Donné à Vienne, le onze des calendes d’avril, de notre pontificat la septième année.
CLÉMENT, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, en mémoire perpétuelle de la chose.
Une voix a été entendue dans les hauteurs, voix de lamentation, de deuil et de pleurs ; car le temps est venu, il est venu le temps où le Seigneur, par la bouche du prophète, fait entendre cette plainte : « Cette maison est devenue l’objet de ma fureur et de mon indignation ; elle sera enlevée de devant ma face à cause de la malice de ses enfants ; car ils m’ont provoqué à la colère ; ils m’ont tourné le dos et non le visage ; ils ont mis des idoles dans la maison où mon nom a été invoqué, afin de la souiller. Ils ont élevé des autels à Baal pour initier et consacrer leurs fils aux idoles et aux démons. » « Ils ont gravement péché, comme dans les jours de Gabaa. » A une nouvelle si affreuse, en présence d’une infamie publique si horrible (qui a jamais entendu, qui a jamais rien vu de semblable ?) Je suis tombé quand j’ai entendu, j’ai été contristé quand j’ai vu, mon cœur s’est rempli d’amertume, les ténèbres m’ont enveloppé. Car c’est la voix du peuple de la cité, la voix du temple, la voix du Seigneur qui rend à ces ennemis ce qu’ils ont mérité. Le prophète sent le besoin de s’écrier : « Donnez-leur, Seigneur, donnez-leur des entrailles qui ne portent point d’enfants et des mamelles desséchées » car leur malice a relevé leurs iniquités. Chassez-les de votre maison ; que leur racine soit desséchée, qu’ils ne fassent plus de fruits, que cette maison ne soit plus une cause d’amertume et « une épine douloureuse ; car elle n’est pas légère la fornication de celle qui immole ses fils, qui les donne et les consacre aux démons et non à Dieu, à des dieux qu’ils ignoraient.
C’est pourquoi cette maison sera vouée à la solitude et à l’opprobre, à la malédiction et au désert ; « couverte de confusion et égalée à la poussière, elle sera mise au dernier rang ; elle sera déserte, sans chemin et sans eau ; elle sera brûlée par la colère du Seigneur qu’elle a méprisé. Qu’elle ne soit point habitée, mais réduite en un désert ; que tous, en la voyant, soient frappés de stupeur et se rient de toutes ses plaies. » Car le Seigneur n’a pas choisi la nation à cause du lieu, mais le lieu à cause de la nation ; or, comme le lieu même du temple a participé aux forfaits du peuple, et que Salomon, qui était rempli de la sagesse comme d’un fleuve, a entendu ces paroles formelles de la bouche du Seigneur, lorsqu’il lui construisait un temple : « Si vos enfants se détournent de moi, s’ils cessent de me suivre et de m’honorer ; s’ils vont trouver des dieux étrangers, et s’ils les adorent, je les repousserai de devant ma face, et je les chasserai de la terre que je leur ai donnée, et je rejetterai de ma présence le temple que j’ai consacré à mon nom, et il deviendra un sujet de proverbe et de fable, et un exemple pour les peuples. Et tous les passants, à sa vue, seront étonnés et lâcheront leurs sifflets ; ils diront : Pourquoi le Seigneur a‑t-il traité ainsi cette terre et cette maison ? Et on lui répondra : Parce qu’ils se sont éloignés de Dieu, leur Seigneur, qui les a achetés et rachetés, et qu’ils ont suivi Baal et les dieux étrangers, et qu’ils les ont adorés et servis. Voilà pourquoi le Seigneur les a frappés de ces maux terribles. » Déjà vers le commencement de notre promotion au souverain pontificat, avant même que nous vinssions à Lyon, où nous avons reçu les insignes de notre couronnement, on nous avait insinué secrètement, là et ailleurs, que le maître, les commandeurs et autres frères de la milice du temple de Jérusalem, y compris l’ordre lui-même, qui avaient été établis dans les régions Trans maritimes pour défendre le patrimoine de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et qui semblaient être tout particulièrement les champions de la foi catholique, les défenseurs de la Terre sainte et les protecteurs de ses intérêts (c’est pour cela que la sainte Église romaine, versant sur ces mêmes frères et sur cet ordre la plénitude de sa particulière faveur, les avait armés contre les ennemis du Christ du signe de la croix, entourés de nombreux honneurs, munis de libertés et de privilèges divers, et que l’Église, aussi bien que tous les fidèles, avaient cru devoir les combler de toutes sortes de biens et venir à leur aide de diverses manières), on nous avait insinué qu’ils étaient tombés dans le crime d’une apostasie abominable contre Seigneur Jésus-Christ lui-même, dans le vice odieux de l’idolâtrie, dans le crime