Pie IX

255ᵉ pape ; de 1846 à 1878

8 décembre 1849

Lettre encyclique Nostis et nobiscum

Contre le socialisme et le communisme

Aux arche­vêques et aux évêques d’Italie

Donné à Portici, près Naples, le 8 Décembre 1849
Vénérables Frères, salut et Bénédiction Apostolique.

Vous savez et vous voyez comme Nous, Vénérables Frères, par quelle per­ver­si­té ont pré­va­lu en ces der­niers temps cer­tains hommes per­dus, enne­mis de toute véri­té, de toute jus­tice, de toute hon­nê­te­té, qui, soit par fraude et par des arti­fices de toute espèce, soit ouver­te­ment, et jetant, comme une mer en furie son écume, la lie de leurs confu­sions, s’ef­forcent de répandre de toutes parts, par­mi les peuples fidèles de l’Italie, la licence effré­née de la pen­sée, de la parole, de tout acte auda­cieux et impie, pour rui­ner dans l’Italie même la reli­gion catho­lique, et, si cela pou­vait jamais être, pour la ren­ver­ser jusque dans ses fon­de­ments. Tout le plan de leur des­sein dia­bo­lique s’est révé­lé en divers lieux, mais sur­tout dans la Ville bien-​aimée, siège de notre Pontificat suprême, où, après Nous avoir contraint de la quit­ter, ils ont pu se livrer plus libre­ment pen­dant quelques mois à toutes leurs fureurs. Là, dans un affreux et sacri­lège mélange des choses divines et des choses humaines, leur rage mon­ta à ce point que, mépri­sant l’au­to­ri­té de l’illustre cler­gé de Rome et des pré­lats qui, par notre ordre, demeu­raient intré­pides à sa tête, ils ne les lais­sèrent pas même conti­nuer en paix l’œuvre sacrée du saint minis­tère, et que, sans pitié pour de pauvres malades en proie aux angoisses de la mort, ils éloi­gnaient d’eux tous les secours de la reli­gion et les contrai­gnaient de rendre le der­nier sou­pir entre les bras des prostituées.

Bien que depuis lors la ville de Rome et les autres pro­vinces du domaine pon­ti­fi­cal aient été, grâce à la misé­ri­corde de Dieu, ren­dues, par les armes des nations catho­liques, à notre gou­ver­ne­ment tem­po­rel ; bien que les guerres et les désordres qui en sont la suite aient éga­le­ment ces­sé dans les autres contrées de l’Italie, ces enne­mis infâmes de Dieu et des hommes n’ont pas ces­sé et ne cessent pas leur tra­vail de des­truc­tion ; ils ne peuvent plus employer la force ouverte, mais ils ont recours à d’autres moyens, les uns cachés sous des appa­rences frau­du­leuses, les autres visibles à tous les yeux. Au milieu de si grandes dif­fi­cul­tés, por­tant la charge suprême de tout le trou­peau du Seigneur, et rem­pli de la plus vive afflic­tion à la vue des périls aux­quels sont par­ti­cu­liè­re­ment expo­sées les Églises de l’Italie, c’est pour notre infir­mi­té, au sein des dou­leurs, une grande conso­la­tion, Vénérables Frères, que le zèle pas­to­ral dont, au plus fort même de la tem­pête qui vient de pas­ser, vous Nous avez don­né tant de preuves, et qui se mani­feste chaque jour encore par des témoi­gnages de plus en plus écla­tants. Cependant la gra­vi­té des cir­cons­tances Nous presse d’ex­ci­ter plus vive­ment encore, de notre parole et de nos exhor­ta­tions, selon le devoir de notre charge apos­to­lique, Votre Fraternité, appe­lée au par­tage de nos sol­li­ci­tudes, à com­battre avec Nous et dans l’u­ni­té les com­bats du Seigneur, à pré­pa­rer et à prendre d’un seul cœur toutes les mesures par les­quelles, avec la béné­dic­tion de Dieu, sera répa­ré le mal déjà fait en Italie à notre reli­gion très sainte, et seront pré­ve­nus et repous­sés les périls dont un ave­nir pro­chain la menace.

Entre les fraudes sans nombre que les sus­dits enne­mis de l’Église ont cou­tume de mettre en œuvre pour rendre odieuse aux Italiens la foi catho­lique, l’une des plus per­fides est cette opi­nion, qu’ils ne rou­gissent pas d’af­fir­mer et de répandre par­tout à grand bruit, que la reli­gion catho­lique est un obs­tacle à la gloire, à la gran­deur, à la pros­pé­ri­té de la nation ita­lienne, et que, par consé­quent, pour rendre à l’Italie la splen­deur des anciens temps, c’est-​à-​dire des temps païens, il faut mettre à la place de la reli­gion catho­lique, insi­nuer, pro­pa­ger, consti­tuer les ensei­gne­ments des pro­tes­tants, et leurs conven­ti­cules. On ne sait ce qui en de telles affir­ma­tions est le plus détes­table, la per­fi­die de l’im­pié­té furieuse ou l’im­pu­dence du men­songe éhonté.

Le bien spi­ri­tuel par lequel, sous­traits à la puis­sance des ténèbres, nous sommes trans­por­tés dans la lumière de Dieu, par lequel la grâce nous jus­ti­fiant, nous sommes faits les héri­tiers du Christ dans l’es­pé­rance de la vie éter­nelle, ce bien des âmes, éma­nant de la sain­te­té de la reli­gion catho­lique, est certes d’un tel prix qu’au­près de ce bien toute gloire et tout bon­heur de ce monde doivent être regar­dés comme un pur néant : « Que sert à un homme de gagner l’u­ni­vers entier, s’il vient à perdre son âme ? et qu’est-​ce que l’homme don­ne­ra en échange de son âme ? » Mais bien loin que la pro­fes­sion de la vraie foi ait cau­sé à la race ita­lienne, les dom­mages tem­po­rels dont on parle, c’est à la reli­gion catho­lique qu’elle doit de n’être pas tom­bée, à la chute de l’empire romain, dans la même ruine que les peuples de l’Assyrie, de la Chaldée, de la Médie, de la Perse, de la Macédoine. Aucun homme ins­truit n’i­gnore en effet que non seule­ment la très sainte reli­gion du Christ a arra­ché l’Italie des ténèbres de tant et de si grandes erreurs qui la cou­vraient tout entière, mais encore qu’au milieu des ruines de l’an­tique empire et des inva­sions des Barbares rava­geant toute l’Europe, elle l’a éle­vée dans la gloire et la gran­deur au-​dessus de toutes les nations du monde, de sorte que, par un bien­fait sin­gu­lier de Dieu, pos­sé­dant dans son sein la Chaire sacrée de Pierre, l’Italie a eu par la reli­gion divine un empire plus solide et plus éten­du que son antique domi­na­tion terrestre.

