Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

18 janvier 1901

Lettre encyclique Graves de communi re

Sur la question de la doctrine sociale de l'Église

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 18 jan­vier 1901

À tous Nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques du monde catho­lique, en grâce et com­mu­nion avec le Siège Apostolique.

LÉON XIII, PAPE

Vénérables Frères Salut et Bénédiction Apostolique.

Les graves dis­cus­sions tou­chant les ques­tions éco­no­miques géné­rales qui, depuis long­temps, en plus d’une nation, troublent la concorde des esprits, se mul­ti­plient de jour en jour et prennent un carac­tère si pas­sion­né, qu’elles rendent jus­te­ment hési­tants et inquiets les hommes les plus pru­dents dans leurs juge­ments. D’abord sou­le­vées par des opi­nions erro­nées, mais très répan­dues, d’ordre phi­lo­so­phique et d’ordre pra­tique, elles ont dans la suite emprun­té un nou­veau degré d’acuité aux nou­veaux moyens four­nis par l’industrie à notre époque, à la rapi­di­té des com­mu­ni­ca­tions et aux com­bi­nai­sons qui ont per­mis de dimi­nuer le tra­vail et d’augmenter le gain.

Enfin, les pas­sions d’hommes tur­bu­lents ayant jeté la dis­corde entre les riches et les pro­lé­taires, les choses en sont venues au point que les États, agi­tés par des troubles plus fré­quents, paraissent encore expo­sés à de grandes calamités.

Le pape et la question sociale

Pour Nous, dès le début de Notre pon­ti­fi­cat, Nous avons bien com­pris quels dan­gers mena­çaient de ce côté la socié­té civile, et Nous avons cru de Notre devoir d’avertir publi­que­ment les catho­liques des erreurs pro­fondes cachées dans les doc­trines du socia­lisme et des dan­gers qu’elles fai­saient cou­rir, non seule­ment aux biens exté­rieurs, mais aus­si à la pro­bi­té des mœurs et à la reli­gion. C’est le but que visait Notre Lettre Encyclique Quod Apostolici mune­ris, que Nous avons publiée le 28 décembre 1878.

Mais ces dan­gers deve­nant de jour en jour plus mena­çants, au pré­ju­dice crois­sant des inté­rêts pri­vés et publics, Nous Nous sommes effor­cé une seconde fois d’y pour­voir avec plus de zèle. Dans Notre Encyclique Rerum nova­rum, en date du 15 mai 1891, Nous avons trai­té lon­gue­ment des droits et des devoirs grâce aux­quels les deux classes de citoyens, celle qui apporte le capi­tal et celle qui apporte le tra­vail, doivent s’accorder entre elles.

Nous avons mon­tré en même temps, d’après les pré­ceptes de l’Évangile, les remèdes qui nous ont paru les plus utiles à défendre la cause de la jus­tice et de la reli­gion, et à écar­ter tout conflit entre les classes de la société.

Grâce à Dieu, Notre confiance n’a pas été vaine. En effet, pous­sés par la force de la véri­té, ceux-​là mêmes que leurs idées séparent des catho­liques ont ren­du à l’Église cet hom­mage qu’elle étend sa sol­li­ci­tude à toutes les classes de l’échelle sociale, et sur­tout à celles qui se trouvent dans une condi­tion malheureuse.

Assez abon­dants ont été les fruits que les catho­liques ont reti­rés de Nos ensei­gne­ments. Ils n’y ont pas seule­ment pui­sé des encou­ra­ge­ments et des forces pour conti­nuer les bonnes œuvres déjà entre­prises, mais ils leur ont encore emprun­té la lumière qu’ils dési­raient, et grâce à laquelle ils ont pu s’appliquer, avec plus d’assurance et de suc­cès, à l’étude des ques­tions de ce genre. Aussi est-​il arri­vé que les dis­sen­ti­ments qui exis­taient entre eux ont en par­tie dis­pa­ru ou qu’il s’est pro­duit une sorte de trêve et d’apaisement. Sur le ter­rain de l’action, le résul­tat a été que, pour prendre plus à cœur les inté­rêts des pro­lé­taires, sur­tout là où ils étaient par­ti­cu­liè­re­ment lésés, nombre de nou­velles ini­tia­tives se sont pro­duites ou d’utiles amé­lio­ra­tions se sont pour­sui­vies, grâce à un esprit de suite constant. Signalons ces secours offerts aux igno­rants sous le nom de secré­ta­riats du peuple, les caisses rurales de cré­dit, les mutua­li­tés d’assistance ou de secours en cas de mal­heur, les asso­cia­tions d’ouvriers, et d’autres socié­tés ou œuvres de bien­fai­sance du même genre.

Point de départ de l’action

De la sorte, sous les aus­pices de l’Église, il s’est éta­bli entre les catho­liques une com­mu­nau­té d’action et une série d’œuvres des­ti­nées à venir en aide au peuple, expo­sé aux pièges et aux périls non moins sou­vent qu’à l’indigence et aux labeurs.