exécrable de Sodome et dans diverses hérésies. Cependant, comme il était hors de vraisemblance et qu’il ne semblait pas croyable que des hommes si religieux, qui avaient si souvent répandu leur sang spécialement pour le nom du Christ, qui semblaient exposer fréquemment leurs personnes à des dangers de mort, qui paraissaient donner souvent de grands signes de piété tant dans leurs offices divins que dans leurs jeûnes et autres observances, oubliassent leur salut au point de commettre de tels crimes, d’autant plus que cet ordre avait bien et saintement commencé, et qu’il avait été approuvé par le Siège apostolique ; que sa règle elle même avait mérité d’être approuvée par ce même Siège comme sainte, raisonnable et juste, nous n’avons pas voulu, instruit par des exemples de Notre Seigneur et par les enseignements des Écritures canoniques, prêter l’oreille à des insinuations et à des rapports de ce genre.
A la fin, cependant, notre très-cher fils en Jésus-Christ, Philippe, l’illustre roi de France, à qui ces mêmes crimes avaient été dénoncés, poussé non par un sentiment d’avarice (car il ne prétendait point revendiquer ou s’approprier aucun des biens des Templiers, puisqu’il s’en est désisté dans son propre royaume, et en a complètement éloigné ses mains), mais par le zèle de la foi orthodoxe, suivant les illustres traces de ses ancêtres, s’informa autant qu’il put de ce qui s’était passé, et nous fit parvenir, par ses envoyés et par ses lettres, de nombreux et importants renseignements pour nous instruire et nous informer de ces choses. Ces crimes n’ont fait qu’accroître la mauvaise réputation des Templiers et de leur ordre. En outre, un soldat de cet ordre, d’une haute noblesse et qui jouissait dans l’ordre d’un grand crédit, nous a déclaré en secret et avec serment que lui-même, lors de sa réception, sur les conseils de celui qui le recevait et en présence d’autres soldats de la milice du Temple, avait renié le Christ et craché sur la croix qui lui était présentée par celui qui le recevait. Ce même soldat a dit encore que le maître de la milice du Temple encore vivant, avait reçu de la même façon jusqu’à soixante-douze, avec l’assistance fidèle de plusieurs de nos frères, et aussitôt, en notre présence et en présence des dits frères, nous avons fait rédiger leurs confessions en écriture authentique, par des mains publiques. Puis, après un laps de quelques jours, nous les avons fait lire devant eux en consistoire et expliquer à chacun dans sa langue natale. Persévérant dans leurs dépositions, ils les ont approuvées expressément et librement, telles qu’elles venaient d’être lues. Désirant ensuite instituer nous-même une enquête à ce sujet, de concert avec le grand-maître, le visiteur de France et les principaux commandeurs de l’ordre, nous avons, pendant notre séjour à Poitiers, mandé devant nous le grand-maitre, le visiteur de France, ainsi que les grands commandeurs de Normandie, d’Aquitaine et de Poitou. Mais comme plusieurs d’entre eux étaient alors tellement malades qu’ils ne pouvaient ni venir à cheval, ni se faire amener commodément en notre présence, et que nous, nous voulions savoir la vérité sur tout ce qui vient d’être dit, nous assurer de la réalité de ce que renfermaient les confessions et les dépositions qu’on disait qu’ils avaient faites en France devant l’inquisiteur de l’hérésie, en présence des notaires publics et de plusieurs hommes de bien, nous avons confié ces dépositions, que l’inquisiteur avait montrées et fournies à nous et à nos frères par l’entremise de notaires publics, nous les avons confiées à nos fils bien-aimés Bérenger, du titre de Nérée-et-Achillée, maintenant évêque de Tusculum ; à Étienne, du titre de Saint-Cyriaque, prêtre des Thermes, et à Landulfe, du titre de Sainte-Angèle, diacre, dont la sagesse, l’expérience et l’exactitude nous inspiraient une assurance entière, et nous leur avons ordonné de faire avec le grand-maître, le visiteur et les commandeurs susdits une enquête tant sur ceux-ci que sur chaque membre de l’ordre en général et sur l’ordre lui même, de nous mander l’exacte vérité et tout ce qu’ils trouveraient dans cette affaire, de faire rédiger leurs confessions et dépositions par un notaire public, de les faire présenter à notre apostolat, et d’accorder auxdits maître, visiteurs et commandeurs, d’après la forme de l’Église, le bénéfice de l’absolution de la sentence d’excommunication qu’ils auraient encourue pour ces crimes, au cas où ils seraient trouvés réels, si, comme ils le devraient, ils demandaient humblement et dévotement l’absolution.