Ce pri­vi­lège sin­gu­lier de pos­sé­der le Siège Apostolique, et de voir par cela même la reli­gion catho­lique jeter dans les peuples de l’Italie de plus fortes racines, a été pour elle la source d’autres bien­faits insignes et sans nombre ; car la très sainte reli­gion du Christ, maî­tresse de la véri­table sagesse, pro­tec­trice ven­ge­resse de l’hu­ma­ni­té, mère féconde de toutes les ver­tus, détour­na l’âme des Italiens de cette soif funeste de gloire qui avait entraî­né leurs ancêtres à faire per­pé­tuel­le­ment la guerre, à tenir les peuples étran­gers dans l’op­pres­sion, à réduire, selon le droit de la guerre alors en vigueur, une immense quan­ti­té d’hommes à la plus dure ser­vi­tude ; et en même temps illu­mi­nant les Italiens des clar­tés de la véri­té catho­lique, elle les por­ta par une impul­sion puis­sante à la pra­tique de la jus­tice, de la misé­ri­corde, aux œuvres les plus écla­tantes de pié­té envers Dieu et de bien­fai­sance envers les hommes. De là, dans les prin­ci­pales villes de l’Italie, tant de saintes basi­liques et autres monu­ments des âges chré­tiens, les­quels n’ont pas été l’œuvre dou­lou­reuse d’une mul­ti­tude réduite en escla­vage, mais qui ont été libre­ment éle­vés par le zèle d’une cha­ri­té vivi­fiante ; à quoi il faut ajou­ter les pieuses ins­ti­tu­tions de tout genre consa­crées, soit aux exer­cices de la vie reli­gieuse, soit à l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse, aux lettres, aux arts, à la sainte culture des sciences, soit enfin au sou­la­ge­ment des malades et des indi­gents. Telle est donc cette reli­gion divine, qui embrasse sous tant de titres divers le salut, la gloire et le bon­heur de l’Italie, cette reli­gion que l’on vou­drait faire reje­ter par les peuples de l’Italie. Nous ne pou­vons rete­nir nos larmes, Vénérables Frères, en voyant qu’il se trouve, à cette heure, quelques Italiens assez per­vers, assez livrés à de misé­rables illu­sions pour ne pas craindre d’ap­plau­dir aux doc­trines dépra­vées des impies, et de conspi­rer avec eux la perte de l’Italie.

Mais vous n’i­gno­rez pas, Vénérables Frères, que les prin­ci­paux auteurs de cette détes­table machi­na­tion ont pour but de pous­ser les peuples, agi­tés par tout vent de per­verses doc­trines, au bou­le­ver­se­ment de tout ordre dans les choses humaines, et de les livrer aux cri­mi­nels sys­tèmes du nou­veau Socialisme et du Communisme. Or, ces hommes savent et voient, par la longue expé­rience de beau­coup de siècles, qu’ils ne doivent espé­rer aucun assen­ti­ment de l’Église catho­lique, qui, dans la garde du dépôt de la Révélation divine, ne souffre jamais qu’il soit rien retran­ché aux véri­tés pro­po­sées de la foi ni qu’il y soit rien ajou­té. Aussi ont-​ils for­mé le des­sein d’at­ti­rer les peuples ita­liens aux opi­nions et aux conven­ti­cules des pro­tes­tants, dans les­quels, répètent-​ils sans cesse afin de les séduire, on ne doit voir autre chose qu’une forme dif­fé­rente de la même vraie reli­gion chré­tienne, où l’on peut plaire à Dieu aus­si bien que dans l’Église catho­lique. En atten­dant, ils savent très bien que rien ne peut être plus utile à leur cause impie que le pre­mier prin­cipe des opi­nions pro­tes­tantes, le prin­cipe de la libre inter­pré­ta­tion des saintes Écritures par le juge­ment par­ti­cu­lier de cha­cun. Ils ont la confiance qu’il leur devien­dra plus facile, après avoir abu­sé d’a­bord de l’in­ter­pré­ta­tion en mau­vais sens des Lettres sacrées pour répandre leurs erreurs, comme au nom de Dieu, de pous­ser ensuite les hommes, enflés de l’or­gueilleuse licence de juger des choses divines, à révo­quer eu doute même les prin­cipes com­muns du juste et de l’injuste.

Puisse l’Italie, Vénérables Frères, puisse l’Italie, où les autres nations ont cou­tume de pui­ser les eaux pures de la saine doc­trine, parce que le Siège apos­to­lique a été éta­bli à Rome, ne pas deve­nir pour elles désor­mais une pierre d’a­chop­pe­ment et de scan­dale ! puisse cette por­tion ché­rie de la vigne du Seigneur ne pas être livrée en proie aux bêtes ! puissent les peuples ita­liens, ayant bu la démence à la coupe empoi­son­née de Babylone, ne jamais prendre des armes par­ri­cides contre l’Église Mère ! Quant à Nous et quant à vous, que Dieu dans son juge­ment secret a réser­vés pour ces temps de si grand dan­ger, gardons-​nous de craindre les ruses et les attaques de ces hommes qui conspirent contre la foi de l’Italie, comme si nous avions à les vaincre par nos propres forces, lorsque le Christ est notre conseil et notre force, le Christ, sans qui nous ne pou­vons rien, mais par qui nous pou­vons tout1. Agissez donc, Vénérables Frères, veillez avec plus d’at­ten­tion encore sur le trou­peau qui vous est confié, et faites tous vos efforts pour le défendre des embûches et des attaques des loups ravis­seurs. Communiquez-​vous mutuel­le­ment vos des­seins, conti­nuez, comme vous avez déjà com­men­cé, d’a­voir des réunions entre vous, afin qu’a­près avoir décou­vert, par une com­mune inves­ti­ga­tion, l’o­ri­gine de nos maux, et, selon la diver­si­té des lieux, les sources prin­ci­pales des dan­gers, vous puis­siez y trou­ver, sous l’au­to­ri­té et la conduite du Saint-​Siège, les remèdes les plus prompts, et qu’ain­si, d’un accord una­nime avec Nous, vous appli­quiez, avec l’aide de Dieu et avec toute la vigueur du zèle pas­to­ral, vos soins et vos tra­vaux à rendre vains tous les efforts, tous les arti­fices, toutes les embûches et toutes les machi­na­tions des enne­mis de l’Église.

