Pèlerinage du Christ-Roi à Lourdes messe du dimanche 23 octobre 2005
Sermon de Monsieur l’abbé de Cacqueray
(Le style parlé de ce sermon a été conservé)
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.
Biens chers Confrères,
mes bien chers Frères,
Les autorités du sanctuaire de Lourdes nous accueillent chaque année avec une grande charité que je désire tout d’abord rappeler, afin que vous ayez spécialement à cour de prier pour elles. Cette année, en particulier, je voudrais noter qu’elles ont déplacé, en notre faveur, l’heure des processions eucharistiques des 22 et 23 octobre. Et nous pouvons noter que cet accueil du sanctuaire de Lourdes n’a pas commencé après le 29 août 2005, mais que nous en bénéficions depuis de nombreuses années. Ce qui est encore à l’honneur du sanctuaire de Lourdes.
Aussi à mes vifs remerciements à monsieur le Recteur du sanctuaire, je voudrais en associer d’autres pour ceux qui se dévouent chaque année à l’organisation de ce pèlerinage. Sur place tout d’abord, monsieur l’abbé Pinaud et les prêtres de Domezain ; la Mère Antoinette-Marie et la communauté du Rafflay pour le transport et l’accueil des malades ; ainsi que de nombreux fidèles, je ne peux pas tous les citer, qui participent aux services de ce pèlerinage. Finalement, comme pour le pèlerinage de Montmartre, quoique d’une manière différente, il existe une grande charité souterraine qui permet ce très beau rassemblement de notre famille spirituelle. Merci à eux tous.
Aujourd’hui, et c’est bien ce qui caractérise ce pèlerinage de Lourdes, nos prévenances et nos prières s’orientent tout d’abord pour tous nos malades ici présents et tous les autres. Nous nous tournons vers Notre-Dame de Lourdes pour les lui confier. Puisque le Ciel ne refuse pas qu’on Lui demande des guérisons, et même des guérisons corporelles, nous les lui demandons donc avec toute notre Foi et notre confiance d’enfants et nous lui demandons aussi et surtout la guérison de nos âmes qui, elles, sont toutes malades du péché et lépreuses.
Mes bien chers Frères, permettez-moi cependant cette année de recommander plus spécialement à vos prières et à la miséricorde du Bon Dieu et de Notre-Dame de Lourdes la plus atteinte de toutes nos malades qui est certainement la société dans laquelle nous vivons Et je suis d’autant plus heureux de vous recommander cette grande malade que, la Providence sans doute, n’a jamais permis un aussi grand concours de foule de la Tradition ici à Lourdes. Nous n’aurions pas pu tenir cette année dans la basilique Sainte-Bernadette et donc toutes vos prières, quelle force auprès de Notre-Dame, pour pouvoir lui demander miséricorde pour cette société moribonde et déchue.
Cet état de la société, je ne le tracerai pas par quelque goût morbide mais je le tracerai d’abord (1)pour que nous puissions davantage prendre conscience que nous sommes des privilégiés (2). Et enfin, j’exprimerai la mission qui est justement impartie aux privilégiés que nous sommes (3). Puisse-t-il ainsi mieux se dégager devant les yeux de notre âme que l’état de déchéance du monde moderne engendre un devoir plus pressant et plus profond d’apostolat et de compassion pour ceux qui, par les mérites de Notre Seigneur Jésus-Christ ont eu le bonheur de conserver la Foi jusqu’ici.
1- Comme moi, mes biens chers Frères, vous pourriez dresser la chronique quotidienne de cette déchéance de la société dans laquelle nous vivons. Le rejet, non seulement de la Foi, mais également des lois les plus fondamentales du décalogue et de la nature humaine, rejet qui a généré la plus grave désorientation, la plus incroyable déstructuration qui ne se soit jamais produite sur la terre. Mon sujet n’est pas d’établir le bilan des lois toutes plus ignobles les unes que les autres qui se succèdent, série diabolique de transgressions, de perversions qui sont partout répandues pour la destruction impitoyable des individus, des familles et des sociétés.
La transmission, mes biens chers Frères, de l’héritage chrétien, de ce patrimoine spirituel et moral qui fit la grandeur de nos pays, de la France fille aînée de l’Eglise et de tous nos pays chrétiens, cet héritage qui donna tant de saints dont l’existence manifestait, prouvait si bien la puissance de Dieu, eh bien cette transmission s’est interrompue. Lorsque les enfants n’ont pas déjà été tués dans le sein de leur mère, combien sont-ils encore à recevoir l’onction du baptême ? Leur nombre ne cesse de diminuer et la véritable éducation chrétienne, catholique est une réalité qui n’existe pour ainsi dire plus.
