Jean-Paul II

264e pape ; de 1978 à 2005

25 mai 1995

Lettre encyclique Ut unum sint

Sur l'engagement oecuménique

Table des matières

Donné à Rome, près de Saint-​Pierre, le 25 mai 1995,
solennité de l’Ascension du Seigneur, en la dix-​septième année de mon pontificat.

Ioannes Paulus PP. II

Vénérables Frères, chers Fils et Filles, salut et Bénédiction Apostolique !

INTRODUCTION

1. Ut unum sint ! L’appel à l’u­ni­té des chré­tiens, que le deuxième Concile œcu­mé­nique du Vatican a pro­po­sé à nou­veau avec une déter­mi­na­tion si pas­sion­née, résonne avec tou­jours plus d’in­ten­si­té dans le cœur des croyants, par­ti­cu­liè­re­ment à l’ap­proche de l’An 2000 qui sera pour eux un saint Jubilé, mémoire de l’Incarnation du Fils de Dieu qui s’est fait homme pour sau­ver l’homme.

Le témoi­gnage cou­ra­geux de nom­breux mar­tyrs de notre siècle, y com­pris ceux qui sont membres d’autres Eglises et d’autres Communautés ecclé­siales qui ne sont pas en pleine com­mu­nion avec l’Eglise catho­lique, donne à l’ap­pel conci­liaire une force nou­velle ; il nous rap­pelle l’o­bli­ga­tion d’ac­cueillir son exhor­ta­tion et de la mettre en pra­tique. Nos frères et sœurs, qui ont en com­mun l’of­frande géné­reuse de leur vie pour le Royaume de Dieu, attestent de la manière la plus élo­quente que tous les fac­teurs de divi­sion peuvent être dépas­sés et sur­mon­tés dans le don total de soi-​même pour la cause de l’Evangile.

Le Christ appelle tous ses dis­ciples à l’u­ni­té. Le désir ardent qui m’a­nime est de renou­ve­ler aujourd’­hui cette invi­ta­tion et de la reprendre réso­lu­ment. Je rap­pel­le­rai ce que j’ai eu l’oc­ca­sion de sou­li­gner au Colisée romain, le Vendredi saint 1994, en concluant la médi­ta­tion du Chemin de Croix gui­dée par les paroles de mon véné­ré Frère Bartholomaios, Patriarche œcu­mé­nique de Constantinople. En cette cir­cons­tance, j’ai affir­mé que ceux qui croient au Christ, unis sur la voie tra­cée par les mar­tyrs, ne peuvent pas res­ter divi­sés. S’ils veulent com­battre vrai­ment et effi­ca­ce­ment la ten­dance du monde à rendre vain le mys­tère de la Rédemption, ils doivent pro­fes­ser ensemble la véri­té de la Croix. 1 La Croix ! Le cou­rant anti­chré­tien se pro­pose d’en nier la valeur et de la vider de son sens ; il refuse que l’homme y trouve les racines de sa vie nou­velle et pré­tend que la Croix ne peut ouvrir ni pers­pec­tives ni espé­rances : l’homme, dit-​on, n’est qu’un être ter­restre qui doit vivre comme si Dieu n’exis­tait pas.

2. Il n’é­chappe à per­sonne que tout cela consti­tue un défi pour les croyants. Ceux-​ci ne peuvent pas ne pas le rele­ver. En effet, com­ment pourraient-​ils ne pas faire tout leur pos­sible, avec l’aide de Dieu, pour abattre les murs de divi­sion et de défiance, pour sur­mon­ter les obs­tacles et les pré­ju­gés qui empêchent d’an­non­cer l’Evangile du Salut par la Croix de Jésus, unique Rédempteur de l’homme, de tout homme ?

Je rends grâce au Seigneur, qui nous a inci­tés à pro­gres­ser sur la voie, dif­fi­cile mais si riche de joie, de l’u­ni­té et de la com­mu­nion entre les chré­tiens. Les dia­logues théo­lo­giques inter-​confessionnels ont don­né des fruits posi­tifs et tan­gibles : cela nous encou­rage à aller de l’avant.

Cependant, au-​delà des diver­gences doc­tri­nales à sur­mon­ter, les chré­tiens ne peuvent pas sous-​estimer le poids des ata­vismes et de l’incom­pré­hen­sion qu’ils ont héri­tés du pas­sé, des mal­en­ten­dus et des pré­ju­gés des uns à l’é­gard des autres. Bien sou­vent l’i­ner­tie, l’in­dif­fé­rence et l’in­suf­fi­sance de la connais­sance mutuelle aggravent cette situa­tion. Pour cette rai­son, l’en­ga­ge­ment œcu­mé­nique doit être fon­dé sur la conver­sion des cœurs et sur la prière, qui condui­ront aus­si à la néces­saire puri­fi­ca­tion de la mémoire his­to­rique. Avec la grâce de l’Esprit Saint, les dis­ciples du Seigneur, ani­més par l’a­mour, par le cou­rage de la véri­té, ain­si que par la volon­té sin­cère de se par­don­ner mutuel­le­ment et de se récon­ci­lier, sont appe­lés à recon­si­dé­rer ensemble leur pas­sé dou­lou­reux et les bles­sures qu’il conti­nue mal­heu­reu­se­ment à pro­vo­quer aujourd’­hui encore. La vigueur tou­jours jeune de l’Evangile les invite à recon­naître ensemble, avec une objec­ti­vi­té sin­cère et totale, les erreurs com­mises et les fac­teurs contin­gents qui ont été à l’o­ri­gine de leurs déplo­rables sépa­ra­tions. Il faut avoir un regard clair et apai­sé dans la véri­té, vivi­fié par la misé­ri­corde divine, capable de libé­rer les esprits et de renou­ve­ler en cha­cun sa dis­po­ni­bi­li­té pour l’an­nonce de l’Evangile aux hommes de tous les peuples et de toutes les nations.

3. Au Concile Vatican II, l’Eglise catho­lique s’est enga­gée de manière irré­ver­sible à prendre la voie de la recherche œcu­mé­nique, se met­tant ain­si à l’é­coute de l’Esprit du Seigneur qui apprend à lire atten­ti­ve­ment les « signes des temps ». Les expé­riences qu’elle a vécues au cours de ces années et qu’elle conti­nue à vivre l’é­clairent plus pro­fon­dé­ment encore sur son iden­ti­té et sur sa mis­sion dans l’his­toire. L’Eglise catho­lique recon­naît et confesse les fai­blesses de ses fils, consciente que leurs péchés consti­tuent autant de tra­hi­sons et d’obs­tacles à la réa­li­sa­tion du des­sein du Sauveur. Se sen­tant appe­lée constam­ment au renou­veau évan­gé­lique, elle ne cesse donc pas de faire péni­tence. En même temps, cepen­dant, elle recon­naît et elle exalte encore plus la puis­sance du Seigneur qui, l’ayant com­blée du don de la sain­te­té, l’at­tire et la conforme à sa Passion et à sa Résurrection.

Instruite par les mul­tiples évé­ne­ments de son his­toire, l’Eglise a le devoir de se libé­rer de tout sou­tien seule­ment humain, pour vivre en pro­fon­deur la loi évan­gé­lique des Béatitudes. Ayant conscience que « la véri­té ne s’im­pose pas autre­ment que par la force de la véri­té elle-​même qui pénètre l’es­prit avec dou­ceur en même temps qu’a­vec puis­sance », 2 elle ne demande rien pour elle-​même, si ce n’est la liber­té d’an­non­cer l’Evangile. Son auto­ri­té, en effet, s’exerce au ser­vice de la véri­té et de la charité.

Je désire moi-​même pro­mou­voir toute démarche utile afin que le témoi­gnage de la com­mu­nau­té catho­lique tout entière puisse être com­pris dans sa pure­té et sa cohé­rence inté­grales, sur­tout en vue du rendez-​vous qui attend l’Eglise au seuil du nou­veau mil­lé­naire, heure excep­tion­nelle pour laquelle elle demande au Seigneur que l’u­ni­té de tous les chré­tiens pro­gresse jus­qu’à par­ve­nir à la pleine com­mu­nion. 3 Ce très noble objec­tif, la pré­sente Lettre ency­clique le pour­suit aus­si : par son carac­tère essen­tiel­le­ment pas­to­ral, elle désire contri­buer à sou­te­nir les efforts de ceux qui tra­vaillent pour la cause de l’unité.

4. C’est là une tâche pré­cise pour l’Evêque de Rome en tant que suc­ces­seur de l’Apôtre Pierre. Je l’ac­com­plis avec la convic­tion pro­fonde d’o­béir au Seigneur et dans la pleine conscience de ma fra­gi­li­té humaine. En effet, si le Christ lui-​même a confié à Pierre cette mis­sion spé­ci­fique dans l’Eglise et lui a recom­man­dé d’af­fer­mir ses frères, il lui a fait éprou­ver en même temps sa fai­blesse humaine et la néces­si­té par­ti­cu­lière de sa conver­sion : « Quand tu seras reve­nu, affer­mis tes frères » (Lc 22, 32). C’est dans la fai­blesse humaine de Pierre que se mani­feste plei­ne­ment le fait que, pour accom­plir son minis­tère spé­ci­fique dans l’Eglise, le Pape dépend tota­le­ment de la grâce et de la prière du Seigneur : « J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas » (Lc 22, 32). La conver­sion de Pierre et de ses suc­ces­seurs trouve un appui dans la prière même du Rédempteur, et l’Eglise par­ti­cipe constam­ment à cette sup­pli­ca­tion. En notre époque œcu­mé­nique, mar­quée par le Concile Vatican II, l’Evêque de Rome rem­plit en par­ti­cu­lier la mis­sion de rap­pe­ler l’exi­gence de la pleine com­mu­nion des dis­ciples du Christ.

L’Evêque de Rome lui-​même doit faire sienne avec fer­veur la prière du Christ pour la conver­sion, qui est indis­pen­sable à « Pierre » afin qu’il puisse ser­vir ses frères. De grand cœur je demande que s’u­nissent à cette prière les fidèles de l’Eglise catho­lique et tous les chré­tiens. Que tous prient avec moi pour cette conversion !

Nous savons que, dans son pèle­ri­nage ter­restre, l’Eglise a subi et conti­nue­ra à subir des oppo­si­tions et des per­sé­cu­tions. Mais l’es­pé­rance qui la sou­tient est inébran­lable, de même qu’est indes­truc­tible la joie qui naît de cette espé­rance. En effet, le rocher solide et éter­nel sur lequel elle est fon­dée, c’est Jésus Christ, son Seigneur.

I. L’ENGAGEMENT OECUMÉNIQUE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

Le des­sein de Dieu et la communion

5. Avec tous les dis­ciples du Christ, l’Eglise catho­lique fonde sur le plan de Dieu son enga­ge­ment œcu­mé­nique de les ras­sem­bler tous dans l’u­ni­té. En effet, « l’Eglise est une réa­li­té non pas repliée sur elle-​même, mais plu­tôt ouverte de manière per­ma­nente à la dyna­mique mis­sion­naire et œcu­mé­nique, puis­qu’elle est envoyée au monde pour annon­cer et témoi­gner, actua­li­ser et dif­fu­ser le mys­tère de com­mu­nion qui la consti­tue : ras­sem­bler tout et tous dans le Christ ; être pour tous sacre­ment insé­pa­rable d’u­ni­té ». 4

Dans l’Ancien Testament déjà, évo­quant ce qu’é­tait alors la situa­tion du peuple de Dieu, le pro­phète Ezéchiel recou­rait au sym­bo­lisme simple de deux mor­ceaux de bois d’a­bord dis­tincts, ensuite rap­pro­chés l’un de l’autre, pour expri­mer la volon­té divine de « ras­sem­bler de tous côtés » les membres de son peuple déchi­ré : « Ils seront mon peuple et je serai leur Dieu. Et les nations sau­ront que je suis le Seigneur qui sanc­ti­fie Israël » (cf. Ez 37, 16–28). L’Evangile johan­nique, pour sa part, devant la situa­tion du peuple de Dieu en son temps, voit dans la mort de Jésus la rai­son de l’u­ni­té des fils de Dieu : « Jésus allait mou­rir pour la nation, et non pas pour la nation seule­ment, mais encore afin de ras­sem­bler dans l’u­ni­té les enfants de Dieu dis­per­sés » (11, 51–52). En effet, ain­si que l’ex­pli­que­ra la Lettre aux Ephésiens, « détrui­sant la bar­rière qui les sépa­rait, … par la Croix, en sa per­sonne il a tué la haine », de ce qui était divi­sé, il n’en a fait qu’un (cf. 2, 14–16).

6. L’unité de toute l’hu­ma­ni­té déchi­rée est vou­lue par Dieu. C’est pour­quoi il a envoyé son Fils, afin que, mou­rant et res­sus­ci­tant pour nous, il nous donne son Esprit d’a­mour. A la veille du sacri­fice de la Croix, Jésus lui-​même demande au Père pour ses dis­ciples, et pour tous ceux qui croi­ront en lui, qu’ils soient un, une com­mu­nion vivante. Il en découle non seule­ment le devoir, mais encore la res­pon­sa­bi­li­té qui reviennent, devant Dieu et en fonc­tion du plan de Dieu, à ceux et à celles qui par le Baptême deviennent le Corps du Christ, le Corps dans lequel la récon­ci­lia­tion et la com­mu­nion doivent se réa­li­ser en plé­ni­tude. Comment serait-​il pos­sible de res­ter divi­sés, si, par le Baptême, nous avons été « plon­gés » dans la mort du Seigneur, c’est-​à-​dire dans l’acte même par lequel Dieu, en son Fils, a détruit les bar­rières de la divi­sion ? La « divi­sion contre­dit ouver­te­ment la volon­té du Christ, et est un sujet de scan­dale pour le monde et une source de pré­ju­dices pour la très sainte cause de la pré­di­ca­tion de l’Evangile à toute créa­ture ». 5

La route œcu­mé­nique : route de l’Eglise

7. « Le Maître des siècles, qui pour­suit avec sagesse et patience son des­sein de grâce à l’é­gard des pécheurs que nous sommes, a com­men­cé ces der­niers temps à répandre plus abon­dam­ment sur les chré­tiens divi­sés entre eux l’es­prit de repen­tance et le désir de l’u­nion. De très nom­breux hommes ont par­tout été tou­chés par cette grâce, et chez nos frères sépa­rés aus­si est né, sous l’ef­fet de la grâce de l’Esprit Saint, un mou­ve­ment qui s’am­pli­fie de jour en jour en vue de réta­blir l’u­ni­té de tous les chré­tiens. A ce mou­ve­ment qui vise à l’u­ni­té, et qui est appe­lé œcu­mé­nique, prennent part ceux qui invoquent le Dieu trine et confessent Jésus comme Seigneur et Sauveur, non seule­ment des chré­tiens pris indi­vi­duel­le­ment, mais encore des chré­tiens réunis en groupes, dans les­quels ils ont enten­du l’Evangile et qu’ils appellent cha­cun son Eglise et Eglise de Dieu. Presque tous cepen­dant aspirent, même si c’est de façon diverse, à une Eglise de Dieu une et visible qui soit vrai­ment uni­ver­selle et envoyée au monde entier, pour que celui-​ci se conver­tisse à l’Evangile et qu’il soit ain­si sau­vé pour la gloire de Dieu ». 6

8. Cette décla­ra­tion du décret Unitatis redin­te­gra­tio doit être lue dans le contexte de tout l’en­sei­gne­ment conci­liaire. Le Concile Vatican II exprime la déci­sion de l’Eglise de s’en­ga­ger dans l’ef­fort œcu­mé­nique pour l’u­ni­té des chré­tiens et de le pro­po­ser avec convic­tion et avec vigueur : « Ce saint Concile exhorte tous les fidèles catho­liques à recon­naître les signes des temps et à prendre une part active à l’ac­tion œcu­mé­nique ». 7

En énon­çant les prin­cipes catho­liques de l’œ­cu­mé­nisme, le décret Unitatis redin­te­gra­tio se réfère avant tout à l’en­sei­gne­ment sur l’Eglise de la consti­tu­tion Lumen gen­tium, dans le cha­pitre qui traite du peuple de Dieu. 8 Il tient compte en même temps de ce que le Concile affirme dans la décla­ra­tion Dignitatis humanæ sur la liber­té reli­gieuse. 9

L’Eglise catho­lique consi­dère dans l’es­pé­rance l’en­ga­ge­ment œcu­mé­nique comme un impé­ra­tif de la conscience chré­tienne éclai­rée par la foi et gui­dée par la cha­ri­té. Ici encore, on peut appli­quer la parole de saint Paul aux pre­miers chré­tiens de Rome : « L’amour de Dieu a été répan­du dans nos cœurs par le Saint-​Esprit » ; ain­si « l’es­pé­rance ne déçoit point » (Rm 5, 5). C’est l’es­pé­rance de l’u­ni­té des chré­tiens qui trouve sa source divine dans l’u­ni­té tri­ni­taire du Père et du Fils et de l’Esprit Saint.

9. A l’heure de sa Passion, Jésus lui-​même a prié « afin que tous soient un » (Jn 17, 21). L’unité, que le Seigneur a don­née à son Église et dans laquelle il veut que tous soient inclus, n’est pas secon­daire, elle est au centre même de son œuvre. Et elle ne repré­sente pas non plus un attri­but acces­soire de la com­mu­nau­té de ses dis­ciples. Au contraire, elle appar­tient à l’être même de cette com­mu­nau­té. Dieu veut l’Eglise parce qu’il veut l’u­ni­té et que, dans l’u­ni­té, s’ex­prime toute la pro­fon­deur de son aga­pè.

En effet, cette uni­té don­née par l’Esprit Saint ne consiste pas seule­ment dans le ras­sem­ble­ment de per­sonnes qui s’a­joutent l’une à l’autre. C’est une uni­té consti­tuée par les liens de la pro­fes­sion de foi, des sacre­ments et de la com­mu­nion hié­rar­chique. 10 Les fidèles sont un parce que, dans l’Esprit, ils sont dans la com­mu­nion du Fils et, en lui, dans sa com­mu­nion avec le Père : « Notre com­mu­nion est com­mu­nion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ » (1 Jn 1, 3). Pour l’Eglise catho­lique, la com­mu­nion des chré­tiens n’est donc pas autre chose que la mani­fes­ta­tion en eux de la grâce par laquelle Dieu les fait par­ti­ci­per à sa propre com­mu­nion, qui est sa vie éter­nelle. Les paroles du Christ « que tous soient un » sont donc la prière adres­sée au Père pour que son des­sein s’ac­com­plisse plei­ne­ment, afin de « mettre en pleine lumière le conte­nu du Mystère tenu caché depuis tou­jours en Dieu, le Créateur de toutes choses » (Ep 3, 9). Croire au Christ signi­fie vou­loir l’u­ni­té ; vou­loir l’u­ni­té signi­fie vou­loir l’Eglise ; vou­loir l’Eglise signi­fie vou­loir la com­mu­nion de grâce qui cor­res­pond au des­sein du Père de toute éter­ni­té. Tel est le sens de la prière du Christ : « Ut unum sint ».

10. Dans la situa­tion de divi­sion actuelle entre les chré­tiens et de recherche confiante de la pleine com­mu­nion, les fidèles catho­liques se sentent pro­fon­dé­ment inter­pel­lés par le Seigneur de l’Eglise. Le Concile Vatican II a affer­mi leur enga­ge­ment grâce à une ecclé­sio­lo­gie lucide et ouverte à toutes les valeurs ecclé­siales pré­sentes chez les autres chré­tiens. Les fidèles catho­liques abordent la ques­tion œcu­mé­nique en esprit de foi.

Le Concile dit que « l’Eglise du Christ est pré­sente dans l’Eglise catho­lique, gou­ver­née par le suc­ces­seur de Pierre et par les évêques en com­mu­nion avec lui » et il recon­naît en même temps que, « en dehors de l’en­semble orga­nique qu’elle forme, on trouve de nom­breux élé­ments de sanc­ti­fi­ca­tion et de véri­té, qui, en tant que dons propres à l’Eglise du Christ, portent à l’u­ni­té catho­lique ». 11 « Par consé­quent, ces Eglises et ces Communautés sépa­rées elles-​mêmes, même si nous croyons qu’elles souffrent de défi­ciences, ne sont nul­le­ment dépour­vues de signi­fi­ca­tion et de valeur dans le mys­tère du salut. En effet, l’Esprit du Christ ne refuse pas de se ser­vir d’elles comme de moyens de salut, dont la ver­tu dérive de la plé­ni­tude même de grâce et de véri­té qui a été confiée à l’Eglise catho­lique ». 12

11. L’Eglise catho­lique affirme par là que, au cours des deux mille ans de son his­toire, elle a été gar­dée dans l’u­ni­té avec tous les biens dont Dieu veut doter son Eglise, et cela mal­gré les crises sou­vent graves qui l’ont ébran­lée, les manques de fidé­li­té de cer­tains de ses ministres et les fautes aux­quelles se heurtent quo­ti­dien­ne­ment ses membres. L’Eglise catho­lique sait que, en ver­tu du sou­tien qui lui vient de l’Esprit, les fai­blesses, les médio­cri­tés, les péchés et par­fois les tra­hi­sons de cer­tains de ses fils ne peuvent pas détruire ce que Dieu a mis en elle selon son des­sein de grâce. Même « les portes de l’en­fer ne tien­dront pas contre elle » (Mt 16, 18). Cependant, l’Eglise catho­lique n’ou­blie pas qu’en son sein beau­coup obs­cur­cissent le des­sein de Dieu. Évoquant la divi­sion des chré­tiens, le décret sur l’œ­cu­mé­nisme n’i­gnore pas « la faute des hommes de l’une et l’autre par­tie », 13 en recon­nais­sant que la res­pon­sa­bi­li­té ne peut être attri­buée uni­que­ment « aux autres ». Par la grâce de Dieu, ce qui appar­tient à la struc­ture de l’Eglise du Christ n’a pour­tant pas été détruit, ni la com­mu­nion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales.

En effet, les élé­ments de sanc­ti­fi­ca­tion et de véri­té pré­sents dans les autres Communautés chré­tiennes, à des degrés dif­fé­rents dans les unes et les autres, consti­tuent la base objec­tive de la com­mu­nion qui existe, même impar­fai­te­ment, entre elles et l’Eglise catholique.

Dans la mesure où ces élé­ments se trouvent dans les autres Communautés chré­tiennes, il y a une pré­sence active de l’u­nique Eglise du Christ en elles. C’est pour­quoi le Concile Vatican II parle d’une com­mu­nion réelle, même si elle est impar­faite. La consti­tu­tion Lumen gen­tium sou­ligne que l’Eglise catho­lique « se sait unie pour plu­sieurs rai­sons » 14 avec ces Communautés, par une cer­taine et réelle union, dans l’Esprit Saint.

12. La même consti­tu­tion a lon­gue­ment expli­ci­té « les élé­ments de sanc­ti­fi­ca­tion et de véri­té » qui, de diverses manières, se trouvent et agissent au-​delà des fron­tières visibles de l’Eglise catho­lique : « Nombreux sont en effet ceux qui tiennent en hon­neur la sainte Ecriture en tant que règle de foi et de vie, mani­festent un zèle reli­gieux sin­cère, croient avec amour en Dieu, Père tout-​puissant, et dans le Christ, Fils de Dieu et Sauveur, sont mar­qués du Baptême qui les unit au Christ, bien plus, recon­naissent et reçoivent d’autres sacre­ments dans leurs propres Eglises ou Communautés ecclé­siales. Plusieurs par­mi eux pos­sèdent même l’é­pis­co­pat, célèbrent la sainte Eucharistie et favo­risent la pié­té envers la Vierge, Mère de Dieu. A cela s’a­joutent la com­mu­nion dans la prière et les autres biens spi­ri­tuels, bien mieux, en quelque sorte, une véri­table union dans l’Esprit Saint, puisque c’est lui qui, par ses dons et ses grâces, opère en eux aus­si par sa puis­sance sanc­ti­fiante et a for­ti­fié cer­tains jus­qu’à l’ef­fu­sion du sang. Ainsi l’Esprit sus­cite dans tous les dis­ciples du Christ un désir et une action qui tendent à l’u­nion paci­fique de tous en un seul trou­peau sous un seul Pasteur, selon le mode déci­dé par le Christ ». 15

Au sujet des Eglises ortho­doxes, le décret conci­liaire sur l’œ­cu­mé­nisme a pu décla­rer en par­ti­cu­lier que, « par la célé­bra­tion de l’Eucharistie du Seigneur en cha­cune de ces Eglises, l’Eglise de Dieu s’é­di­fie et s’ac­croît ». 16 Reconnaître tout cela répond à une exi­gence de vérité.

13. Le même docu­ment fait res­sor­tir avec sobrié­té les impli­ca­tions doc­tri­nales de cette situa­tion. Au sujet des membres de ces Communautés, il déclare : « Justifiés par la foi dans le Baptême, ils sont incor­po­rés au Christ, ont à bon droit l’hon­neur de por­ter le nom de chré­tiens et sont recon­nus avec rai­son comme frères dans le Christ par les fils de l’Eglise catho­lique ». 17

Evoquant les nom­breux biens pré­sents dans les autres Eglises et Communautés ecclé­siales, le décret ajoute : « Tout cela, pro­ve­nant du Christ et condui­sant à lui, appar­tient de droit à l’u­nique Eglise du Christ. Chez nos frères sépa­rés s’ac­com­plissent aus­si de nom­breuses actions sacrées de la reli­gion chré­tienne qui, de diverses manières selon les dif­fé­rentes condi­tions de cha­cune des Eglises ou Communautés, peuvent sans nul doute pro­duire effec­ti­ve­ment la vie de grâce, et il faut dire qu’elles sont aptes à don­ner accès à la com­mu­nion du salut ». 18

Il s’a­git là de textes œcu­mé­niques de la plus haute impor­tance. En dehors des limites de la com­mu­nau­té catho­lique, il n’y pas un vide ecclé­sial. De nom­breux élé­ments de grande valeur (exi­mia) qui, dans l’Eglise catho­lique, s’in­tègrent dans la plé­ni­tude des moyens de salut et des dons de grâce qui font l’Eglise, se trouvent aus­si dans les autres Communautés chrétiennes.