Pour y par­ve­nir, il faut prendre une peine conti­nuelle, de peur que le peuple, trop peu ins­truit de la doc­trine chré­tienne et de la loi du Seigneur, hébé­té par la longue licence des vices, ne dis­tingue qu’à peine les embûches qu’on lui tend et la méchan­ce­té des erreurs qu’on lui pro­pose. Nous deman­dons avec ins­tance de votre sol­li­ci­tude pas­to­rale, Vénérables Frères, de ne jamais ces­ser d’ap­pli­quer tous vos soins à ce que les fidèles qui vous sont confiés soient ins­truits, sui­vant l’in­tel­li­gence de cha­cun, des très saints dogmes et des pré­ceptes de notre reli­gion, et qu’ils soient en même temps aver­tis et exci­tés par tous les moyens à y confor­mer leur vie et leurs mœurs. Enflammez pour cette fin le zèle des ecclé­sias­tiques, sur­tout de ceux qui ont charge d’âmes, afin que, médi­tant pro­fon­dé­ment sur le minis­tère qu’ils ont reçu dans le Seigneur et ayant devant les yeux les pres­crip­tions du Concile de Trente2, ils se livrent avec la plus grande acti­vi­té, selon que l’exige la néces­si­té des temps, à l’ins­truc­tion du peuple, et s’ap­pliquent à gra­ver dans tous les cœurs les paroles sacrées, les avis de salut, leur fai­sant connaître dans des dis­cours brefs et simples, les vices qu’ils doivent fuir pour évi­ter la peine éter­nelle, les ver­tus qu’ils doivent recher­cher pour obte­nir la gloire céleste.

Il faut veiller spé­cia­le­ment à ce que les fidèles eux-​mêmes aient pro­fon­dé­ment gra­vé dans l’es­prit le dogme de notre très sainte reli­gion sur la néces­si­té de la foi catho­lique pour obte­nir le salut3. Pour cette fin, il sera sou­ve­rai­ne­ment utile que, dans les prières publiques, les fidèles, unis au cler­gé, rendent de temps en temps de par­ti­cu­lières actions de grâces à Dieu pour l’i­nes­ti­mable bien­fait de la reli­gion catho­lique, qu’ils tiennent tous de sa bon­té infi­nie, et qu’ils demandent hum­ble­ment au Père des misé­ri­cordes, de dai­gner pro­té­ger et conser­ver intacte dans nos contrées la pro­fes­sion de cette même religion.

Cependant vous aurez spé­cia­le­ment soin d’ad­mi­nis­trer à tous les fidèles, dans le temps conve­nable, le sacre­ment de Confirmation, qui, par un sou­ve­rain bien­fait de Dieu, donne la force d’une grâce par­ti­cu­lière pour confes­ser avec constance la foi catho­lique, même dans les plus graves périls. Vous n’i­gno­rez pas non plus qu’il est utile, pour la même fin, que les fidèles, puri­fiés des souillures de leurs péchés expiés par une sin­cère détes­ta­tion et par le sacre­ment de Pénitence, reçoivent fré­quem­ment avec dévo­tion la très sainte Eucharistie, qui est la nour­ri­ture spi­ri­tuelle des âmes, l’an­ti­dote qui nous délivre des fautes quo­ti­diennes et nous pré­serve des péchés mor­tels, le sym­bole de ce seul corps dont le Christ est la tête, et auquel il a vou­lu que nous fus­sions atta­chés par le lien si fort de la foi, de l’es­pé­rance et de la cha­ri­té, afin que nous soyons tous ce seul corps, et qu’il n’y ait pas de schismes par­mi nous4.

Nous ne dou­tons pas que les curés, leurs vicaires et les autres prêtres qui dans cer­tains jours, et sur­tout au temps du jeûne, se livrent au minis­tère de la pré­di­ca­tion, ne s’empressent de vous prê­ter leur concours en toutes ces choses. Cependant, il faut de temps en temps appuyer leurs soins par les secours extra­or­di­naires des exer­cices spi­ri­tuels et des saintes mis­sions, qui, lors­qu’elles sont confiées à des hommes capables, sont, avec la béné­dic­tion de Dieu, très utiles pour réchauf­fer la pié­té des bons, exci­ter à une salu­taire péni­tence les pécheurs et les hommes dépra­vés par une longue habi­tude des vices, faire croître le peuple fidèle dans la science de Dieu, lui faire pro­duire toute sorte de biens, et, le munis­sant des secours abon­dants de la grâce céleste, lui ins­pi­rer une invin­cible hor­reur pour les doc­trines per­verses des enne­mis de l’Église.

Du reste, en toutes ces choses, vos soins et ceux des prêtres vos coopé­ra­teurs ten­dront par­ti­cu­liè­re­ment à faire conce­voir aux fidèles la plus grande hor­reur pour ces crimes qui se com­mettent au grand scan­dale du pro­chain. Car vous savez com­bien, en divers lieux, a gran­di le nombre de ceux qui osent publi­que­ment blas­phé­mer les saints du ciel et même le très saint nom de Dieu, ou qui sont connus comme vivant dans le concu­bi­nage et y joi­gnant par­fois l’in­ceste, ou qui, les jours fériés, se livrent à des œuvres ser­viles, leurs bou­tiques ouvertes, ou qui, en pré­sence de plu­sieurs, méprisent les pré­ceptes du jeûne et de l’abs­ti­nence, ou qui ne rou­gissent pas de com­mettre de la même manière d’autres crimes divers. Qu’à la voix de votre zèle le peuple fidèle se repré­sente et consi­dère sérieu­se­ment l’é­norme gra­vi­té des péchés de cette espèce, et les peines très sévères dont seront punis leurs auteurs, tant pour la cri­mi­na­li­té propre de chaque faute que pour le dan­ger spi­ri­tuel qu’ils ont fait cou­rir à leurs frères par la conta­gion de leur mau­vais exemple. Car il est écrit : Malheur au monde à cause de ses scan­dales… Malheur à celui par qui le scan­dale arrive ! (Mt 18, 7)

Parmi les divers genres de pièges par les­quels les plus sub­tils enne­mis de l’Église et de la socié­té humaine s’ef­forcent de prendre les peuples, un des prin­ci­paux est assu­ré­ment celui qu’ils avaient pré­pa­ré déjà depuis long­temps dans leurs cri­mi­nels des­seins, et qu’ils ont trou­vé dans l’u­sage dépra­vé du nou­vel art de la librai­rie. Ils s’y donnent tout entiers, de sorte qu’ils ne passent pas un jour sans mul­ti­plier, sans jeter dans les popu­la­tions des libelles impies, des jour­naux, des feuilles déta­chées, pleins de men­songes, de calom­nies, de séduc­tions. Bien plus, usant du secours des Sociétés Bibliques, qui, depuis long­temps déjà, ont été condam­nées par le Saint-​Siège5, ils ne rou­gissent pas de répandre de saintes Bibles, tra­duites sans qu’on ait pris soin de se confor­mer aux règles de l’Église6, en langue vul­gaire, pro­fon­dé­ment alté­rées et ren­dues en un mau­vais sens avec une audace inouïe, et, sous un faux pré­texte de reli­gion, d’en recom­man­der la lec­ture au peuple fidèle. Vous com­pre­nez par­fai­te­ment dans votre sagesse, Vénérables Frères, avec quelle vigi­lance et quelle sol­li­ci­tude vous devez tra­vailler pour que les fidèles fuient avec hor­reur cette lec­ture empoi­son­née et se sou­viennent, pour ce qui est nom­mé­ment des divines Écritures, qu’au­cun homme, appuyé sur sa propre pru­dence, ne peut s’ar­ro­ger le droit et avoir la pré­somp­tion de les inter­pré­ter autre­ment que ne les a inter­pré­tées et que ne les inter­prète la sainte Église notre Mère à qui seule Notre-​Seigneur le Christ a confié le dépôt de la Foi, le juge­ment sur le vrai sens et l’in­ter­pré­ta­tion des Livres divins7.