Au com­men­ce­ment, cette sorte de bien­fai­sance popu­laire ne se dis­tin­guait ordi­nai­re­ment par aucune appel­la­tion spé­ciale. Le terme de socia­lisme chré­tien, intro­duit par quelques-​uns, et d’autres expres­sions déri­vées de celle-​là, sont jus­te­ment tom­bées en désué­tude. Il plut ensuite à cer­tains, et à bon droit, de l’appeler action chré­tienne popu­laire. En cer­tains endroits, ceux qui s’occupent de ces ques­tions sont dits chré­tiens sociaux. Ailleurs, la chose elle-​même est appe­lée démo­cra­tie chré­tienne, et ceux qui s’y adonnent sont les démo­crates chré­tiens ; au contraire, le sys­tème défen­du par les socia­listes est dési­gné sous le nom de démo­cra­tie sociale.

Ambiguïté du terme « démocratie chrétienne »

Or, des deux der­nières expres­sions énon­cées ci-​dessus, si la pre­mière, » chré­tiens sociaux « , ne sou­lève guère de récla­ma­tions, la seconde, » démo­cra­tie chré­tienne « , blesse beau­coup d’honnêtes gens, qui lui trouvent un sens équi­voque et dan­ge­reux, ils se défient de cette déno­mi­na­tion pour plus d’un motif. Ils craignent que ce mot ne déguise mal le gou­ver­ne­ment popu­laire ou ne marque en sa faveur une pré­fé­rence sur les autres formes de gou­ver­ne­ment. Ils craignent que la ver­tu de la reli­gion chré­tienne ne semble comme res­treinte aux inté­rêts du peuple, les autres classes de la socié­té étant, en quelque sorte, lais­sées de côté. Ils craignent enfin que, sous ce nom trom­peur, ne se cache quelque des­sein de décrier toute espèce de pou­voir légi­time, soit civil, soit sacré.

Comme à ce pro­pos il y a cou­ram­ment des dis­cus­sions déjà trop pro­lon­gées et par­fois trop vives, la conscience de Notre charge nous aver­tit de poser des bornes à cette contro­verse en défi­nis­sant quelles doivent être les idées des catho­liques en cette matière. De plus, Nous avons l’intention de leur tra­cer quelques règles qui rendent leur action plus éten­due et beau­coup plus pro­fi­table à la société.

La démocratie chrétienne

Que pré­tend la démo­cra­tie sociale, et quel doit être le but de la démo­cra­tie chré­tienne ? Il ne peut y avoir de doute sur ce point. L’une, en effet – qu’on se laisse aller à la pro­fes­ser avec plus ou moins d’excès – est pous­sée par un grand nombre de ses adeptes à un tel point de per­ver­si­té, qu’elle ne voit rien de supé­rieur aux choses de la terre, qu’elle recherche les biens cor­po­rels et exté­rieurs, et qu’elle place le bon­heur de l’homme dans la pour­suite et la jouis­sance de ces biens.

C’est pour cela qu’ils vou­draient que, dans l’État, le pou­voir appar­tînt au peuple. Ainsi, les classes sociales dis­pa­rais­sant et les citoyens étant tous réduits au même niveau d’égalité, ce serait l’acheminement vers l’égalité des biens ; le droit de pro­prié­té serait abo­li, et toutes les for­tunes qui appar­tiennent aux par­ti­cu­liers, les ins­tru­ments de pro­duc­tion eux-​mêmes, seraient regar­dés comme des biens communs.

Au contraire, la démo­cra­tie chré­tienne, par le fait seul qu’elle se dit chré­tienne, doit s’appuyer sur les prin­cipes de la foi divine comme sur sa propre base. Elle doit pour­voir aux inté­rêts des petits, sans ces­ser de conduire à la per­fec­tion qui leur convient les âmes créées pour les biens éter­nels. Pour elle, il ne doit y avoir rien de plus sacré que la jus­tice ; il lui faut gar­der à l’abri de toute atteinte le droit de pro­prié­té et de pos­ses­sion, main­te­nir la dis­tinc­tion des classes qui, sans contre­dit, est le propre d’un État bien consti­tué ; enfin, il faut qu’elle accepte de don­ner à la com­mu­nau­té humaine une forme et un carac­tère en har­mo­nie avec ceux qu’a éta­blis le Dieu créateur.

Il est donc évident que la démo­cra­tie sociale et la démo­cra­tie chré­tienne n’ont rien de com­mun ; il y a entre elles toute la dif­fé­rence qui sépare le sys­tème socia­liste de la pro­fes­sion de la foi chrétienne.

Sens politique à écarter

Mais il serait condam­nable de détour­ner à un sens poli­tique le terme de démo­cra­tie chré­tienne. Sans doute, la démo­cra­tie, d’après l’étymologie même du mot et l’usage qu’en ont fait les phi­lo­sophes, indique le régime popu­laire ; mais, dans les cir­cons­tances actuelles, il ne faut l’employer qu’en lui ôtant tout sens poli­tique, et en ne lui atta­chant aucune autre signi­fi­ca­tion que celle d’une bien­fai­sante action chré­tienne par­mi le peuple. En effet, les pré­ceptes de la nature et de l’Évangile étant, par leur auto­ri­té propre, au-​dessus des vicis­si­tudes humaines, il est néces­saire qu’ils ne dépendent d’aucune forme de gou­ver­ne­ment civil ; ils peuvent pour­tant s’accommoder de n’importe laquelle de ces formes, pour­vu qu’elle ne répugne ni à l’honnêteté ni à la justice.