14. Tous ces élé­ments consti­tuent par eux-​mêmes un appel à l’u­ni­té pour qu’ils trouvent en elle leur plé­ni­tude. Il ne s’a­git pas de faire la somme de toutes les richesses dis­sé­mi­nées dans les Communautés chré­tiennes, afin de par­ve­nir à une Eglise que Dieu dési­re­rait pour l’a­ve­nir. Suivant la grande Tradition attes­tée par les Pères d’Orient et d’Occident, l’Eglise catho­lique croit que, dans l’é­vé­ne­ment de la Pentecôte, Dieu a déjà mani­fes­té l’Eglise dans sa réa­li­té escha­to­lo­gique, qu’il pré­pa­rait « depuis le temps d’Abel le Juste ». 19 Elle est déjà don­née. C’est pour­quoi nous sommes déjà dans les der­niers temps. Les élé­ments de cette Eglise déjà don­née existent, unis dans toute leur plé­ni­tude, dans l’Eglise catho­lique et, sans cette plé­ni­tude, dans les autres Communautés, 20 où cer­tains aspects du mys­tère chré­tien ont par­fois été mieux mis en lumière. L’œcuménisme vise pré­ci­sé­ment à faire pro­gres­ser la com­mu­nion par­tielle exis­tant entre les chré­tiens, pour arri­ver à la pleine com­mu­nion dans la véri­té et la charité.

Renouveau et conversion

15. Passant des prin­cipes et du devoir impé­rieux pour la conscience chré­tienne à la mise en œuvre de la marche œcu­mé­nique vers l’u­ni­té, le Concile Vatican II met sur­tout en relief la néces­si­té de la conver­sion du cœur. L’annonce mes­sia­nique « le temps est accom­pli et le Royaume de Dieu est tout proche » et l’ap­pel qui suit « convertissez-​vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1, 15), par les­quels Jésus inau­gure sa mis­sion, défi­nissent l’élé­ment essen­tiel qui doit carac­té­ri­ser tout nou­veau com­men­ce­ment : le devoir fon­da­men­tal de l’é­van­gé­li­sa­tion, à toutes les étapes du che­min sal­vi­fique de l’Église. Cela concerne par­ti­cu­liè­re­ment le pro­ces­sus entre­pris par le Concile Vatican II, qui ins­cri­vit dans le cadre du renou­veau le devoir œcu­mé­nique d’u­nir les chré­tiens divi­sés. « Il n’y a pas d’œ­cu­mé­nisme au sens authen­tique du terme sans conver­sion inté­rieure ». 21

Le Concile appelle à la conver­sion per­son­nelle autant qu’à la conver­sion com­mu­nau­taire. L’aspiration de toute Communauté chré­tienne à l’u­ni­té va de pair avec sa fidé­li­té à l’Evangile. Quand il s’a­git de per­sonnes qui vivent leur voca­tion chré­tienne, le Concile parle de conver­sion inté­rieure, d’un renou­veau de l’es­prit. 22

Chacun doit donc se conver­tir plus radi­ca­le­ment à l’Evangile et, sans jamais perdre de vue le des­sein de Dieu, il doit chan­ger son regard. Par l’œ­cu­mé­nisme, la contem­pla­tion des « mer­veilles de Dieu » (mira­bi­lia Dei) s’est por­tée sur des champs nou­veaux, où Dieu Trinité sus­cite l’ac­tion de grâce : la per­cep­tion que l’Esprit agit dans les autres Communautés chré­tiennes, la décou­verte d’exemples de sain­te­té, l’ex­pé­rience des richesses illi­mi­tées de la com­mu­nion des saints, la mise en rela­tion avec des aspects insoup­çon­nés de l’en­ga­ge­ment chré­tien. Corrélativement, la néces­si­té de la péni­tence a été aus­si plus lar­ge­ment res­sen­tie : on prend conscience de cer­taines exclu­sions qui blessent la cha­ri­té fra­ter­nelle, de cer­tains refus de par­don­ner, d’un cer­tain orgueil, de l’en­fer­me­ment dans la condam­na­tion des « autres » de manière non évan­gé­lique, d’un mépris qui découle de pré­somp­tions mal­saines. Toute la vie des chré­tiens est ain­si mar­quée par la pré­oc­cu­pa­tion œcu­mé­nique et ils sont appe­lés à se lais­ser comme for­mer par elle.

16. Dans l’en­sei­gne­ment du Concile, il y a net­te­ment un lien entre réno­va­tion, conver­sion et réforme. Il affirme : « Au cours de son pèle­ri­nage, l’Eglise est appe­lée par le Christ à cette réforme per­ma­nente dont elle a conti­nuel­le­ment besoin, en tant qu’ins­ti­tu­tion humaine et ter­restre ; si donc il est arri­vé que cer­taines choses aient été obser­vées avec moins de soin, il faut pro­cé­der en temps oppor­tun au redres­se­ment qui s’im­pose ». 23 Aucune Communauté chré­tienne ne peut se sous­traire à cet appel.

En dia­lo­guant fran­che­ment, les Communautés s’aident mutuel­le­ment à se consi­dé­rer ensemble dans la lumière de la Tradition apos­to­lique. Cela les amène à se deman­der si elles expriment vrai­ment de manière fidèle tout ce que l’Esprit a trans­mis par les Apôtres. 24 En ce qui concerne l’Eglise catho­lique, j’ai rap­pe­lé ces exi­gences et ces pers­pec­tives à plu­sieurs reprises, par exemple à l’oc­ca­sion de l’an­ni­ver­saire du Baptême de la Rus” 25 ou lors de la com­mé­mo­ra­tion, après onze siècles, de l’œuvre d’é­van­gé­li­sa­tion des saints Cyrille et Méthode. 26 Plus récem­ment, le Directoire pour l’ap­pli­ca­tion des prin­cipes et des normes sur l’œ­cu­mé­nisme, publié avec mon appro­ba­tion par le Conseil pon­ti­fi­cal pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens, les a appli­quées dans le domaine pas­to­ral. 27

17. En ce qui concerne les autres chré­tiens, les prin­ci­paux docu­ments de la Commission Foi et Constitution 28 et les décla­ra­tions de nom­breux dia­logues bila­té­raux ont déjà pro­po­sé aux Communautés chré­tiennes des ins­tru­ments utiles pour dis­cer­ner ce qui est néces­saire au mou­ve­ment œcu­mé­nique et à la conver­sion qu’il doit sus­ci­ter. Ces études sont impor­tantes d’un double point de vue : elles montrent les pro­grès consi­dé­rables déjà réa­li­sés et elles sus­citent l’es­pé­rance, parce qu’elles consti­tuent une base sûre pour la recherche qu’il faut pour­suivre et approfondir.

Dans la situa­tion actuelle du peuple chré­tien, l’ap­pro­fon­dis­se­ment de la com­mu­nion dans une réforme constante, réa­li­sée à la lumière de la Tradition apos­to­lique, est sans aucun doute un des traits dis­tinc­tifs les plus impor­tants de l’œ­cu­mé­nisme. C’est d’ailleurs aus­si une garan­tie essen­tielle pour son ave­nir. Les fidèles de l’Eglise catho­lique ne peuvent pas igno­rer que l’é­lan œcu­mé­nique du Concile Vatican II est l’un des résul­tats de ce que l’Eglise s’est alors employée à faire pour s’exa­mi­ner à la lumière de l’Evangile et de la grande Tradition. Mon pré­dé­ces­seur, le Pape Jean XXIII, l’a­vait bien com­pris, lui qui, convo­quant le Concile, refu­sa de sépa­rer l’aggior­na­men­to de l’ou­ver­ture œcu­mé­nique. 29 Au terme de ces assises conci­liaires, le Pape Paul VI a consa­cré la voca­tion œcu­mé­nique du Concile, renouant le dia­logue de la cha­ri­té avec les Eglises en com­mu­nion avec le Patriarche de Constantinople et accom­plis­sant avec lui le geste concret et hau­te­ment signi­fi­ca­tif qui a « reje­té dans l’ou­bli » — et fait « dis­pa­raître de la mémoire et du sein de l’Eglise » — les excom­mu­ni­ca­tions du pas­sé. Il convient de rap­pe­ler que la créa­tion d’un orga­nisme spé­cial pour l’œ­cu­mé­nisme coïn­cide avec la mise en route de la pré­pa­ra­tion du Concile Vatican II 30 et que, par l’en­tre­mise de cet orga­nisme, les avis et les appré­cia­tions des autres Communautés chré­tiennes ont eu leur place dans les grands débats sur la Révélation, sur l’Eglise, sur la nature de l’œ­cu­mé­nisme et sur la liber­té religieuse.

Importance fon­da­men­tale de la doctrine

18. En repre­nant une idée que le Pape Jean XXIII avait expri­mée à l’ou­ver­ture du Concile, 31 le décret sur l’œ­cu­mé­nisme fait figu­rer la manière de for­mu­ler la doc­trine par­mi les élé­ments de la réforme per­ma­nente. 32 Dans ce contexte, il ne s’a­git pas de modi­fier le dépôt de la foi, de chan­ger la signi­fi­ca­tion des dogmes, d’en éli­mi­ner des paroles essen­tielles, d’a­dap­ter la véri­té aux goûts d’une époque ou d’a­bo­lir cer­tains articles du Credo sous le faux pré­texte qu’ils ne sont plus com­pris aujourd’­hui. L’unité vou­lue par Dieu ne peut se réa­li­ser que dans l’adhé­sion com­mune à la tota­li­té du conte­nu révé­lé de la foi. En matière de foi, le com­pro­mis est en contra­dic­tion avec Dieu qui est Vérité. Dans le Corps du Christ, lui qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6), qui pour­rait consi­dé­rer comme légi­time une récon­ci­lia­tion obte­nue au prix de la véri­té ? La décla­ra­tion conci­liaire sur la liber­té reli­gieuse Dignitatis humanæ recon­naît que la recherche de la véri­té appar­tient à la digni­té humaine, « sur­tout en ce qui concerne Dieu et son Eglise » 33 et l’adhé­sion à ses exi­gences. Un « être ensemble » qui tra­hi­rait la véri­té s’op­po­se­rait donc à la nature de Dieu, qui offre la com­mu­nion avec lui, et à l’exi­gence de la véri­té, qui habite en pro­fon­deur tout cœur humain.

19. Toutefois, la doc­trine doit être pré­sen­tée d’une manière qui la rende com­pré­hen­sible à ceux aux­quels Dieu lui-​même la des­tine. Dans l’en­cy­clique Slavorum apos­to­li, j’ai rap­pe­lé que, pour ce motif même, Cyrille et Méthode se sont employés à tra­duire les notions de la Bible et les concepts de la théo­lo­gie grecque dans le contexte d’une pen­sée et d’ex­pé­riences his­to­riques très dif­fé­rentes. Ils vou­laient que l’u­nique Parole de Dieu fût « ren­due ain­si acces­sible selon les moyens d’ex­pres­sion propres à chaque civi­li­sa­tion ». 34 Ils com­prirent donc qu’ils ne pou­vaient « impo­ser aux peuples à qui ils devaient prê­cher ni l’in­dis­cu­table supé­rio­ri­té de la langue grecque et de la culture byzan­tine, ni les usages et les com­por­te­ments de la socié­té plus avan­cée dans laquelle ils avaient été for­més ». 35 Ils met­taient en pra­tique « la par­faite com­mu­nion dans l’a­mour [qui] pré­serve l’Eglise de toute forme de par­ti­cu­la­risme et d’ex­clu­si­visme eth­nique ou de pré­ju­gé racial, comme de toute arro­gance natio­na­liste ». 36 Dans le même esprit, je n’ai pas hési­té à dire aux abo­ri­gènes d’Australie : « Il ne faut pas que vous soyez un peuple divi­sé en deux par­ties […]. Jésus vous appelle à accep­ter ses paroles et ses valeurs à l’in­té­rieur de votre propre culture ». 37 Parce que, par nature, les don­nées de la foi sont des­ti­nées à toute l’hu­ma­ni­té, elles doivent être tra­duites dans toutes les cultures. En effet, l’élé­ment qui déter­mine la com­mu­nion dans la véri­té est le sens de la véri­té. Son expres­sion peut avoir des formes mul­tiples. Et la réno­va­tion des formes d’ex­pres­sion devient néces­saire pour trans­mettre à l’homme d’au­jourd’­hui le mes­sage évan­gé­lique dans son sens immuable. 38

« Cette réno­va­tion revêt donc une insigne impor­tance œcu­mé­nique ». 39 Et il ne s’a­git pas seule­ment de réno­ver la manière d’ex­pri­mer la foi, mais aus­si la manière même de vivre la foi. On pour­rait alors se deman­der : qui doit faire cela ? Le Concile répond clai­re­ment à cette ques­tion : cela « concerne toute l’Eglise, tant les fidèles que les pas­teurs, cha­cun selon ses capa­ci­tés propres soit dans la vie chré­tienne quo­ti­dienne, soit dans les recherches théo­lo­giques et his­to­riques ». 40

20. Tout cela est extrê­me­ment impor­tant et a une por­tée fon­da­men­tale pour l’ac­tion œcu­mé­nique. Il en résulte indu­bi­ta­ble­ment que l’œ­cu­mé­nisme, le mou­ve­ment pour l’u­ni­té des chré­tiens, n’est pas qu’un « appen­dice » quel­conque qui s’a­joute à l’ac­ti­vi­té tra­di­tion­nelle de l’Eglise. Au contraire, il est par­tie inté­grante de sa vie et de son action, et il doit par consé­quent péné­trer tout cet ensemble et être comme le fruit d’un arbre qui, sain et luxu­riant, gran­dit jus­qu’à ce qu’il atteigne son plein développement.

C’est ain­si que le Pape Jean XXIII croyait à l’u­ni­té de l’Eglise et c’est ain­si qu’il recher­chait l’u­ni­té de tous les chré­tiens. Parlant des autres chré­tiens, de la grande famille chré­tienne, il consta­tait : « Ce qui nous unit est beau­coup plus fort que ce qui nous divise ». Et, pour sa part, le Concile Vatican II exhorte : « Que tous les fidèles se sou­viennent qu’ils feront pro­gres­ser l’u­nion des chré­tiens, bien mieux qu’ils s’y exer­ce­ront d’au­tant mieux qu’ils s’ef­for­ce­ront de vivre plus pure­ment selon l’Evangile. Plus étroite, en effet, sera leur com­mu­nion avec le Père, le Verbe et l’Esprit Saint, plus ils pour­ront rendre intime et facile le déve­lop­pe­ment de la fra­ter­ni­té mutuelle ». 41

La prio­ri­té de la prière

21. « Cette conver­sion du cœur et cette sain­te­té de vie, en même temps que les prières pri­vées et publiques pour l’u­ni­té des chré­tiens, sont à regar­der comme l’âme de tout le mou­ve­ment œcu­mé­nique et peuvent être à bon droit appe­lées œcu­mé­nisme spi­ri­tuel ». 42

On avance sur la voie qui conduit à la conver­sion des cœurs au rythme de l’a­mour qui se porte vers Dieu et, en même temps, vers les frères : vers tous les frères, éga­le­ment vers ceux qui ne sont pas en pleine com­mu­nion avec nous. De l’a­mour naît le désir de l’u­ni­té, même chez ceux qui en ont tou­jours igno­ré la néces­si­té. L’amour est arti­san de com­mu­nion entre les per­sonnes et entre les Communautés. Si nous nous aimons, nous ten­dons à appro­fon­dir notre com­mu­nion, à la mener vers sa per­fec­tion. L’amour se porte vers Dieu, source par­faite de com­mu­nion — l’u­ni­té du Père, du Fils et de l’Esprit Saint —, afin de pui­ser en lui la force de sus­ci­ter la com­mu­nion entre les per­sonnes et les Communautés, ou de la réta­blir entre les chré­tiens encore divi­sés. L’amour est le cou­rant très pro­fond qui donne vie et force à la marche vers l’unité.

Cet amour trouve son expres­sion la plus accom­plie dans la prière com­mune. Quand les frères qui ne sont pas dans une par­faite com­mu­nion se réunissent pour prier, le Concile Vatican II défi­nit leur prière comme l’âme de tout le mou­ve­ment œcu­mé­nique. Elle est « un moyen très effi­cace pour deman­der la grâce de l’u­ni­té », « une expres­sion authen­tique des liens par les­quels les catho­liques demeurent unis avec les frères sépa­rés ». 43 Même lors­qu’on ne prie pas for­mel­le­ment pour l’u­ni­té des chré­tiens, mais à d’autres inten­tions comme, par exemple, la paix, la prière devient en soi une expres­sion et une confir­ma­tion de l’u­ni­té. La prière com­mune des chré­tiens invite le Christ lui-​même à visi­ter la com­mu­nau­té de ceux qui l’im­plorent : « Que deux ou trois soient réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 20).

22. Lorsqu’on prie ensemble, entre chré­tiens, le but de l’u­ni­té paraît plus proche. La longue his­toire des chré­tiens mar­quée par de mul­tiples frag­men­ta­tions semble se rebâ­tir, ten­dant vers la source de son uni­té qu’est Jésus Christ. Il est « le même hier, aujourd’­hui et à jamais » (He 13, 8)! Le Christ est réel­le­ment pré­sent dans la com­mu­nion de la prière ; il prie « en nous », « avec nous » et « pour nous ». C’est lui qui guide notre prière dans l’Esprit Consolateur qu’il a pro­mis et qu’il a don­né dès le Cénacle de Jérusalem à son Église, quand il l’a consti­tuée dans son uni­té originelle.

Sur la route œcu­mé­nique de l’u­ni­té, la prio­ri­té revient cer­tai­ne­ment à la prière com­mune, à l’u­nion orante de ceux qui se ras­semblent autour du Christ lui-​même. Si, mal­gré leurs divi­sions, les chré­tiens savent tou­jours plus s’u­nir dans une prière com­mune autour du Christ, alors se déve­lop­pe­ra leur conscience des limites de ce qui les divise en com­pa­rai­son de ce qui les unit. S’ils se ren­contrent tou­jours plus sou­vent et plus assi­dû­ment devant le Christ dans la prière, ils pour­ront prendre cou­rage pour faire face à toute la dou­lou­reuse et humaine réa­li­té des divi­sions, et ils se retrou­ve­ront ensemble dans la com­mu­nau­té de l’Eglise que le Christ forme sans cesse dans l’Esprit Saint, mal­gré toutes les fai­blesses et mal­gré les limites humaines.

23. Enfin, la com­mu­nion de prière amène à por­ter un nou­veau regard sur l’Eglise et sur le chris­tia­nisme. On ne doit pas oublier, en effet, que le Seigneur a deman­dé au Père l’u­ni­té de ses dis­ciples, afin qu’elle rende témoi­gnage à sa mis­sion et que le monde puisse croire que le Père l’a­vait envoyé (cf. Jn 17, 21). On peut dire que le mou­ve­ment œcu­mé­nique s’est mis en marche, en un sens, à par­tir de l’ex­pé­rience néga­tive de ceux qui, annon­çant l’u­nique Evangile, se récla­maient cha­cun de sa propre Eglise ou de sa Communauté ecclé­siale ; une telle contra­dic­tion ne pou­vait pas échap­per à ceux qui écou­taient le mes­sage de salut et qui trou­vaient là un obs­tacle à l’ac­cueil de l’an­nonce évan­gé­lique. Cette grave dif­fi­cul­té n’est mal­heu­reu­se­ment pas sur­mon­tée. Il est vrai que nous ne sommes pas en pleine com­mu­nion. Et pour­tant, mal­gré nos divi­sions, nous sommes en train de par­cou­rir la route de la pleine uni­té, de l’u­ni­té qui carac­té­ri­sait l’Eglise apos­to­lique à ses débuts, et que nous recher­chons sin­cè­re­ment : gui­dée par la foi, notre prière com­mune en est la preuve. Dans la prière, nous nous réunis­sons au nom du Christ qui est Un. Il est notre unité.

La prière « œcu­mé­nique » est au ser­vice de la mis­sion chré­tienne et de sa cré­di­bi­li­té. C’est pour­quoi elle doit être par­ti­cu­liè­re­ment pré­sente dans la vie de l’Eglise et dans toutes les acti­vi­tés qui ont pour but de favo­ri­ser l’u­ni­té des chré­tiens. C’est comme si nous devions tou­jours retour­ner au Cénacle du Jeudi saint pour nous réunir, bien que notre pré­sence com­mune en ce lieu doive attendre encore sa réa­li­sa­tion par­faite, jus­qu’au moment où, les obs­tacles oppo­sés à la par­faite com­mu­nion ecclé­siale étant sur­mon­tés, tous les chré­tiens se réuni­ront dans l’u­nique célé­bra­tion de l’Eucharistie. 44

24. C’est une joie de consta­ter que les nom­breuses ren­contres œcu­mé­niques com­portent presque tou­jours la prière et qu’elle en est même le som­met. La Semaine de prière pour l’u­ni­té des chré­tiens, que l’on célèbre en jan­vier, ou vers la Pentecôte dans cer­tains pays, est deve­nue une tra­di­tion répan­due et ferme. Mais en dehors de cette semaine aus­si, les occa­sions sont nom­breuses au cours de l’an­née où les chré­tiens sont ame­nés à prier ensemble. A ce pro­pos, je vou­drais rap­pe­ler l’ex­pé­rience par­ti­cu­lière que repré­sente le pèle­ri­nage du Pape par­mi les Eglises, dans les dif­fé­rents conti­nents et les divers pays de l’oikou­me­nè contem­po­raine. Ce fut le Concile Vatican II, j’en suis bien conscient, qui orien­ta le Pape vers cet aspect par­ti­cu­lier de l’exer­cice de son minis­tère apos­to­lique. On peut aller plus loin. Le Concile a fait de ce pèle­ri­nage du Pape un devoir bien défi­ni pour rem­plir son rôle d’Évêque de Rome au ser­vice de la com­mu­nion. 45 Mes visites ont presque tou­jours com­por­té une ren­contre œcu­mé­nique et la prière com­mune de frères qui cherchent l’u­ni­té dans le Christ et dans son Eglise. Je me rap­pelle avec une émo­tion toute par­ti­cu­lière la prière com­mune avec le Primat de la Communion angli­cane dans la cathé­drale de Cantorbéry le 29 mai 1982, lorsque, dans cet admi­rable édi­fice, je recon­nais­sais un « témoi­gnage élo­quent à la fois de nos longues années d’hé­ri­tage com­mun et des tristes années de divi­sion qui ont sui­vi » ; 46 je ne puis oublier non plus celles qui ont eu lieu dans les pays scan­di­naves et nor­diques (1er au 10 juin 1989), dans les Amériques ou en Afrique, ou la prière au siège du Conseil œcu­mé­nique des Eglises (12 juin 1984), l’or­ga­nisme qui se donne pour fin d’ap­pe­ler les Eglises et les Communautés ecclé­siales qui en sont membres à aller vers « le but de l’u­ni­té visible en une seule foi et une seule com­mu­nion eucha­ris­tique, s’ex­pri­mant dans le culte et la vie com­mune en Christ ». 47 Et com­ment pourrais-​je jamais oublier ma par­ti­ci­pa­tion à la litur­gie eucha­ris­tique dans l’Eglise Saint-​Georges, au Patriarcat œcu­mé­nique (30 novembre 1979), et la célé­bra­tion dans la Basilique Saint-​Pierre, au cours de la visite à Rome de mon véné­ré Frère, le Patriarche Dimitrios Ier (6 décembre 1987)? En cette cir­cons­tance, à l’au­tel de la Confession, nous pro­fes­sions ensemble le Symbole de Nicée-​Constantinople, selon le texte ori­gi­nal grec. Ces quelques mots ne suf­fisent pas à décrire les traits spé­ci­fiques de cha­cune de ces ren­contres de prière. En rai­son des condi­tion­ne­ments venus du pas­sé qui, de diverses manières, pèsent sur cha­cune d’elles, elles ont toutes une élo­quence propre et unique ; toutes sont gra­vées dans la mémoire de l’Eglise que le Paraclet oriente vers la recherche de l’u­ni­té de tous ceux qui croient au Christ.

25. Le Pape ne s’est pas fait seule­ment pèle­rin. Au cours de ces années, de nom­breux dignes repré­sen­tants d’autres Eglises et Communautés ecclé­siales m’ont ren­du visite à Rome et j’ai pu prier avec eux, publi­que­ment ou en pri­vé. J’ai déjà évo­qué la pré­sence du Patriarche œcu­mé­nique Dimitrios Ier. Je vou­drais rap­pe­ler aus­si la ren­contre de prière qui m’a uni, dans la même Basilique Saint-​Pierre, aux Archevêques luthé­riens, pri­mats de Suède et de Finlande, pour la célé­bra­tion des vêpres, à l’oc­ca­sion du sixième cen­te­naire de la cano­ni­sa­tion de sainte Brigitte (5 octobre 1991). C’est là un exemple, parce que la conscience du devoir de prier pour l’u­ni­té est deve­nue par­tie inté­grante de la vie de l’Eglise. Il n’y a pas d’é­vé­ne­ment impor­tant et signi­fi­ca­tif qui ne soit enri­chi par la pré­sence mutuelle et par la prière des chré­tiens. Il m’est impos­sible d’é­nu­mé­rer toutes ces ren­contres, et pour­tant cha­cune méri­te­rait d’être citée. Vraiment, le Seigneur nous a pris par la main et nous conduit. Ces échanges et ces prières ont déjà écrit page après page dans notre « Livre de l’u­ni­té », un « Livre » que nous devons tou­jours feuille­ter et relire pour en reti­rer des motifs d’ins­pi­ra­tion et d’espérance.

26. La prière, la com­mu­nau­té de prière, nous per­met tou­jours de retrou­ver la véri­té évan­gé­lique de cette parole : « Vous n’a­vez qu’un seul Père » (Mt 23, 9), ce Père, Abba, invo­qué par le Christ lui-​même, Lui qui est le Fils unique, de la même sub­stance. Et aus­si : « Vous n’a­vez qu’un seul maître, et tous vous êtes des frères » (Mt 23, 8). La prière « œcu­mé­nique » dévoile cette dimen­sion fon­da­men­tale de la fra­ter­ni­té dans le Christ, qui est mort pour ras­sem­bler les fils de Dieu dis­per­sés, afin que, deve­nant « fils dans le Fils » (cf. Ep 1, 5), nous reflé­tions plus plei­ne­ment l’in­son­dable réa­li­té de la pater­ni­té de Dieu et, en même temps, la véri­té sur l’hu­ma­ni­té de cha­cun et de tous.