Il sera très utile, Vénérables Frères, pour arrê­ter la conta­gion des mau­vais livres, que des livres de même gros­seur, écrits par des hommes de science dis­tin­guée et saine, et préa­la­ble­ment approu­vés par vous, soient publiés pour l’é­di­fi­ca­tion de la Foi et la salu­taire édu­ca­tion du peuple. Vous aurez soin que ces mêmes livres, et d’autres livres de doc­trine éga­le­ment pure, com­po­sés par d’autres hommes, selon que le deman­de­ront les lieux et les per­sonnes, soient répan­dus par­mi les fidèles.

Tous ceux qui coopèrent avec vous dans la défense de la Foi auront spé­cia­le­ment en vue de faire péné­trer, d’af­fer­mir, de gra­ver pro­fon­dé­ment dans l’es­prit de vos fidèles la pié­té, la véné­ra­tion et le res­pect envers ce Siège suprême de Pierre, sen­ti­ments par les­quels vous vous dis­tin­guez émi­nem­ment, Vénérables Frères. Que les peuples fidèles se sou­viennent qu’i­ci vit et pré­side, en la per­sonne de ses suc­ces­seurs, Pierre, le Prince des apôtres8, dont la digni­té n’est pas sépa­rée de son héri­tier indigne9. Qu’ils se sou­viennent que Jésus-​Christ Notre-​Seigneur a pla­cé sur cette Chaire de Pierre l’i­nex­pug­nable fon­de­ment de son Église (Mt 16, 18), et qu’à Pierre il a don­né les clefs du royaume des Cieux (Mt 5, 19), et que pour cela il a prié, afin que la foi de Pierre ne faillit jamais, et ordon­né à Pierre de confir­mer ses frères dans cette foi (Lc 27, 31–32); de sorte que le suc­ces­seur de Pierre, le Pontife Romain, tenant la Primauté dans tout l’u­ni­vers, est le vrai Vicaire de Jésus-​Christ, le Chef de toute l’Église, le Père et le Docteur de tous les chré­tiens10.

C’est dans le main­tien de cette union com­mune des peuples, dans l’o­béis­sance au Pontife Romain, que se trouve le moyen le plus court et le plus direct pour les conser­ver dans la pro­fes­sion de la véri­té catho­lique. En effet, on ne peut se révol­ter contre la foi catho­lique sans reje­ter en même temps l’au­to­ri­té de l’Église romaine, en qui réside le magis­tère irré­for­mable de la Foi, fon­dé par le divin Rédempteur, et en qui consé­quem­ment a tou­jours été conser­vée la tra­di­tion qui vient des Apôtres. De là vient que les héré­tiques anciens et les pro­tes­tants modernes, si divi­sés dans le reste de leurs opi­nions, se sont tou­jours enten­dus pour atta­quer l’au­to­ri­té du Siège Apostolique, qu’ils n’ont pu, en aucun temps, par aucun arti­fice, par aucune machi­na­tion, ame­ner à tolé­rer même une seule de leurs erreurs. Aussi, les enne­mis actuels de Dieu et de la socié­té humaine n’o­mettent rien pour arra­cher les peuples ita­liens à notre obéis­sance et à l’o­béis­sance du Saint-​Siège per­sua­dés qu’a­lors il leur sera pos­sible de par­ve­nir à souiller l’Italie de l’im­pié­té de leur doc­trine et de la peste de leurs nou­veaux systèmes.

Quant à cette doc­trine de dépra­va­tion et à ces sys­tèmes, tout le monde sait déjà qu’ils ont pour but prin­ci­pal de répandre dans le peuple, en abu­sant des mots de liber­té et d’é­ga­li­té, les per­ni­cieuses inven­tions du Communisme et du Socialisme. Il est constant que les chefs soit du Communisme, soit du Socialisme, bien qu’a­gis­sant par des méthodes et des moyens dif­fé­rents, ont pour but com­mun de tenir en agi­ta­tion conti­nuelle et d’ha­bi­tuer peu à peu à des actes plus cri­mi­nels encore les ouvriers et les hommes de condi­tion infé­rieure, trom­pés par leur lan­gage arti­fi­cieux et séduits par la pro­messe d’un éclat de vie plus heu­reuse. Ils comptent se ser­vir ensuite de leur secours pour atta­quer le pou­voir de toute auto­ri­té supé­rieure, pour piller, dila­pi­der, enva­hir les pro­prié­tés de l’Église d’a­bord, et ensuite celles de tous les autres par­ti­cu­liers ; pour vio­ler enfin tous les droits divins et humains, ame­ner la des­truc­tion du culte de Dieu et le bou­le­ver­se­ment de tout ordre dans les socié­tés civiles. Dans un si grand dan­ger pour l’Italie, il est de votre devoir, Vénérables Frères, de déployer toutes les forces du zèle pas­to­ral pour faire com­prendre au peuple fidèle que, s’il se laisse entraî­ner à ces opi­nions et à ces sys­tèmes per­vers, ils le condui­ront à son mal­heur tem­po­rel et à sa perte éternelle.