Ces enfants du troisième millénaire grandissent le plus souvent dans d’étranges atmosphères où sont absents le père ou la mère, familles éclatées, familles recomposées, comme on dit, qui n’ont plus de famille finalement que le nom. Pauvres enfants en réalité abandonnés, plantes déracinées, victimes idéales de tous les vices et du démocratisme totalitaire. Mais comment donc, mes biens chers Frères, cette génération qui vient, si elle pouvait le vouloir, comment pourrait-elle rebâtir ne serait-ce que les cellules familiales dont on s’acharne à lui retirer de l’esprit jusqu’à la seule idée ?
La corruption de l’âme de ces petits est devenue, si j’ose dire, comme la base du système prétendument éducatif qui a été mis en place dans les écoles dès les classes maternelles. Dès 11 ans, dès 8 ans, dès 5 ans, les enfants sont déjà, par une volonté étudiée, souillés, flétris par le vice qui est répandu devant eux à pleine main, auquel on les presse de s’adonner toujours plus tôt. L’impureté est arrivée à prendre possession de ces enfants à un âge dont l’innocence avait jusqu’ici toujours été préservée. Pauvres rescapés de l’avortement qui semblent n’avoir échappé au génocide que pour être mieux livrés à l’esclavage du péché érigé comme norme de la société.
Voici donc, et tout cela est fait au nom de la liberté, la société fabriquée par les hommes révoltés, par un monde sans Dieu, qui a voulu se passer de Lui.
Ce panorama rapide de la cadavérisation de notre société n’est pas encore tout à fait achevé. Il est nécessaire, pour le compléter, de noter le progrès de ce qui a été justement nommé « la christianophobie », la détestation du christianisme et du Christ. Il s’agit d’un mépris, d’une haine du christianisme, véritable rage à faire disparaître jusqu’aux derniers vestiges qui demeurent encore. Alors que la moindre parole critique contre le judaïsme ou contre l’islam suscite immédiatement l’indignation à l’unisson, le tollé de toute la classe politico-médiatique, il est devenu comme normal, habituel, routinier, de pouvoir blasphémer et cracher sans vergogne sur Notre Seigneur Jésus-Christ, sur sa sainte Mère, sur la sainte Eucharistie, sur les prêtres et les religieuses. Le catholicisme est la religion piétinée, chacun est libre de proférer contre lui les pires injures en bénéficiant de la plus grande impunité. Et ce surprenant aggiornamento entrepris il y a 40 ans pour amadouer le monde et les sociétés civiles, loin d’avoir entravé ce rejet violent du christianisme, semble au contraire en avoir décuplé l’arrogance.
Ce n’est pas, dans notre pays, d’une persécution physique effective dont il s’agit pour le moment. Plus efficace car plus pernicieuse est cette persécution morale qui cultive l’humiliation des catholiques. On leur inculque la honte de leur passé et de leur dogme. La dérision, arme préférée des nouveaux Néron, sème le doute dans les âmes et éloigne peu à peu les derniers catholiques, ceux qui ne sont plus perplexes mais désemparés. C’est à cet aboutissement étonnant où l’on arrive, que les catholiques, au lieu de baisser la tête par tristesse et contrition de leurs péchés, la courbent par honte et confusion d’être les disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Jamais le dernier mot du cardinal Pie avant de mourir n’a eu autant d’actualité :
« Vous tous, mes frères, si vous êtes condamnés à voir le triomphe du mal, ne l’acclamez jamais, ne dites jamais au mal : tu es le bien ; à la décadence : tu es le progrès ; à la nuit : tu es la lumière ; à la mort : tu es la vie ».
2- Et c’est bien dans ce contexte de tempête que nous autres, qui sommes ici, nous sommes nés et que nous devons vivre. Nous devons tracer notre route pour aller au Ciel et combattre pour le règne de Notre Seigneur Jésus-Christ sur les âmes et sur les sociétés.
Et nous tous qui sommes ici, en ce sanctuaire de Lourdes, au cours de cette messe, nous devons donc prendre conscience, et c’est mon deuxième point, que nous appartenons à un groupe de privilégiés. Non point par nos mérites mais par la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ. Privilégiés parce qu’au milieu de cette époque enténébrée, nous sommes appelés à demeurer les témoins et les zélateurs de l’unique vraie religion, celle qui a été scellée par le sang adorable de Notre Seigneur Jésus-Christ. Privilégiés, parce que nous possédons encore le trésor de nos pères, le sublime héritage de vingt siècles de christianisme. Privilégiés, parce que jamais comme aujourd’hui la Sainte Vierge ne se manifeste autant comme notre refuge, notre recours, comme l’arme certaine de notre victoire.