La prière « œcu­mé­nique », la prière des frères et des sœurs exprime tout cela. Parce qu’ils sont divi­sés, ils s’u­nissent dans le Christ avec une espé­rance d’au­tant plus forte, en lui confiant l’a­ve­nir de leur uni­té et de leur com­mu­nion. A ce pro­pos, on pour­rait citer une fois encore oppor­tu­né­ment l’en­sei­gne­ment du Concile : « Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour lui deman­der que tous soient un … comme nous, nous sommes un (Jn 17, 21–22), il ouvre des pers­pec­tives inac­ces­sibles à la rai­son humaine, et il sug­gère qu’il y a une cer­taine res­sem­blance entre l’u­nion des Personnes divines et l’u­nion des fils de Dieu dans la véri­té et l’a­mour ». 48

La conver­sion du cœur, condi­tion essen­tielle de toute recherche authen­tique de l’u­ni­té, naît de la prière qui l’o­riente vers son accom­plis­se­ment : « C’est à par­tir du renou­veau de l’es­prit, du renon­ce­ment à soi-​même et de la libre effu­sion de la cha­ri­té que naissent et mûrissent les dési­rs de l’u­ni­té. Par consé­quent, il nous faut implo­rer l’Esprit divin pour lui deman­der la grâce d’une sin­cère abné­ga­tion, celle de l’hu­mi­li­té et de la bien­veillance dans le ser­vice, celle d’une géné­ro­si­té fra­ter­nelle envers les autres ». 49

27. Prier pour l’u­ni­té n’est cepen­dant pas réser­vé à ceux qui vivent dans un milieu où les chré­tiens sont divi­sés. Du dia­logue intime et per­son­nel que cha­cun de nous doit entre­te­nir avec le Seigneur par la prière, la pré­oc­cu­pa­tion de l’u­ni­té ne peut être exclue. C’est seule­ment de cette manière, en effet, qu’elle fera plei­ne­ment et réel­le­ment par­tie de notre vie et des devoirs qui nous reviennent dans l’Eglise. Pour réaf­fir­mer cette néces­si­té, j’ai vou­lu pro­po­ser aux fidèles de l’Eglise catho­lique un modèle qui me paraît exem­plaire, celui d’une sœur trap­pis­tine, Marie-​Gabrielle de l’Unité, que j’ai pro­cla­mée bien­heu­reuse le 25 jan­vier 1983. 50 Sœur Marie-​Gabrielle, appe­lée par sa voca­tion à être en dehors du monde, a consa­cré son exis­tence à la médi­ta­tion et à la prière cen­trées sur le cha­pitre 17 de l’Evangile selon saint Jean et elle a offert sa vie pour l’u­ni­té des chré­tiens. Voilà ce qui est au centre de toute prière : l’of­frande totale et sans réserve de la vie au Père, par le Fils, dans l’Esprit Saint. L’exemple de sœur Marie-​Gabrielle nous ins­truit, il nous fait com­prendre qu’il n’y a pas de moments, de situa­tions ou de lieux par­ti­cu­liers pour prier pour l’u­ni­té. La prière du Christ au Père est un modèle pour tous, tou­jours et en tout lieu.

Le dia­logue œcuménique

28. Si la prière est l”« âme » du renou­veau œcu­mé­nique et de l’as­pi­ra­tion à l’u­ni­té, tout ce que le Concile défi­nit comme « dia­logue » se fonde sur elle et en reçoit un sou­tien. Cette défi­ni­tion n’est certes pas sans lien avec la pen­sée per­son­na­liste actuelle. La dis­po­si­tion au « dia­logue » se situe au niveau de la nature de la per­sonne et de sa digni­té. Du point de vue phi­lo­so­phique, une telle posi­tion se rat­tache à la véri­té chré­tienne expri­mée par le Concile sur l’homme : en effet, il est la « seule créa­ture sur terre que Dieu a vou­lue pour elle-​même » ; l’homme ne peut donc « plei­ne­ment se trou­ver que par le don dés­in­té­res­sé de lui-​même ». 51 Le dia­logue est un pas­sage obli­gé sur le che­min à par­cou­rir vers l’ac­com­plis­se­ment de l’homme par lui-​même, de l’in­di­vi­du de même que de toute com­mu­nau­té humaine. Bien que le concept de « dia­logue » semble mettre au pre­mier plan le moment cog­ni­tif (dia-​logos), tout dia­logue com­porte de soi une dimen­sion glo­bale et exis­ten­tielle. Le sujet humain tout entier y est impli­qué ; le dia­logue entre les com­mu­nau­tés engage de manière par­ti­cu­lière en cha­cune d’elles sa qua­li­té de sujet.

Cette véri­té du dia­logue, si pro­fon­dé­ment expri­mée par le Pape Paul VI dans son ency­clique Ecclesiam suam, 52 a été inté­grée éga­le­ment dans la doc­trine et la pra­tique œcu­mé­niques du Concile. Le dia­logue ne se limite pas à un échange d’i­dées. En quelque manière, il est tou­jours un « échange de dons ». 53

29. Pour cette rai­son, le décret conci­liaire sur l’œ­cu­mé­nisme met aus­si en relief « tous les efforts pour éli­mi­ner les paroles, les juge­ments et les actes qui ne cor­res­pondent ni en jus­tice ni en véri­té à la situa­tion de nos frères sépa­rés et qui, à cause de cela, rendent plus dif­fi­ciles les rela­tions avec eux ». 54 Ce docu­ment aborde la ques­tion du point de vue de l’Eglise catho­lique et il pré­sente les cri­tères qu’elle doit appli­quer à l’é­gard des autres chré­tiens. En tout cela s’im­pose aus­si la réci­pro­ci­té. S’en tenir à ces cri­tères est un devoir pour cha­cune des par­ties qui veulent mener un dia­logue et c’est un préa­lable pour l’en­ta­mer. Il faut pas­ser d’une posi­tion d’an­ta­go­nisme et de conflit à une posi­tion où l’un et l’autre se recon­naissent mutuel­le­ment comme des par­te­naires. Quand on com­mence à dia­lo­guer, cha­cune des par­ties doit pré­sup­po­ser une volon­té de récon­ci­lia­tion chez son inter­lo­cu­teur, une volon­té d’u­ni­té dans la véri­té. Pour réa­li­ser cela, il faut que les mani­fes­ta­tions d’hos­ti­li­té mutuelle dis­pa­raissent. C’est ain­si seule­ment que le dia­logue aide­ra à sur­mon­ter la divi­sion et pour­ra rap­pro­cher de l’unité.

30. On peut affir­mer, dans une ardente action de grâce à l’Esprit de véri­té, que le Concile Vatican II a été un moment béni, pen­dant lequel ont été réunies les condi­tions essen­tielles de la par­ti­ci­pa­tion de l’Eglise catho­lique au dia­logue œcu­mé­nique. Par ailleurs, la pré­sence de nom­breux obser­va­teurs de dif­fé­rentes Eglises et Communautés ecclé­siales, leur enga­ge­ment pro­fond dans l’é­vé­ne­ment conci­liaire, les nom­breuses ren­contres et les prières com­munes que le Concile a ren­dues pos­sibles, tout cela a contri­bué à réa­li­ser concrè­te­ment les condi­tions pour dia­lo­guer ensemble. Pendant le Concile, les repré­sen­tants des autres Eglises et Communautés chré­tiennes ont pu consta­ter la dis­po­ni­bi­li­té au dia­logue de l’é­pis­co­pat catho­lique du monde entier et, en par­ti­cu­lier, celle du Siège apostolique.

Les struc­tures locales du dialogue

31. Loin d’être une pré­ro­ga­tive exclu­sive du Siège apos­to­lique, la res­pon­sa­bi­li­té du dia­logue œcu­mé­nique, clai­re­ment décla­rée depuis le temps du Concile, incombe aus­si aux Eglises locales ou par­ti­cu­lières. Des com­mis­sions pour la pro­mo­tion de l’es­prit et de l’ac­tion œcu­mé­niques ont été ins­ti­tuées par les Conférences épis­co­pales et par les Synodes des Eglises orien­tales catho­liques. Des struc­tures ana­logues agissent oppor­tu­né­ment au niveau des dio­cèses. Ces ini­tia­tives confirment l’en­ga­ge­ment concret et géné­ral de l’Eglise catho­lique dans l’ap­pli­ca­tion des orien­ta­tions conci­liaires sur l’œ­cu­mé­nisme : c’est là un aspect essen­tiel du mou­ve­ment œcu­mé­nique. 55 Le dia­logue n’a pas seule­ment été entre­pris, il est deve­nu une néces­si­té expli­cite, une des prio­ri­tés de l’Eglise ; par suite, la « tech­nique » néces­saire à la conduite du dia­logue a été affi­née, et cela a favo­ri­sé en même temps l’es­prit de dia­logue. Il s’a­git d’a­bord ici du dia­logue entre les chré­tiens des diverses Eglises ou Communautés, « mené entre experts conve­na­ble­ment infor­més, qui per­met à cha­cun d’ex­pli­quer plus à fond la doc­trine de sa com­mu­nau­té et d’en pré­sen­ter de façon claire les traits carac­té­ris­tiques ». 56 Mais il convient que l’en­semble des fidèles connaissent la méthode qui per­met le dialogue.

32. Ainsi que l’af­firme la Déclaration conci­liaire sur la liber­té reli­gieuse, « la véri­té doit être cher­chée selon la manière qui est propre à la per­sonne humaine et à sa nature sociale, à savoir par la voie d’une libre recherche, par le moyen de l’en­sei­gne­ment ou de l’é­du­ca­tion, de l’é­change et du dia­logue, grâce aux­quels les hommes exposent les uns aux autres la véri­té qu’ils ont trou­vée, ou qu’ils pensent avoir trou­vée, afin de s’ai­der mutuel­le­ment dans la recherche de la véri­té ; une fois que la véri­té est connue, il faut y adhé­rer fer­me­ment par un assen­ti­ment per­son­nel ». 57

Le dia­logue œcu­mé­nique a une impor­tance pri­mor­diale. « Par ce dia­logue, tous acquièrent une connais­sance plus conforme à la véri­té et une estime plus juste de la doc­trine et de la vie de cha­cune des Communautés ; ces Communautés en viennent aus­si à une col­la­bo­ra­tion plus large dans toutes les tâches visant le bien com­mun selon les exi­gences de toute conscience chré­tienne, et se ras­semblent pour la prière com­mune, là où c’est per­mis. Enfin tous exa­minent leur fidé­li­té à la volon­té du Christ au sujet de l’Eglise, et entre­prennent avec empres­se­ment, comme il le faut, l’œuvre de réno­va­tion et de réforme ». 58

Le dia­logue comme exa­men de conscience

33. Dans l’in­ten­tion du Concile, le dia­logue œcu­mé­nique a le carac­tère d’une recherche com­mune de la véri­té, en par­ti­cu­lier en ce qui concerne l’Eglise. En effet, la véri­té forme les consciences et oriente leur action en faveur de l’u­ni­té. En même temps, elle demande que soient confron­tées à la prière du Christ pour l’u­ni­té la conscience et les œuvres des chré­tiens, frères sépa­rés. Il y a syner­gie entre la prière et le dia­logue. Une prière plus pro­fonde et plus lucide per­met au dia­logue de don­ner des fruits plus abon­dants. Si, d’une part, la prière est la condi­tion du dia­logue, d’autre part, elle en devient le fruit, d’une manière tou­jours plus accomplie.

34. Grâce au dia­logue œcu­mé­nique, nous pou­vons par­ler d’une plus grande matu­ri­té de notre prière œcu­mé­nique com­mune les uns pour les autres. Cela est ren­du pos­sible dans la mesure où le dia­logue rem­plit en même temps le rôle d’un exa­men de conscience. Comment ne pas se rap­pe­ler à ce pro­pos les paroles de la pre­mière Lettre de Jean ? « Si nous disons : « Nous n’a­vons pas de péché », nous nous abu­sons, la véri­té n’est pas en nous. Si nous confes­sons nos péchés, lui , fidèle et juste, par­don­ne­ra nos péchés et nous puri­fie­ra de toute ini­qui­té » (1, 8–9). Jean nous conduit encore plus loin quand il affirme : « Si nous disons : « Nous n’a­vons pas péché », nous fai­sons de lui un men­teur, et sa parole n’est pas en nous » (1, 10). Un appel tout aus­si radi­cal à recon­naître notre condi­tion de pécheurs doit être éga­le­ment l’un des traits carac­té­ris­tiques de l’es­prit dans lequel on aborde le dia­logue œcu­mé­nique. Si celui-​ci ne deve­nait pas un exa­men de conscience, en quelque sorte un « dia­logue des consciences », pourrions-​nous comp­ter sur l’as­su­rance que nous com­mu­nique la même Lettre ? « Petits enfants, je vous écris ceci pour que vous ne péchiez pas. Mais si quel­qu’un vient à pécher, nous avons comme avo­cat auprès du Père Jésus Christ, le Juste. C’est lui qui est vic­time de pro­pi­tia­tion pour nos péchés, non seule­ment pour les nôtres, mais aus­si pour ceux du monde entier » (2, 1–2). Tous les péchés du monde ont été por­tés dans le sacri­fice sal­vi­fique du Christ et donc aus­si ceux qui ont été com­mis contre l’u­ni­té des chré­tiens, les péchés des chré­tiens, des pas­teurs non moins que des fidèles. Même après les nom­breux péchés qui ont entraî­né les divi­sions his­to­riques, l’u­ni­té des chré­tiens est pos­sible, à condi­tion que nous soyons hum­ble­ment conscients d’a­voir péché contre l’u­ni­té et convain­cus de la néces­si­té de notre conver­sion. Ce ne sont pas seule­ment les péchés per­son­nels qui doivent être remis et sur­mon­tés, mais aus­si les péchés sociaux, pour ain­si dire les « struc­tures » mêmes du péché, qui ont entraî­né et peuvent entraî­ner la divi­sion et la confirmer.

35. Le Concile nous vient en aide une fois encore. On peut dire que tout le décret sur l’œ­cu­mé­nisme est péné­tré par l’es­prit de conver­sion. 59 Dans ce docu­ment, le dia­logue œcu­mé­nique revêt un carac­tère spé­ci­fique ; il se trans­forme en « dia­logue de la conver­sion » et donc, selon l’ex­pres­sion du Pape Paul VI, en un authen­tique « dia­logue du salut ». 60 Le dia­logue ne peut pas se dérou­ler sui­vant une démarche exclu­si­ve­ment hori­zon­tale, res­tant limi­té à la ren­contre, à l’é­change des points de vue ou même des dons propres à cha­cune des Communautés. Il tend aus­si et sur­tout à avoir une dimen­sion ver­ti­cale qui l’o­riente vers celui qui, Rédempteur du monde et Seigneur de l’his­toire, est notre récon­ci­lia­tion. La dimen­sion ver­ti­cale du dia­logue réside dans la recon­nais­sance com­mune et réci­proque de notre condi­tion d’hommes et de femmes qui ont péché. Et c’est ce dia­logue qui ouvre pour les frères vivant dans des com­mu­nau­tés qui ne sont pas en pleine com­mu­nion entre elles l’es­pace inté­rieur où le Christ, source de l’u­ni­té de l’Eglise, peut agir effi­ca­ce­ment avec toute la puis­sance de son Esprit Paraclet.

Le dia­logue pour résoudre les divergences

36. Le dia­logue est aus­si un ins­tru­ment natu­rel pour confron­ter les dif­fé­rents points de vue et sur­tout pour exa­mi­ner les diver­gences qui font obs­tacle à la pleine com­mu­nion des chré­tiens entre eux. Le décret sur l’œ­cu­mé­nisme s’ap­plique, en pre­mier lieu, à décrire les dis­po­si­tions inté­rieures dans les­quelles les conver­sa­tions doc­tri­nales doivent être abor­dées : « Dans le dia­logue œcu­mé­nique, les théo­lo­giens catho­liques, atta­chés à la doc­trine de l’Eglise, doivent en outre pro­cé­der avec amour de la véri­té, cha­ri­té et humi­li­té, en menant, ensemble avec les frères sépa­rés, leurs recherches sur les divins mys­tères ». 61

L’amour de la véri­té est la dimen­sion la plus pro­fonde d’une recherche authen­tique de la pleine com­mu­nion entre les chré­tiens. Sans cet amour, il serait impos­sible d’a­bor­der les dif­fi­cul­tés objec­tives d’ordre théo­lo­gique, cultu­rel, psy­cho­lo­gique et social que l’on ren­contre dans l’exa­men des diver­gences. L’esprit de cha­ri­té et d’hu­mi­li­té doit être insé­pa­ra­ble­ment asso­cié à cette dimen­sion inté­rieure et per­son­nelle : cha­ri­té envers l’in­ter­lo­cu­teur, humi­li­té devant la véri­té que l’on découvre et qui pour­rait deman­der la révi­sion de cer­taines affir­ma­tions ou de cer­taines attitudes.

En ce qui concerne l’é­tude des diver­gences, le Concile requiert un expo­sé clair de toute la doc­trine. En même temps, il demande que, dans l’ex­po­si­tion de la doc­trine catho­lique, la manière et la méthode ne soient pas un obs­tacle au dia­logue avec les frères. 62 Il est cer­tai­ne­ment pos­sible de témoi­gner de sa propre foi et d’en expli­quer la doc­trine d’une manière qui soit juste, loyale et com­pré­hen­sible, tout en tenant compte simul­ta­né­ment des caté­go­ries men­tales et de l’ex­pé­rience his­to­rique concrète de l’autre.

Evidemment, la pleine com­mu­nion devra être réa­li­sée par l’ac­cep­ta­tion de la véri­té tout entière, à laquelle l’Esprit Saint intro­duit les dis­ciples du Christ. Il faut donc évi­ter abso­lu­ment toute forme de réduc­tion­nisme ou de « concor­disme » facile. Les ques­tions sérieuses doivent être réso­lues, parce que, si elles ne l’é­taient pas, elles réap­pa­raî­traient en d’autres temps, sous la même forme ou sous un autre visage.

37. Le décret Unitatis redin­te­gra­tio pré­cise aus­si un cri­tère à obser­ver lors­qu’il s’a­git pour les catho­liques de pré­sen­ter et de confron­ter les doc­trines : « Ils se sou­vien­dront qu’il existe un ordre ou une « hié­rar­chie » des véri­tés de la doc­trine catho­lique, en rai­son de leur rap­port dif­fé­rent avec le fon­de­ment de la foi chré­tienne. Ainsi sera frayée la voie qui les inci­te­ra tous, dans une ému­la­tion fra­ter­nelle, à une connais­sance plus pro­fonde et une pré­sen­ta­tion plus claire des inson­dables richesses du Christ ». 63

38. Dans le dia­logue, on se heurte inévi­ta­ble­ment au pro­blème des dif­fé­rentes for­mu­la­tions par les­quelles s’ex­prime la doc­trine dans les diverses Eglises et Communautés ecclé­siales, ce qui a maintes consé­quences pour la tâche de l’œcuménisme.

En pre­mier lieu, devant des for­mu­la­tions doc­tri­nales qui se séparent des for­mules en usage dans la com­mu­nau­té à laquelle on appar­tient, il convient mani­fes­te­ment de dis­cer­ner si les paroles ne recouvrent pas un conte­nu iden­tique, ain­si qu’il a été consta­té, par exemple, dans des décla­ra­tions com­munes récentes, signées par mes Prédécesseurs ou moi-​même et des Patriarches d’Eglises avec les­quelles exis­tait depuis des siècles un conten­tieux chris­to­lo­gique. En ce qui concerne la for­mu­la­tion des véri­tés révé­lées, la décla­ra­tion Mysterium Ecclesiæ affirme : « Les véri­tés que l’Eglise entend réel­le­ment ensei­gner par ses for­mules dog­ma­tiques sont sans doute dis­tinctes des concep­tions chan­geantes propres à une époque déter­mi­née ; mais il n’est pas exclu qu’elles soient éven­tuel­le­ment for­mu­lées, même par le Magistère, en des termes qui portent des traces de telles concep­tions. Tout consi­dé­ré, on doit dire que les for­mules dog­ma­tiques du Magistère ont été aptes dès le début à com­mu­ni­quer la véri­té révé­lée et que, demeu­rant inchan­gées, elles la com­mu­ni­que­ront tou­jours à ceux qui les inter­pré­te­ront bien ». 64 A ce sujet, le dia­logue œcu­mé­nique, qui incite les par­ties impli­quées à s’in­ter­ro­ger, à se com­prendre et à s’ex­pli­quer mutuel­le­ment, per­met des décou­vertes inat­ten­dues. Les polé­miques et les contro­verses into­lé­rantes ont trans­for­mé en affir­ma­tions incom­pa­tibles ce qui était en fait le résul­tat de deux regards scru­tant la même réa­li­té, mais de deux points de vue dif­fé­rents. Il faut trou­ver aujourd’­hui la for­mule qui, sai­sis­sant cette réa­li­té inté­gra­le­ment, per­mette de dépas­ser des lec­tures par­tielles et d’é­li­mi­ner des inter­pré­ta­tions erronées.

L’un des avan­tages de l’œ­cu­mé­nisme est que son entre­mise aide les Communautés chré­tiennes à décou­vrir l’in­son­dable richesse de la véri­té. Là aus­si, toute l’œuvre de l’Esprit dans les « autres » peut contri­buer à l’é­di­fi­ca­tion des diverses com­mu­nau­tés 65 et, en un sens, à les ins­truire sur le mys­tère du Christ. L’œcuménisme authen­tique est une grâce de vérité.

39. Enfin, le dia­logue place les inter­lo­cu­teurs devant les diver­gences réelles qui concernent la foi. Il faut sur­tout que ces diver­gences soient abor­dées dans un esprit sin­cère de cha­ri­té fra­ter­nelle, de res­pect des exi­gences de sa conscience et de la conscience du pro­chain, avec une humi­li­té pro­fonde et l’a­mour de la véri­té. Dans ce domaine, la confron­ta­tion a lieu par rap­port à deux réfé­rences essen­tielles : la sainte Ecriture et la grande Tradition de l’Eglise. Pour leur part, les catho­liques sont aidés par le Magistère tou­jours vivant de l’Eglise.

La col­la­bo­ra­tion pratique

40. Les rela­tions entre les chré­tiens ne visent pas seule­ment la connais­sance réci­proque, la prière com­mune et le dia­logue. Elles pré­voient et demandent dès main­te­nant toutes les col­la­bo­ra­tions pra­tiques pos­sibles à divers niveaux, pas­to­ral, cultu­rel, social et aus­si dans le témoi­gnage du mes­sage de l’Evangile. 66

« La col­la­bo­ra­tion de tous les chré­tiens exprime de façon vivante l’u­nion qui existe déjà entre eux, et fait paraître le visage du Christ Serviteur dans une lumière plus pleine ». 67 Cette col­la­bo­ra­tion fon­dée sur la foi com­mune est riche de com­mu­nion fra­ter­nelle, mais elle est aus­si une épi­pha­nie du Christ lui-même.

En outre, la col­la­bo­ra­tion œcu­mé­nique est une véri­table école d’œ­cu­mé­nisme, c’est une voie dyna­mique dans le sens de l’u­ni­té. L’unité d’ac­tion mène à la pleine uni­té de la foi : « Par cette col­la­bo­ra­tion, tous ceux qui croient au Christ peuvent faci­le­ment apprendre com­ment on peut mieux se connaître les uns les autres, s’es­ti­mer davan­tage et pré­pa­rer la voie à l’u­ni­té des chré­tiens ». 68

Aux yeux du monde, la col­la­bo­ra­tion entre les chré­tiens coïn­cide avec le témoi­gnage chré­tien com­mun et elle devient un moyen d’é­van­gé­li­sa­tion au béné­fice des uns et des autres.

II. LES FRUITS DU DIALOGUE

La fra­ter­ni­té retrouvée

41. Ce qui a été dit pré­cé­dem­ment sur le dia- logue œcu­mé­nique mené depuis la conclu­sion du Concile conduit à rendre grâce à l’Esprit de véri­té pro­mis par le Christ Seigneur aux Apôtres et à l’Église (cf. Jn 14, 26). Pour la pre­mière fois dans l’his­toire, l’ac­tion en faveur de l’u­ni­té des chré­tiens a atteint de telles pro­por­tions et s’est éten­due de manière aus­si large. C’est déjà un don immense que Dieu a accor­dé et qui mérite toute notre gra­ti­tude. De la plé­ni­tude du Christ, nous rece­vons « grâce pour grâce » (Jn 1, 16). Reconnaître ce que Dieu nous a déjà accor­dé est la condi­tion qui nous pré­dis­pose à rece­voir des dons encore néces­saires, pour por­ter jus­qu’à son achè­ve­ment l’ac­tion œcu­mé­nique en faveur de l’unité.

Un regard d’en­semble sur les trente der­nières années fait mieux com­prendre de nom­breux fruits de la conver­sion com­mune à l’Evangile, dont le mou­ve­ment œcu­mé­nique a été l’ins­tru­ment grâce à l’Esprit Saint.

42. Par exemple — dans l’es­prit même du Discours sur la Montagne —, les chré­tiens d’une confes­sion ne consi­dèrent plus désor­mais les autres chré­tiens comme des enne­mis ou des étran­gers, mais ils voient en eux des frères et des sœurs. D’un autre côté, même à l’ex­pres­sion frères sépa­rés, l’u­sage tend à sub­sti­tuer aujourd’­hui des termes plus aptes à évo­quer la pro­fon­deur de la com­mu­nion liée au carac­tère bap­tis­mal, que l’Esprit nour­rit mal­gré les rup­tures his­to­riques et cano­niques. On parle des « autres chré­tiens », des « autres bap­ti­sés », des « chré­tiens des autres Communautés ». Le Directoire pour l’ap­pli­ca­tion des prin­cipes et des normes sur l’œ­cu­mé­nisme appelle les com­mu­nau­tés aux­quelles appar­tiennent ces chré­tiens des « Eglises et Communautés ecclé­siales qui ne sont pas en pleine com­mu­nion avec l’Eglise catho­lique ». 69 Ce déve­lop­pe­ment du voca­bu­laire tra­duit une évo­lu­tion notable des men­ta­li­tés. La conscience de l’ap­par­te­nance com­mune au Christ s’ap­pro­fon­dit. Personnellement, j’ai pu le consta­ter à de mul­tiples reprises durant les célé­bra­tions œcu­mé­niques qui sont par­mi les évé­ne­ments les plus impor­tants de mes voyages apos­to­liques dans les dif­fé­rentes par­ties du monde, ou dans les ren­contres et dans les célé­bra­tions œcu­mé­niques qui ont eu lieu à Rome. La « fra­ter­ni­té uni­ver­selle » des chré­tiens est deve­nue une ferme convic­tion œcu­mé­nique. Reléguant dans l’ou­bli les excom­mu­ni­ca­tions du pas­sé, les Communautés, un temps rivales, s’aident aujourd’­hui mutuel­le­ment, dans de nom­breuses cir­cons­tances ; par­fois on se prête des édi­fices du culte ; on offre des bourses d’é­tudes pour la for­ma­tion des ministres des Communautés qui manquent le plus de moyens ; on inter­vient auprès des auto­ri­tés civiles pour la défense des autres chré­tiens accu­sés injus­te­ment ; on démontre l’ab­sence de fon­de­ment des calom­nies dont cer­tains groupes sont victimes.