Que les fidèles confiés à vos soins soient donc aver­tis qu’il est essen­tiel à la nature même de la socié­té humaine que tous obéissent à l’au­to­ri­té légi­ti­me­ment consti­tuée dans cette socié­té ; et que rien ne peut être chan­gé dans les pré­ceptes du Seigneur, qui sont énon­cés dans les Lettres sacrées sur ce sujet. Car il est écrit : « Soyez sou­mis pour l’a­mour de Dieu à toutes sortes de per­sonnes, soit au roi comme au sou­ve­rain, soit aux gou­ver­neurs comme à des hommes envoyés par lui pour punir les méchants et récom­pen­ser les bons : car la volon­té de Dieu est que par votre bonne vie vous fer­miez la bouche aux hommes igno­rants et insen­sés ; libres, non pour vous ser­vir de votre liber­té comme d’un voile de malice, mais pour agir en ser­vi­teurs de Dieu.« 11 Et encore : « Que toute âme soit sou­mise aux puis­sances supé­rieures, car il n’y a point de puis­sance qui ne soit de Dieu, et toutes les puis­sances qui sont de Dieu sont dans l’ordre. Celui donc qui résiste aux puis­sances résiste à l’ordre de Dieu, et ceux qui résistent attirent sur eux la condam­na­tion.« 12

Qu’ils sachent encore que dans la condi­tion des choses humaines il est natu­rel et inva­riable que, même entre ceux qui ne sont point dans une auto­ri­té plus éle­vée, les uns l’emportent sur les autres, soit par diverses qua­li­tés de l’es­prit ou du corps, soit par les richesses ou d’autres biens exté­rieurs de cette sorte : et que jamais, sous aucun pré­texte de liber­té et d’é­ga­li­té, il ne peut être licite d’en­va­hir les biens ou les droits d’au­trui, ou de les vio­ler d’une façon quel­conque. A ce sujet, les com­man­de­ments divins, qui sont gra­vés çà et là dans les Livres saints, sont fort clairs et nous défendent for­mel­le­ment non seule­ment de nous empa­rer du bien d’au­trui, mais même de le dési­rer.13

Que les pauvres, que les mal­heu­reux se rap­pellent sur­tout com­bien ils doivent à la reli­gion catho­lique, qui garde vivante et intacte et qui prêche hau­te­ment la doc­trine de Jésus-​Christ, lequel a décla­ré qu’il regar­de­rait comme fait à sa per­sonne le bien fait aux pauvres et aux mal­heu­reux. (Mt 18, 15 ; Mt 25, 40, 45) Et il a annon­cé d’a­vance à tous le compte par­ti­cu­lier qu’il deman­de­ra, au jour du juge­ment, sur les œuvres de misé­ri­corde, soit pour récom­pen­ser de la vie éter­nelle les fidèles qui auront accom­pli ces œuvres, soit pour punir de la peine du feu éter­nel ceux qui les auront négli­gées. (Mt 25, 34s.)

De cet aver­tis­se­ment du Christ Notre-​Seigneur et des avis très sévères qu’il a don­nés tou­chant l’u­sage des richesses et leurs dan­gers14, avis conser­vés invio­la­ble­ment dans l’Église catho­lique, il est résul­té que la condi­tion des pauvres et des mal­heu­reux est de beau­coup plus douce chez les nations catho­liques que chez toutes les autres. Et les pauvres obtien­draient dans nos contrées des secours encore plus abon­dants si, au milieu des récentes com­mo­tions des affaires publiques, de nom­breux éta­blis­se­ments fon­dés par la pié­té de nos ancêtres pour les sou­la­ger n’a­vaient été détruits ou pillés. Au reste, que nos pauvres se sou­viennent, d’a­près l’en­sei­gne­ment de Jésus-​Christ lui-​même, qu’ils ne doivent point s’at­tris­ter de leur condi­tion ; puis­qu’en effet, dans la pau­vre­té, le che­min du salut leur est pré­pa­ré plus facile, pour­vu tou­te­fois qu’ils sup­portent patiem­ment leur indi­gence, et qu’ils soient pauvres non seule­ment maté­riel­le­ment, mais encore en esprit. Car il dit : « Bienheureux les pauvres d’es­prit, car le royaume des cieux est à eux. » (Mt 5, 3)

Que le peuple fidèle tout entier sache que les anciens rois des nations païennes et les chefs de leurs répu­bliques ont abu­sé de leur pou­voir beau­coup plus gra­ve­ment et beau­coup plus sou­vent, et que par là il recon­naisse qu’il est rede­vable aux bien­faits de notre très sainte reli­gion si les princes des temps chré­tiens, redou­tant, à la voix de cette reli­gion, le « juge­ment très sévère qui sera ren­du sur ceux qui com­mandent », et le sup­plice éter­nel des­ti­né aux pécheurs, sup­plice dans lequel « les puis­sants seront puis­sam­ment tor­tu­rés », (Sg 6, 6–7) ont usé à l’é­gard des peuples, leurs sujets, d’un com­man­de­ment plus clé­ment et plus juste.

Enfin, que les fidèles confiés à vos soins et aux nôtres recon­naissent que la vraie et par­faite liber­té et éga­li­té des hommes ont été mises sous la garde de la loi chré­tienne, puisque le Dieu tout-​puissant, qui a fait le « petit et le grand », et qui « a un soin égal de tous », (Sg 6, 8) ne sous­trai­ra au juge­ment la per­sonne de qui que ce soit (Ibidem.), et n’au­ra égard à aucune gran­deur : il a fixé le jour où « il juge­ra l’u­ni­vers dans sa jus­tice » (Ac 17, 31) en Jésus-​Christ, son Fils unique, « qui doit venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et qui ren­dra alors à cha­cun selon ses œuvres. » (Mt 16, 27)

Si les fidèles, mépri­sant les avis pater­nels de leurs pas­teurs et les pré­ceptes de la loi chré­tienne que Nous venons de rap­pe­ler, se laissent trom­per par les pro­mo­teurs des machi­na­tions du jour, s’ils consentent à conspi­rer avec eux dans les sys­tèmes per­vers du « Socialisme » et du « Communisme », qu’ils sachent, et qu’ils consi­dèrent sérieu­se­ment qu’ils amassent pour eux-​mêmes auprès du divin Juge des tré­sors de ven­geance au jour de la colère, et qu’en atten­dant il ne sor­ti­ra de cette conspi­ra­tion aucun avan­tage tem­po­rel pour le peuple, mais bien plu­tôt un accrois­se­ment de misères et de cala­mi­tés. Car il n’est pas don­né aux hommes d’é­ta­blir de nou­velles socié­tés et des com­mu­nau­tés oppo­sées à la condi­tion natu­relle des choses humaines ; et c’est pour­quoi le résul­tat de pareilles conspi­ra­tions, si elles s’é­ten­daient en Italie, serait celui-​ci : l’é­tat actuel des choses publiques serait ébran­lé et ren­ver­sé de fond en comble par les luttes de citoyens contre citoyens, par des usur­pa­tions, par des meurtres ; puis quelques hommes, enri­chis des dépouilles du grand nombre, sai­si­raient le sou­ve­rain pou­voir au milieu de la ruine commune.