Ils sont donc et ils demeurent plei­ne­ment étran­gers aux pas­sions des par­tis et aux divers évé­ne­ments, de sorte que, quelle que soit la consti­tu­tion d’un État, les citoyens peuvent et doivent obser­ver ces mêmes pré­ceptes qui leur com­mandent d’aimer Dieu par-​dessus toutes choses et leur pro­chain comme eux-​mêmes. Telle fut la per­pé­tuelle dis­ci­pline de l’Église ; c’est celle qu’appliquèrent tou­jours les Pontifes romains vis-​à-​vis des États, quelle que fût pour ceux-​ci la forme de gouvernement.

Ceci étant posé, les inten­tions et l’action des catho­liques qui tra­vaillent au bien des pro­lé­taires ne peuvent, à coup sûr, jamais tendre à pré­fé­rer un régime civil à un autre ni à lui ser­vir comme de moyen de s’introduire.

L’union des classes sociales

De la même façon, il faut mettre la démo­cra­tie chré­tienne à cou­vert d’un autre grief : à savoir qu’elle consacre ses soins aux inté­rêts des classes infé­rieures, mais en parais­sant lais­ser de côté les classes supé­rieures, dont l’utilité n’est pour­tant pas moindre pour la conser­va­tion et l’amélioration de l’État. Cet écueil est évi­té grâce à la loi chré­tienne de cha­ri­té dont Nous avons par­lé plus haut. Celle-​ci ouvre ses bras pour accueillir tous les hommes, quelle que soit leur condi­tion, comme étant les enfants d’une seule et même famille, créés par le même Père très bon, rache­tés par le même Sauveur et appe­lés au même héri­tage éternel.

Certes, c’est bien la doc­trine et l’exhortation de l’Apôtre : « Soyez un seul corps et un seul esprit, comme vous avez été appe­lés à une seule espé­rance dans votre voca­tion. Il y a un seul Seigneur, une seule foi et un seul bap­tême, un seul Dieu et Père, qui est au-​dessus de tous, et au milieu de toutes choses et en nous tous.« [1] Aussi, à cause de l’union natu­relle du peuple avec les autres classes de la socié­té, union dont la fra­ter­ni­té chré­tienne rend les liens encore plus étroits, ces classes elles-​mêmes res­sentent l’influence de tous les soins empres­sés appor­tés au sou­la­ge­ment du peuple, d’autant plus que, pour obte­nir un bon résul­tat, il est conve­nable et néces­saire qu’elles soient appe­lées à prendre leur part d’action comme Nous l’expliquerons plus loin.

L’obéissance au pouvoir

Loin de nous aus­si la pen­sée de cacher sous le terme de démo­cra­tie chré­tienne l’intention de reje­ter toute obéis­sance et de dédai­gner les supé­rieurs légi­times. Respecter ceux qui, à un degré quel­conque, ont l’autorité dans l’État, et leur obéir, quand ils com­mandent des choses justes, la loi natu­relle et la loi chré­tienne nous en font une égale obli­ga­tion. Mais pour que cette sou­mis­sion soit tout à la fois digne d’un homme et digne d’un chré­tien, il faut la témoi­gner du fond du cœur, par devoir, » par conscience « , comme nous en a aver­tis l’Apôtre, lorsqu’il a for­mu­lé ce pré­cepte : « Que toute âme soit sou­mise aux puis­sances supé­rieures. » [2]

L’obéissance aux évêques

Il est aus­si incom­pa­tible avec la pro­fes­sion de vie chré­tienne de ne vou­loir ni se sou­mettre, ni obéir à ceux que leur rang met à la tête de l’Église en leur don­nant l’autorité, et tout d’abord aux évêques qui, sans aucune dimi­nu­tion du pou­voir uni­ver­sel du Pontife romain, « ont été éta­blis par l’Esprit Saint pour gou­ver­ner l’Église de Dieu, qu’il a acquise par son sang. » [3] Penser ou agir autre­ment, ce serait prou­ver qu’on a oublié le pré­cepte très impor­tant du même Apôtre : « Obéissez à vos supé­rieurs et soyez-​leur sou­mis, car ce sont eux qui veillent comme devant rendre compte de vos âmes. » [4]

Ces paroles, il est de la plus grande impor­tance que tous les fidèles les gravent au fond de leur cœur et s’appliquent à les mettre en pra­tique dans toutes les cir­cons­tances de leur vie. Que les ministres sacrés les méditent très atten­ti­ve­ment et ne cessent pas d’en per­sua­der les autres, non seule­ment par leurs exhor­ta­tions, mais sur­tout par leurs exemples.

Le vrai but de l’action sociale

Après avoir rap­pe­lé ces prin­cipes que Nous avons déjà, à l’occasion, mis en lumière d’une façon spé­ciale, Nous espé­rons voir dis­pa­raître tous les dis­sen­ti­ments rela­tifs au terme de démo­cra­tie chré­tienne et s’évanouir tous les soup­çons de dan­ger, quant à la chose elle-​même expri­mée par ce mot.