Ces cardinaux se sont rendus en personne auprès du grand-maître général, du visiteur et des commandeurs, et leur ont exposé le motif de leur visite. Et leurs personnes et celles des autres Templiers résidant en France, un soldat a confessé dans l’assemblée ultra maritime de cet ordre, c’est-à-dire qu’on lui avait fait renier le Christ et cracher sur la croix, en présence d’environ deux cents frères du même ordre ; qu’il avait ouï dire qu’on en usait ainsi dans la réception des frères dudit ordre ; que, sur l’invitation du chef ou de son délégué, le récipiendaire reniait Jésus-Christ et crachait sur la croix pour insulter le Christ crucifié : que le chef et le récipiendaire faisaient d’autres actes illicites et contraires à l’honnêteté chrétienne. Pressé par le devoir de notre charge, il nous a été impossible de ne point prêter l’oreille à tant et à de si grandes clameurs. Mais lorsque, grâce à la renommée publique et aux vives instances du roi, des ducs, des comtes, des barons et autres nobles, ainsi que du clergé et du peuple de ce royaume, qui s’adressaient à nous en personne, ou par des procureurs et des syndics, nous apprîmes (nous le disons avec douleur) que le maître, les commandeurs et autres frères de cet ordre, que l’ordre lui-même étaient entachés desdits crimes et de plusieurs autres, et que ces crimes nous semblaient en quelque sorte démontrés par plusieurs aveux, attestations et dépositions faites en France par ledit maître, le visiteur de France, plusieurs commandeurs et frères de l’ordre, en présence d’une foule de prélats et de l’inquisiteur de l’hérésie, ayant à leur tête l’autorité apostolique, attestations consignées et rédigées en écriture publique, montrées à nous et à nos frères, et que cependant le bruit et les clameurs soulevés par cet ordre ne faisaient qu’augmenter et montraient assez, tant en ce qui regarde l’ordre que les personnes qui le composent, qu’on ne pouvait point passer outre sans un grand scandale, ni user de tolérance sans un danger imminent pour la foi, nous, marchant sur les traces de Celui dont, quoique indigne, nous tenons la place ici-bas, nous avons jugé qu’il fallait instituer une enquête sur ces choses. Nous avons donc cité devant nous plusieurs commandeurs, prêtres, soldats et autres frères de cet ordre d’une haute réputation (et leur ayant fait prêter serment, nous les avons adjurés avec beaucoup d’affection, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, en les menaçant du jugement de Dieu et de la malédiction éternelle, en vertu de la sainte obéissance, puisqu’ils se trouvaient en lieu sûr et propice où ils n’avaient rien à craindre), nonobstant les confessions qu’ils avaient faites devant d’autres et qui ne devaient leur causer aucun préjudice s’ils s’avouaient devant nous, de nous dire sur ces choses la vérité pure et simple : nous les avons interrogés là-dessus, nous en avons examiné qui nous avaient été remises ; ils leur enjoignirent, en vertu de l’autorité apostolique, de leur déclarer librement et sans nulle crainte, purement et simplement, la vérité sur toutes ces choses. Le grand-maître, le visiteur et les commandeurs de Normandie, d’Aquitaine et de Poitou, en présence des trois cardinaux et quatre notaires publics et de plusieurs autres hommes de bien, firent serment, la main sur les saints Évangiles, de dire la pure et entière vérité sur ces griefs ; ils déposèrent et avouèrent entre autres choses, devant chacun d’eux, librement et volontairement, sans violence ni terreur, que lorsqu’ils avaient été reçus dans l’ordre ils avaient renié le Christ et craché sur la croix.