Pour détour­ner le peuple fidèle des embûches des impies, pour le main­te­nir dans la pro­fes­sion de la reli­gion catho­lique et l’ex­ci­ter aux œuvres de la vraie ver­tu, l’exemple et la vie de ceux qui se sont voués au sacré minis­tère a, vous le savez, une grande puis­sance. Mais, oh dou­leur ! il s’est trou­vé en Italie des ecclé­sias­tiques, en petit nombre il est vrai, qui ont pas­sé dans les rangs des enne­mis de l’Église et ne les ont pas peu aidés à trom­per les fidèles. Pour vous, Vénérables Frères, la chute de ces hommes a été un nou­vel aiguillon qui vous a exci­tés à veiller, avec un zèle de plus en plus actif, à main­te­nir la dis­ci­pline du cler­gé. Et ici, vou­lant, selon notre devoir, prendre des mesures pré­ser­va­trices pour l’a­ve­nir, Nous ne pou­vons Nous empê­cher de vous recom­man­der de nou­veau un point sur lequel Nous avons déjà insis­té dans Notre pre­mière Lettre Encyclique aux Évêques de tout l’u­ni­vers (Novembris 1846), et Nous vous rap­pe­lons de n’im­po­ser jamais légè­re­ment les mains à per­sonne (I Tm 5, 22.) et d’ap­por­ter le soin le plus atten­tif dans le choix de la milice ecclé­sias­tique. Il faut une longue recherche, une minu­tieuse inves­ti­ga­tion au sujet sur­tout de ceux qui dési­rent entrer dans les ordres sacrés ; il faut vous assu­rer qu’ils se recom­mandent par la science, par la gra­vi­té des mœurs et par le zèle du culte divin, de façon à éton­ner l’es­poir cer­tain que, sem­blables à des lampes ardentes dans la Maison du Seigneur, ils pour­ront par leur conduite et par leurs œuvres pro­cu­rer à votre trou­peau l’é­di­fi­ca­tion et l’u­ti­li­té spirituelles.

L’Église de Dieu retire des monas­tères, lors­qu’ils sont bien conduits, une immense uti­li­té et une grande gloire, et le cler­gé régu­lier vous porte à vous-​mêmes, dans votre tra­vail pour le salut des âmes, un secours pré­cieux ; c’est pour­quoi Nous vous deman­dons, Vénérables Frères, d’a­bord d’as­su­rer, de Notre part, aux familles reli­gieuses de cha­cun de vos dio­cèses, qu’au milieu de tant de dou­leurs Nous avons par­ti­cu­liè­re­ment res­sen­ti les maux que plu­sieurs d’entre elles ont eu à souf­frir dans ces der­niers temps, et que la cou­ra­geuse patience, la constance dans l’a­mour de la ver­tu et de leur Religion dont un grand nombre de reli­gieux ont don­né l’exemple, a été pour Nous une source de conso­la­tions d’au­tant plus vives qu’on en a vu d’autres, oubliant la sain­te­té de leur pro­fes­sion, au grand scan­dale des gens de bien, et rem­plis­sant d’a­mer­tume Notre cœur et le cœur de leurs frères, pré­va­ri­quer hon­teu­se­ment. En second lieu, vous aurez soin d’ex­hor­ter en Notre nom les chefs de ces familles reli­gieuses et, quand cela sera néces­saire, les supé­rieurs qui en sont les modé­ra­teurs, à ne rien négli­ger des devoirs de leur charge pour rendre la dis­ci­pline régu­lière, là où elle s’est main­te­nue, de plus en plus vigou­reuse et flo­ris­sante, et pour la réta­blir dans toute son inté­gri­té et toute sa force là où elle aurait reçu quelque atteinte. Ces supé­rieurs rap­pel­le­ront sans cesse, et par les aver­tis­se­ments, et par les repré­sen­ta­tions, et par les reproches aux reli­gieux de leurs mai­sons qu’ils doivent sérieu­se­ment consi­dé­rer par quels vœux ils se sont liés envers Dieu, s’ap­pli­quer à tenir ce qu’ils lui ont pro­mis, gar­der invio­la­ble­ment les règles de leur ins­ti­tut, et, por­tant dans leur corps la mor­ti­fi­ca­tion de Jésus, s’abs­te­nir de tout ce qui est incom­pa­tible avec leur voca­tion, se don­ner tout entiers aux œuvres qui entre­tiennent la cha­ri­té envers Dieu et le pro­chain, et l’a­mour de la ver­tu par­faite. Que sur toutes choses les modé­ra­teurs de ces Ordres veillent à ce que l’en­trée n’en soit ouverte à aucune per­sonne qu’a­près un exa­men appro­fon­di et scru­pu­leux de sa vie, de ses mœurs et de son carac­tère, et que per­sonne n’y puisse être admis à la pro­fes­sion reli­gieuse qu’a­près avoir don­né, dans un novi­ciat fait selon les règles, des preuves d’une véri­table voca­tion, de telle sorte qu’on puisse à bon droit pré­su­mer que le novice n’embrasse la vie reli­gieuse que pour vivre uni­que­ment en Dieu et tra­vailler, selon la règle de son ins­ti­tut, à son salut et au salut du pro­chain. Sur ce point, Nous vou­lons et enten­dons que l’on observe tout ce qui a été sta­tué et pres­crit, pour le bien des familles reli­gieuses, dans les décrets publiés le 25 jan­vier de l’an­née der­nière par Notre congré­ga­tion sur l’é­tat de régu­liers, décrets revê­tus de la sanc­tion de Notre auto­ri­té apostolique.

Après vous avoir ain­si par­lé du Clergé régu­lier, Nous tenons à recom­man­der à votre fra­ter­ni­té l’ins­truc­tion et l’é­du­ca­tion des clercs mineurs ; car l’Église ne peut guère espé­rer trou­ver de dignes ministres que par­mi ceux qui, dès leur jeu­nesse et leur pre­mier âge, ont été, sui­vant les règles pres­crites, for­més à ce minis­tère sacré. Continuez donc, Vénérables Frères, à user de toutes vos res­sources, à faire tous vos efforts pour que les recrues de la milice sacrée soient autant que pos­sible reçues dans les sémi­naires ecclé­sias­tiques dès leurs plus jeunes ans, et pour que, ran­gées autour du Tabernacle du Seigneur, elles gran­dissent et croissent comme une plan­ta­tion nou­velle dans l’in­no­cence de la vie, la reli­gion, la modes­tie, l’es­prit ecclé­sias­tique, appre­nant en même temps, de maîtres choi­sis, dont la doc­trine soit plei­ne­ment exempte de tout péril d’er­reur, les lettres, les sciences élé­men­taires et les hautes sciences, mais sur­tout les lettres et les sciences sacrées.