De ce triple privilège de catholique du IIIème millénaire, je voudrais tout d’abord tirer un triple motif de reconnaissance :
- reconnaissance que nous devons à Dieu d’être nés, d’avoir grandi et d’avoir jusqu’ici persévéré, d’avoir trouvé ou d’avoir retrouvé cette Foi catholique qui nous a été révélée par le Verbe qui s’est fait chair, de savoir que nous sommes placés en cette arche de salut qui nous permet d’espérer les seuls vrais biens, ceux du Ciel, et qui nous procure dès à présent tout ce qu’il y a de plus beau ici-bas de pureté et de grâce.
- Reconnaissance que nous devons encore à Dieu de vivre en cette période de crise où les occasions de témoigner de notre Foi se font plus ardues, où nous recevons cependant l’honneur d’être parfois ou souvent soumis au persiflage. Nous assistons à la transition dramatique où le catholicisme, de religion bien établie dans nos pays, se trouve peu à peu reléguée à ne plus être qu’une religiosité suspecte que l’on peut fouler à ses pieds. Et Notre Seigneur, mes biens chers Frères, nous fait donc l’amitié, le privilège de nous demander de lui demeurer fidèles au moment où Son Eglise est particulièrement bafouée et reniée. Quel privilège !
- Reconnaissance à Dieu de nous avoir si bien manifesté le rôle que Notre-Dame tient depuis le début de l’histoire par l’écrasement du serpent, si bien manifesté qu’en dépit de notre cécité, nous sommes comme acculés à comprendre aujourd’hui qu’Elle seule possède les chemins de la Victoire, que les soldats chrétiens que nous sommes, vraiment décidés à ne pas déserter le combat du Christ-Roi, ont l’obligation pour réussir, de s’enrôler dans l’armée de Marie, par le chapelet, par le Rosaire, par la pratique assidue des 1ers samedis du mois, que l’esprit de Marie devienne notre esprit et que nous n’ayons d’autre souci en nos âmes, à chaque instant présent, de recevoir ses inspirations divines, décisives.
3- Alors, parce que nous avons reconnu, et cela est capital, à quel point nous sommes des privilégiés, il en résulte que nous comprenons du même coup la mission qui nous est impartie. Mission qui repose d’autant plus sur chacun de nous que nous sommes devenus moins nombreux à la connaître et à en savoir les enjeux. De quoi s’agit-il ? Il s’agit tout simplement de passer, mes biens chers Frères, quand même, de transmettre coûte que coûte, de conjuguer nos efforts pour que ce trésor qui ne nous appartient pas, reçu de la génération d’avant ne disparaisse à la nôtre mais qu’il soit réellement transmis à la génération qui vient après nous. Il dépend de notre ténacité, de notre fidélité à la grâce que cette petite flamme, aplatie par la tempête, ne s’éteigne pas. Puisse Notre-Dame accorder cette très grande grâce aux catholiques de comprendre le témoignage nécessaire qu’ils doivent donner au monde, leur devoir impérieux et exaltant de forcer le barrage de la modernité décadente et du modernisme ambiant pour communiquer leur Foi. La grande interrogation de saint Paul se pose dans toute son acuité :
« Comment croira-t-on en Celui dont on n’a pas entendu parler ?»
Je dis d’abord que ce devoir est impérieux car il y va tout simplement de la survie de la Foi sur la terre et donc du salut de nos enfants, du salut de ceux qui viendront après nous puisque, saint Paul l’affirme aussi aux Hébreux :
« Il est impossible de plaire à Dieu sans la Foi ».
Sans doute nous croyons fermement que l’Eglise a les promesses de la Vie Eternelle mais cette assurance n’enlève pas la possibilité que de très importantes portions de la terre demeurent ou se retrouvent plongées dans l’obscurité et donc, cette assurance ne nous autorise nullement à je ne sais quelle attitude d” attentisme.
Mais ce devoir impérieux, mes biens chers Frères, est également exaltant, autant que l’a été la conquête du monde par les douze Apôtres et par l’Evangile. Il nous est demandé, à nous, de le reconquérir et pour cette ouvre d’évangélisation, nous sommes tous conviés et notre participation, non seulement est la bienvenue mais elle est même indispensable. Le Bon Dieu qui a voulu avoir besoin, sur le chemin de la Croix, de Simon de Cyrène, veut également aujourd’hui que nous soyons ses instruments pour rendre les âmes à Dieu, pour les dégager de l’esclavage du péché et les aider à prendre le chemin du Ciel.