Et Notre espoir est bien légi­time. Car, réserve faite des opi­nions de cer­tains hommes sur la puis­sance et la por­tée d’une telle démo­cra­tie chré­tienne, opi­nions qui ne sont pas exemptes de quelques excès ou de quelque erreur, il ne se trou­ve­ra per­sonne pour blâ­mer un zèle qui, selon la loi natu­relle et la loi divine, n’a d’autre objet que d’amener à une situa­tion plus tolé­rable ceux qui vivent du tra­vail de leurs mains, de les mettre à même petit à petit d’assurer leur ave­nir, de pou­voir libre­ment, au foyer comme en public, pra­ti­quer la ver­tu et rem­plir leurs devoirs reli­gieux, de sen­tir qu’ils sont des hommes et non des ani­maux, des chré­tiens et non des païens, de se por­ter enfin avec plus de faci­li­té et d’ardeur vers ce bien unique et néces­saire, vers ce bien suprême pour lequel nous sommes nés. Voilà le but, voi­là la tâche de ceux qui vou­draient voir le peuple rele­vé à temps par l’esprit chré­tien et pré­ser­vé du fléau du socialisme.

Economie et morale

Nous venons, en pas­sant, de rap­pe­ler la pra­tique des ver­tus et des devoirs reli­gieux, et ce n’est pas sans inten­tion. Certains hommes, en effet, pro­fessent l’opinion, et elle se répand par­mi le peuple, que la ques­tion sociale, comme on dit, n’est qu’une ques­tion éco­no­mique. Il est très vrai, au contraire, qu’elle est avant tout une ques­tion morale et reli­gieuse, et que, pour ce même motif, il faut sur­tout la résoudre d’après les règles de la morale et le juge­ment de la reli­gion. Admettons, en effet, que le salaire des ouvriers soit dou­blé, que la durée du tra­vail soit réduite ; admet­tons même que les den­rées soient à bas prix. Eh bien, si l’ouvrier, selon l’usage, prête l’oreille à des doc­trines et s’inspire d’exemples qui le poussent à s’affranchir du res­pect envers Dieu et à se livrer à la dépra­va­tion des mœurs, il est inévi­table qu’il voie ses res­sources et le fruit même de ses tra­vaux se dissiper.

L’expérience et la pra­tique montrent que, mal­gré la durée assez courte de leur tra­vail et le prix assez éle­vé de leur salaire, la plu­part des ouvriers de mœurs cor­rom­pues et sans prin­cipes reli­gieux mènent une vie gênée et misérable.

Enlevez aux âmes les sen­ti­ments que sème et cultive la sagesse chré­tienne ; enlevez-​leur la pré­voyance, la tem­pé­rance, la patience et les autres bonnes habi­tudes natu­relles, vains seront vos plus labo­rieux efforts pour atteindre la pros­pé­ri­té. Tel est pré­ci­sé­ment le motif pour lequel Nous n’avons jamais enga­gé les catho­liques à entrer dans des asso­cia­tions des­ti­nées à amé­lio­rer le sort du peuple ni à entre­prendre des œuvres ana­logues, sans les aver­tir en même temps que ces ins­ti­tu­tions devaient avoir la reli­gion pour ins­pi­ra­trice, pour com­pagne et pour appui.

La loi de charité

L’intérêt qui attire les catho­liques vers les pro­lé­taires paraît d’autant plus digne d’éloges, qu’il trouve, pour s’exercer, le même ter­rain où l’on vit sans inter­rup­tion et avec suc­cès, sous l’inspiration bien­veillante de l’Église, s’engager les luttes d’une cha­ri­té active, ingé­nieuse et appro­priée aux époques.

Cette loi de cha­ri­té mutuelle, qui est comme le cou­ron­ne­ment de la loi de jus­tice, ne nous ordonne pas seule­ment d’accorder à cha­cun ce qui lui est dû et de n’entraver l’exercice d’aucun droit ; elle nous com­mande encore de nous rendre de mutuels ser­vices « non de paroles, ni de bouche, mais en action et en véri­té. » [5] Elle veut que nous nous rap­pe­lions les paroles très affec­tueu­se­ment adres­sées par le Christ à ses dis­ciples : « Je vous donne un com­man­de­ment nou­veau, celui de vous aimer les uns les autres ; comme je vous ai aimés, ain­si aimez-​vous les uns les autres. À ceci tous connaî­tront que vous êtes mes dis­ciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » [6]

L’ordre de la charité

Assurément, cet empres­se­ment à ser­vir les autres doit d’abord se pré­oc­cu­per du bien éter­nel des âmes ; cepen­dant, il ne doit en aucune façon négli­ger ce qui est néces­saire ou utile à la vie.

À ce sujet, il convient de rap­pe­ler que, quand les dis­ciples de Jean-​Baptiste deman­dèrent au Christ : « Êtes-​vous celui qui doit venir ou devons-​nous en attendre un autre ? » [7] il invo­qua comme preuve de la mis­sion qui lui était confiée par­mi les hommes ce point capi­tal de la cha­ri­té, fai­sant appel au témoi­gnage d’Isaïe : « Les aveugles voient, les boi­teux marchent, les lépreux sont puri­fiés, les sourds entendent, les morts res­sus­citent, la bonne nou­velle est annon­cée aux pauvres. » [8]