Mais comme vous ne pour­rez que dif­fi­ci­le­ment com­plé­ter l’ins­truc­tion de tous les clercs mineurs dans les sémi­naires ; comme d’ailleurs les jeunes gens de l’ordre laïque doivent assu­ré­ment être aus­si l’ob­jet de votre sol­li­ci­tude pas­to­rale, veillez éga­le­ment, Vénérables Frères, sur toutes les autres écoles publiques et pri­vées, et, autant qu’il est en vous, met­tez vos soins, employez votre influence, faites vos efforts pour que dans ces écoles les études soient en tout conformes à la règle de la doc­trine catho­lique, et pour que la jeu­nesse qui s’y trouve réunie, ins­truite dans les lettres, les arts et les sciences, n’ait que des maîtres irré­pro­chables sous le rap­port de la reli­gion et des mœurs, qui, lui ensei­gnant aus­si la véri­table ver­tu, la mettent en mesure de recon­naître les pièges ten­dus par les impies, d’é­vi­ter leurs funestes erreurs, et de ser­vir uti­le­ment et avec éclat la socié­té chré­tienne et la socié­té civile.

C’est pour­quoi vous reven­di­que­rez la prin­ci­pale auto­ri­té, une auto­ri­té plei­ne­ment libre sur les pro­fes­seurs des dis­ci­plines sacrées, et sur toutes les choses qui sont de la Religion ou qui y touchent de près. Veillez à ce qu’en rien ni pour rien, mais sur­tout en ce qui touche les choses de la Religion, on n’emploie dans les écoles que des livres exempts de tout soup­çon d’er­reur. Avertissez ceux qui ont charge d’âmes, d’être vos coopé­ra­teurs vigi­lants en tout ce qui concerne les écoles des enfants et du pre­mier âge. Que les écoles ne soient confiées qu’à des maîtres et à des maî­tresses d’une hon­nê­te­té éprou­vée, et que pour ensei­gner les élé­ments de la foi chré­tienne aux petits gar­çons et aux petites filles on ne se serve que de livres approu­vés par le Saint-​Siège. Sur ce point Nous ne pou­vons dou­ter que les Curés ne soient les pre­miers à don­ner l’exemple, et que, pres­sés par vos inces­santes exhor­ta­tions, ils ne s’ap­pliquent chaque jour davan­tage à ins­truire les enfants des élé­ments de la doc­trine chré­tienne, se sou­ve­nant que c’est là un des devoirs les plus graves de la charge qui leur est confiée15. Vous devrez de même leur rap­pe­ler que dans leurs ins­truc­tions soit aux enfants, soit au peuple, ils ne doivent jamais perdre de vue le Catéchisme romain publié, confor­mé­ment au décret du Concile de Trente, par l’ordre de saint Pie V, notre pré­dé­ces­seur d’im­mor­telle mémoire, et recom­man­dé à tous les pas­teurs des âmes par d’autres Souverains Pontifes, notam­ment par Clément XIII, comme « un secours on ne peut plus propre à repous­ser les fraudes des opi­nions per­verses, à pro­pa­ger et à éta­blir d’une manière solide la véri­table et saine doc­trine.« 16

Vous ne vous éton­ne­rez pas, Vénérables frères, si nous vous par­lons un peu lon­gue­ment sur ce sujet. Votre pru­dence, assu­ré­ment, a recon­nu qu’en ces temps périlleux nous devons, vous et Nous, faire les plus grands efforts, employer tous les moyens, lut­ter avec une constance inébran­lable, déployer une vigi­lance conti­nuelle pour tout ce qui touche aux écoles à l’ins­truc­tion et à l’é­du­ca­tion des enfants et des jeunes gens de l’un et de l’autre sexe. Vous savez que, de nos jours, les enne­mis de la Religion et de la socié­té humaine, pous­sés par un esprit vrai­ment dia­bo­lique, s’at­tachent à per­ver­tir par tous les moyens le cœur et l’in­tel­li­gence des jeunes gens dès le pre­mier âge. C’est pour­quoi il n’y a pas de moyen qu’ils ne mettent en œuvre, il n’y a pas d’en­tre­prise auda­cieuse qu’ils ne tentent pour sous­traire entiè­re­ment à l’au­to­ri­té de l’Église et à la vigi­lance des sacrés Pasteurs les écoles et tout éta­blis­se­ment des­ti­né à l’é­du­ca­tion de la jeunesse.

Nous avons donc la ferme espé­rance que nos très chers Fils en Jésus-​Christ, tous les Princes de l’Italie, aide­ront votre fra­ter­ni­té de leur puis­sant patro­nage, afin que vous puis­siez rem­plir avec plus de fruit les devoirs de votre charge que nous venons de rap­pe­ler. Nous ne dou­tons pas non plus qu’ils n’aient la volon­té de pro­té­ger l’Église et tous ses droits, soit spi­ri­tuels, soit tem­po­rels. Rien n’est plus conforme à la reli­gion et à la pié­té qu’ils ont héri­tée de leurs ancêtres, et dont ils se montrent ani­més. Il ne peut pas échap­per à leur sagesse que la cause pre­mière de tous les maux dont nous sommes acca­blés n’est autre que le mal fait à la Religion et à l’Église catho­lique dans les temps anté­rieurs, mais sur­tout à l’é­poque où parurent les Protestants. Ils voient, par exemple, que le mépris crois­sant de l’au­to­ri­té des sacrés Pontifes, que les vio­la­tions chaque jour plus mul­ti­pliées et impu­nies des pré­ceptes divins et ecclé­sias­tiques, ont dimi­nué dans une pro­por­tion ana­logue le res­pect du peuple pour la puis­sance civile, et ouvert aux enne­mis actuels de la tran­quilli­té publique une voie plus large aux révoltes et aux sédi­tions. Ils voient de même que le spec­tacle sou­vent renou­ve­lé des biens tem­po­rels de l’Église enva­his, par­ta­gés, ven­dus publi­que­ment, quoi­qu’ils lui appar­tinssent en ver­tu d’un droit légi­time de pro­prié­té, et que l’af­fai­blis­se­ment, au sein des peuples, du sen­ti­ment de res­pect pour les pro­prié­tés consa­crées par une des­ti­na­tion reli­gieuse, ont eu pour effet de rendre un grand nombre d’hommes plus acces­sibles aux asser­tions auda­cieuses du nou­veau Socialisme et du Communisme ensei­gnant que l’on peut de même s’emparer des autres pro­prié­tés et les par­ta­ger ou les trans­for­mer de toute autre manière pour l’u­sage de tous. Ils voient de plus retom­ber peu à peu sur la puis­sance civile toutes les entraves mul­ti­pliées jadis, avec tant de per­sé­vé­rance, pour empê­cher les Pasteurs de l’Église d’u­ser libre­ment de leur auto­ri­té sacrée. Ils voient enfin qu’au milieu des cala­mi­tés qui nous pressent, il est impos­sible de trou­ver un remède d’un effet plus prompt et d’une plus grande effi­ca­ci­té que de faire refleu­rir la Religion dans toute l’Italie, et de rendre toute sa splen­deur à l’Église Catholique qui pos­sède, on n’en sau­rait dou­ter, les moyens les plus propres à secou­rir les indi­gences diverses de l’homme dans toutes les conditions.