En un mot, les chré­tiens se sont conver­tis à une cha­ri­té fra­ter­nelle qui englobe tous les dis­ciples du Christ. S’il arrive que, en rai­son de sou­lè­ve­ments poli­tiques vio­lents, une cer­taine agres­si­vi­té ou un esprit de revanche appa­raissent dans des situa­tions concrètes, les auto­ri­tés des par­ties en pré­sence s’at­tachent géné­ra­le­ment à faire pré­va­loir la « Loi nou­velle » de l’es­prit de cha­ri­té. Malheureusement, cet esprit n’a pas pu trans­for­mer toutes les situa­tions de conflit san­glant. Dans ces cir­cons­tances, il faut que ceux qui sont enga­gés dans l’œ­cu­mé­nisme fassent preuve d’un héroïsme authen­tique dans leur décisions.

A ce pro­pos, il convient de réaf­fir­mer que la recon­nais­sance de la fra­ter­ni­té n’est pas la consé­quence d’une phi­lan­thro­pie libé­rale ou d’un vague esprit de famille. Elle s’en­ra­cine dans la recon­nais­sance de l’u­nique Baptême et dans l’exi­gence qui en découle que Dieu soit glo­ri­fié dans son œuvre. Le Directoire pour l’ap­pli­ca­tion des prin­cipes et des normes sur l’œ­cu­mé­nisme sou­haite une recon­nais­sance réci­proque et offi­cielle des Baptêmes. 70 Cela va bien au-​delà d’un geste de cour­toi­sie œcumé- nique et consti­tue une affir­ma­tion ecclé­sio­lo­gique fondamentale.

On doit oppor­tu­né­ment rap­pe­ler que le carac­tère fon­da­men­tal du Baptême dans l’œuvre d’é­di­fi­ca­tion de l’Eglise a été clai­re­ment mis en valeur grâce aus­si au dia­logue mul­ti­la­té­ral. 71

La soli­da­ri­té dans le ser­vice de l’humanité

43. Il arrive de plus en plus sou­vent que les res­pon­sables des Communautés chré­tiennes prennent posi­tion ensemble, au nom du Christ, sur des pro­blèmes impor­tants qui touchent la voca­tion humaine, la liber­té, la jus­tice, la paix, l’a­ve­nir du monde. Ce fai­sant, ils « agissent en com­mun » pour une des fonc­tions consti­tu­tives de la mis­sion chré­tienne : rap­pe­ler à la socié­té, d’une manière qui sache être réa­liste, la volon­té de Dieu, met­tant en garde les auto­ri­tés et les citoyens, afin qu’ils ne s’en­gagent pas dans la voie qui condui­rait à pié­ti­ner les droits humains. Il est clair, et l’ex­pé­rience le prouve, que dans cer­taines cir­cons­tances la voix com­mune des chré­tiens a plus d’in­fluence qu’une voix isolée.

Les res­pon­sables des Communautés ne sont pas cepen­dant les seuls à s’u­nir dans cet enga­ge­ment en faveur de l’u­ni­té. Au nom de leur foi, de nom­breux chré­tiens de toutes les Communautés par­ti­cipent ensemble à des pro­jets cou­ra­geux qui se pro­posent de chan­ger le monde, en vue de faire triom­pher le res­pect des droits et des besoins de tous, spé­cia­le­ment des pauvres, des humi­liés et de ceux qui sont sans défense. Dans l’en­cy­clique Sollicitudo rei socia­lis, j’ai pris acte avec joie de cette col­la­bo­ra­tion, en sou­li­gnant que l’Eglise catho­lique ne peut pas s’y sous­traire. 72 En effet, les chré­tiens, qui agis­saient autre­fois de manière indé­pen­dante, sont aujourd’­hui enga­gés ensemble pour ser­vir cette cause, afin que la bien­veillance de Dieu puisse triompher.

La logique est celle de l’Evangile. Aussi, rap­pe­lant ce que j’a­vais écrit dans ma pre­mière ency­clique, Redemptor homi­nis, j’ai eu l’oc­ca­sion « d’in­sis­ter sur ce point et d’en­cou­ra­ger tout effort en ce sens à tous les niveaux où nous nous ren­con­trons avec nos frères chré­tiens » 73 et j’ai remer­cié Dieu « de ce qu’il a déjà accom­pli dans et par les autres Églises et Communautés ecclé­siales », comme aus­si par l’Eglise catho­lique. 74 Aujourd’hui, je constate avec satis­fac­tion que le réseau déjà ample de col­la­bo­ra­tion œcu­mé­nique s’é­tend de plus en plus. Grâce à l’in­fluence du Conseil œcu­mé­nique des Eglises, un tra­vail impor­tant est accom­pli en ce domaine.

Convergences en ce qui concerne la Parole de Dieu et le culte divin

44. Les pro­grès de la conver­sion œcu­mé­nique sont signi­fi­ca­tifs éga­le­ment dans un autre domaine, celui de la Parole de Dieu. Je pense avant tout à un évé­ne­ment aus­si impor­tant pour les divers groupes lin­guis­tiques que la tra­duc­tion œcu­mé­nique de la Bible. Après la pro­mul­ga­tion par le Concile Vatican II de la Constitution Dei Verbum, l’Eglise catho­lique ne pou­vait pas ne pas accueillir avec joie cette réa­li­sa­tion. 75 Ces tra­duc­tions, qui sont l’œuvre de spé­cia­listes, four­nissent géné­ra­le­ment un fon­de­ment sûr pour la prière et pour l’ac­ti­vi­té pas­to­rale de tous les dis­ciples du Christ. Ceux qui se rap­pellent quelle influence les débats autour de l’Ecriture ont eue sur les divi­sions, sur­tout en Occident, peuvent com­prendre l’a­van­cée notable que repré­sentent ces tra­duc­tions communes.

45. Dans diverses Communautés ecclé­siales, au renou­veau litur­gique accom­pli dans l’Eglise catho­lique a cor­res­pon­du l’i­ni­tia­tive de renou­ve­ler leur culte. Certaines d’entre elles, à par­tir du sou­hait expri­mé au niveau œcu­mé­nique, 76 ont aban­don­né l’ha­bi­tude de ne célé­brer leur litur­gie de la Cène qu’en de rares occa­sions, et ont opté pour une célé­bra­tion domi­ni­cale. Par ailleurs, en com­pa­rant les cycles des lec­tures litur­giques de dif­fé­rentes Communautés chré­tiennes occi­den­tales, on constate qu’ils convergent sur l’es­sen­tiel. Toujours au niveau œcu­mé­nique, 77 on a don­né un relief tout par­ti­cu­lier à la litur­gie et aux signes litur­giques (images, icônes, vête­ments, lumière, encens, gestes). En outre, dans les ins­ti­tuts de théo­lo­gie où l’on forme les futurs ministres, l’é­tude de l’his­toire et du sens de la litur­gie com­mence à faire par­tie des pro­grammes, car c’est une néces­si­té que l’on est en train de redécouvrir.

Il s’a­git de signes de conver­gence qui touchent à dif­fé­rents aspects de la vie sacra­men­telle. Certainement, à cause des diver­gences dans la foi, il n’est pas encore pos­sible de concé­lé­brer la même litur­gie eucha­ris­tique. Nous aus­si, nous avons le désir ardent de célé­brer ensemble l’u­nique Eucharistie du Seigneur, et ce désir devient déjà une louange com­mune et une même implo­ra­tion. Ensemble, nous nous tour­nons vers le Père et nous le fai­sons tou­jours plus « d’un seul cœur ». Parfois, la pos­si­bi­li­té de pou­voir enfin scel­ler cette com­mu­nion « réelle bien que pas encore plé­nière » semble assez proche. Qui aurait pu seule­ment l’en­vi­sa­ger il y a un siècle ?

46. Dans cet esprit, c’est un motif de joie que les ministres catho­liques puissent, en des cas par­ti­cu­liers déter­mi­nés, admi­nis­trer les sacre­ments de l’Eucharistie, de la péni­tence, de l’onc­tion des malades à d’autres chré­tiens qui ne sont pas en pleine com­mu­nion avec l’Eglise catho­lique, mais qui dési­rent ardem­ment les rece­voir, qui les demandent libre­ment et qui par­tagent la foi que l’Église catho­lique confesse dans ces sacre­ments. Réciproquement, dans des cas déter­mi­nés et pour des cir­cons­tances par­ti­cu­lières, les catho­liques peuvent aus­si recou­rir pour ces mêmes sacre­ments aux ministres des Eglises dans les­quelles ils sont valides. Les condi­tions de cet accueil réci­proque ont été éta­blies en forme de normes et leur obser­vance s’im­pose pour la pro­mo­tion de l’œ­cu­mé­nisme. 78

Apprécier les biens pré­sents chez les autres chrétiens

47. Le dia­logue ne s’ar­ti­cule pas exclu­si­ve­ment autour de la doc­trine, mais il implique la per­sonne tout entière : c’est aus­si un dia­logue d’a­mour. Le Concile a décla­ré : « Il est néces­saire que les catho­liques recon­naissent avec joie et appré­cient les valeurs réel­le­ment chré­tiennes qui pro­viennent du patri­moine com­mun et qui se trouvent chez nos frères sépa­rés. Il est juste et salu­taire de recon­naître les richesses du Christ et les effets de sa puis­sance dans la vie d’autres qui portent témoi­gnage au Christ, par­fois jus­qu’à l’ef­fu­sion du sang ; car Dieu est tou­jours admi­rable et il doit être admi­ré dans ses œuvres ». 79

48. Les rela­tions que les membres de l’Eglise catho­lique ont éta­blies depuis le Concile avec les autres chré­tiens ont fait décou­vrir ce que Dieu réa­lise en ceux qui appar­tiennent aux autres Eglises et Communautés ecclé­siales. Ce contact direct, à dif­fé­rents niveaux, entre les pas­teurs et entre les membres des Communautés nous a fait prendre conscience du témoi­gnage que les autres chré­tiens rendent à Dieu et au Christ. Il s’est ain­si ouvert un très large champ pour toute l’ex­pé­rience œcu­mé­nique, qui est en même temps le défi qui se pose à notre époque. Le XXe siècle n’est-​il pas un temps de grand témoi­gnage, qui va « jus­qu’à l’ef­fu­sion du sang » ? Ce témoi­gnage ne concerne-​t-​il pas aus­si les dif­fé­rentes Eglises et Communautés ecclé­siales, qui tirent leur nom du Christ, cru­ci­fié et ressuscité ?

Ce témoi­gnage com­mun de sain­te­té, comme fidé­li­té à l’u­nique Seigneur, est un poten­tiel œcu­mé­nique extra­or­di­nai­re­ment riche de grâce. Le Concile Vatican II a sou­li­gné que les biens pré­sents chez les autres chré­tiens peuvent contri­buer à l’é­di­fi­ca­tion des catho­liques : « Il ne faut pas non plus pas­ser sous silence que tout ce qui est accom­pli par la grâce du Saint-​Esprit dans nos frères sépa­rés peut contri­buer aus­si à notre édi­fi­ca­tion. Rien de ce qui est vrai­ment chré­tien ne s’op­pose jamais aux vraies valeurs de la foi, bien au contraire, tout cela peut tou­jours per­mettre de péné­trer plus plei­ne­ment le mys­tère du Christ et de l’Eglise ». 80 Le dia­logue œcu­mé­nique, comme vrai dia­logue du salut, ne man­que­ra pas de sti­mu­ler le pro­grès, déjà en soi bien avan­cé, vers la vraie et pleine communion.

Progression de la communion

49. La pro­gres­sion de la com­mu­nion est le fruit pré­cieux des rela­tions entre les chré­tiens et du dia­logue théo­lo­gique qu’ils entre­tiennent. Les rela­tions et le dia­logue ont ren­du les chré­tiens conscients des don­nées de la foi qu’ils ont en com­mun. Cela a ser­vi à conso­li­der davan­tage leur enga­ge­ment vers la pleine uni­té. En tout cela, le Concile Vatican II reste un sti­mu­lant puis­sant pour le dyna­misme et les orien­ta­tions œcuméniques.

La Constitution dog­ma­tique Lumen gen­tium asso­cie la doc­trine concer­nant l’Eglise catho­lique à la recon­nais­sance des élé­ments sal­vi­fiques qui se trouvent dans les autres Eglises et Communautés ecclé­siales. 81 Il ne s’a­git pas d’une prise de conscience d’élé­ments sta­tiques, pas­si­ve­ment pré­sents dans ces Eglises et Communautés. En tant que biens de l’Eglise du Christ, de par leur nature, ils font avan­cer vers le réta­blis­se­ment de l’u­ni­té. Il s’en­suit que la recherche de l’u­ni­té des chré­tiens n’est pas un acte facul­ta­tif ou d’op­por­tu­ni­té, mais une exi­gence qui découle de l’être même de la com­mu­nau­té chrétienne.

De la même manière, les dia­logues théo­lo­giques bila­té­raux avec les prin­ci­pales Communautés chré­tiennes partent de la recon­nais­sance du degré de com­mu­nion déjà exis­tant, pour dis­cu­ter ensuite pro­gres­si­ve­ment les diver­gences qui existent avec cha­cune. Le Seigneur a per­mis aux chré­tiens de notre temps de pou­voir réduire le conten­tieux traditionnel.

Le dia­logue avec les Eglises d’Orient

50. A ce pro­pos, on doit avant tout consta­ter, avec une par­ti­cu­lière gra­ti­tude envers la Providence divine, que les liens avec les Eglises d’Orient, dis­ten­dus durant des siècles, se sont res­ser­rés avec le Concile Vatican II. Les obser­va­teurs de ces Eglises pré­sents au Concile, avec les repré­sen­tants des Eglises et Communautés ecclé­siales d’Occident, ont mani­fes­té publi­que­ment, dans un moment aus­si solen­nel pour l’Eglise catho­lique, la volon­té com­mune de recher­cher la communion.

Pour sa part, le Concile a consi­dé­ré avec objec­ti­vi­té et avec une pro­fonde affec­tion les Eglises d’Orient, met­tant en relief leur ecclé­sia­li­té et les liens objec­tifs de com­mu­nion qui les lient à l’Eglise catho­lique. Le décret sur l’œ­cu­mé­nisme déclare : « Par la célé­bra­tion de l’Eucharistie du Seigneur en cha­cune de ces Eglises, l’Eglise de Dieu s’é­di­fie et s’ac­croît », ajou­tant par consé­quent que ces Eglises, « tout en étant sépa­rées, ont de véri­tables sacre­ments, et avant tout, en ver­tu de la suc­ces­sion apos­to­lique, le sacer­doce et l’Eucharistie, par les­quels elles sont encore unies à nous par des liens très étroits ». 82

Pour les Eglises d’Orient, on a recon­nu la grande tra­di­tion litur­gique et spi­ri­tuelle, le carac­tère spé­ci­fique de leur déve­lop­pe­ment his­to­rique, les dis­ci­plines sui­vies par elles depuis les pre­miers temps et confir­mées par les saints Pères et par les Conciles œcu­mé­niques, la manière qui leur est propre d’ex­pri­mer la doc­trine. Tout ceci avec la convic­tion que la diver­si­té légi­time ne s’op­pose pas du tout à l’u­ni­té de l’Eglise, elle en accroît même le pres­tige et contri­bue lar­ge­ment à l’a­chè­ve­ment de sa mission.

Le Concile œcu­mé­nique Vatican II veut fon­der le dia­logue sur la com­mu­nion exis­tante et attire l’at­ten­tion sur la riche réa­li­té des Eglises d’Orient : « Le saint Concile exhorte tout le monde, mais sur­tout ceux qui ont l’in­ten­tion de tra­vailler à l’ins­tau­ra­tion de la pleine com­mu­nion sou­hai­tée entre les Eglises orien­tales et l’Eglise catho­lique, à bien consi­dé­rer cette condi­tion par­ti­cu­lière des Eglises d’Orient à leur nais­sance et dans leur crois­sance, ain­si que la nature des rela­tions qui étaient en vigueur entre elles et le Siège romain avant la sépa­ra­tion, et à se for­mer sur tous ces points un juge­ment droit ». 83

51. Cette orien­ta­tion conci­liaire a été ren­due féconde par les rela­tions de fra­ter­ni­té, qui se sont déve­lop­pées grâce au dia­logue de la cha­ri­té, et par la dis­cus­sion doc­tri­nale dans le cadre de la Commission mixte inter­na­tio­nale pour le dia­logue théo­lo­gique entre l’Eglise catho­lique et l’Eglise ortho­doxe. Elle a été éga­le­ment riche de fruits dans les rela­tions avec les anciennes Eglises de l’Orient.

Il s’est agi d’un pro­ces­sus lent et labo­rieux, qui a été cepen­dant source de grande joie ; et il a été aus­si enthou­sias­mant parce qu’il a per­mis de retrou­ver pro­gres­si­ve­ment la fraternité.

La reprise des contacts

52. En ce qui concerne l’Eglise de Rome et le Patriarcat œcu­mé­nique de Constantinople, le pro­ces­sus auquel nous venons de faire réfé­rence a été enga­gé grâce à l’ou­ver­ture réci­proque dont ont fait preuve les Papes Jean XXIII et Paul VI, d’une part, et le Patriarche œcu­mé­nique Athénagoras Ier et ses suc­ces­seurs, d’autre part. Le chan­ge­ment his­to­rique inter­ve­nu est mani­fes­té par l’acte ecclé­sial grâce auquel « on a ôté de la mémoire et du milieu des Eglises » 84 le sou­ve­nir des excom­mu­ni­ca­tions qui, il y a neuf cents ans, en 1054, étaient deve­nues le sym­bole du schisme entre Rome et Constantinople. Cet évé­ne­ment ecclé­sial de grande por­tée œcu­mé­nique eut lieu dans les tout der­niers jours du Concile, le 7 décembre 1965. L’assemblée conci­liaire se ter­mi­nait ain­si par un acte solen­nel qui était en même temps une puri­fi­ca­tion de la mémoire his­to­rique, un par­don réci­proque et un enga­ge­ment soli­daire pour la recherche de la communion.

Ce geste avait été pré­cé­dé par la ren­contre de Paul VI et du Patriarche Athénagoras Ier à Jérusalem, en jan­vier 1964, au cours du pèle­ri­nage du Pape en Terre Sainte. À cette occa­sion, il put aus­si ren­con­trer le Patriarche ortho­doxe de Jérusalem, Benedictos. Par la suite, le Pape Paul VI put rendre visite au Patriarche Athénagoras Ier au Phanar (Istanbul), le 25 juillet 1967, et, au mois d’oc­tobre de la même année, le Patriarche fut accueilli solen­nel­le­ment à Rome. Ces ren­contres dans la prière mon­traient la voie à suivre pour le rap­pro­che­ment entre l’Eglise d’Orient et l’Eglise d’Occident et pour le réta­blis­se­ment de l’u­ni­té qui exis­tait entre elles au cours du pre­mier millénaire.

Après la mort du Pape Paul VI et le bref pon­ti­fi­cat du Pape Jean-​Paul Ier, lorsque le minis­tère d’Evêque de Rome m’a été confié, j’ai consi­dé­ré qu’il serait un des pre­miers devoirs de mon ser­vice pon­ti­fi­cal de renouer un contact per­son­nel avec le Patriarche œcu­mé­nique Dimitrios Ier, qui avait entre-​temps suc­cé­dé au Patriarche Athénagoras sur le siège de Constantinople. Au cours de ma visite au Phanar le 29 novembre 1979, le Patriarche et moi-​même avons pu déci­der d’i­nau­gu­rer le dia­logue théo­lo­gique entre l’Eglise catho­lique et toutes les Eglises ortho­doxes en com­mu­nion cano­nique avec le siège de Constantinople. A ce pro­pos, il semble impor­tant d’a­jou­ter qu’à ce moment les pré­pa­ra­tifs pour la convo­ca­tion du futur Concile des Eglises ortho­doxes étaient déjà en cours. La recherche de leur har­mo­nie contri­bue à la vie et à la vita­li­té de ces Églises sœurs, et cela en fonc­tion aus­si du rôle qu’elles sont appe­lées à jouer dans le che­mi­ne­ment vers l’u­ni­té. Le Patriarche œcu­mé­nique a dési­ré me rendre la visite que je lui avais faite et, en décembre 1987, j’ai eu la joie de l’ac­cueillir à Rome avec une affec­tion sin­cère et avec la solen­ni­té qui conve­nait. Dans ce cli­mat de fra­ter­ni­té ecclé­siale, il faut rap­pe­ler la cou­tume, désor­mais éta­blie depuis plu­sieurs années, d’ac­cueillir à Rome, pour la fête des saints Apôtres Pierre et Paul, une délé­ga­tion du Patriarcat œcu­mé­nique, de même que d’en­voyer au Phanar une délé­ga­tion du Saint-​Siège pour la célé­bra­tion solen­nelle de saint André.

53. Ces contacts régu­liers per­mettent, entre autres, un échange direct d’in­for­ma­tions et d’a­vis en vue d’une coor­di­na­tion fra­ter­nelle. Par ailleurs, notre par­ti­ci­pa­tion mutuelle à la prière nous redonne l’ha­bi­tude de vivre côte à côte, elle nous incite à accueillir ensemble la volon­té du Seigneur pour son Eglise et donc à la mettre en pratique.

Au long du che­min que nous avons par­cou­ru depuis le Concile Vatican II, il faut men­tion­ner au moins deux évé­ne­ments par­ti­cu­liè­re­ment expres­sifs et de grande impor­tance œcu­mé­nique pour les rela­tions entre l’Orient et l’Occident : en pre­mier lieu, le Jubilé de 1984, pro­cla­mé pour célé­brer le onzième cen­te­naire de l’œuvre d’é­van­gé­li­sa­tion de Cyrille et Méthode et qui m’a per­mis de pro­cla­mer co-​patrons de l’Europe les deux saints apôtres des Slaves, mes­sa­gers de la foi. En 1964, pen­dant le Concile, le Pape Paul VI avait déjà pro­cla­mé saint Benoît patron de l’Europe. Associer les deux frères de Thessalonique au grand fon­da­teur du mona­chisme occi­den­tal revient à mettre indi­rec­te­ment en relief la double tra­di­tion ecclé­siale et cultu­relle si signi­fi­ca­tive des deux mille ans de chris­tia­nisme qui ont mar­qué l’his­toire du conti­nent euro­péen. Il n’est donc pas super­flu de rap­pe­ler que Cyrille et Méthode venaient des milieux de l’Eglise byzan­tine de leur temps, époque pen­dant laquelle elle était en com­mu­nion avec Rome. En les pro­cla­mant patrons de l’Europe, avec saint Benoît, je ne dési­rais pas seule­ment confir­mer la véri­té his­to­rique sur le chris­tia­nisme dans le conti­nent euro­péen, mais sug­gé­rer aus­si un thème impor­tant pour le dia­logue entre l’Orient et l’Occident qui a sus­ci­té tant d’es­pé­rance dans l’après-​Concile. Comme chez saint Benoît, l’Europe retrouve ses racines spi­ri­tuelles auprès des saints Cyrille et Méthode. Alors que s’a­chève le deuxième mil­lé­naire depuis la nais­sance du Christ, ils doivent être véné­rés ensemble, patrons de notre pas­sé et saints aux­quels les Églises et les nations du conti­nent euro­péen confient leur avenir.

54. L’autre évé­ne­ment qu’il me plaît de rap­pe­ler est la célé­bra­tion du mil­lé­naire du Baptême de la Russie (988‑1988). L’Eglise catho­lique, et tout par­ti­cu­liè­re­ment le Siège apos­to­lique, ont vou­lu prendre part aux célé­bra­tions jubi­laires et ont cher­ché à sou­li­gner le fait que le Baptême don­né à saint Vladimir à Kiev a été un évé­ne­ment cen­tral pour l’é­van­gé­li­sa­tion du monde. Les grandes nations slaves d’Europe de l’Est lui doivent leur foi, de même que les peuples qui vivent au-​delà de l’Oural et jus­qu’en Alaska.

C’est dans cette pers­pec­tive que prend son sens le plus pro­fond une expres­sion que j’ai plu­sieurs fois employée : l’Eglise doit res­pi­rer avec ses deux pou­mons ! Pendant le pre­mier mil­lé­naire de l’his­toire du chris­tia­nisme, cette expres­sion évoque sur­tout la dua­li­té Byzance-​Rome ; à par­tir du Baptême de la Russie, sa por­tée s’é­lar­git ; l’é­van­gé­li­sa­tion s’est éten­due à une dimen­sion plus vaste, en sorte que cette expres­sion en vient à dési­gner l’Eglise tout entière. Considérant ensuite que cet évé­ne­ment sal­vi­fique, sur­ve­nu sur les rives du Dniepr, remonte à une époque où l’Eglise d’Orient et celle d’Occident n’é­taient pas divi­sées, on com­prend clai­re­ment que la pers­pec­tive dans laquelle on doit recher­cher la pleine com­mu­nion est celle de l’u­ni­té dans une légi­time diver­si­té. C’est ce que j’ai vigou­reu­se­ment affir­mé dans l’en­cy­clique Slavorum apos­to­li 85 consa­crée aux saints Cyrille et Méthode, et dans la lettre apos­to­lique Euntes in mun­dum 86 adres­sée aux fidèles de l’Eglise catho­lique lors de la célé­bra­tion du mil­lé­naire du Baptême de la Rus” de Kiev.

