. Potier).
Conservée d’abord dans un coffre et enveloppée de plusieurs linges précieux, ses « tuniques », la Ceinture fut déposée, plus tard, dans un reliquaire d’argent : il fut volé par les soldats du duc de Mercoeur pendant les guerres de la Ligue, à la fin du XVIème siècle.
Pendant plusieurs années, la relique fut confiée à un modeste reliquaire de bois. Au moment de la reconnaissance du miracle, après l’incendie de 1600 un nouveau reliquaire d’argent fut offert mais il sera confisqué lui aussi quand l’église fut profanée en 1790. Après la tourmente révolutionnaire, une copie du reliquaire volé reçut la Ceinture. Le grand reliquaire actuel, porté en procession le jour du Pardon a été offert à la suite du vœu de 1871, demandant la protection de Notre Dame au moment de l’invasion de la France par les troupes allemandes. Les dons furent abondants et permirent de réaliser la statue lamée d’argent qui accompagne le reliquaire le jour du Pardon.
» En 1790, le porche de la Collégiale fut dévasté, les statues renversées et vendues, les sculptures mutilées. La châsse d’argent qui contenait la Ceinture fut envoyée au creuset ; mais la relique fut sauvée, comme la tête de la statue de Notre Dame et une partie des archives capitulaires » (F. Potier).
» La Relique de la Ceinture se présente actuellement sous la forme d’un tissu réticulé, d’un réseau léger, à mailles inégales, de fils de lin gris d’une longueur de 8 centimètres sur une largeur un peu moindre. Elle est conservée dans un splendide médaillon en or ciselé, orné de pierres précieuses. Une photocopie de la Relique est exposée dans le tabernacle de l’autel de Notre Dame de Délivrance. Au cours de la guerre entre la France et la Prusse, la population de Quintin, guidée par le curé A. Guillemot, se mit sous la protection de Notre Dame et promit d’offrir un nouveau reliquaire pour la Ceinture de la Vierge. Réalisé en vermeil, ce reliquaire fut béni par l’évêque du diocèse en 1873. Le jour du Pardon, il est porté en procession avec la statue lamée d’argent, offerte en 1875 » (F. Potier).