Donné à Vienne, le 6 des nones de mai 1312, de notre pontificat le septième.
A la prudente sollicitude du Vicaire du Christ, parvenu au faîte de la dignité apostolique, il appartient de mesurer l’émergence et la succession des temps, d’examiner les problèmes et leurs causes, et d’être enfin attentif aux qualités des personnes. Dirigeant sur toutes choses le regard profond d’une méditation indispensable, appliquant sa main aux décisions opportunes, il extirpera du champ de Dieu la mauvaise herbe des vices, fructifiera les vertus ; il arrachera les épines de la prévarication ; déracinant l’ivraie, il plantera en fait plus qu’il n’aura détruit, et dans les champs vidés de leurs plantes nuisibles, il repiquera la pieuse floraison des œuvres divines : par ces utiles et prévoyants échanges, il apportera la paix plus qu’il n’aura, par l’action d’une justice véritable et compatissante, porté préjudice aux personnes ni engendré la ruine de ces lieux. Tranchant ce qui résiste pour y substituer ce qui profite, il développe ainsi le progrès de la vertu, jusqu’à restaurer enfin ce qu’il avait éliminé, par l’effet de cette subrogation.
Il est advenu naguère que nous ayons dû, fort à contrecœur et non sans amertume, décider la suppression de l’ordre de la Milice du Temple de Jérusalem, du fait de souillures, obscénités et perversions diverses, moins dévoyées encore qu’inavouables, dont le Maître, les frères et autres membres de l’ordre s’étaient dans toutes les parties du monde rendus coupables (on nous permettra de taire à présent leur triste et impur rappel). Cette extinction du statut de l’ordre, de son habit, de son nom lui-même, nous l’avons, avec l’approbation du Sacré Concile, décrétée, non point sous la forme d’une sentence définitive, car selon les enquêtes et les procès intentés sur cette affaire, nous n’étions pas juridiquement en mesure de la prononcer, mais bien par la voie de provision soit ordonnance apostolique, et d’une sanction irrévocable et valide à perpétuité. Nous interdisons désormais à quiconque d’entrer dans cet ordre, d’en revêtir l’habit et de se comporter en Templier, sous peine de l’excommunication ipso facto encourue.
Quant aux biens de l’ordre, nous les avions subordonnés à la décision du Saint-Siège Apostolique. Nous défendons à quiconque, de quelque condition qu’il soit, et si peu qu’il s’y risque, d’aller contre les ordonnances qui seront prises à ce sujet par le Saint-Siège, d’y changer ou attenter en aucune manière ; d’avance, nous déclarons nulles et invalides de telles initiatives, qu’elles soient ou non prises en connaissance de cause. Et pour éviter que ces biens, naguère donnés, légués, concédés par les adeptes du Christ aux besoins de la Terre Sainte et à la croisade contre les ennemis de la foi chrétienne ou pour ces desseins, ne viennent à dépérir par l’absence d’administrateurs qualifiés, ou ne soient affectés à d’autres usages qu’à ceux que la piété des fidèles avait pour eux prévus ; pour empêcher encore qu’un retard dans les dispositions prises n’entraîne leur dilapidation, nous avons, avec nos frères Nosseigneurs les cardinaux, patriarches, archevêques, évêques, prélats, personnalités de toute sorte et procureurs des prélats, chapitres et couvents, églises et monastères, présents au Concile, tenu de difficiles et bien pénibles conciliabules : afin qu’à leur terme, de sages dispositions les emploient à l’honneur de Dieu, à l’augmentation de la foi et l’exaltation de l’Eglise, au secours de la Terre Sainte, non moins qu’au salut et au repos des fidèles. Après longue, mûre et prévoyante délibération, nous avons finalement décrété que ces biens seraient à perpétuité unis à ceux de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, dont le Maître et les frères, en véritables athlètes de Dieu et au péril de la mort, se dévouent sans relâche à la défense de la foi dans les pays d’outre-mer.