Eglises sœurs

55. Dans sa pers­pec­tive his­to­rique, le décret conci­liaire Unitatis redin­te­gra­tio rap­pelle l’u­ni­té qui fut vécue, mal­gré tout, pen­dant le pre­mier mil­lé­naire, et qui, en un sens, fait figure de modèle. « Le saint Concile se plaît à rap­pe­ler à tous qu’en Orient brillent plu­sieurs Eglises par­ti­cu­lières ou locales, par­mi les­quelles les Eglises patriar­cales occupent la pre­mière place et dont un cer­tain nombre ont la gloire d’a­voir été fon­dées par les Apôtres eux-​mêmes ». 87 La route de l’Eglise a com­men­cé à Jérusalem le jour de la Pentecôte et tout son pre­mier déve­lop­pe­ment dans l’oikou­me­nè de cette époque était cen­tré autour de Pierre et des Onze (cf. Ac 2, 14). Les struc­tures de l’Eglise en Orient et en Occident se for­maient donc à par­tir de ce patri­moine apos­to­lique. Son uni­té, dans les limites du pre­mier mil­lé­naire, était main­te­nue dans ces mêmes struc­tures par les Evêques, suc­ces­seurs des Apôtres, en com­mu­nion avec l’Evêque de Rome. Si nous cher­chons aujourd’­hui, au terme du deuxième mil­lé­naire, à réta­blir la pleine com­mu­nion, c’est à l’u­ni­té ain­si struc­tu­rée que nous devons nous référer.

Le décret sur l’œ­cu­mé­nisme met en valeur un autre aspect carac­té­ris­tique grâce auquel toutes les Eglises par­ti­cu­lières demeu­raient dans l’u­ni­té, c’est-​à-​dire « le sou­ci atten­tif de conser­ver dans une com­mu­nion de foi et de cha­ri­té les rela­tions fra­ter­nelles qui doivent être en hon­neur entre les Églises locales, comme entre des sœurs ». 88

56. Après le Concile Vatican II, en se rat­ta­chant à cette tra­di­tion, l’u­sage a été réta­bli de don­ner l’ap­pel­la­tion d” « Eglises sœurs » aux Eglises par­ti­cu­lières ou locales ras­sem­blées autour de leur Evêque. Ensuite, l’a­bro­ga­tion des excom­mu­ni­ca­tions mutuelles, sup­pri­mant un obs­tacle dou­lou­reux d’ordre cano­nique et psy­cho­lo­gique, a été un pas très impor­tant sur la route vers la pleine communion.

Les struc­tures d’u­ni­té qui exis­taient avant la divi­sion sont un patri­moine d’ex­pé­riences qui oriente notre che­mi­ne­ment vers le retour à la pleine com­mu­nion. Evidemment, pen­dant le deuxième mil­lé­naire, le Seigneur n’a pas ces­sé de don­ner à son Eglise des fruits abon­dants de grâce et de crois­sance. Mais l’é­loi­gne­ment réci­proque pro­gres­sif entre les Eglises d’Occident et d’Orient les a mal­heu­reu­se­ment empê­chées d’é­chan­ger les richesses de leurs dons et de leurs aides. Il convient de four­nir un grand effort, avec la grâce de Dieu, pour réta­blir entre elles la pleine com­mu­nion, source de tant de biens pour l’Eglise du Christ. Cet effort requiert toute notre bonne volon­té, une prière humble et une col­la­bo­ra­tion per­sé­vé­rante que rien ne doit décou­ra­ger. Saint Paul nous sti­mule : « Portez les far­deaux les uns des autres » (Ga 6, 2). Comme cette exhor­ta­tion de l’Apôtre nous concerne, et comme elle est d’ac­tua­li­té ! L’appellation tra­di­tion­nelle d”« Eglises sœurs » devrait nous être sans cesse pré­sente sur cette route.

57. Ainsi que le sou­hai­tait le Pape Paul VI, notre objec­tif bien défi­ni est de retrou­ver ensemble la pleine uni­té dans la diver­si­té légi­time : « Ce que les Apôtres ont vu, enten­du et nous ont annon­cé, Dieu nous a don­né de le rece­voir dans la foi. Par le Baptême, nous sommes un dans le Christ Jésus (Ga 3, 28). En ver­tu de la suc­ces­sion apos­to­lique, le sacer­doce et l’Eucharistie nous unissent plus inti­me­ment ; par­ti­ci­pant aux dons de Dieu à son Eglise, nous sommes mis en com­mu­nion avec le Père par le Fils dans l’Esprit Saint. En chaque Eglise locale s’o­père ce mys­tère de l’a­mour divin et n’est-​ce pas là la rai­son de l’ex­pres­sion tra­di­tion­nelle et si belle selon laquelle les Eglises locales aimaient à s’ap­pe­ler Eglises sœurs (cf. décret Unitatis redin­te­gra­tio, n. 14)? Cette vie d’Eglise sœur, nous l’a­vons vécue durant des siècles, célé­brant ensemble les conciles œcu­mé­niques qui ont défen­du le dépôt de la foi contre toute alté­ra­tion. Maintenant, après une longue période de divi­sion et d’in­com­pré­hen­sion réci­proque, le Seigneur nous donne de nous redé­cou­vrir comme Eglises sœurs, mal­gré les obs­tacles qui furent alors dres­sés entre nous ». 89 Si aujourd’­hui, au seuil du troi­sième mil­lé­naire, nous cher­chons à réta­blir la pleine com­mu­nion, c’est à la mise en pra­tique de cette réa­li­té que nous devons tendre et c’est à cette réa­li­té que nous devons nous référer.

Les liens avec cette glo­rieuse tra­di­tion sont féconds pour l’Eglise. « Les Eglises d’Orient — déclare le Concile — pos­sèdent depuis leur ori­gine un tré­sor duquel l’Eglise d’Occident a pui­sé de nom­breux élé­ments dans les domaines de la litur­gie, de la tra­di­tion spi­ri­tuelle et de l’ordre juri­dique ». 90

De ce « tré­sor », font éga­le­ment par­tie « les richesses de ces tra­di­tions spi­ri­tuelles dont le mona­chisme sur­tout est l’ex­pres­sion. C’est là que, depuis les temps glo­rieux des saints Pères, a fleu­ri la spi­ri­tua­li­té monas­tique qui s’est répan­due ensuite dans les pays d’Occident ». 91 Comme j’ai eu l’oc­ca­sion de le faire obser­ver récem­ment dans la lettre apos­to­lique Orientale lumen, les Eglises d’Orient ont vécu avec une grande géné­ro­si­té l’en­ga­ge­ment dont témoigne la vie monas­tique, « à com­men­cer par l’é­van­gé­li­sa­tion, qui est le ser­vice le plus éle­vé que le chré­tien puisse offrir à son frère, pour se pro­lon­ger par de nom­breuses autres formes de ser­vice spi­ri­tuel et maté­riel. On peut même dire que le mona­chisme a été dans l’an­ti­qui­té — et éga­le­ment, à plu­sieurs reprises, au cours des époques qui sui­virent — l’ins­tru­ment pri­vi­lé­gié de l’é­van­gé­li­sa­tion des peuples ». 92

Le Concile ne s’en tient pas à mettre en évi­dence tout ce qui rend les Eglises d’Orient et d’Occident sem­blables entre elles. Conformément à la véri­té his­to­rique, il n’hé­site pas à affir­mer : « Il n’est pas éton­nant que cer­tains aspects du mys­tère révé­lé soient par­fois mieux sai­sis et mieux mis en lumière par une par­tie que par l’autre, si bien qu’il faut dire que sou­vent ces for­mu­la­tions théo­lo­giques dif­fé­rentes sont davan­tage com­plé­men­taires qu’op­po­sées entre elles ». 93 L’échange des dons entre les Eglises, dans leur com­plé­men­ta­ri­té, rend féconde la communion.

58. Partant de la réaf­fir­ma­tion de la com­mu­nion de foi déjà exis­tante, le Concile Vatican II a tiré des consé­quences pas­to­rales utiles pour la vie concrète des fidèles et pour la pro­mo­tion de l’es­prit d’u­ni­té. En rai­son des liens sacra­men­tels très étroits exis­tant entre l’Église catho­lique et les Eglises ortho­doxes, le décret Orientalium Ecclesiarum a décla­ré que « la pra­tique pas­to­rale montre qu’on peut et que l’on doit prendre en consi­dé­ra­tion les dif­fé­rentes situa­tions des per­sonnes prises indi­vi­duel­le­ment, situa­tions dans les­quelles ni l’u­ni­té de l’Eglise n’est lésée, ni des périls à évi­ter ne se pré­sentent, mais dans les­quelles au contraire la néces­si­té du salut et le bien spi­ri­tuel des âmes consti­tuent un besoin urgent. C’est pour­quoi l’Eglise catho­lique, en rai­son des cir­cons­tances de temps, de lieux et de per­sonnes, a sou­vent adop­té et adopte un mode d’ac­tion plus indul­gent, offrant à tous les moyens de salut et le témoi­gnage de la cha­ri­té entre chré­tiens par la par­ti­ci­pa­tion aux sacre­ments et aux autres célé­bra­tions et choses sacrées ». 94

Avec l’ex­pé­rience faite au cours des années de l’après-​Concile, cette orien­ta­tion théo­lo­gique et pas­to­rale a été reprise par les deux Codes de Droit cano­nique. 95 Elle a été expli­ci­tée du point de vue pas­to­ral par le Directoire pour l’ap­pli­ca­tion des prin­cipes et des normes sur l’œ­cu­mé­nisme. 96

En cette matière si impor­tante et si déli­cate, il est néces­saire que les pas­teurs ins­truisent les fidèles avec soin, afin qu’ils connaissent clai­re­ment les rai­sons pré­cises de telles par­ti­ci­pa­tions dans le culte litur­gique de même que des diverses dis­ci­plines exis­tant à ce sujet.

On ne doit jamais perdre de vue la dimen­sion ecclé­sio­lo­gique de la par­ti­ci­pa­tion aux sacre­ments, sur­tout celle de la sainte Eucharistie.

Les pro­grès du dialogue

59. Depuis sa créa­tion, en 1979, la Commission mixte inter­na­tio­nale pour le dia­logue théo­lo­gique entre l’Eglise catho­lique et l’Eglise ortho­doxe a tra­vaillé avec ardeur, orien­tant pro­gres­si­ve­ment sa recherche vers les pers­pec­tives qui avaient été choi­sies d’un com­mun accord dans le but de réta­blir la pleine com­mu­nion entre les deux Eglises. Cette com­mu­nion fon­dée sur l’u­ni­té de la foi, dans la conti­nui­té de l’ex­pé­rience et de la tra­di­tion de l’Eglise ancienne, trou­ve­ra son expres­sion plé­nière dans la concé­lé­bra­tion de la sainte Eucharistie. D’un esprit construc­tif et en se fon­dant sur nos points de conver­gence, la Commission mixte a pu faire de sub­stan­tiels pro­grès. Comme j’ai eu l’oc­ca­sion de le décla­rer avec mon véné­ré Frère, Sa Sainteté Dimitrios Ier, Patriarche œcu­mé­nique, elle est par­ve­nue à expri­mer « ce que l’Eglise catho­lique et l’Eglise ortho­doxe peuvent déjà pro­fes­ser ensemble comme une foi com­mune dans le mys­tère de l’Eglise et le lien entre la foi et les sacre­ments ». 97 La Commission a pu consta­ter et affir­mer ensuite que, « dans nos Eglises, la suc­ces­sion apos­to­lique est fon­da­men­tale pour la sanc­ti­fi­ca­tion et l’u­ni­té du peuple de Dieu ». 98 Il s’a­git de points de réfé­rence impor­tants pour la pour­suite du dia­logue. Mais il y a plus : ces affir­ma­tions com­munes consti­tuent le fon­de­ment qui rend les catho­liques et les ortho­doxes capables de don­ner dès main­te­nant, en notre temps, un témoi­gnage com­mun fidèle et cohé­rent pour l’an­nonce et la glo­ri­fi­ca­tion du nom du Seigneur.

60. Plus récem­ment, la Commission mixte inter­na­tio­nale a fait un pas impor­tant en ce qui concerne la ques­tion si déli­cate de la méthode à suivre pour recher­cher la pleine com­mu­nion entre l’Eglise catho­lique et l’Eglise ortho­doxe, ques­tion qui a sou­vent été une pierre d’a­chop­pe­ment dans les rap­ports entre catho­liques et ortho­doxes. Elle a jeté les bases doc­tri­nales d’une solu­tion posi­tive du pro­blème, fon­dée sur la doc­trine des Eglises sœurs. Dans ce contexte aus­si, il est clai­re­ment appa­ru que la méthode à suivre vers la pleine com­mu­nion est le dia­logue de la véri­té, nour­ri et sou­te­nu par le dia­logue de la cha­ri­té. Le droit recon­nu aux Eglises orien­tales catho­liques de s’or­ga­ni­ser et de mener leur apos­to­lat, ain­si que l’en­ga­ge­ment effec­tif de ces Eglises dans le dia­logue de la cha­ri­té et dans le dia­logue théo­lo­gique, favo­ri­se­ront non seule­ment un vrai res­pect fra­ter­nel entre ortho­doxes et catho­liques vivant sur le même ter­ri­toire, mais aus­si leur action com­mune pour la recherche de l’u­ni­té. 99 Un pro­grès a été accom­pli. L’action doit se pour­suivre. Dès main­te­nant, tou­te­fois, on peut consta­ter que les esprits ont été paci­fiés, ce qui rend la recherche plus féconde.

Au sujet des Eglises orien­tales en com­mu­nion avec l’Eglise catho­lique, le Concile avait expri­mé le juge­ment sui­vant : « Rendant grâces à Dieu de ce que beau­coup d’Orientaux, fils de l’Eglise catho­lique vivent déjà en pleine com­mu­nion avec leurs frères qui observent la tra­di­tion occi­den­tale, le saint Concile déclare que tout ce patri­moine spi­ri­tuel et litur­gique, dis­ci­pli­naire et théo­lo­gique, dans ses diverses tra­di­tions, fait par­tie de la pleine catho­li­ci­té et apos­to­li­ci­té de l’Eglise ». 100 Dans l’es­prit du décret sur l’œ­cu­mé­nisme, les Eglises orien­tales catho­liques sau­ront cer­tai­ne­ment par­ti­ci­per de manière posi­tive au dia­logue de la cha­ri­té et au dia­logue théo­lo­gique, au niveau local comme au niveau uni­ver­sel, contri­buant ain­si à la com­pré­hen­sion réci­proque et à une recherche dyna­mique de la pleine uni­té. 101

61. Dans cette pers­pec­tive, l’Eglise catho­lique ne veut rien d’autre que la pleine com­mu­nion entre l’Orient et l’Occident. Elle s’ins­pire en cela de l’ex­pé­rience du pre­mier mil­lé­naire. Au cours de cette période, en effet, « le déve­lop­pe­ment de dif­fé­rentes expé­riences de vie ecclé­siale n’empêchait pas qu’à tra­vers des rela­tions réci­proques, les chré­tiens aient pu conti­nuer à avoir la cer­ti­tude de se sen­tir chez eux dans n’im­porte quelle Eglise, parce que de toutes les Eglises s’é­le­vait, dans une admi­rable varié­té de langues et d’ac­cents, la louange de l’u­nique Père, par le Christ, dans l’Esprit Saint ; toutes étaient réunies pour célé­brer l’Eucharistie, cœur et modèle pour la com­mu­nau­té, non seule­ment en ce qui concerne la spi­ri­tua­li­té ou la vie morale, mais éga­le­ment pour la struc­ture même de l’Eglise, dans la varié­té des minis­tères et des ser­vices, sous la pré­si­dence de l’Evêque, suc­ces­seur des Apôtres. Les pre­miers Conciles consti­tuent un témoi­gnage élo­quent de cette uni­té per­sis­tant dans la diver­si­té ». 102 Comment refaire l’u­ni­té après envi­ron un mil­lier d’an­nées ? Voilà la grande tâche dont l’Eglise catho­lique doit s’ac­quit­ter et qui incombe éga­le­ment à l’Eglise ortho­doxe. A par­tir de là, on com­prend toute l’ac­tua­li­té du dia­logue, sou­te­nu par la lumière et la puis­sance de l’Esprit Saint.

Relations avec les Eglises anciennes d’Orient

62. Depuis le Concile Vatican II, sous des formes et avec une fré­quence variées, l’Eglise catho­lique a renoué des rela­tions fra­ter­nelles avec les Eglises anciennes d’Orient qui ont contes­té les for­mules dog­ma­tiques des Conciles d’Ephèse et de Chalcédoine. Toutes ces Eglises ont envoyé des obser­va­teurs délé­gués au Concile Vatican II ; leurs Patriarches nous ont hono­rés de leur visite et l’Evêque de Rome a pu leur par­ler comme à des frères qui, après une longue période de sépa­ra­tion, se retrouvent dans la joie.

La reprise des rela­tions fra­ter­nelles avec les Eglises anciennes d’Orient, témoins de la foi chré­tienne dans des situa­tions sou­vent hos­tiles et tra­giques, est un signe concret de la manière dont le Christ nous réunit mal­gré les bar­rières his­to­riques, poli­tiques, sociales et cultu­relles. Et c’est pré­ci­sé­ment au sujet de la ques­tion chris­to­lo­gique que nous avons pu décla­rer avec les Patriarches de cer­taines de ces Eglises notre foi com­mune en Jésus Christ, vrai Dieu et vrai homme. Le Pape Paul VI, de véné­rée mémoire, avait signé des décla­ra­tions qui allaient en ce sens avec Sa Sainteté Shenouda III, Pape et Patriarche copte ortho­doxe, 103 et avec le Patriarche syro-​orthodoxe d’Antioche, Sa Sainteté Jacoub III. 104 J’ai moi-​même pu confir­mer cet accord chris­to­lo­gique et en tirer des consé­quences pour la pour­suite du dia­logue avec le Pape Shenouda 105 et pour la col­la­bo­ra­tion pas­to­rale avec le Patriarche syrien d’Antioche Mar Ignace Zakka Ier Iwas. 106

Avec le véné­rable Patriarche de l’Eglise d’Ethiopie, Abouna Paulos, qui m’a ren­du visite à Rome le 11 juin 1993, nous avons sou­li­gné la com­mu­nion pro­fonde qui existe entre nos deux Eglises : « Nous par­ta­geons la même foi venue des Apôtres, les mêmes sacre­ments et le même minis­tère enra­ci­né dans la suc­ces­sion apos­to­lique. En effet, nous pou­vons affir­mer aujourd’­hui que nous avons la même foi au Christ, alors que, pen­dant long­temps, elle a été entre nous une cause de divi­sion ». 107

Plus récem­ment, le Seigneur m’a don­né la grande joie de signer une décla­ra­tion chris­to­lo­gique com­mune avec le Patriarche assy­rien de l’Orient, Sa Sainteté Mar Dinkha IV, qui a sou­hai­té pour cela me rendre visite à Rome au mois de novembre 1994. Tenant compte des dif­fé­rences de for­mu­la­tions théo­lo­giques, nous avons pu ain­si pro­fes­ser ensemble la vraie foi au Christ. 108 Je veux dire la joie que tout cela me donne en repre­nant les paroles mêmes de la Vierge : « Mon âme exalte le Seigneur » (Lc 1, 46).

63. A pro­pos des contro­verses tra­di­tion­nelles sur la chris­to­lo­gie, les contacts œcu­mé­niques ont ren­du pos­sibles des cla­ri­fi­ca­tions essen­tielles, ce qui nous per­met de confes­ser ensemble la foi qui nous est com­mune. Encore une fois, on doit consta­ter qu’un acquis de cette impor­tance est assu­ré­ment le fruit de la recherche théo­lo­gique et du dia­logue fra­ter­nel. Et il y a plus : nous y trou­vons un encou­ra­ge­ment, car cela nous montre que la voie par­cou­rue est la bonne et qu’on peut rai­son­na­ble­ment espé­rer trou­ver ensemble la solu­tion des autres ques­tions controversées.

Dialogue avec les autres Eglises et Communautés ecclé­siales d’Occident

64. Dans le vaste cadre du réta­blis­se­ment de l’u­ni­té entre tous les chré­tiens, le décret sur l’œ­cu­mé­nisme prend éga­le­ment en consi­dé­ra­tion les rela­tions avec les Eglises et les Communautés ecclé­siales d’Occident. Désireux d’ins­tau­rer un cli­mat de fra­ter­ni­té chré­tienne et de dia­logue, le Concile for­mule ses indi­ca­tions dans le cadre de deux consi­dé­ra­tions d’ordre géné­ral, l’une, de carac­tère his­to­rique et psy­cho­lo­gique, l’autre, de carac­tère théo­lo­gique et doc­tri­nal. D’un côté, ce docu­ment sou­ligne : « Les Eglises et com­mu­nau­tés ecclé­siales qui, soit à l’é­poque de la grave crise débu­tant, en Occident, dès la fin du Moyen Age, soit dans la suite, furent sépa­rées du Siège apos­to­lique romain, res­tent cepen­dant unies à l’Eglise catho­lique par une affi­ni­té et des rela­tions par­ti­cu­lières en rai­son de la longue durée de la vie que le peuple chré­tien a pas­sée dans la com­mu­nion ecclé­sias­tique au cours des siècles anté­rieurs ». 109 Par ailleurs, on constate avec le même réa­lisme : « Il faut recon­naître qu’entre ces Eglises et Communautés, d’une part, et l’Eglise catho­lique, d’autre part, il existe des dif­fé­rences d’une grande impor­tance non seule­ment d’ordre his­to­rique, socio­lo­gique, psy­cho­lo­gique et cultu­rel, mais sur­tout dans l’in­ter­pré­ta­tion de la véri­té révé­lée ». 110

65. Les racines sont com­munes et, mal­gré les dif­fé­rences, ce sont des élé­ments simi­laires qui ont orien­té en Occident le déve­lop­pe­ment de l’Eglise catho­lique et des Eglises et Communautés issues de la Réforme. Par consé­quent, elles pos­sèdent une carac­té­ris­tique occi­den­tale com­mune. Les « diver­gences » évo­quées plus haut, mal­gré leur impor­tance, n’ex­cluent donc pas les influences réci­proques ni la complémentarité.

Le mou­ve­ment œcu­mé­nique a pris son essor dans les Eglises et les Communautés de la Réforme. En même temps, dès jan­vier 1920, le Patriarcat œcu­mé­nique avait sou­hai­té que l’on orga­ni­sât une col­la­bo­ra­tion entre les confes­sions chré­tiennes. Ce fait montre que l’in­ci­dence de l’arrière-​fond cultu­rel n’est pas déter­mi­nante. L’essentiel, en revanche, c’est la ques­tion de la foi. La prière du Christ, notre unique Seigneur, Rédempteur et Maître, parle à tous de la même manière, en Orient comme en Occident. Elle devient un impé­ra­tif qui com­mande d’a­ban­don­ner les divi­sions pour recher­cher et retrou­ver l’u­ni­té, sous l’in­fluence des expé­riences amères de la division.

66. Le Concile Vatican II n’a pas l’in­ten­tion de « décrire » le chris­tia­nisme pos­té­rieur à la Réforme, puisque « ces Eglises et Communautés ecclé­siales se dis­tinguent nota­ble­ment non seule­ment de nous, mais aus­si entre elles », et ce « à cause de leur diver­si­té d’o­ri­gine, de doc­trine et de vie spi­ri­tuelle ». 111 En outre, le même décret observe que le mou­ve­ment œcu­mé­nique et le désir de paix avec l’Église catho­lique « n’ont pas encore réus­si à s’af­fir­mer par­tout ». 112 Néanmoins, mal­gré cela, le Concile pro­pose le dialogue.

Le décret conci­liaire cherche ensuite à « sou­li­gner cer­tains points qui peuvent et doivent ser­vir de fon­de­ment et de sti­mu­lant pour ce dia­logue ». 113 « Nous avons sur­tout en vue les chré­tiens qui confessent ouver­te­ment Jésus Christ comme Dieu et Seigneur et unique Médiateur entre Dieu et les hommes, pour la gloire du Dieu unique, Père, Fils et Esprit Saint ». 114

Ces frères montrent beau­coup d’a­mour et de véné­ra­tion pour les saintes Écritures : « Invoquant l’Esprit Saint, c’est dans les saintes Ecritures elles-​mêmes qu’ils cherchent Dieu comme celui qui leur parle dans le Christ, qui a été annon­cé par les pro­phètes et qui est le Verbe de Dieu incar­né pour nous. Ils y contemplent la vie du Christ et ce qu’a ensei­gné et fait le divin Maître en vue du salut des hommes, et sur­tout les mys­tères de sa mort et de sa résur­rec­tion ; ils affirment l’au­to­ri­té divine des saints Livres ». 115

Mais, en même temps, ils pensent « dif­fé­rem­ment de nous le rap­port entre l’é­cri­ture et l’é­glise dans laquelle, selon la foi catho­lique, le magis­tère authen­tique tient une place par­ti­cu­lière pour l’ex­pli­ca­tion et la pro­cla­ma­tion de la Parole de Dieu écrite ». 116 Malgré cela, « les paroles sacrées sont, dans le dia­logue lui-​même, un ins­tru­ment émi­nent dans la main puis­sante de Dieu pour atteindre cette uni­té que le Sauveur offre à tous les hommes ». 117

En outre, le sacre­ment du Baptême, qui nous est com­mun, repré­sente « le lien sacra­men­tel de l’u­ni­té qui existe entre tous ceux qui ont été régé­né­rés par lui ». 118 Les impli­ca­tions théo­lo­giques, pas­to­rales et œcu­mé­niques du Baptême com­mun sont nom­breuses et impor­tantes. Bien qu’il ne consti­tue en lui-​même « que le début et le point de départ » , ce sacre­ment « est ordon­né à la pro­fes­sion inté­grale de la foi, à la totale inté­gra­tion dans l’é­co­no­mie du salut, telle que le Christ l’a vou­lue, enfin à la com­plète inser­tion dans la com­mu­nion eucha­ris­tique ». 119

67. Au moment de la Réforme, des diver­gences doc­tri­nales et his­to­riques ont vu le jour à pro­pos de l’é­glise, des sacre­ments et du minis­tère ordon­né. Le Concile demande donc que « la doc­trine sur la Cène du Seigneur, sur les autres sacre­ments et le culte ain­si que sur les minis­tères de l’é­glise fasse l’ob­jet du dia­logue ». 120

Le décret Unitatis redin­te­gra­tio relève que les Communautés issues de la Réforme n’ont pas « avec nous la pleine uni­té qui dérive du Baptême » et observe qu”« en rai­son prin­ci­pa­le­ment de l’ab­sence du sacre­ment de l’Ordre, elles n’ont pas conser­vé la sub­stance propre et inté­grale du mys­tère eucha­ris­tique », même si « dans la sainte Cène elles font mémoire de la mort et de la résur­rec­tion du Seigneur, elles pro­fessent que la vie dans la com­mu­nion au Christ est signi­fiée par là et elles attendent son avè­ne­ment glo­rieux ». 121

68. Le décret n’ou­blie ni la vie spi­ri­tuelle ni les consé­quences morales : « La vie chré­tienne de ces frères se nour­rit de la foi au Christ, elle est sou­te­nue par la grâce du Baptême et l’é­coute de la Parole de Dieu. Elle se mani­feste dans la prière pri­vée, la médi­ta­tion biblique, la vie de famille chré­tienne, le culte de la com­mu­nau­té ras­sem­blée pour louer Dieu. Du reste, leur culte com­porte assez sou­vent des élé­ments remar­quables de l’an­tique litur­gie com­mune ». 122

Par ailleurs, le docu­ment conci­liaire ne se limite pas à ces aspects spi­ri­tuels, moraux et cultu­rels, mais il salue aus­si le vif sen­ti­ment de jus­tice et la cha­ri­té véri­table pour le pro­chain qui sont pré­sents chez ces frères ; il n’ou­blie pas non plus les ini­tia­tives qu’ils ont prises pour rendre plus humaines les condi­tions de la vie en socié­té et pour réta­blir la paix. Tout cela s’est fait avec une volon­té sin­cère d’adhé­rer à la Parole du Christ comme source de la vie chrétienne.