Pour accomplir une telle ouvre, il y faut toute la ferveur, toute la sainteté apostolique des prêtres soucieux de conduire leurs troupeaux vers Dieu et de ramener à Lui toutes les brebis qui se sont perdues. Il faut l’immolation des religieux et des religieuses que le Bon Dieu a voulu pour le monde comme des orants et des victimes, consentant à attirer sur eux la justice de Dieu pour l’épargner aux autres, modèles sur cette terre de l’existence parfaite. Il faut la détermination des pères de famille qui fondent ces vrais foyers chrétiens qui sont l’espérance et la fierté de notre Tradition et qui ne délaissent pas la vraie politique, celle qui est inspirée par le règne de Notre Seigneur sur les sociétés, et qui les fait ouvrer véritablement dans la cité, ne serait-ce que par l’appartenance à un conseil municipal. Il nous faut encore la grandeur du dévouement des mères de famille à qui revient la mission de forger le cour du cour du monde c’est-à-dire le cour des enfants pour les préserver des vanités et des voluptés stérilisantes, pour que fleurissent dans ces cours les vertus chrétiennes. Il nous faut encore la prière de ces enfants, prière confiante qui s’élève si aisément vers le Ciel qu’elle touche Dieu au cour et obtient de Lui d’exaucer les intentions les plus désespérées. Il nous faut encore la résignation de nos malades dont le rôle incompris de notre siècle sans Foi se rapproche finalement des âmes religieuses qui se sont librement immobilisées et immolées dans la prière. Ils nous sont nécessaires pour nous rappeler les souffrances de Notre Seigneur qui ont été le salut du monde pour conserver ce sens, cette intelligence de la souffrance dans le mystère de la Rédemption.
Je voudrais résumer notre mission par la conclusion d’un beau livre courageux récent :
« Nous ne devons pas nous laisser décourager par les apparences. Il nous faut continuer à faire sourdre la chrétienté là où notre état nous y autorise : paroisse, école, communauté religieuse, famille, association, entreprise, mouvement politique. Défendre la sainte Eglise romaine contre ses ennemis sans nous laisser troubler par notre petit nombre, par nos insuffisances, sans nous laisser ébranler par les trahisons de ceux qui nous apparaissent parfois comme des serviteurs indignes. Ne jamais oublier que l’Eglise est l’arche unique du Salut, « Maison d’or, Rose mystique, Tour de David ». Garder pécieusement entre nos mains la lueur vacillante de la vérité catholique, conscients d’être avec elle, avec les sacrements, héritiers des trésrors qui donnent leur sens à nos vies. Former nos enfants pour en faire de véritables témoins du Christ. Désirer donner des vocations à l’Eglise, les accepter lorsqu’elles se déclarent dans nos familles. Entourer les prêtres, les soutenir face à un monde hostile. Travailler sans relâche à rebâtir les institutions catholiques. Attendre sereinement le jour que Dieu s’est choisi pour dissiper les mauvais vents de l’Histoire, sachant de Foi certaine, que Sa victoire sera au bout, parce qu’Il nous l’a promise. Et si pleuvent les insultes, les brimades, les moqueries, considérer comme un honneur de souffrir pour le Christ ».
Cette heure de la victoire que nous devons hâter de nos prières et de notre labeur est peut-être plus proche que nous le croyons.
Je voudrais, pour conclure, signaler peut-être comme une nouvelle voie d’apologétique qui s’offre au monde, une voie paradoxale. Je voudrais signaler ce sentiment de dégoût et cette sensation de nausée qui finit par saisir bien des cours incroyants aujourd’hui. Au bout du vomissement de la société moderne, au bout du désespoir qu’elle cause, les hommes s’interrogent et cherchent d’autres solutions. Le monde fabriqué par l’homme, loin d’avoir tenu ses promesses de félicité terrestre manifeste tellement son incompétence à remplir les âmes que certaines, comme à tâtons, dans l’incertitude, finissent, finiront peut-être par revenir au Seigneur si, au moment pénible de la nausée, il se trouve, et notre rôle est là, il se trouve, mes biens chers Frères, quelque bon Samaritain pour être présent à côté de ceux qui n’ont pas reçu comme nous, quelque bon Samaritain pour se pencher alors vers l’âme qui cherche et lui montrer, non pas le visage d’un homme, mais le visage de Jésus-Christ, et les vertus chrétiennes et la beauté de la très sainte Vierge, pour lui apprendre la grandeur de la Foi chrétienne qui seule peut donner la véritable espérance.
Permettez-moi d’emprunter au cour d’un déchu repenti cette conclusion qui définit le rôle de la très sainte Vierge Marie, le rôle de son Cour Douloureux et Immaculé :
« Marie Immaculée, amour essentiel
Logique de la Foi cordiale et vivace
En vous aimant, qu’est-il de bon que je ne fasse,
En vous aimant du seul amour, Porte du Ciel ».
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.
Abbé Régis de Cacqueray†, Supérieur du district de France