Le même Jésus, par­lant du juge­ment der­nier, des récom­penses et des châ­ti­ments à décer­ner, décla­ra qu’il ferait par­ti­cu­liè­re­ment cas de la cha­ri­té que les hommes se seraient mutuel­le­ment témoi­gnée. Dans ces paroles du Christ, il y a lieu d’admirer com­ment, pas­sant sous silence les œuvres de misé­ri­corde accom­plies pour le sou­la­ge­ment de l’âme, il n’a rap­pe­lé que les devoirs de cha­ri­té exté­rieure, et cela comme s’ils s’adressaient à lui-​même : « J’ai eu faim et vous m’avez don­né à man­ger ; j’ai eu soif et vous m’avez don­né à boire ; j’étais étran­ger et vous m’avez recueilli ; j’étais nu et vous m’avez vêtu ; j’étais malade et vous m’avez visi­té ; j’étais en pri­son et vous êtes venus vers moi. » [9]

À ces ensei­gne­ments, qui mettent en hon­neur deux sortes de cha­ri­té, l’une visant le bien de l’âme, l’autre celui du corps, le Christ, nul ne l’ignore, joi­gnit ses propres exemples d’un incom­pa­rable éclat. C’est ici qu’il est doux de rap­pe­ler cette parole tom­bée de son cœur pater­nel : « Je suis ému de com­pas­sion pour cette foule, » [10] et sa volon­té d’être secou­rable, égale à son pou­voir mani­fes­té à l’occasion par des miracles. L’éloge de sa misé­ri­cor­dieuse com­pas­sion se trouve dans ces mots : « Il pas­sa en fai­sant le bien et en gué­ris­sant tous ceux qui étaient sous l’empire du diable. » [11]

Les œuvres de charité dans l’Eglise

Cette science de la cha­ri­té, que le Christ leur avait trans­mise, les apôtres d’abord la mirent en pra­tique et s’y appli­quèrent avec un zèle reli­gieux. Après eux, ceux qui embras­sèrent la foi chré­tienne prirent l’initiative de créer une foule d’institutions variées pour le sou­la­ge­ment des misères de toute nature qui affligent l’humanité.

Ces ins­ti­tu­tions, per­pé­tuel­le­ment en voie de pro­grès, sont la pro­prié­té, la gloire et l’ornement de la reli­gion chré­tienne et de la civi­li­sa­tion à laquelle elle a don­né nais­sance. Aussi, les hommes d’un juge­ment droit ne peuvent assez les admi­rer, étant don­né sur­tout le pen­chant si pro­non­cé de cha­cun de nous à cher­cher d’abord ses inté­rêts et à mettre au second rang ceux des autres.

L’aumône

Du nombre de ces bien­faits, on ne doit pas retran­cher la dis­tri­bu­tion de petites sommes consa­crées à l’aumône. C’est l’aumône que le Christ a en vue quand il dit : « De ce qui vous reste, faites l’aumône. » [12]

Sans doute, les socia­listes la condamnent et veulent la voir dis­pa­raître comme inju­rieuse à la digni­té humaine. Pourtant, si elle est faite selon les pré­ceptes de l’Évangile et d’une manière chré­tienne [13], elle n’a rien qui puisse ou entre­te­nir l’orgueil de ceux qui donnent ou faire rou­gir ceux qui reçoivent. Loin d’être désho­no­rante pour l’homme, elle favo­rise les rap­ports sociaux, en res­ser­rant les liens que crée l’échange des ser­vices. Il n’est pas d’homme si riche qui n’ait besoin d’un autre ; il n’est pas d’homme si pauvre qui ne puisse en quelque chose être utile à autrui.

Il est natu­rel que les hommes se demandent avec confiance et se prêtent avec bien­veillance un mutuel appui. Ainsi, la jus­tice et la cha­ri­té, étroi­te­ment liées entre elles sous la loi juste et douce du Christ, main­tiennent dans un mer­veilleux équi­libre l’organisme de la socié­té humaine, et, par une sage pré­voyance, amènent cha­cun des membres de cet orga­nisme à concou­rir au bien par­ti­cu­lier et au bien commun.

Les « institutions » charitables

Mais une des gloires de la cha­ri­té, c’est non seule­ment de sou­la­ger les misères du peuple par des secours pas­sa­gers, mais sur­tout par un ensemble d’institutions per­ma­nentes. De cette façon, en effet, les néces­si­teux y trou­ve­ront une garan­tie plus sûre et plus effi­cace. Aussi est-​il digne de tous éloges le des­sein de for­mer à l’économie et à la pré­voyance les arti­sans ou les ouvriers et d’obtenir qu’avec le temps ils assurent eux-​mêmes, au moins en par­tie, leur avenir.

Un tel but n’ennoblit pas seule­ment le rôle des riches envers les pro­lé­taires, il enno­blit les pro­lé­taires eux-​mêmes, car, en exci­tant ces der­niers à se pré­pa­rer un sort plus heu­reux, il les détourne d’une foule de dan­gers, les met à l’abri des mau­vaises pas­sions et leur faci­lite la pra­tique de la ver­tu. Puisqu’une influence ain­si exer­cée pré­sente tant d’avantages et convient si par­fai­te­ment à notre époque, n’y a‑t-​il pas là de quoi ten­ter le zèle cha­ri­table et avi­sé des gens de bien ?