Ainsi, le texte fait res­sor­tir une pro­blé­ma­tique qui, dans le domaine éthique et moral, devient tou­jours plus urgente en notre temps : « Parmi les chré­tiens, beau­coup ne com­prennent pas tou­jours l’Evangile de la même manière que les catho­liques ». 123 En ce vaste domaine, il y a de grandes pos­si­bi­li­tés de dia­logue au sujet des prin­cipes moraux de l’Evangile et de leurs applications.

69. Les sou­haits et l’in­vi­ta­tion du Concile Vatican II ont été exau­cés et, pro­gres­si­ve­ment, on a vu s’ou­vrir le dia­logue théo­lo­gique bila­té­ral entre les dif­fé­rentes Eglises et Communautés chré­tiennes mon­diales d’Occident.

Par ailleurs, pour le dia­logue mul­ti­la­té­ral, dès 1964 fut mis en place un pro­ces­sus de consti­tu­tion d’un « Groupe mixte de tra­vail » avec le Conseil œcu­mé­nique des Eglises et, à par­tir de 1968, des théo­lo­giens catho­liques vinrent sié­ger, comme membres à part entière, dans le Département théo­lo­gique de ce Conseil, la Commission « Foi et Constitution ».

Le dia­logue fut et demeure fécond, riche de pro­messes. Les thèmes sug­gé­rés par le décret conci­liaire comme matière de dia­logue, ont déjà été abor­dés ou bien le seront à brève échéance. Dans les dif­fé­rents dia­logues bila­té­raux, la réflexion, menée avec une ardeur qui mérite les éloges de toute la com­mu­nau­té œcu­mé­nique, s’est concen­trée sur de nom­breuses ques­tions contro­ver­sées comme le Baptême, l’Eucharistie, le Ministère ordon­né, la sacra­men­ta­li­té et l’au­to­ri­té de l’Église, la suc­ces­sion apos­to­lique. On a ain­si esquis­sé des pers­pec­tives ines­pé­rées de solu­tion et, en même temps, on a com­pris la néces­si­té de trai­ter cer­tains points de manière plus approfondie.

70. Cette recherche dif­fi­cile et déli­cate, qui touche à des pro­blèmes de foi et de res­pect de la conscience de cha­cun, a été accom­pa­gnée et sou­te­nue par la prière de l’Eglise catho­lique et des autres Eglises et Communautés ecclé­siales. La prière pour l’u­ni­té, si enra­ci­née et dif­fu­sée dans le tis­su ecclé­sial, montre que l’im­por­tance de la ques­tion œcu­mé­nique n’é­chappe pas aux chré­tiens. La recherche de la pleine uni­té requiert un débat sur la foi entre croyants qui se réclament de l’u­nique Seigneur ; c’est pour­quoi la prière est une source de lumière sur la véri­té à accueillir dans sa totalité.

De plus, loin d’être confi­née dans un cercle de spé­cia­listes, la recherche de l’u­ni­té concerne tout bap­ti­sé grâce à la prière. Tous, indé­pen­dam­ment de leur rôle dans l’Eglise et de leur for­ma­tion cultu­relle, peuvent appor­ter leur contri­bu­tion active, de manière mys­té­rieuse et profonde.

Relations ecclé­siales

71. Il faut rendre grâce à la Divine Providence pour tous les évé­ne­ments qui témoignent du pro­grès sur la voie de la recherche de l’u­ni­té. A côté du dia­logue théo­lo­gique, on men­tion­ne­ra à bon droit les autres formes de ren­contre, la prière com­mune et la col­la­bo­ra­tion pra­tique. Le Pape Paul VI a don­né une forte impul­sion à ce pro­ces­sus, par sa visite au siège du Conseil œcu­mé­nique des Eglises à Genève, le 10 juin 1969, et ses nom­breuses ren­contres avec les repré­sen­tants de dif­fé­rentes Eglises et Communautés ecclé­siales. Ces contacts contri­buent effi­ca­ce­ment à l’a­mé­lio­ra­tion de la connais­sance réci­proque et à la crois­sance de la fra­ter­ni­té chrétienne.

Au cours de son bref pon­ti­fi­cat, le Pape Jean-​Paul Ier expri­ma sa volon­té de pour­suivre le che­min. 124 Le Seigneur m’a don­né d’œu­vrer dans cette direc­tion. Outre d’im­por­tantes ren­contres œcu­mé­niques à Rome, une par­tie notable de mes visites pas­to­rales est sys­té­ma­ti­que­ment consa­crée au témoi­gnage en faveur de l’u­ni­té des chré­tiens. Certains de mes voyages montrent même une « prio­ri­té » œcu­mé­nique, sur­tout dans les pays où les com­mu­nau­tés catho­liques consti­tuent une mino­ri­té par rap­port aux Confessions issues de la Réforme ou dans les pays où ces der­nières repré­sentent une part consi­dé­rable des fidèles du Christ.

72. Cela vaut sur­tout pour les pays euro­péens, où sont nées ces divi­sions, et pour l’Amérique du Nord. Sur ce point, sans vou­loir dépré­cier les autres visites, il faut accor­der une atten­tion par­ti­cu­lière aux visites qui, sur le conti­nent euro­péen, m’ont conduit par deux fois en Allemagne, en novembre 1980 et en avril-​mai 1987 ; la visite dans le Royaume Uni (Angleterre, Ecosse et Pays de Galles) en mai-​juin 1982 ; en Suisse, en juin 1984 ; dans les pays scan­di­naves et nor­diques (Finlande, Suède, Norvège, Danemark et Islande) où je me suis ren­du en juin 1989. Dans la joie, dans un res­pect mutuel, dans la soli­da­ri­té chré­tienne et dans la prière, j’ai ren­con­tré d’in­nom­brables frères, tous enga­gés dans la recherche de la fidé­li­té à l’Evangile. Cette consta­ta­tion fut pour moi une grande source d’en­cou­ra­ge­ment. Nous avons fait l’ex­pé­rience de la pré­sence du Seigneur au milieu de nous.

Je vou­drais à ce sujet rap­pe­ler une atti­tude dic­tée par la cha­ri­té fra­ter­nelle et empreinte d’une foi pro­fon­dé­ment lucide que j’ai vécue de manière par­ti­cu­liè­re­ment intense. Je pense ici aux célé­bra­tions eucha­ris­tiques que j’ai pré­si­dées en Finlande et en Suède au cours de mon voyage dans les pays nor­diques et scan­di­naves. Au moment de la com­mu­nion, les Evêques luthé­riens se sont pré­sen­tés devant le célé­brant. Ils ont vou­lu mon­trer par un geste déci­dé en com­mun leur désir de par­ve­nir au moment où nous pour­rions, catho­liques et luthé­riens, par­ta­ger la même Eucharistie et ils ont vou­lu rece­voir la béné­dic­tion du célé­brant. C’est avec amour que je les ai bénis. Le même geste, si riche de signi­fi­ca­tion, a été refait à Rome, pen­dant la messe que j’ai pré­si­dée Place Farnèse à l’oc­ca­sion du sixième cen­te­naire de la cano­ni­sa­tion de sainte Brigitte, le 6 octobre 1991.

J’ai pu recon­naître des sen­ti­ments ana­logues au-​delà de l’o­céan, au Canada, en sep­tembre 1984, et spé­cia­le­ment en sep­tembre 1987 aux États-​Unis où l’on per­çoit une grande ouver­ture œcu­mé­nique. C’est le cas, par exemple, de la ren­contre œcu­mé­nique du 11 sep­tembre 1987 à Columbia, en Caroline du Sud. En soi, il est impor­tant que ces ren­contres entre les frères venus de la Réforme et le Pape aient lieu régu­liè­re­ment. Je leur en suis très recon­nais­sant, parce qu’ils m’ont reçu avec une grande cor­dia­li­té, qu’il s’a­gisse des res­pon­sables des dif­fé­rentes Communautés ou des Communautés dans leur ensemble. De ce point de vue, je trouve signi­fi­ca­tive la célé­bra­tion œcu­mé­nique de la Parole qui s’est dérou­lée à Columbia et qui avait pour thème la famille.

73. C’est encore un motif de grande joie que de consta­ter à quel point, en période post­con­ci­liaire et dans cha­cune des Eglises locales, il y a, en faveur de l’u­ni­té des chré­tiens, abon­dance d’i­ni­tia­tives et d’ac­tions qui impliquent les Conférences épis­co­pales, les dio­cèses et les com­mu­nau­tés parois­siales, de même que divers cercles et mou­ve­ments ecclésiaux.

Collaborations réa­li­sées

74. « Ce n’est pas en me disant Seigneur, Seigneur, qu’on entre­ra dans le Royaume des cieux, mais c’est en fai­sant la volon­té de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7, 21). La cohé­rence et l’hon­nê­te­té des inten­tions et des affir­ma­tions de prin­cipe se véri­fient quand on les applique à la vie concrète. Le décret du Concile sur l’œ­cu­mé­nisme fait remar­quer que, chez les autres chré­tiens, « la foi au Christ pro­duit ses fruits dans la louange et l’ac­tion de grâces pour les bien­faits reçus de Dieu ; s’y ajoutent un sens très vif de la jus­tice et une cha­ri­té sin­cère envers le pro­chain ». 125

Ces remarques à peine esquis­sées sont un ter­rain fécond non seule­ment pour le dia­logue, mais aus­si pour une col­la­bo­ra­tion active : la « foi agis­sante a même sus­ci­té de nom­breuses ins­ti­tu­tions des­ti­nées à sou­la­ger la misère spi­ri­tuelle et cor­po­relle, à pro­mou­voir l’é­du­ca­tion des jeunes, à rendre plus humaines les condi­tions de vie sociale, à affer­mir par­tout la paix ». 126

La vie sociale et cultu­relle offre un large champ à la col­la­bo­ra­tion œcu­mé­nique. Les chré­tiens se retrouvent tou­jours plus sou­vent pour défendre la digni­té humaine, pour pro­mou­voir le bien de la paix, l’ap­pli­ca­tion de l’Evangile dans le domaine social, pour rendre pré­sent l’es­prit chré­tien dans les sciences et dans les arts. Ils se retrouvent tou­jours plus quand il s’a­git de venir en aide aux mal­heu­reux et de por­ter remède aux misères de notre temps, la faim, les catas­trophes natu­relles, l’in­jus­tice sociale.

75. Cette coopé­ra­tion, qui s’ins­pire de l’Evangile lui-​même, n’est jamais, pour les chré­tiens, une simple action huma­ni­taire. Elle tire sa rai­son d’être de la parole du Seigneur : « J’avais faim et vous m’a­vez don­né à man­ger » (Mt 25, 35). Comme je l’ai déjà sou­li­gné, la coopé­ra­tion de tous les chré­tiens mani­feste clai­re­ment le degré de com­mu­nion qui existe déjà entre eux. 127

Aux yeux du monde, l’ac­tion conju­guée des chré­tiens dans la socié­té revêt alors la valeur trans­pa­rente d’un témoi­gnage chré­tien ren­du en com­mun au nom du Seigneur. Elle a éga­le­ment les dimen­sions d’une annonce, parce qu’elle révèle le visage du Christ.

La per­sis­tance de diver­gences doc­tri­nales limite la col­la­bo­ra­tion et influe de manière néga­tive sur elle. La com­mu­nion de foi qui existe déjà entre les chré­tiens offre une base solide non seule­ment à leur action conjointe dans le domaine social, mais aus­si dans le domaine religieux.

Cette coopé­ra­tion faci­li­te­ra la recherche de l’u­ni­té. Le décret sur l’œ­cu­mé­nisme fai­sait remar­quer que, grâce à elle, « ceux qui croient au Christ peuvent faci­le­ment apprendre com­ment on peut mieux se connaître les uns les autres, s’es­ti­mer davan­tage et pré­pa­rer la voie à l’u­ni­té des chré­tiens ». 128

76. Comment ne pas rap­pe­ler, dans ce contexte, l’in­té­rêt œcu­mé­nique pour la paix qui s’ex­prime dans la prière et dans l’ac­tion, avec une par­ti­ci­pa­tion crois­sante des chré­tiens et une moti­va­tion théo­lo­gique de plus en plus pro­fonde ? Il ne sau­rait en être autre­ment. Ne croyons-​nous pas en Jésus Christ, Prince de la Paix ? Les chré­tiens sont tou­jours plus unis pour refu­ser la vio­lence, toute forme de vio­lence, depuis les guerres jus­qu’à l’in­jus­tice sociale.

Nous sommes appe­lés à un enga­ge­ment tou­jours plus actif, pour qu’il appa­raisse encore plus clai­re­ment que les moti­va­tions reli­gieuses ne sont pas la véri­table cause des conflits en cours, même si, mal­heu­reu­se­ment, le risque d’ex­ploi­ta­tion à des fins poli­tiques et polé­miques n’a pas été conjuré.

En 1986, à Assise, durant la Journée mon­diale de prière pour la paix, les chré­tiens des dif­fé­rentes Églises et Communautés ecclé­siales ont invo­qué d’une même voix le Seigneur de l’his­toire pour la paix dans le monde. En ce jour, de manière dis­tincte mais paral­lèle, les juifs et les repré­sen­tants des reli­gions non chré­tiennes ont prié pour la paix, dans une union de sen­ti­ments qui a fait vibrer les cordes les plus sen­sibles de l’es­prit humain. Je ne vou­drais pas oublier la Journée de prière pour la paix en Europe et spé­cia­le­ment dans les Balkans, qui m’a rame­né en pèle­ri­nage dans la cité de saint François les 9 et 10 jan­vier 1993, ni la Messe pour la paix dans les Balkans et en par­ti­cu­lier en Bosnie-​Herzégovine, que j’ai pré­si­dée le 23 jan­vier 1994 en la Basilique Saint-​Pierre, dans le cadre de la Semaine de prière pour l’u­ni­té des chré­tiens.

Quand notre regard par­court le monde, la joie rem­plit notre cœur. Nous consta­tons en effet que les chré­tiens se sentent tou­jours plus inter­pel­lés par la ques­tion de la paix. Ils la consi­dèrent comme liée de près à l’an­nonce de l’Evangile et à l’a­vè­ne­ment du Règne de Dieu.

III. QUANTA EST NOBIS VIA ?

Poursuivre et inten­si­fier le dialogue

77. Nous pou­vons nous deman­der main­te­nant quelle dis­tance nous sépare encore du jour béni où, par­ve­nus à la pleine uni­té dans la foi, nous pour­rons concé­lé­brer dans la concorde la sainte Eucharistie du Seigneur. Les pro­grès déjà accom­plis dans notre connais­sance mutuelle et les conver­gences doc­tri­nales atteintes ont pour consé­quence un appro­fon­dis­se­ment affec­tif et effec­tif de la com­mu­nion ; mais ils ne peuvent satis­faire la conscience des chré­tiens qui confessent l’Eglise une, sainte, catho­lique et apos­to­lique. Le but ultime du mou­ve­ment œcu­mé­nique est le réta­blis­se­ment de la pleine uni­té visible de tous les baptisés.

Par rap­port à cet objec­tif, tous les résul­tats obte­nus jus­qu’i­ci ne sont qu’une étape, il est vrai pro­met­teuse et positive.

78. Dans le mou­ve­ment œcu­mé­nique, l’Eglise catho­lique n’est pas seule, avec les Eglises ortho­doxes, à pos­sé­der cette concep­tion exi­geante de l’u­ni­té vou­lue par Dieu. La ten­dance à viser cette uni­té s’ex­prime aus­si chez d’autres. 129

L’œcuménisme sup­pose que les Communautés chré­tiennes s’aident mutuel­le­ment à rendre vrai­ment pré­sents en elles tout le conte­nu et toutes les exi­gences de « l’hé­ri­tage trans­mis par les Apôtres ». 130 Sans cela, la pleine com­mu­nion ne sera jamais pos­sible. Le sou­tien mutuel dans la recherche de la véri­té est une forme suprême de la cha­ri­té évangélique.

La recherche de l’u­ni­té s’est expri­mée dans les dif­fé­rents docu­ments des nom­breuses com­mis­sions mixtes inter­na­tio­nales de dia­logue. Dans ces textes, il est ques­tion du Baptême, de l’Eucharistie, du Ministère et de l’au­to­ri­té, à par­tir d’une cer­taine uni­té fon­da­men­tale de doctrine.

De cette uni­té fon­da­men­tale, mais par­tielle, il faut main­te­nant pas­ser à une uni­té visible, néces­saire et suf­fi­sante, qui s’ins­crive dans la réa­li­té concrète, afin que les Eglises réa­lisent véri­ta­ble­ment le signe de la pleine com­mu­nion dans l’Eglise une, sainte, catho­lique et apos­to­lique qui s’ex­pri­me­ra dans la concé­lé­bra­tion eucharistique.

La route vers l’u­ni­té visible néces­saire et suf­fi­sante, dans la com­mu­nion de l’u­nique Eglise vou­lue par le Christ, demande encore un tra­vail patient et cou­ra­geux. Ce fai­sant, il convient de ne pas impo­ser d’autres obli­ga­tions que celles qui sont indis­pen­sables (cf. Ac 15, 28).

79. Dès main­te­nant, il est pos­sible de dis­cer­ner les thèmes à appro­fon­dir pour par­ve­nir à un vrai consen­sus dans la foi : 1) les rela­tions entre la sainte Ecriture, auto­ri­té suprême en matière de foi, et la sainte Tradition, inter­pré­ta­tion indis­pen­sable de la Parole de Dieu ; 2) l’Eucharistie, sacre­ment du Corps et du Sang du Christ, offrande de louange au Père, mémo­rial sacri­fi­ciel et pré­sence réelle du Christ, effu­sion sanc­ti­fi­ca­trice de l’Esprit Saint ; 3) l’or­di­na­tion, comme sacre­ment, au triple minis­tère de l’é­pis­co­pat, du pres­by­té­rat et du dia­co­nat ; 4) le Magistère de l’Eglise, confié au Pape et aux Evêques en com­mu­nion avec lui, com­pris comme res­pon­sa­bi­li­té et auto­ri­té au nom du Christ pour l’en­sei­gne­ment et la sau­ve­garde de la foi ; 5) la Vierge Marie, Mère de Dieu et Icône de l’Eglise, Mère spi­ri­tuelle qui inter­cède pour les dis­ciples du Christ et pour toute l’humanité.

Dans ce cou­ra­geux che­mi­ne­ment vers l’u­ni­té, la luci­di­té et la pru­dence de la foi nous imposent d’é­vi­ter le faux iré­nisme et l’in­dif­fé­rence aux normes de l’Eglise. 131 Inversement, la même luci­di­té et la même pru­dence nous recom­mandent d’é­car­ter de nous la tié­deur dans l’en­ga­ge­ment pour l’u­ni­té et plus encore l’op­po­si­tion pré­con­çue ou le pes­si­misme qui tend à tout voir négativement.

Garder une concep­tion de l’u­ni­té qui tienne compte de toutes les exi­gences de la véri­té révé­lée, cela ne signi­fie pas que l’on mette un frein au mou­ve­ment œcu­mé­nique. 132 Au contraire, cela veut dire qu’on lui évite de s’ac­com­mo­der de sem­blants de solu­tions qui n’a­bou­ti­raient à rien de stable ou de solide. 133 L’exigence de la véri­té doit aller jus­qu’au bout. N’est-​ce pas la loi de l’Evangile ?

Réception des résul­tats obtenus

80. Tandis que se pour­suit le dia­logue sur des thèmes nou­veaux ou qu’il se déve­loppe à un niveau plus pro­fond, nous avons une tâche nou­velle à accom­plir, celle de rece­voir les résul­tats obte­nus jus­qu’i­ci. Ils ne peuvent en res­ter aux affir­ma­tions des com­mis­sions bila­té­rales, mais ils doivent deve­nir un patri­moine com­mun. Pour par­ve­nir à cela et pour ren­for­cer ain­si les liens de com­mu­nion, il faut un sérieux exa­men qui doit impli­quer le peuple de Dieu dans son ensemble, de diverses manières et en fonc­tion des dif­fé­rentes com­pé­tences. En effet, il s’a­git de ques­tions qui touchent sou­vent à la foi et qui demandent un consen­sus uni­ver­sel, depuis les Evêques jus­qu’aux fidèles laïcs, tous ayant reçu l’onc­tion de l’Esprit Saint. 134 C’est le même Esprit qui assiste le Magistère et qui sus­cite le sen­sus fidei.

En vue de la récep­tion des résul­tats du dia­logue, il faut donc conduire un pro­ces­sus cri­tique ample et pré­cis pour les ana­ly­ser et en véri­fier rigou­reu­se­ment la cohé­rence avec la Tradition de foi reçue des Apôtres et vécue dans la com­mu­nau­té des croyants ras­sem­blée autour de son Evêque, pas­teur légitime.

81. Ce pro­ces­sus, qui devra être mené avec pru­dence et dans une atti­tude de foi, sera assis­té par l’Esprit Saint. Pour qu’il donne des résul­tats favo­rables, il est néces­saire que ses conclu­sions soient dif­fu­sées de la manière qui convient par des per­sonnes com­pé­tentes. Les contri­bu­tions que sont appe­lés à appor­ter les théo­lo­giens et les facul­tés de théo­lo­gie, met­tant en œuvre leurs cha­rismes dans l’Eglise, ont pour cela une grande impor­tance. Il est clair, en outre, que les com­mis­sions œcu­mé­niques ont un rôle et une res­pon­sa­bi­li­té par­ti­cu­liers à ce sujet.

Tout le pro­ces­sus est sui­vi et sou­te­nu par les Evêques et par le Saint-​Siège. La res­pon­sa­bi­li­té d’ex­pri­mer le juge­ment défi­ni­tif revient à l’au­to­ri­té enseignante.

En tout cela, il sera très utile d’un point de vue métho­do­lo­gique de s’en tenir à la dis­tinc­tion entre le dépôt de la foi et la for­mu­la­tion dans laquelle il est expri­mé, ain­si que le recom­man­dait le Pape Jean XXIII dans le dis­cours pro­non­cé à l’ou­ver­ture du Concile Vatican II. 135

Continuer l’œ­cu­mé­nisme spi­ri­tuel et rendre un témoi­gnage de sainteté

82. On com­prend que la gra­vi­té de l’en­ga­ge­ment œcu­mé­nique inter­pelle les fidèles catho­liques en pro­fon­deur. L’Esprit les invite à un sérieux exa­men de conscience. L’Eglise catho­lique doit entrer dans ce qu’on pour­rait appe­ler le « dia­logue de la conver­sion », où se situe le fon­de­ment spi­ri­tuel du dia­logue œcu­mé­nique. Dans ce dia­logue, conduit en pré­sence de Dieu, cha­cun doit recher­cher ses propres torts, confes­ser ses fautes et se remettre dans les mains de Celui qui est l’Intercesseur auprès du Père, Jésus Christ.

Assurément, la force néces­saire pour mener à bonne fin le long et dif­fi­cile pèle­ri­nage œcu­mé­nique se trouve dans cette rela­tion de conver­sion à la volon­té du Père et, en même temps, de péni­tence et de confiance abso­lue en la puis­sance récon­ci­lia­trice de la véri­té qui est le Christ. Le « dia­logue de la conver­sion » de toutes les com­mu­nau­tés avec le Père, sans indul­gence pour elles-​mêmes, est la base de rela­tions fra­ter­nelles bien dif­fé­rentes d’une entente cor­diale ou d’une convi­via­li­té tout exté­rieure. Les liens de la koi­nô­nia fra­ter­nelle se nouent devant Dieu et dans le Christ Jésus.

Seul le fait de se mettre en pré­sence de Dieu peut don­ner une base solide à la conver­sion des chré­tiens et à la réforme constante de l’Église en tant qu’ins­ti­tu­tion éga­le­ment humaine et ter­restre ; 136 ain­si seront rem­plies les condi­tions préa­lables à toute action œcu­mé­nique. L’un des élé­ments essen­tiels du dia­logue œcu­mé­nique est l’ef­fort accom­pli pour ame­ner les Communautés chré­tiennes dans l’es­pace spi­ri­tuel tout inté­rieur où le Christ, par la puis­sance de l’Esprit, leur sug­gère, à toutes sans excep­tion, de s’exa­mi­ner devant le Père et de se deman­der si elles ont été fidèles à son des­sein sur l’Eglise.