Quelques-uns d’entre eux ont encore confessé d’autres crimes horribles et déshonnêtes que nous tairons présentement. Ils ont dit en outre et avoué que ce qui était contenu dans leurs confessions et dépositions faites en présence de l’inquisiteur était vrai. Ces confessions et dépositions du grand-maître, du visiteur et des commandeurs ont été rédigées en écriture publique par quatre notaires publics, en présence du grand-maître, du visiteur, des commandeurs et de quelques autres personnes de bien, et, après un intervalle de quelques jours, lecture leur en a été donnée par ordre et en présence desdits cardinaux, et on les a expliquées à chacun dans sa propre langue. Persévérant dans leurs déclarations, ils les ont expressément et librement approuvées telles qu’elles venaient d’être lues. Après ces aveux et dépositions, ils furent absous par les cardinaux de l’excommunication qu’ils avaient encourue pour ces faits, et demandèrent à genoux et les mains jointes, humblement et dévotement, et non sans verser des larmes abondantes, l’absolution. Les cardinaux (car l’Église ne ferme pas son sein à qui revient à elle), ayant reçu du grand-maître, du visiteur et des commandeurs l’abjuration de leur hérésie, leur ont expressément accordé, par notre autorité, le bénéfice de l’absolution selon la forme de l’Église ; puis, revenant auprès de nous, ils nous ont présenté les confessions et les dépositions du grand-maître, du visiteur et des commandeurs, rédigées en écriture publique, par des mains publiques, et ils nous ont rapporté tout ce qu’ils avaient fait avec eux. Par ces confessions, par ces dépositions et par cette relation nous avons trouvé que le grand-maître, le visiteur et les commandeurs de Normandie, d’Aquitaine et de Poitou, étaient gravement coupables, les uns sur plusieurs points, les autres sur un petit nombre. Or, considérant que des crimes si horribles ne pouvaient ni ne devaient passer impunis sans une grande offense au Dieu tout-puissant et à tous les catholiques, nous avons résolu, du consentement de nos frères, de faire sur ces crimes et ces excès, par les ordinaires des lieux, par d’autres personnes zélées et prudentes déléguées par nous, une enquête contre chaque personne de cet ordre et contre l’ordre lui-même, par certaines personnes de choix à qui nous avons cru devoir confier ce mandat. Après cela, dans toutes les parties du monde où les frères de cet ordre avaient coutume d’habiter, des enquêtes ont été faites contre chaque individu de l’ordre, tant par les ordinaires que par les hommes délégués par nous, puis contre l’ordre lui-même, par les inquisiteurs que nous avons cru devoir charger de cette mission. Ces enquêtes ont été renvoyées à notre examen ; les unes ont été lues avec beaucoup de soin et examinées attentivement par nous et par nos frères les cardinaux de la sainte Église romaine ; les autres, par une multitude d’hommes très-lettrés, prudents, fidèles, craignant Dieu, zélateurs de la foi catholique et exercés, tant prélats que d’autres. Ensuite nous sommes allé à Vienne, où se trouvaient déjà réunis pour le concile convoqué par nous plusieurs patriarches, archevêques, évêques élus, abbés exempts et non exempts et autres prélats des Églises, outre les procureurs des prélats et des chapitres absents. Dans une première session tenue avec lesdits cardinaux, prélats et procureurs, nous avons cru devoir leur exposer les causes de la convocation du concile.