Qu’il soit donc éta­bli que cet empres­se­ment des catho­liques à sou­la­ger et à rele­ver le peuple est plei­ne­ment conforme à l’esprit de l’Église et qu’il répond à mer­veille aux exemples qu’elle n’a ces­sé de don­ner à toutes les époques. Quant aux moyens qui contri­buent à ce résul­tat, peu importe qu’on les désigne sous le nom d’action chré­tienne popu­laire ou sous celui de démo­cra­tie chré­tienne, pour­vu que les ensei­gne­ments éma­nés de Nous soient obser­vés inté­gra­le­ment avec la défé­rence qui leur est due. Mais ce qui importe par-​dessus tout, c’est que, dans une affaire si capi­tale, il y ait chez les catho­liques uni­té d’esprit, uni­té de volon­té, uni­té d’action.

Le rôle des élites

Il n’est pas non plus de moindre impor­tance que cette action gran­disse et se déve­loppe grâce au nombre crois­sant des hommes qui s’y dévoue­ront et des res­sources abon­dantes dont elle pour­ra disposer.

On doit sur­tout faire appel au bien­veillant concours de ceux à qui leur situa­tion, leur for­tune, leur culture d’esprit ou leur culture morale assurent dans la socié­té plus d’influence. À défaut de ce concours, à peine est-​il pos­sible de faire quelque chose de vrai­ment effi­cace pour amé­lio­rer, comme on le vou­drait, la vie du peuple.

Le moyen le plus sûr et le plus rapide d’y arri­ver est que les citoyens le plus haut pla­cés mettent en com­mun les éner­gies d’un zèle qui sait se mul­ti­plier. Nous vou­drions les voir réflé­chir qu’il ne leur est pas loi­sible de se pré­oc­cu­per ou de se dés­in­té­res­ser à leur gré du sort des petits, mais qu’un devoir rigou­reux les oblige à s’en occuper.

Car, dans la socié­té, cha­cun ne vit pas seule­ment pour ses propres inté­rêts, mais pour les inté­rêts com­muns. Si donc quelques-​uns sont impuis­sants à aug­men­ter pour leur part la somme du bien com­mun, ceux qui en ont les moyens doivent y contri­buer plus largement.

Quelle est l’étendue de ce devoir ? Il se mesure à la gran­deur des biens que l’on a reçus, et c’est en rai­son de l’étendue de ces biens que Dieu, le sou­ve­rain bien­fai­teur de qui on les tient, a le droit d’en deman­der un compte plus rigou­reux. Ce devoir nous est aus­si rap­pe­lé par les fléaux qui, à défaut du remède oppor­tun qui les eût conju­rés, déchaînent par­fois leurs rigueurs sur toutes les classes de la socié­té. Par consé­quent, négli­ger les inté­rêts de la classe souf­frante, c’est faire preuve d’imprévoyance pour soi-​même et pour la société.

Si cette action sociale, d’un carac­tère chré­tien, se déve­loppe et s’affermit sans alté­ra­tion, qu’on se garde bien de croire que les autres ins­ti­tu­tions, dont l’existence et la pros­pé­ri­té sont dues à la pié­té et à la pré­voyance de nos aïeux, vont végé­ter ou périr, absor­bées en quelque sorte par de nou­velles ins­ti­tu­tions. Anciennes et nou­velles, nées d’une même ins­pi­ra­tion reli­gieuse et cha­ri­table, elles n’ont rien qui les oppose les unes aux autres ; elles peuvent donc faci­le­ment vivre côte à côte, et allier si heu­reu­se­ment leur action que, par une ému­la­tion de ser­vices, elles apportent aux besoins du peuple un appoint très oppor­tun et opposent une digue aux dan­gers tou­jours plus alar­mants qui le menacent.

L’heure de l’action

Oui, la situa­tion le réclame, et le réclame impé­rieu­se­ment ; il nous faut des cœurs auda­cieux et des forces com­pactes. Certes, elle est assez éten­due, la pers­pec­tive des misères qui sont devant nos yeux ; elles sont assez redou­tables, les menaces de per­tur­ba­tions funestes que tient sus­pen­dues sur nos têtes la force tou­jours crois­sante des socialistes.

Ceux-​ci se glissent habi­le­ment au sein de la socié­té. Dans les ténèbres de leurs conven­ti­cules secrets comme en plein jour, par la parole et par la plume, ils poussent la mul­ti­tude à la révolte. Affranchis des ensei­gne­ments de l’Église, ils ne s’inquiètent pas des devoirs, n’exaltent que les droits. Ils font appel à des foules chaque jour gros­sis­santes de mal­heu­reux, que les dif­fi­cul­tés de l’existence rendent plus acces­sibles à leurs men­songes et plus ardentes à embras­ser leurs erreurs.

L’avenir de la socié­té et de la reli­gion est en jeu. Sauvegarder l’honneur de l’une et de l’autre, c’est le devoir sacré de tous les gens de bien.

Conditions de l’union

Pour que cet accord des volon­tés se main­tienne comme il est dési­rable, il faut aus­si s’abstenir de tous les sujets de dis­sen­sions qui blessent et divisent les esprits. Par consé­quent, dans les publi­ca­tions pério­diques, comme dans les réunions popu­laires, qu’on se taise sur cer­taines ques­tions trop sub­tiles et presque sans uti­li­té. Ces ques­tions, dif­fi­ciles à démê­ler, demandent encore, pour être com­prises, une cer­taine por­tée d’intelligence et une appli­ca­tion peu commune.