Nous donc qui, entre tous les lieux de la terre où l’observance monastique est en vigueur, avouons chérir cet ordre de l’Hôpital dans la plénitude d’un amour sincère ; nous qui constatons qu’il ne cesse, ainsi que l’évidence le démontre, de s’exercer avec vigilance aux œuvres de miséricorde : cet ordre et ces frères qui, dédaignant les séductions du monde, subordonnent tout au service du Très-Haut et combattent comme d’intrépides athlètes du Christ, en zèle et en désir, pour la récupération de la Terre Sainte, au mépris des humains périls. Nous qui considérons pareillement que, plus s’augmentent la diligence du Maître et des frères de l’Hôpital, la ferveur de leurs âmes et leur vaillance à écarter les injures que subit Notre Rédempteur et à écraser les ennemis de Sa foi, plus facilement ils sont à même de supporter les charges d’un tel état.
A toutes ces causes,… avec l’approbation du Sacré Concile, Nous donnons, concédons, unissons, incorporons, appliquons et annexons pour toujours à l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, en vertu de la plénitude de l’autorité apostolique, la maison-mère de la Milice du Temple et ses autres Commanderies, églises, chapelles, oratoires, cités, châteaux, villes, terres, granges, possessions et juridictions, rentes et droits, biens meubles et immeubles, sis outremer autant que par-deçà dans toutes les parties du monde : tels que l’ordre du Temple, le Maître et les frères de cette Milice les possédaient au temps de leur arrestation dans le royaume de France, soit au mois d’octobre mil trois cent sept ; ensemble avec les noms, actions, droits, … privilèges, indulgences, immunités et libertés à eux concédés par le Siège Apostolique, les empereurs, rois, princes, et fidèles de toute la Chrétienté, dont ils pouvaient se prévaloir.
En sont toutefois exceptés les biens du ci-devant ordre de la Milice du Temple existant dans les royaumes de Nos Très Chers Fils in Christo les rois de Castille, Aragon, Portugal et Majorque, hors du royaume de France, que nous avons cru devoir disjoindre de cette union ; les réservant à la disposition du Saint-Siège, nous renouvelons à leur propos la défense faite à quiconque d’y attenter en quoi que ce soit au préjudice de Nos ordonnances ; et ce, aussi longtemps qu’il n’en aura pas été autrement décidé par le Siège Apostolique.
Quant aux occupants ou détenteurs illicites de ces biens, quels que soient leur état, condition ou dignité, et même s’ils se prévalaient d’une autorité pontificale, impériale ou royale, qui dans le délai d’un mois après en avoir été requis par le Maître, les frères ou les procureurs de l’ordre de l’Hôpital, n’en auraient pas déguerpi ; à ceux qui leur auraient prêté conseil ou auraient fait obstacle à cette dévolution, qu’il s’agisse de personnes isolées ou de chapitres, collèges, couvents ou monastères, cités, châteaux ou villages, nous les déclarons soumis aux peines de l’excommunication d’une part, de l’interdit de l’autre ; et nous n’en décrétons pas moins que les uns comme les autres se verront en outre privés des biens qu’ils détiennent en fief de l’Eglise Romaine ou de toute autre. De telle sorte que ces biens reviennent sans nulle opposition aux Eglises dont ils dépendent, et que les prélats et recteurs de ces Eglises les administrent selon leur volonté et au profit des Eglises elles-mêmes.
Et qu’à nul homme au monde ne soit permis d’enfreindre nos présentes donation, concession, union, incorporation, application, annexion, réserves, interdictions, volontés et constitutions, ou d’oser témérairement aller contre. Qui s’y risquerait saurait qu’il encourt la colère du Dieu Tout-Puissant et de Ses Saints Apôtres Pierre et Paul.
Clément V
Donné à Vienne, le 6 des nones de mai 1312, de notre pontificat le septième.