Et comme il était difficile ou plutôt impossible que tous les cardinaux, prélats et procureurs rassemblés dans ce concile s’entendissent en notre présence sur la manière de procéder touchant l’affaire desdits frères, on a, sur notre ordre, choisi et nommé d’un commun accord, entre tous les prélats et procureurs présents au concile, quelques patriarches, archevêques, évêques, abbés exempts et non exempts, ainsi que d’autres prélats des Églises et procureurs de toutes les parties de la chrétienté, de toute langue, nation et pays, qu’on croyait les plus habiles, les plus sages et les plus capables, pour traiter avec nous et avec lesdits cardinaux cette affaire solennelle. Ensuite, dans le local choisi pour le concile, c’est-à-dire à la cathédrale, nous avons fait lire publiquement ces attestations sur l’enquête de l’ordre devant les prélats et les procureurs, et cela pendant plusieurs jours et autant qu’ils l’ont voulu ; et dans la suite les attestations et les rubriques faites à leur sujet ont été vues, lues et examinées avec la plus grande diligence et sollicitude, non superficiellement, mais avec une mûre attention, par plusieurs de nos vénérables frères, par le patriarche d’Aquilée, les archevêques et évêques présents au sacré concile, élus et députés ad hoc et choisis par le concile. Ces cardinaux, patriarches, archevêques et évêques, abbés exempts et non exempts, et autres prélats et procureurs ayant donc été nommés par les autres pour cette affaire et s’étant présentés devant nous, nous les consultâmes secrètement sur la manière de procéder dans cette cause, attendu que quelques Templiers s’offraient à prendre la défense de l’ordre. La majeure partie des cardinaux, et presque tout le concile, d’abord ceux qui avaient été choisis par le concile entier pour le représenter, puis une partie beaucoup plus grande, les quatre ou les cinq parties des hommes de tout pays qui assistaient au concile furent d’avis, ainsi que lesdits prélats et procureurs, qu’il fallait laisser l’ordre se défendre, et que, sur le chef des hérésies, objet de l’enquête, on ne pouvait, d’après ce qui était prouvé jusquelà, le condamner sans offenser Dieu et violer la justice. D’autres disaient, au contraire, qu’il ne fallait pas les admettre à défendre l’ordre, que nous ne devions point lui donner de défenseur, que si l’on tolérait qu’il se défendît, comme le voulaient les premiers, l’affaire courrait des dangers, la Terre sainte souffrirait notablement, et il s’ensuivrait des altercations, des retards et un ajournement de la décision de cette affaire. Ils ajoutaient encore plusieurs autres raisons.
Sans doute, les précédentes procédures dirigées contre cet ordre ne permettent pas de le condamner canoniquement comme hérétique par une sentence définitive ; cependant, comme les hérésies qu’on lui impute l’ont singulièrement diffamé, comme un nombre presque infini de ses membres, entre autres le grandmaître, le visiteur de France et les principaux commandeurs, ont été convaincus desdites hérésies, erreurs et crimes, par leurs aveux spontanés ; comme ces confessions rendent l’ordre très-suspect, comme cette infamie et ce soupçon le rendent tout-à-fait abominable et odieux à la sainte Église du Seigneur, aux prélats, aux souverains, aux princes et aux catholiques ; comme, de plus, on croit vraisemblablement qu’on ne trouverait pas un homme de bien qui voulût désormais entrer dans cet ordre, toutes choses qui le rendent inutile à l’Église de Dieu et à la poursuite des affaires de Terre sainte, dont le service lui avait été confié ; comme ensuite, nous et nos frères, avions fixé le présent concile comme le terme définitif où la décision devait être prise et la sentence promulguée, et que le renvoi de la décision ou du règlement de cette affaire amènerait, comme on le croit probablement, la perte totale, la ruine et la dilapidation des biens du Temple, donnés, légués et concédés par les fidèles pour secourir la Terre sainte et combattre les ennemis de la foi chrétienne : entre ceux qui disent qu’il faut, pour les crimes susdits, promulguer la sentence de condamnation contre cet ordre, et ceux qui disent que les procédures qui ont eu lieu ne permettent