Sans doute, elle est dans la nature de l’homme cette varié­té d’opinions qui rend les esprits hési­tants sur tant de points, et cette diver­si­té de juge­ments que portent les divers esprits. Cependant, quand on dis­cute des ques­tions encore incer­taines, il sied bien à ceux qui cherchent loya­le­ment la véri­té de gar­der l’égalité d’âme, la modes­tie et les égards mutuels ; autre­ment, les diver­gences d’opinions ris­que­raient d’entraîner les diver­gences de volontés.

Quelle que soit d’ailleurs l’opinion que l’on embrasse dans les ques­tions où le doute est pos­sible, que l’on soit tou­jours dans la dis­po­si­tion d’être très reli­gieu­se­ment atten­tif aux ensei­gne­ments du Siège apostolique.

Unité de direction de l’Action catholique

Cette action des catho­liques, quelle qu’elle soit, s’exercera avec une effi­ca­ci­té plus grande, si toutes leurs asso­cia­tions, réserve faite des droits et règle­ments de cha­cune d’elles, agissent sous une seule et unique direc­tion qui leur com­mu­ni­que­ra l’impulsion pre­mière et le mouvement.

Ce rôle, Nous vou­lons qu’il soit rem­pli en Italie par cet Institut des Congrès et Assemblées catho­liques maintes fois loué par Nous, œuvre à laquelle Notre pré­dé­ces­seur et Nous-​même avons confié le soin d’organiser l’action com­mune des catho­liques sous les aus­pices et la direc­tion des évêques.

Qu’il en soit de même chez les autres nations, s’il s’y trouve quelque assem­blée prin­ci­pale de ce genre à qui ce man­dat ait été légi­ti­me­ment confié.

Clergé et action sociale

Dans tout cet ordre de choses, si inti­me­ment lié aux inté­rêts de l’Église et du peuple chré­tien, quels ne doivent pas être, on le com­prend, les efforts de ceux qui sont voués aux fonc­tions sacrées, et quelles res­sources variées de doc­trine, de pru­dence et de cha­ri­té ne doivent-​ils pas mettre en œuvre pour y réus­sir ! Qu’il soit oppor­tun d’aller au peuple et de se mêler à lui pour lui faire du bien, en tenant compte des temps et des cir­cons­tances, c’est ce qu’il Nous a paru bon d’affirmer à diverses reprises dans Nos entre­tiens avec des membres du cler­gé. Plus sou­vent encore, dans des lettres adres­sées au cours de ces der­nières années à des évêques et à d’autres per­sonnes de l’ordre ecclé­sias­tique [14], Nous avons loué cette sol­li­ci­tude affec­tueuse pour le peuple, et Nous avons dit qu’elle appar­te­nait tout par­ti­cu­liè­re­ment au cler­gé des deux ordres, sécu­lier et régulier.

Pourtant, à l’exemple des saints, que les prêtres apportent à l’accomplissement de cette tâche beau­coup de pré­cau­tions et de pru­dence. François, ce grand pauvre, cet humble entre tous, Vincent de Paul, ce père des mal­heu­reux, et bien d’autres, dont le sou­ve­nir est vivant dans toute l’Église, savaient conci­lier leurs soins inces­sants pour le peuple avec l’habitude de ne jamais se lais­ser absor­ber plus que de rai­son par les choses du dehors et de ne pas s’oublier eux-​mêmes ; ils tra­vaillaient avec une égale ardeur à orner leur âme de toutes les ver­tus qui mènent à la perfection.

Il est un point sur lequel Nous vou­lons insis­ter davan­tage et qui per­met­tra, non seule­ment aux ministres du culte, mais à tous les hommes dévoués à la classe popu­laire, de lui rendre, et sans beau­coup de peine, de pré­cieux ser­vices. Qu’ils s’appliquent donc, ani­més d’un même zèle et en temps oppor­tun, à faire péné­trer dans l’âme du peuple, en des entre­tiens tout fra­ter­nels, les prin­ci­pales maximes que voi­ci : se tenir tou­jours en garde contre les sédi­tions et les sédi­tieux ; res­pec­ter comme invio­lables les droits d’autrui ; accor­der de bon gré aux maîtres le res­pect qu’ils méritent et four­nir le tra­vail qui leur est dû ; ne pas prendre en dégoût la vie domes­tique, si riche en biens de toute sorte ; avant tout, pra­ti­quer la reli­gion et lui deman­der une conso­la­tion cer­taine dans les dif­fi­cul­tés de la vie.

Pour mieux gra­ver ces prin­cipes, quel secours ne trouve-​t-​on pas à rap­pe­ler le modèle si par­fait de la Sainte Famille de Nazareth, et à en recom­man­der la dévo­tion si puis­sante ; à pro­po­ser les exemples de ceux qui se sont ser­vis de l’humilité même de leur condi­tion pour s’élever aux som­mets de la ver­tu ; ou encore à entre­te­nir chez le peuple l’espérance de la récom­pense éter­nelle dans une vie meilleure !