83. J’ai par­lé de la volon­té du Père, de l’es­pace spi­ri­tuel où toute com­mu­nau­té écoute l’ap­pel à dépas­ser les obs­tacles à l’u­ni­té. En réa­li­té, toutes les Communautés chré­tiennes savent qu’une telle exi­gence, un tel dépas­se­ment, par la force que donne l’Esprit, ne sont pas hors de leur por­tée. De fait, elles ont toutes des mar­tyrs de la foi chré­tienne. 137 Malgré le drame de la divi­sion, ces frères ont gar­dé en eux-​mêmes un atta­che­ment si radi­cal et si abso­lu au Christ et au Père qu’ils ont pu aller jus­qu’à l’ef­fu­sion du sang. Mais n’est-​ce pas ce même atta­che­ment qui inter­vient dans ce que j’ai appe­lé le « dia­logue de la conver­sion » ? N’est-​ce pas ce dia­logue qui montre la néces­si­té d’al­ler jus­qu’au bout de l’ex­pé­rience de la véri­té pour la pleine communion ?

84. Selon un point de vue théo­cen­trique, nous avons déjà, nous chré­tiens, un Martyrologe com­mun. Il com­prend aus­si les mar­tyrs de notre siècle, plus nom­breux qu’on ne pour­rait le pen­ser, et il montre, en pro­fon­deur, que Dieu entre­tient chez les bap­ti­sés la com­mu­nion dans l’exi­gence suprême de la foi, mani­fes­tée par le sacri­fice de la vie. 138 Si l’on peut mou­rir pour la foi, cela prouve que l’on peut arri­ver au but lors­qu’il s’a­git d’autres formes de la même exi­gence. J’ai déjà consta­té, avec joie, que la com­mu­nion est main­te­nue, impar­faite mais réelle, et qu’elle gran­dit à divers niveaux de la vie ecclé­siale. J’estime qu’elle est déjà par­faite en ce que nous consi­dé­rons tous comme le som­met de la vie de grâce, la mar­ty­ria jus­qu’à la mort, la com­mu­nion la plus vraie avec le Christ qui répand son sang et qui, dans ce sacri­fice, rend proches ceux qui jadis étaient loin (cf. Ep 2, 13).

Si, pour toutes les Communautés chré­tiennes, les mar­tyrs sont la preuve de la puis­sance de la grâce, ils ne sont tou­te­fois pas les seuls à témoi­gner de cette puis­sance. Bien que de manière invi­sible, la com­mu­nion encore impar­faite de nos com­mu­nau­tés est en véri­té soli­de­ment sou­dée par la pleine com­mu­nion des saints, c’est-​à-​dire de ceux qui, au terme d’une exis­tence fidèle à la grâce, sont dans la com­mu­nion du Christ glo­rieux. Ces saints pro­viennent de toutes les Eglises et Communautés ecclé­siales qui leur ont ouvert l’en­trée dans la com­mu­nion du salut.

Lorsqu’on parle d’un patri­moine com­mun, on doit y inclure non seule­ment les ins­ti­tu­tions, les rites, les moyens de salut, les tra­di­tions que toutes les Communautés ont conser­vés et par les­quels elles ont été for­mées, mais en pre­mier lieu et avant tout cette réa­li­té de la sain­te­té. 139

Grâce au rayon­ne­ment du « patri­moine des saints » appar­te­nant à toutes les Communautés, le « dia­logue de la conver­sion » à l’u­ni­té pleine et visible appa­raît alors sous la lumière de l’es­pé­rance. La pré­sence uni­ver­selle des saints donne, en effet, la preuve de la trans­cen­dance de la puis­sance de l’Esprit. Elle est signe et preuve de la vic­toire de Dieu sur les forces du mal qui divisent l’hu­ma­ni­té. Comme le chantent les litur­gies, « en cou­ron­nant les mérites, Dieu cou­ronne ses propres dons ». 140

Quand il y a une volon­té sin­cère de suivre le Christ, l’Esprit sait sou­vent répandre sa grâce par des voies dif­fé­rentes des voies cou­rantes. L’expérience œcu­mé­nique nous a per­mis de mieux le com­prendre. Si, dans l’es­pace spi­ri­tuel inté­rieur que j’ai décrit, les Communautés savent réel­le­ment « se conver­tir » à la recherche de la com­mu­nion pleine et visible, Dieu fera pour elles ce qu’il a déjà fait pour leurs saints. Il sau­ra dépas­ser les obs­tacles héri­tés du pas­sé et les condui­ra, sur ses che­mins, là où il veut, à la koi­nô­nia visible qui est en même temps louange de sa gloire et ser­vice ren­du à son des­sein de salut.

85. Parce que, dans sa misé­ri­corde infi­nie, Dieu peut tou­jours tirer du bien même des situa­tions qui contre­disent son des­sein, nous pou­vons décou­vrir que l’Esprit a fait en sorte que les oppo­si­tions servent, dans cer­taines cir­cons­tances, à cla­ri­fier divers aspects de la voca­tion chré­tienne, ain­si qu’il advient dans la vie des saints. Malgré les sépa­ra­tions, qui sont un mal dont nous devons gué­rir, une sorte de com­mu­ni­ca­tion de la richesse de la grâce s’est tout de même réa­li­sée et elle est des­ti­née à embel­lir la koi­nô­nia. La grâce de Dieu sera en tous ceux qui, sui­vant l’exemple des saints, s’emploient à en suivre les exi­gences. Et nous, com­ment pouvons-​nous hési­ter à nous conver­tir à ces attentes du Père ? Il est avec nous.

Contribution de l’Eglise catho­lique à la recherche de l’u­ni­té des chrétiens

86. La consti­tu­tion Lumen gen­tium, dans une de ses affir­ma­tions fon­da­men­tales que reprend le décret Unitatis redin­te­gra­tio, 141 écrit que l’u­nique Eglise du Christ est pré­sente dans l’Eglise catho­lique. 142 Le décret sur l’œ­cu­mé­nisme sou­ligne la pré­sence en elle de la plé­ni­tude (ple­ni­tu­do) des moyens de salut. 143 La pleine uni­té se réa­li­se­ra lorsque tous par­ti­ci­pe­ront à la plé­ni­tude des moyens du salut que le Christ a confiés à son Eglise.

87. Sur la route qui conduit à la pleine uni­té, le dia­logue œcu­mé­nique s’ef­force de sus­ci­ter un sou­tien fra­ter­nel mutuel par lequel les Communautés s’at­tachent à échan­ger ce dont cha­cune a besoin pour gran­dir selon le des­sein de Dieu vers la plé­ni­tude défi­ni­tive (cf. Ep 4, 11–13). J’ai dit que, en tant qu’Église catho­lique, nous avons conscience d’a­voir reçu beau­coup du témoi­gnage, des recherches et même de la manière dont ont été sou­li­gnés et vécus par les autres Églises et Communautés ecclé­siales cer­tains biens com­muns aux chré­tiens. Parmi les pro­grès accom­plis pen­dant les trente der­nières années, il faut mettre en bonne place cette influence fra­ter­nelle réci­proque. Au point où nous sommes par­ve­nus, 144 ce dyna­misme d’en­ri­chis­se­ment mutuel doit être sérieu­se­ment pris en consi­dé­ra­tion. Fondé sur la com­mu­nion qui existe déjà grâce aux élé­ments ecclé­siaux pré­sents dans les Communautés chré­tiennes, il ne man­que­ra pas d’en­traî­ner vers la com­mu­nion pleine et visible, objec­tif dési­ré du che­mi­ne­ment que nous fai­sons. C’est la forme œcu­mé­nique de la loi évan­gé­lique du par­tage. Cela m’in­vite à répé­ter : « Il faut avoir en tout le sou­ci de ren­con­trer ce que légi­ti­me­ment nos autres frères chré­tiens dési­rent et attendent de nous, en connais­sant leur manière de pen­ser et leurs sen­si­bi­li­tés. Il faut que les dons de cha­cun se déve­loppent pour l’u­ti­li­té et l’a­van­tage de tous ». 145

Le minis­tère d’u­ni­té de l’Evêque de Rome

88. Parmi toutes les Eglises et Communautés ecclé­siales, l’Eglise catho­lique a conscience d’a­voir conser­vé le minis­tère du suc­ces­seur de l’Apôtre Pierre, l’Evêque de Rome, que Dieu a ins­ti­tué comme « le prin­cipe et le fon­de­ment per­ma­nents et visibles de l’u­ni­té » 146 et que l’Esprit assiste afin que tous les autres béné­fi­cient de ce bien essen­tiel. Suivant la belle expres­sion du Pape Grégoire le Grand, mon minis­tère est celui de ser­vus ser­vo­rum Dei. Cette défi­ni­tion est la meilleure pro­tec­tion contre le risque de sépa­rer l’au­to­ri­té (et en par­ti­cu­lier la pri­mau­té) du minis­tère, ce qui serait en contra­dic­tion avec le sens de l’au­to­ri­té selon l’Evangile : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22, 27), dit notre Seigneur Jésus Christ, Chef de l’Eglise. D’autre part, comme j’ai eu l’oc­ca­sion de le décla­rer lors de l’im­por­tante ren­contre au Conseil œcu­mé­nique des Eglises à Genève, le 12 juin 1984, la convic­tion qu’a l’Eglise catho­lique d’a­voir conser­vé, fidèle à la tra­di­tion apos­to­lique et à la foi des Pères, le signe visible et le garant de l’u­ni­té dans le minis­tère de l’Evêque de Rome, repré­sente une dif­fi­cul­té pour la plu­part des autres chré­tiens, dont la mémoire est mar­quée par cer­tains sou­ve­nirs dou­lou­reux. Pour ce dont nous sommes res­pon­sables, je demande par­don, comme l’a fait mon pré­dé­ces­seur Paul VI. 147

89. Il est cepen­dant signi­fi­ca­tif et encou­ra­geant que la ques­tion de la pri­mau­té de l’Evêque de Rome soit actuel­le­ment deve­nue un objet d’é­tudes, en cours ou en pro­jet, et il est éga­le­ment signi­fi­ca­tif et encou­ra­geant que cette ques­tion soit pré­sente comme un thème essen­tiel non seule­ment dans les dia­logues théo­lo­giques que l’Eglise catho­lique pour­suit avec les autres Églises et Communautés ecclé­siales, mais aus­si plus géné­ra­le­ment dans l’en­semble du mou­ve­ment œcu­mé­nique. Récemment, les par­ti­ci­pants à la cin­quième Assemblée mon­diale de la Commission « Foi et Constitution » du Conseil œcu­mé­nique des Eglises, tenue à Saint-​Jacques de Compostelle, ont recom­man­dé qu’elle « entre­prenne une nou­velle étude sur la ques­tion d’un minis­tère uni­ver­sel de l’u­ni­té chré­tienne ». 148 Après des siècles d’âpres polé­miques, les autres Eglises et Communautés ecclé­siales exa­minent tou­jours plus et d’un regard nou­veau ce minis­tère de l’u­ni­té. 149

90. L’Evêque de Rome est l’Evêque de l’Eglise qui demeure mar­quée par le mar­tyre de Pierre et par celui de Paul : « Par un mys­té­rieux des­sein de la Providence, c’est à Rome qu’il achè­ve­ra son che­min à la suite de Jésus et qu’il don­ne­ra cette plus grande preuve d’a­mour et de fidé­li­té. C’est aus­si à Rome que Paul, l’Apôtre des nations, don­ne­ra le suprême témoi­gnage. Ainsi l’Eglise de Rome deve­nait l’Eglise de Pierre et de Paul ». 150

Dans le Nouveau Testament, la per­sonne de Pierre a une place émi­nente. Dans la pre­mière par­tie des Actes des Apôtres, il appa­raît comme le chef et le porte-​parole du col­lège apos­to­lique, connu comme « Pierre … avec les Onze » (2, 14 ; cf. 2, 37 ; 5, 29). La place assi­gnée à Pierre est fon­dée sur les paroles mêmes du Christ, telles qu’elles sont conser­vées dans les tra­di­tions évangéliques.

91. L’Evangile de Matthieu décrit et pré­cise la mis­sion pas­to­rale de Pierre dans l’Eglise : « Tu es heu­reux, Simon fils de Jonas, car cette révé­la­tion t’est venue, non de la chair et du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux. Eh bien ! moi je te dis : tu es Pierre, et sur cette pierre je bâti­rai mon Eglise, et les portes de l’en­fer ne tien­dront pas contre elle. Je te don­ne­rai les clefs du Royaume des Cieux : ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux » (16, 17–19). Luc fait res­sor­tir que le Christ recom­mande à Pierre d’af­fer­mir ses frères, mais qu’il lui montre en même temps sa fai­blesse humaine et son besoin de conver­sion (cf. Lc 22, 31–32). C’est comme si, à par­tir de la fai­blesse humaine de Pierre, il deve­nait plei­ne­ment mani­feste que son minis­tère spé­ci­fique dans l’Eglise est entiè­re­ment l’ef­fet de la grâce ; c’est comme si le Maître s’employait spé­cia­le­ment à sa conver­sion pour le pré­pa­rer à la tâche qu’il s’ap­prête à lui confier dans son Eglise et comme s’il était très exi­geant avec lui. Le rôle même de Pierre, tou­jours lié à l’af­fir­ma­tion réa­liste de sa fai­blesse, se retrouve dans le qua­trième Evangile : « Simon, fils de Jean, m’aimes-​tu plus que ceux-​ci ? … Pais mes bre­bis » (cf. Jn 21, 15–19). Il est signi­fi­ca­tif encore que, selon la pre­mière Lettre de Paul aux Corinthiens, le Christ res­sus­ci­té appa­raisse d’a­bord à Céphas puis aux Douze (cf. 15, 5).

Il est impor­tant d’ob­ser­ver que la fai­blesse de Pierre et de Paul montre que l’Eglise est fon­dée sur la puis­sance infi­nie de la grâce (cf. Mt 16, 17 ; 2 Co 12, 7–10). Pierre, aus­si­tôt après son inves­ti­ture, est répri­man­dé avec une rare sévé­ri­té par le Christ qui lui dit : « Tu me fais obs­tacle » (Mt 16, 23). Comment ne pas voir dans la misé­ri­corde dont Pierre a besoin un lien avec le minis­tère de cette même misé­ri­corde dont il fait le pre­mier l’ex­pé­rience ? Malgré cela, il renie­ra Jésus trois fois. L’Evangile de Jean sou­ligne aus­si que Pierre reçoit la charge de paître le trou­peau en réponse à une triple pro­fes­sion d’a­mour (cf. 21, 15–17) qui cor­res­pond à son triple renie­ment (cf. 13, 38). Pour sa part, Luc, dans la parole du Christ déjà citée que la pre­mière tra­di­tion retien­dra pour défi­nir la mis­sion de Pierre, insiste sur le fait que ce der­nier devra « affer­mir ses frères quand il sera reve­nu » (cf. Lc 22, 31).

92. Quant à Paul, il peut conclure la des­crip­tion de son minis­tère par l’af­fir­ma­tion bou­le­ver­sante qu’il lui a été don­né de recueillir des lèvres du Seigneur : « Ma grâce te suf­fit ; car la puis­sance se déploie dans la fai­blesse », et il peut s’é­crier ensuite : « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12, 9–10). C’est là une des carac­té­ris­tiques fon­da­men­tales de l’ex­pé­rience chrétienne.

Héritier de la mis­sion de Pierre, dans l’Eglise fécon­dée par le sang des cory­phées des Apôtres, l’Évêque de Rome exerce un minis­tère qui a son ori­gine dans les mul­tiples formes de la misé­ri­corde de Dieu, misé­ri­corde qui conver­tit les cœurs et com­mu­nique la force de la grâce, là même où le dis­ciple connaît le goût amer de sa fai­blesse et de sa misère. L’autorité propre de ce minis­tère est toute au ser­vice du des­sein misé­ri­cor­dieux de Dieu et il faut tou­jours la consi­dé­rer dans cette pers­pec­tive. Son pou­voir s’ex­plique dans ce sens.

93. Se fon­dant sur la triple pro­fes­sion d’a­mour de Pierre qui cor­res­pond à son triple renie­ment, son suc­ces­seur sait qu’il doit être signe de misé­ri­corde. Son minis­tère est un minis­tère de misé­ri­corde, pro­cé­dant d’un acte de misé­ri­corde du Christ. Il faut sans cesse relire toute cette leçon de l’Évangile, afin que l’exer­cice du minis­tère pétri­nien ne perde rien de son authen­ti­ci­té et de sa transparence.

L’Eglise de Dieu est appe­lée par le Christ à mani­fes­ter, pour un monde enfer­mé dans l’en­che­vê­tre­ment de ses culpa­bi­li­tés et de ses des­seins déshon­nêtes, que, mal­gré tout, Dieu peut, dans sa misé­ri­corde, conver­tir les cœurs à l’u­ni­té et les faire accé­der à la com­mu­nion avec lui.

94. Ce ser­vice de l’u­ni­té, enra­ci­né dans l’œuvre de la misé­ri­corde divine, est confié, à l’in­té­rieur même du col­lège des Evêques, à l’un de ceux qui ont reçu de l’Esprit la charge, non pas d’exer­cer un pou­voir sur le peuple — comme le font les chefs des nations et les grands (cf. Mt 20, 25 ; Mc 10, 42) —, mais de conduire le peuple pour qu’il puisse avan­cer vers de pai­sibles pâtu­rages. Cette charge peut impo­ser d’of­frir sa propre vie (cf. Jn 10, 11–18). Après avoir mon­tré que le Christ est « le seul Pasteur, en l’u­ni­té de qui tous ne font qu’un », saint Augustin exhorte : « Que tous les pas­teurs soient donc en un seul pas­teur, qu’ils fassent entendre la voix unique du pas­teur ; que les bre­bis l’en­tendent, qu’elles suivent leur pas­teur, non pas celui-​ci ou celui-​là, mais le seul. Et que tous, en lui, fassent entendre une seule voix, et non pas des voix dis­cor­dantes. Cette voix, débar­ras­sée de toute divi­sion, puri­fiée de toute héré­sie, que les bre­bis l’é­coutent ! » 151 La mis­sion de l’Evêque de Rome au sein du groupe de tous les pas­teurs consiste pré­ci­sé­ment à « veiller » (epis­ko­pein), comme une sen­ti­nelle, de sorte que, grâce aux pas­teurs, on entende dans toutes les Églises par­ti­cu­lières la voix véri­table du Christ-​Pasteur. Ainsi, se réa­lise, dans cha­cune des Eglises par­ti­cu­lières qui leur sont confiées, l’Eglise une, sainte, catho­lique et apos­to­lique. Toutes les Eglises sont en pleine et visible com­mu­nion, parce que les Pasteurs sont en com­mu­nion avec Pierre et sont ain­si dans l’u­ni­té du Christ.

Par le pou­voir et l’au­to­ri­té sans les­quels cette fonc­tion serait illu­soire, l’Evêque de Rome doit assu­rer la com­mu­nion de toutes les Eglises. A ce titre, il est le pre­mier des ser­vi­teurs de l’u­ni­té. La pri­mau­té s’exerce à divers niveaux qui concernent la vigi­lance sur la trans­mis­sion de la Parole, sur la célé­bra­tion sacra­men­telle et litur­gique, sur la mis­sion, sur la dis­ci­pline et sur la vie chré­tienne. Il revient au Successeur de Pierre de rap­pe­ler les exi­gences du bien com­mun de l’Eglise, au cas où quel­qu’un serait ten­té de le négli­ger au pro­fit de ses propres inté­rêts. Il a le devoir d’a­ver­tir, de mettre en garde, de décla­rer par­fois incon­ci­liable avec l’u­ni­té de la foi telle ou telle opi­nion qui se répand. Lorsque les cir­cons­tances l’exigent, il parle au nom de tous les Pasteurs en com­mu­nion avec lui. Il peut aus­si — dans des condi­tions bien pré­cises expo­sées par le Concile Vatican I — décla­rer ex cathe­dra qu’une doc­trine appar­tient au dépôt de la foi. 152 Rendant ain­si témoi­gnage à la véri­té, il sert l’unité.

95. Mais tout cela doit tou­jours être accom­pli dans la com­mu­nion. Lorsque l’Eglise catho­lique affirme que la fonc­tion de l’Evêque de Rome répond à la volon­té du Christ, elle ne sépare pas cette fonc­tion de la mis­sion confiée à l’en­semble des Evêques, eux aus­si « vicaires et légats du Christ ». 153 L’Evêque de Rome appar­tient à leur « col­lège » et ils sont ses frères dans le ministère.

Ce qui concerne l’u­ni­té de toutes les Communautés chré­tiennes entre évi­dem­ment dans le cadre des charges qui relèvent de la pri­mau­té. Il sait bien, en tant qu’Evêque de Rome, et il l’a réaf­fir­mé dans la pré­sente Encyclique, que le désir ardent du Christ est la com­mu­nion pleine et visible de toutes les Communautés, dans les­quelles habite son Esprit en ver­tu de la fidé­li­té de Dieu. Je suis convain­cu d’a­voir à cet égard une res­pon­sa­bi­li­té par­ti­cu­lière, sur­tout lorsque je vois l’as­pi­ra­tion œcu­mé­nique de la majeure par­tie des Communautés chré­tiennes et que j’é­coute la requête qui m’est adres­sée de trou­ver une forme d’exer­cice de la pri­mau­té ouverte à une situa­tion nou­velle, mais sans renon­ce­ment aucun à l’es­sen­tiel de sa mis­sion. Pendant un mil­lé­naire, les chré­tiens « étaient unis par la com­mu­nion fra­ter­nelle dans la foi et la vie sacra­men­telle, le Siège romain inter­ve­nant d’un com­mun accord, si des dif­fé­rends au sujet de la foi ou de la dis­ci­pline s’é­le­vaient entre elles ». 154 La pri­mau­té s’exer­çait ain­si pour l’u­ni­té. En m’a­dres­sant au Patriarche œcu­mé­nique, Sa Sainteté Dimitrios Ier, j’é­tais conscient, comme je l’ai dit, que « pour des rai­sons très diverses, et contre la volon­té des uns et des autres, ce qui devait être un ser­vice a pu se mani­fes­ter sous un éclai­rage assez dif­fé­rent. Mais, c’est par désir d’o­béir vrai­ment à la volon­té du Christ que je me recon­nais appe­lé, comme Evêque de Rome, à exer­cer ce minis­tère. Je prie l’Esprit Saint de nous don­ner sa lumière et d’é­clai­rer tous les pas­teurs et théo­lo­giens de nos Églises, afin que nous puis­sions cher­cher, évi­dem­ment ensemble, les formes dans les­quelles ce minis­tère pour­ra réa­li­ser un ser­vice d’a­mour recon­nu par les uns et par les autres ». 155

96. C’est une tâche immense que nous ne pou­vons refu­ser et que je ne puis mener à bien tout seul. La com­mu­nion réelle, même impar­faite, qui existe entre nous tous ne pourrait-​elle pas inci­ter les res­pon­sables ecclé­siaux et leurs théo­lo­giens à ins­tau­rer avec moi sur ce sujet un dia­logue fra­ter­nel et patient, dans lequel nous pour­rions nous écou­ter au-​delà des polé­miques sté­riles, n’ayant à l’es­prit que la volon­té du Christ pour son Eglise, nous lais­sant sai­sir par son cri, « que tous soient un… afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21)?

La com­mu­nion de toutes les Eglises par­ti­cu­lières avec l’Eglise de Rome, condi­tion néces­saire pour l’unité

97. L’Eglise catho­lique, dans sa praxis comme dans ses textes offi­ciels, sou­tient que la com­mu­nion des Églises par­ti­cu­lières avec l’Eglise de Rome, et de leurs Évêques avec l’Evêque de Rome, est une condi­tion essen­tielle — selon le des­sein de Dieu — de la com­mu­nion pleine et visible. Il faut en effet que la pleine com­mu­nion, dont l’Eucharistie est la mani­fes­ta­tion sacra­men­telle suprême, s’ex­prime visi­ble­ment dans un minis­tère où tous les Evêques se recon­naissent unis dans le Christ et où tous les fidèles trouvent la confir­ma­tion de leur foi. La pre­mière par­tie des Actes des Apôtres pré­sente Pierre comme celui qui parle au nom du groupe apos­to­lique et qui sert l’u­ni­té de la com­mu­nau­té — tout en res­pec­tant l’au­to­ri­té de Jacques, chef de l’Eglise de Jérusalem. Ce rôle de Pierre demeure néces­saire dans l’Eglise, afin que, sous un seul Chef qui est le Christ Jésus, elle soit visi­ble­ment dans le monde la com­mu­nion de tous ses disciples.

N’est-​ce pas d’un minis­tère de ce type que beau­coup de ceux qui sont enga­gés dans l’œ­cu­mé­nisme expriment aujourd’­hui la néces­si­té ? Présider dans la véri­té et dans l’a­mour, afin que la barque — le beau sym­bole que le Conseil œcu­mé­nique des Eglises a choi­si comme emblème — ne soit pas secouée par les tem­pêtes et puisse un jour abor­der au rivage.

Pleine uni­té et évangélisation

98. Le mou­ve­ment œcu­mé­nique de notre siècle, plus que les ten­ta­tives des siècles pas­sés dont il ne faut pas pour autant sous-​évaluer l’im­por­tance, a été mar­qué par une pers­pec­tive mis­sion­naire. Dans le ver­set johan­nique qui lui donne son ins­pi­ra­tion et sa devise d’ac­tion — « qu’ils soient un en nous, eux aus­si, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21) —, on a sou­li­gné pour que le monde croie avec beau­coup de force, au point de cou­rir le risque d’ou­blier par­fois que, dans la pen­sée de l’Evangéliste, l’u­ni­té est sur­tout pour la gloire du Père. De toute manière, il est évident que la divi­sion des chré­tiens est en contra­dic­tion avec la véri­té qu’ils ont la mis­sion de répandre, et qu’elle altère gra­ve­ment leur témoi­gnage. Mon pré­dé­ces­seur, le Pape Paul VI, l’a­vait bien com­pris, lors­qu’il écri­vait dans son exhor­ta­tion apos­to­lique Evangelii nun­tian­di : « Evangélisateurs, nous devons offrir aux fidèles du Christ, non pas l’i­mage d’hommes divi­sés et sépa­rés par des litiges qui n’é­di­fient point, mais celle de per­sonnes mûries dans la foi, capables de se ren­con­trer au-​delà des ten­sions réelles grâce à la recherche com­mune, sin­cère et dés­in­té­res­sée de la véri­té. Oui, le sort de l’é­van­gé­li­sa­tion est cer­tai­ne­ment lié au témoi­gnage d’u­ni­té don­né par l’Eglise. Sur ce point, nous vou­drions insis­ter sur le signe de l’u­ni­té entre tous les chré­tiens comme voie et ins­tru­ment d’é­van­gé­li­sa­tion. La divi­sion des chré­tiens est un grave état de fait qui par­vient à enta­cher l’œuvre même du Christ ». 156

En effet, com­ment annon­cer l’Evangile de la récon­ci­lia­tion sans s’en­ga­ger en même temps à tra­vailler pour la récon­ci­lia­tion des chré­tiens ? S’il est vrai que l’Eglise, sous l’im­pul­sion de l’Esprit Saint et avec la pro­messe de son indé­fec­ti­bi­li­té, a prê­ché et prêche l’Evangile à toutes les nations, il est vrai éga­le­ment qu’elle doit faire face aux dif­fi­cul­tés qui découlent des divi­sions. Mis en pré­sence de mis­sion­naires en désac­cord entre eux, même s’ils se réclament tous du Christ, les non­croyants sauront-​ils accueillir le mes­sage authen­tique ? Ne penseront-​ils pas que l’Evangile est un fac­teur de divi­sion, même s’il est pré­sen­té comme la loi fon­da­men­tale de la charité ?