pas, après une longue et mûre délibération, de le condamner avec justice, nous, n’ayant que Dieu en vue et prenant en considération les biens des affaires de Terre sainte, sans incliner ni à droite ni à gauche, nous avons pensé qu’il fallait prendre la voie de provision et d’ordonnance pour supprimer les scandales, éviter les dangers et conserver les biens destinés au secours de la Terre sainte. Considérant donc l’infamie, le soupçon, les insinuations bruyantes et autres choses susdites qui s’élèvent contre cet ordre ; considérant la réception occulte et clandestine des frères de cet ordre ; considérant que lesdits frères se sont éloignés des habitudes communes de la vie et des mœurs des autres fidèles, en ceci surtout que, lorsqu’ils recevaient des frères dans leur ordre, ceux-ci étaient obligés, dans l’acte même de leur réception, de promettre et de jurer qu’ils ne révéleraient à personne le mode de leur réception et qu’ils seraient fidèles à ce vœu, ce qui est contre eux une présomption évidente ; considérant, en outre, le grave scandale que tout cela a soulevé contre l’ordre, scandale qui ne semble pas pouvoir s’apaiser tant que l’ordre subsistera ; considérant aussi le péril de la foi et des âmes, tant de faits horribles perpétrés par un très-grand nombre de frères, et plusieurs autres raisons et causes justes qui ont dû raisonnablement nous porter à prendre les mesures subséquentes ; attendu que la majeure partie desdits cardinaux et prélats élus par tout le concile, c’est-à-dire les quatre ou cinq parties ont trouvé plus convenable, plus expédient et plus utile à l’honneur du Très-Haut, à la conservation de la foi chrétienne et aux besoins de la Terre sainte, sans parler de plusieurs autres raisons valables, de suivre la voie de provision et d’ordonnance du Siège apostolique, en supprimant ledit ordre et en appliquant ses biens à l’usage auquel ils avaient été destinés, et quant aux membres de l’ordre encore vivants, de prendre de sages mesures que de leur accorder le droit de défense et de proroger l’affaire ; considérant encore qu’en d’autres circonstances, sans qu’il y ait eu de la faute des frères, l’Église romaine a supprimé quelquefois d’autres ordres importants pour des causes incomparablement moindres que celles-ci, nous supprimons par une sanction irréfragable et valable à perpétuité, non sans amertume et sans douleur dans le cœur, l’ordre des Templiers, son état, son costume et son nom, non par une sentence définitive, mais par manière de provision ou d’ordonnance apostolique, et nous le soumettons à une interdiction perpétuelle, avec l’approbation du concile, défendant expressément à qui que ce soit d’entrer désormais dans cet ordre, de recevoir ou de porter son costume et de se faire passer pour Templier. Quiconque y contreviendra encourra la sentence d’excommunication ipso facto.
Nous réservons à la disposition et à l’ordonnance de notre Siège apostolique les personnes et les biens de l’ordre, et, avec la grâce d’en haut, nous entendons en user pour la gloire de Dieu, l’exaltation de la foi chrétienne et la prospérité de la Terre sainte avant la fin du présent concile. Nous défendons expressément à qui que ce soit, quelle que soit sa condition ou son état, de se mêler des personnes ou des biens de cet ordre, de rien faire, innover, attenter sur ces choses au préjudice de l’ordonnance ou de la disposition que nous allons prendre, déclarant dés à présent nul et invalide tout ce qui pourrait être attenté par qui que ce soit, sciemment ou par ignorance. Cependant nous n’entendons point par-là déroger aux procédures qui ont été faites ou qui pourront être faites sur chaque personne des Templiers, par les évêques diocésains et par les conciles provinciaux, comme nous l’avons établi ailleurs. C’est pourquoi nous défendons à qui que ce soit d’enfreindre cette page de notre ordonnance, provision, constitution et défense, et d’y contrevenir par une téméraire audace. Si quelqu’un osait le faire, qu’il sache qu’il encourra l’indignation du Dieu tout-puissant et de ses apôtres les bienheureux Pierre et Paul.
Clément V
Donné à Vienne, le onze des calendes d’avril, de notre pontificat la septième année.