Obéir aux évêques

Enfin, Nous renou­ve­lons un der­nier aver­tis­se­ment et Nous y insis­tons encore. Quelles que soient les ini­tia­tives conçues et réa­li­sées dans cet ordre de choses par des hommes, soit iso­lés, soit asso­ciés, qu’ils n’oublient pas la sou­mis­sion pro­fonde due à l’autorité des évêques. Qu’ils ne se laissent pas trom­per par les ardeurs d’un zèle exces­sif. Le zèle qui pousse à se dépar­tir de l’obéissance due aux pas­teurs n’est ni pur, ni d’une effi­ca­ci­té sérieu­se­ment utile, ni agréable à Dieu. Ce que Dieu aime, c’est le bon esprit de ceux qui, sacri­fiant leurs idées per­son­nelles, écoutent les ordres des chefs de l’Église comme les ordres de Dieu lui-​même. Ceux-​là, il les assiste volon­tiers dans leurs des­seins les plus dif­fi­ciles, et sa bon­té mène d’ordinaire leurs entre­prises au suc­cès désiré.

Il faut ajou­ter à cela les exemples d’une vie conforme aux doc­trines, qui montre sur­tout le chré­tien enne­mi de l’oisiveté et des plai­sirs, prêt à don­ner ami­ca­le­ment de son abon­dance pour sou­la­ger les besoins d’autrui, constant et inébran­lable dans les épreuves. Ces exemples sont d’un grand poids pour exci­ter chez le peuple de salu­taires dis­po­si­tions, et ils sont encore plus effi­caces, lorsqu’ils sont l’ornement des citoyens plus influents et plus haut placés.

Devoirs des évêques

Voilà, Vénérables Frères, les choses qui doivent faire l’objet de tous vos soins en temps oppor­tun, sui­vant les néces­si­tés des hommes et des lieux ; Nous vous exhor­tons à y appli­quer votre pru­dence et votre zèle et à échan­ger vos vues à ce sujet dans vos réunions d’usage. Que votre sol­li­ci­tude soit en éveil de ce côté, et que votre auto­ri­té garde toute sa vigueur pour diri­ger, pour rete­nir, pour empê­cher, de façon que, sous aucun pré­texte de bien à faire, les liens de la dis­ci­pline sacrée ne se relâchent et que l’ordre hié­rar­chique éta­bli par le Christ dans son Église ne soit trou­blé en rien.

Que, grâce au concours loyal, har­mo­nieux et crois­sant de tous les catho­liques, il soit de plus en plus évident que la tran­quilli­té de l’ordre et la vraie pros­pé­ri­té des peuples sont d’autant plus flo­ris­santes que l’Église en est l’inspiratrice et l’appui. C’est à elle qu’est confiée la tâche, sainte entre toutes, d’avertir cha­cun de son devoir selon les pré­ceptes chré­tiens, d’unir les riches et les pauvres dans une fra­ter­nelle cha­ri­té, de rele­ver et de for­ti­fier les cou­rages au milieu des épreuves de l’adversité.

L’exhortation de saint Paul

Que Nos pres­crip­tions et Nos dési­rs trouvent leur confir­ma­tion dans cette exhor­ta­tion de saint Paul aux Romains, toute rem­plie de cha­ri­té apos­to­lique : « Je vous en sup­plie… Réformez-​vous dans la nou­veau­té de vos sen­ti­ments… Que celui qui donne, le fasse avec sim­pli­ci­té ; que celui qui est à la tête, y déploie sa sol­li­ci­tude ; que celui qui exerce les œuvres de misé­ri­corde les exerce avec joie. Que votre cha­ri­té soit sans feinte. Ayez le mal en hor­reur, attachez-​vous au bien. Aimez-​vous les uns les autres d’un amour fra­ter­nel. Prévenez-​vous par des égards mutuels. Ne soyez point inac­tifs dans la sol­li­ci­tude, réjouissez-​vous dans l’espérance ; soyez patients dans la tri­bu­la­tion, per­sé­vé­rants dans la prière. Faites par­ti­ci­per à vos biens les fidèles dans le besoin ; pra­ti­quez l’hospitalité. Réjouissez-​vous avec ceux qui sont dans la joie, pleu­rez avec ceux qui pleurent. Unissez-​vous tous dans les mêmes sen­ti­ments. Ne ren­dez à per­sonne le mal pour le mal. Veillez à faire le bien, non seule­ment devant Dieu, mais aus­si devant tous les hommes. » [15]

Comme gage de ces biens, rece­vez la béné­dic­tion apos­to­lique. Nous vous l’accordons très affec­tueu­se­ment dans le Seigneur, à vous, Vénérables Frères, à votre cler­gé, et à votre peuple.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 18 jan­vier de l’année 1901, de Notre Pontificat la vingt-troisième.

LEON XIII, Pape.

Notes de bas de page
  1. Ep. 4, 4–6.[]
  2. Rm 13, 1.5.[]
  3. Ac 20, 28.[]
  4. He 13, 17.[]
  5. 1 Jn 3, 18.[]
  6. Jn 13, 34–35.[]
  7. Mt 11, 5.[]
  8. Mt 11, 4–5.[]
  9. Mt 25, 35–36.[]
  10. Mc 8, 2.[]
  11. Ac 10, 38.[]
  12. Lc 11, 41.[]
  13. Mt 6, 2–4.[]
  14. Au Ministre géné­ral des Frères mineurs, 25 novembre 1898.[]
  15. Rm 12, 1–17[]