99. Quand j’af­firme que pour moi, Evêque de Rome, l’en­ga­ge­ment œcu­mé­nique est « une des prio­ri­tés pas­to­rales » de mon pon­ti­fi­cat, 157 je pense au grave obs­tacle que consti­tue la divi­sion pour l’an­nonce de l’Evangile. Une Communauté chré­tienne qui croit au Christ et désire, avec l’ar­deur de l’Evangile, le salut de l’hu­ma­ni­té, ne peut en aucune manière se fer­mer à l’ap­pel de l’Esprit qui oriente tous les chré­tiens vers l’u­ni­té pleine et visible. Il s’a­git d’un des impé­ra­tifs de la cha­ri­té qu’il faut suivre sans réti­cences. L’œcuménisme n’est pas qu’une ques­tion interne aux Communautés chré­tiennes. Il concerne l’a­mour que Dieu porte à l’hu­ma­ni­té entière en Jésus Christ ; faire obs­tacle à cet amour, c’est l’of­fen­ser dans son des­sein de ras­sem­bler tous les hommes dans le Christ. Le Pape Paul VI écri­vait au Patriarche œcu­mé­nique Athénagoras Ier : « Puisse l’Esprit Saint nous gui­der dans la voie de la récon­ci­lia­tion afin que l’u­nion de nos Eglises devienne un signe tou­jours plus lumi­neux d’es­pé­rance et de récon­fort au sein de l’hu­ma­ni­té entière ». 158

EXHORTATION

100. M’adressant récem­ment aux Evêques, au cler­gé et aux fidèles de l’Eglise catho­lique afin de mon­trer la voie à suivre pour la célé­bra­tion du Grand Jubilé de l’An 2000, j’ai décla­ré entre autres que « la meilleure pré­pa­ra­tion de l’é­chéance bimil­lé­naire ne pour­ra que s’ex­pri­mer par un enga­ge­ment renou­ve­lé d’ap­pli­quer, autant que pos­sible fidè­le­ment, l’en­sei­gne­ment de Vatican II à la vie de cha­cun et de toute l’Eglise ». 159 Le Concile est le grand com­men­ce­ment — en quelque sorte l’Avent — de l’i­ti­né­raire qui nous conduit au seuil du troi­sième mil­lé­naire. Étant don­né l’im­por­tance que l’as­sem­blée conci­liaire a accor­dée à l’œuvre de recom­po­si­tion de l’u­ni­té des chré­tiens, en notre époque de grâce œcu­mé­nique, il m’a sem­blé néces­saire de redire les convic­tions fon­da­men­tales que le Concile a gra­vées dans la conscience de l’Eglise catho­lique, et de les rap­pe­ler, à la lumière des pro­grès accom­plis depuis vers la pleine com­mu­nion de tous les baptisés.

Il n’est pas dou­teux que l’Esprit Saint agit dans cette œuvre et qu’il conduit l’Eglise vers la pleine réa­li­sa­tion du des­sein du Père, confor­mé­ment à la volon­té expri­mée par le Christ avec tant de vigueur et d’é­mo­tion dans la prière que, selon le qua­trième Evangile, ses lèvres ont pro­non­cée au moment où il s’ap­prê­tait à vivre le drame sal­vi­fique de sa Pâque. Comme en ce temps-​là, le Christ demande aujourd’­hui qu’un élan nou­veau ravive l’en­ga­ge­ment de cha­cun à aller vers la com­mu­nion pleine et visible.

101. J’exhorte donc mes Frères dans l’é­pis­co­pat à accor­der toute leur atten­tion à cet enga­ge­ment. Les deux Codes de Droit cano­nique placent par­mi les res­pon­sa­bi­li­tés de l’Evêque celle de pro­mou­voir l’u­ni­té de tous les chré­tiens, sou­te­nant toute action ou ini­tia­tive des­ti­née à la pro­mou­voir, conscient que l’Eglise y est tenue de par la volon­té même du Christ. 160 Cela fait par­tie de la mis­sion épis­co­pale et c’est une obli­ga­tion qui découle direc­te­ment de la fidé­li­té au Christ, Pasteur de l’Eglise. Tous les fidèles sont aus­si appe­lés par l’Esprit de Dieu à faire leur pos­sible afin que se res­serrent les liens de com­mu­nion entre tous les chré­tiens et que se déve­loppe la col­la­bo­ra­tion des dis­ciples du Christ : « Le sou­ci de res­tau­rer l’u­ni­té concerne toute l’Eglise, tant les fidèles que les pas­teurs, et touche cha­cun selon ses capa­ci­tés propres ». 161

102. La puis­sance de l’Esprit de Dieu fait croître et édi­fie l’Eglise au long des siècles. Tournant son regard vers le nou­veau mil­lé­naire, l’Eglise demande à l’Esprit la grâce d’af­fer­mir son uni­té et de la faire pro­gres­ser vers la pleine com­mu­nion avec les autres chrétiens.

Comment y par­ve­nir ? En pre­mier lieu, par la prière. La prière devrait tou­jours reprendre en elle l’in­quié­tude qui tra­duit une aspi­ra­tion vers l’u­ni­té et qui est donc une des formes néces­saires de l’a­mour que nous por­tons au Christ et au Père riche en misé­ri­corde. La prière doit avoir la pre­mière place dans le che­mi­ne­ment que nous entre­pre­nons avec les autres chré­tiens vers le nou­veau millénaire.

Comment y par­ve­nir ? Par l’ac­tion de grâce, parce que nous ne nous pré­sen­tons pas les mains vides à ce rendez-​vous : « L’Esprit vient au secours de notre fai­blesse ; … lui-​même inter­vient pour nous par des cris inex­pri­mables » (Rm 8, 26) pour nous dis­po­ser à deman­der à Dieu ce dont nous avons besoin.

Comment y par­ve­nir ? Par l’es­pé­rance en l’Esprit qui sait éloi­gner de nous les spectres du pas­sé et les sou­ve­nirs dou­lou­reux de la sépa­ra­tion ; il sait nous accor­der luci­di­té, force et cou­rage pour entre­prendre les démarches néces­saires, en sorte que notre enga­ge­ment soit tou­jours plus authentique.

Et si nous devions nous deman­der si tout cela est pos­sible, la réponse serait tou­jours : oui. La réponse même qu’en­ten­dit Marie de Nazareth : parce que rien n’est impos­sible à Dieu.

Les paroles par les­quelles saint Cyprien com­mente le Notre Père, la prière de tous les chré­tiens, me reviennent à l’es­prit : « Dieu ne reçoit pas le sacri­fice de l’homme qui vit dans la dis­sen­sion. Il ordonne que l’on s’é­loigne de l’au­tel pour se récon­ci­lier d’a­bord avec son frère, afin que Dieu puisse agréer des prières pré­sen­tées dans la paix. Le plus grand sacri­fice que l’on puisse offrir à Dieu, c’est notre paix, c’est la concorde fra­ter­nelle, c’est le peuple ras­sem­blé par cette uni­té qui existe entre le Père, le Fils et le Saint-​Esprit ». 162

A l’aube du nou­veau mil­lé­naire, com­ment ne pas deman­der au Seigneur, avec un élan renou­ve­lé et avec une plus grande matu­ri­té de la conscience, la grâce de nous dis­po­ser tous à ce sacri­fice de l’u­ni­té ?

103. Moi, Jean-​Paul, humble ser­vus ser­vo­rum Dei, je me per­mets de faire miennes les paroles de l’Apôtre Paul, dont le mar­tyre, uni à celui de l’Apôtre Pierre, a don­né à ce Siège de Rome la splen­deur de son témoi­gnage, et je vous dis, à vous, fidèles de l’Eglise catho­lique, et à vous, frères et sœurs des autres Eglises et Communautés ecclé­siales : « Cherchez la per­fec­tion, affermissez- vous ; exhortez-​vous. Ayez même sen­ti­ment ; vivez en paix, et le Dieu de la cha­ri­té et de la paix sera avec vous … La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’a­mour de Dieu et la com­mu­nion du Saint-​Esprit soient avec vous tous ! » (2 Co 13, 11. 13).

Jean-​Paul II

Notes

1 Cf. Address fol­lo­wing the Way of the Cross on Good Friday (1 April 1994), 3 : AAS 87 (1995), 88.
2 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Declaration On Religious Freedom Dignitatis Humanae, 1.
3 Cf. Apostolic Letter Tertio Millennio Adveniente (10 November 1994), 16 : AAS 87 (1995), 15.
4 CONGREGATION FOR THE DOCTRINE OF THE FAITH, Letter to the Bishops of the Catholic Church on Some Aspects of the Church Understood as Communion Communionis Notio (28 May 1992), 4 : AAS 85 (1993), 840.
5> SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 1.
6 Ibid.
7 Ibid., 4.
8 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 14.
9 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Declaration on Religious Freedom Dignitatis Humanae, 1 and 2.
10 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 14.
11 Ibid., 8.
12 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 3.
13 Ibid.
14 No. 15.
15 Ibid.
16 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 15.
17 Ibid., 3.
18 Ibid.
19 Cf. SAINT GREGORY THE GREAT, Homilies on the Gospel, 19, 1 : PL, 1154, quo­ted in SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 2.
20 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 4.
21 Ibid., 7.
22 Cf. Ibid.
23 Ibid., 6.
2 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Dogmatic Constitution Dei Verbum, 7.
25 Cf. Apostolic Letter Euntes in Mundum (25 January 1988): AAS 80 (1988), 935–956.
26 Cf. Encyclical Epistle Slavorum Apostoli (2 June 1985 ): AAS 77 (1985), 779–813.
27 Cf. Directory for the Application of Principles and Norms on Ecumenism (25 March 1993): AAS 85 (1993), 1039–1119.
28 Cf. in par­ti­cu­lar, the Lima Document : Baptism, Eucharist and Ministry (January 1982); and the stu­dy of the JOINT WORKING GROUP BETWEEN THE CATHOLIC CHURCH AND THE WORLD COUNCIL OF CHURCHES, Confessing the « One » Faith (1991), Document No. 153 of the Commission on Faith and Order, Geneva, 1991.
29 Cf. Opening Address of the Second Vatican Ecumenical Council (11 October 1962): AAS 54 (1962), 793.
30 We are spea­king of the SECRETARIAT FOR PROMOTING CHRISTIAN UNITY, esta­bli­shed by Pope John XXIII With the Motu Proprio Superno Dei Nutu (5 June 1960), 9 : AAS 52 (1960), 436, and confir­med by suc­ces­sive docu­ments : JOHN XXIII Motu Proprio Appropinquante Concilio (6 August 1962), c. III, a. 7, § 2, I : AAS 54 (1962), 614 ; cf. PAUL VI Apostolic Constitution Regimini Ecclesiae Universae (15 August 1967), 92–94 : AAS 59 (1967), 918–919. This dicas­te­ry is now cal­led the PONTIFICAL COUNCIL FOR PROMOTING CHRISTIAN UNITY : Cf. JOHN PAUL II, Apostolic Constitution Pastor Bonus (28 June 1988), V, Arts. 135–138 : AAS 80 (1988), 895–896.
31 Opening Address of the Second Vatican Ecumenical Council (11 October 1962): AAS 54 (1962), 792.
32 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 6.
33 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Declaration on Religious Freedom Dignitatis Humanae, 1.
34 Encyclical Epistle Slavorum Apostoli (2 June 1985),11 : AAS 77 (1985), 792.
35 Ibid., 13 : loc. cit., 794.
36 Ibid., 11 : loc. cit., 792.
37 Address to the Aboriginal Peoples (29 November 1986), 12 : AAS 79 (1987), 977.
38 Cf. SAINT VINCENT OF LERINS, Commonitorium pri­mum, 23 : PL 50, 667–668.
39 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 6.
40 Ibid., 5.
41 Ibid., 7.
42 Ibid., 8.
43 Ibid.
44 Cf. Ibid., 4.
45 Cf. JOHN PAUL II, Apostolic Letter Tertio Millennio Adveniente (10 November 1994), 24 : AAS 87 (1995), 19–20.
46 Address at Canterbury Cathedral (29 May 1982), 5 : AAS 74 (1982), 922.
47 WORLD COUNCIL OF CHURCHES, Constitution and Rules, III, 1.
48 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Pastoral Constitution on the Church in the Modern World Gaudium et Spes, 24.
49 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 7.
50 Maria Sagheddu was born at Dorgali (Sardinia) in 1914. At twenty-​one years of age she ente­red the Trappistine Monastery in Grottaferrata. Through the apos­to­lic labours of Abbé Paul Couturier, she came to unders­tand the need for prayers and spi­ri­tual sacri­fices for the uni­ty of Christians. In 1936, at the time of an Octave for Unity, she chose to offer her life for the uni­ty of the Church. Following a grave ill­ness, Sister Maria Gabriella died on 23 April 1939.
51 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Pastoral Constitution on the Church in the Modern World Gaudium et Spes, 24.
52 Cf. AAS 56 (1964), 609–659.
53 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 13.
54 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree On Ecumenism Unitatis Redintegratio, 4.
55 Cf. Code of Canon Law, Canon 755 ; Code of Canons of the Eastern Churches, Canons 902–904.
56 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 4.
57 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Declaration on Religious Freedom Dignitatis Humanae, 3.
58 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 4.
59 Cf. ibid.
60 Encyclical Letter Ecclesiam Suam (6 August 1964), III : AAS 56 (1964), 642.
61 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 11,
62 Cf, ibid.
63 Ibid.; Cf. CONGREGATION FOR THE DOCTRINE OF THE FAITH, Declaration in Defence of Catholic Doctrine on the Church Mysterium Ecclesiae (24 June 1973), 4 : AAS G5 (1973), 402.
64 CONGREGATION FOR THE DOCTRINE OF THE FAITH, Declaration in Defence of Catholic Doctrine on the Church Mysterium Ecclesiae, 5 : AAS 65 (1973), 403.
65 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 4.
66 Cf. Common Christological Declaration bet­ween the Catholic Church and the Assyrian Church of the East : L’Osservatore Romano, 12 November 1994, 1.
67 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 12.
68 Ibid.
69 PONTIFICAL COUNCIL FOR PROMOTING CHRISTIAN UNITY, Directory for the Application of Principles and Norms on Ecumenism (25 March 1993 ), 5 : AAS 85 (1993), 1040.
70 Ibid. 94 : loc. cit., 1078,
71 Cf. COMMISSION ON FAITH AND ORDER OF THE WORLD COUNCIL OF CHURCHES, Baptism, Eucharist and Ministry (January 1982).
72 Cf. Encyclical Letter Sollicitudo Rei Socialis (30 December 1987), 32 : AAS 80 (1988), 556.
73 Address to the Cardinals and the Roman Curia (28 June 1985), 10 : AAS 77 (1985), 1158 ; cf. Encyclical Letter Redemptor Hominis (4 March 1979), 11 : AAS 71 (1979), 277–278.
74 Address to the Cardinals and the Roman Curia (28 June 1985), 10 : AAS 77 (1985), 1158.
75 Cf. SECRETARIAT FOR PROMOTING CHRISTIAN UNITY and the EXECUTIVE COMMITTEE OF THE UNITED BIBLE SOCIETIES, Guiding Principles for Interconfessional Cooperation in Translating the Bible (1968). This was revi­sed and then publi­shed by the SECRETARIAT FOR PROMOTING CHRISTIAN UNITY, « Guidelines for Interconfessional Cooperation in Translating the Bible » : Information Service, 65 (1987), 140–145.
76 Cf. COMMISSION ON FAITH AND ORDER OF THE WORLD COUNCIL OF CHURCHES, Baptism, Eucharist and Ministry (January 1982).
77 For example, at the most recent assem­blies of the World Council of Churches in Vancouver (1983) and in Canberra (1991), and of the Commission on Faith and Order in Santiago de Compostela (1993).
78 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 8 and 15 ; Code of Canon Law, Canon 844 ; Code of Canons of the Eastern Churches, Canon 671 ; PONTIFICAL COUNCIL FOR PROMOTING CHRISTIAN UNITY, Directory for the Application of Principles and Norms on Ecumenism (25 March 1993), 122–125, 129–131, 123 and 132 : AAS 85 (1993), 1086–1087, 1088–1089, 1087 and 1089.
79 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree On Ecumenism Unitatis Redintegratio, 4.
80 Ibid.
81 Cf. No. 15.
82 No. 15.
83 Ibid., 14.
84 Cf. Joint Declaration of Pope Paul VI and the Patriarch of Constantinople Athenagoras I (7 December 1965): Tomos Agapis, Vatican-​Phanar (1958–1970), Rome-​Istanbul, 1971, 280–281.
85 Cf. AAS 77 (1985), 779–813.
86 Cf. AAS 80 (1988), 933–956 ; cf. Message Magnum Baptismi Donum, (14 February 1988): AAS 80 (1988), 988–997,
87 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree On Ecumenism Unitatis Redintegratio, 14.
88 Ibid.
89 Apostolic Brief Anno Ineunte (25 July 1967): Tomos Agapis, Vatican-​Phanar (1958–1970), Rome-​Istanbul, 1971, 388–391.
90 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 14.
91 Ibid., 15.
92 No. 14 : L’Osservatore Romano, 2–3 May 1995, 3.
93 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 17.
94 No. 26.
95 Cf. Code of Canon Law, Canon 844, §§ 2 and 3 ; Code of Canons of the Eastern Churches, Canon 671, §§ 2 and 3.
96 PONTIFICAL COUNCIL FOR PROMOTING CHRISTIAN UNITY, Directory for the Application of Principles and Norms on Ecumenism (25 March 1993), 122–128 : AAS 85 (1993), 1086–1088.
97 Declaration by His Holiness Pope John Paul II and the Ecumenical Patriarch Dimitrios I (7 December 1987): AAS 80 (1988), 253.
98 JOINT INTERNATIONAL COMMISSION FOR THE THEOLOGICAL DIALOGUE BETWEEN THE CATHOLIC CHURCH AND THE ORTHODOX CHURCH, « The Sacrament of Order in the Sacramental Structure of the Church, with Particular Reference to the Importance of the Apostolic Succession for the Sanctification and the Unity of the People of God » (26 June 1988),1 : Information Service, 68 (1988), 173.
99 Cf. JOHN PAUL II, Letter to the Bishops of Europe on the Relations bet­ween Catholics and Orthodox in the New Situation of Central and Eastern Europe (31 May 1991), 6 : AAS 84 (1992), 168.
100 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 17.
101 Cf. Apostolic Letter Orientale Lumen (2 May 1995 ), 24 : L’Osservatore Romano, 2–3 May 1995, 5.
102 Ibid., 18 : loc. cit., 4.
103 Cf. Joint Declaration by His Holiness Pope Paul VI and His Holiness Shenouda III, Pope of Alexandria and Patriarch of the See of Saint Mark of Alexandria (10 May 1973): AAS 65 (1973), 299–301.
104 Cf. Joint Declaration by His Holiness Pope Paul VI and His Beatitude Mar Ignatius Jacoub III, Patriarch of the Church of Antioch of the Syrians (27 October 1971): AAS 63 (1971), 814–815.
105 Cf. Address to the Delegates of the Coptic Orthodox Church (2 June 1979): AAS 71 (1979), 1000–1001.
106 Cf. Joint Declaration of Pope John Paul II and the SyrianOrthodox Patriarch of Antioch, Moran Mor Ignatius Zakka I Iwas (23 June 1984): Insegnamenti VII/​1 (1984), 1902–1906.
107 Address to His Holiness Abuna Paulos, Patriarch of the Orthodox Church of Ethiopia (11 June 1993): L’Osservatore Romano, 11–12 June 1993, 4.
108 Cf. Common Christological Declaration bet­ween the Catholic Church and the Assyrian Church of the East : L’Osservatore Romano, 12 November 1994, 1.
109 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 19.
110 Ibid.
111 Ibid., 19.
112 Cf. ibid.
113 Ibid.
114 Ibid., 20.
115 Ibid., 21.
116 Ibid.
117 Ibid.
118 Ibid., 22.
119 Ibid.
120 Ibid., 22 ; cf. 20.
121 Ibid., 22.
122 Ibid., 23.
123 Ibid.
124 Cf. Radio Message Urbi et Orbi (27 August 1978): AAS 70 (1978), 695–696.
125 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 23.
126 Ibid.
127 Cf. ibid., 12.
128
Ibid.
129 The stea­dy work of the Commission on Faith and Order has led to a com­pa­rable vision adop­ted by the Seventh Assembly of the World Council of Churches in the Canberra Declaration (7–20 February 1991); cf. Signs of the Spirit, Official Report, Seventh Assembly, WCC, Geneva, 1991, pp. 235–258. This vision was reaf­fir­med by the World Conference of Faith and Order at Santiago de Compostela (3–14 August 1993); cf. Information Service, 85 (1994), 18–37.
130 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree On Ecumenism Unitatis Redintegratio, 14.
131Cf. ibid., 4 and 11.
132 Cf. Address to the Cardinals and the Roman Curia (28 June 1985), 6 : AAS 77 (1985), 1153.
133 Cf. ibid.
134 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 12.
135 Cf. AAS 54 (1962), 792.
136 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 6,
137 Cf. ibid., 4 ; PAUL VI, Homily for the Canonization of the Ugandan Martyrs (18 October 1964): AAS 56 (1964), 906.
138 Cf. JOHN PAUL II, Apostolic Letter Tertio Millennio Adveniente (10 November 1994), 37 : AAS 87 (1995), 29–30.
139 Cf. PAUL VI, Address at the Shrine in Namugongo, Uganda (2 August 1969): AAS 61 (1969), 590–591.
140 Cf. Missale Romanum, Praefatio de Sanctis I : Sanctorum « coro­nan­do meri­ta tua dona coronans »,
141 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 4.
142 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 8.
143 Cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 3.
144 After the Lima Document of the Commission on Faith and Order, Baptism, Eucharist and Ministry (January 1982), and in the spi­rit of the Declaration of the Seventh General Assembly of the World Council of Churches, The Unity of the Church as « koi­no­nia » : Gift and Task (Canberra, 7–20 February 1991): cf. Istina 36 (1991), 389–391.
145 Address to the Cardinals and the Roman Curia (28 June 1985), 4 : AAS 77 (1985), 1151–1152.
146 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 23.
147 Cf. Discourse at the Headquarters of the World Council of Churches, Geneva (12 June 1984), 2 : Insegnamenti VII/​1 (1984), 1686.
148 WORLD CONFERENCE OF THE COMMISSION ON FAITH AND ORDER, Report of the Second Section, Santiago de Compostela (1993): Confessing the One Faith to God’s Glory, 31, 2, Faith and Order Paper No. 166, World Council of Churches, Geneva, 1994, 243.
149 To cite only a few examples : ANGLICAN-​ROMAN CATHOLIC INTERNATIONAL COMMISSION, Final Report, ARCIC‑I (September 1981); INTERNATIONAL COMMISSION FOR DIALOGUE BETWEEN THE DISCIPLES OF CHRIST AND THE ROMAN CATHOLIC CHURCH, Report (1981); ROMAN CATHOLIC/​LUTHERAN JOINT COMMISSION, The Ministry in the Church (13 March 1981). The pro­blem takes clear shape in the research conduc­ted by the JOINT INTERNATIONAL COMMISSION FOR THE THEOLOGICAL DIALOGUE BETWEEN THE CATHOLIC CHURCH AND THE ORTHODOX CHURCH.
150 Address to the Cardinals and the Roman Curia (28 June 1985), 3 : AAS 77 (1985), 1150.
151 Sermon XLVI, 30 : CCL 41, 557.
152 Cf. FIRST VATICAN ECUMENICAL COUNCIL Dogmatic Constitution on the Church of Christ Pastor Aeternus : DS 3074.
153 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Dogmatic Constitution on the Church Lumen Gentium, 27.
154 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree On Ecumenism Unitatis Redintegratio, 14.
155 Homily in the Vatican Basilica in the pre­sence of Dimitrios I, Archbishop of Constantinople and Ecumenical Patriarch (6 December 1987), 3 ; AAS 80 (1988), 714.
156 Apostolic Exhortation Evangelii Nuntiandi (8 December 1975), 77 : AAS 68 (1976), fig ; cf. SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 1 ; PONTIFICAL COUNCIL FOR PROMOTING CHRISTIAN UNITY, Directory for the Application of Principles and Norms on Ecumenism (25 March 1993 ), 205–209 : AAS 85 (1993), 1112–1114.
157 Address to the Cardinals and the Roman Curia (28 June 1985), 4 : AAS 77 (1985), 1151.
158 Letter of 13 January 1970 : Tomos Agapis, Vatican-​Phanar (1958–1970), Rome-​Istanbul, 1971, pp. 610–611.
159 Apostolic Letter Tertio Millennio Adveniente (10 November 1994), 20 : AAS 87 (1995), 17.
160 Cf. Code of Canon Law, Canon 755 ; Code of Canons of the Eastern Churches, Canon 902.
161 SECOND VATICAN ECUMENICAL COUNCIL, Decree on Ecumenism Unitatis Redintegratio, 5.
162 On the Lord’s Prayer, 23 : CSEL 3, 284–285.

21 janvier 2000
Discours pour l'inauguration de l'année judiciaire
  • Jean-Paul II