Et, en effet, pour employer ici les paroles de saint Augustin : « L’Église catho­lique embrasse non seule­ment Dieu lui-​même, mais encore l’a­mour et la cha­ri­té pour le pro­chain, de telle sorte qu’elle a des remèdes pour toutes les mala­dies qu’é­prouvent les âmes à cause de leurs péchés. Elle exerce et enseigne les enfants d’une manière appro­priée à leur âge, les jeunes gens avec force, les vieillards avec tran­quilli­té, cha­cun, en un mot, selon que l’exige l’âge, non pas seule­ment de son corps, mais encore le déve­lop­pe­ment de son âme. Elle sou­met la femme à son mari par une chaste et fidèle obéis­sance, non pour assou­vir le liber­ti­nage, mais pour pro­pa­ger la race humaine et conser­ver la socié­té domes­tique. Elle met ain­si le mari au-​dessus de la femme, non pour qu’il se joue de ce sexe plus faible, mais afin qu’ils obéissent tous deux aux lois d’un sin­cère amour. Elle assu­jet­tit les fils à leurs parents dans une sorte de ser­vi­tude libre, et l’au­to­ri­té qu’elle donne aux parents sur leurs enfants est une sorte de domi­na­tion com­pa­tis­sante. Elle unit les frères aux frères par un lien de reli­gion plus fort, plus étroit que le lien du sang, elle res­serre tous les liens de paren­té et d’al­liance par une cha­ri­té mutuelle qui res­pecte les noeuds de la nature et ceux qu’ont for­més les volon­tés diverses. Elle apprend aux ser­vi­teurs à s’at­ta­cher à leurs maîtres, non pas tant à cause des néces­si­tés de leur condi­tion que par l’at­trait du devoir ; elle rend les maîtres doux envers leurs ser­vi­teurs par la pen­sée du Maître com­mun, le Dieu suprême, et leur fait pré­fé­rer les voies de la per­sua­sion aux voies de la contrainte. Elle lie les citoyens aux citoyens, les nations aux nations, et tous les hommes entre eux, non seule­ment par le lien social, mais encore par une sorte de fra­ter­ni­té, fruit du sou­ve­nir de nos pre­miers parents. Elle enseigne aux rois à avoir tou­jours en vue le bien de leurs peuples ; elle aver­tit les peuples de se sou­mettre aux rois. Elle apprend à tous, avec une sol­li­ci­tude que rien ne lasse, à qui est dû l’hon­neur, à qui l’af­fec­tion, à qui le res­pect, à qui la crainte, à qui la conso­la­tion, à qui l’a­ver­tis­se­ment, à qui l’ex­hor­ta­tion, à qui la dis­ci­pline, à qui la répri­mande, à qui le sup­plice, mon­trant com­ment toutes choses ne sont pas dues à tous, mais qu’à tous est due la cha­ri­té et à per­sonne l’in­jus­tice.« 17

C’est donc Notre devoir et le vôtre, Vénérables Frères, de ne recu­ler devant aucun labeur, d’af­fron­ter toutes les dif­fi­cul­tés, d’employer toute la force de notre zèle pas­to­ral pour pro­té­ger chez les peuples ita­liens le culte de la Religion catho­lique, non seule­ment en nous oppo­sant éner­gi­que­ment aux efforts des impies qui trament le com­plot d’ar­ra­cher l’Italie elle-​même du sein de l’Église, mais encore en tra­vaillant puis­sam­ment à rame­ner dans la voie du salut ces fils dégé­né­rés de l’Italie qui déjà ont eu la fai­blesse de se lais­ser séduire.

Mais tout bien excellent et tout don par­fait vient d’en haut : appro­chons donc avec confiance du trône de la grâce, Vénérables Frères ; ne ces­sons pas de prier avec sup­pli­ca­tion, de conju­rer par des prières publiques et par­ti­cu­lières le Père céleste des lumières et des misé­ri­cordes, afin que, par les mérites de son Fils unique Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, détour­nant sa face de nos péchés, il éclaire, dans sa clé­mence, tous les esprits et tous les cœurs par la ver­tu de sa grâce ; que domp­tant les volon­tés rebelles il glo­ri­fie la sainte Église par de nou­velles vic­toires et de nou­veaux triomphes, et que, dans toute l’Italie et par toute la terre, le peuple qui le sert croisse en nombre et en mérite. Invoquons aus­si la très sainte Mère de Dieu, Marie la Vierge Immaculée, qui, par son tout-​puissant patro­nage auprès de Dieu, obte­nant tout ce qu’elle demande, ne peut pas deman­der en vain. Invoquons avec elle Pierre, le prince des Apôtres, Paul son frère dans l’a­pos­to­lat, et tous les Saints du ciel, afin que le Dieu très clé­ment, apai­sé par leurs prières, détourne des peuples fidèles les fléaux de sa colère, et accorde dans sa bon­té, à tous ceux qui portent le nom de Chrétiens, de pou­voir par sa grâce et reje­ter tout ce qui est contraire à la sain­te­té de ce nom et pra­ti­quer tout ce qui lui est conforme.

Enfin, Vénérables Frères, rece­vez, en témoi­gnage de Notre vive affec­tion pour vous, la Bénédiction apos­to­lique que, du fond de Notre cœur, Nous vous don­nons avec amour, et à vous, et au Clergé, et aux fidèles laïques confiés à votre vigilance.

Donné à Portici, près Naples, le 8 Décembre de l’an de grâce MDCCCXLIX, de notre Pontificat le IVe.

PIE IX, Pape

  1. Ex. S. Leone Magno, Epist. ad Rusticum Narbonensem []
  2. Sess. V, cap. 2 Sess. XXIV, cap. 4 et 7 de Ref. []
  3. Hoc dog­ma a Christo accep­tum, et incul­ca­tum a Patribus atque a Conciliis, habe­tur etiam in for­mu­lis Professionis Fidei, tum in ea sci­li­cet quae apud Latinos, tum in ea quae apud Graecos, tum in alia quae apud cete­ros Orientales catho­li­cos in usu est []
  4. Ex Trid. Sess. XIII. Dec de SS. Euchar. Sacramento, cap. 2 []
  5. Extant ea super re, prae­ter alia prae­ce­den­tia decre­ta, Encyclicae lit­te­rae Gregorii XVI, datae post­ri­die Nonas maii MDCCCXLIV, quae inci­piunt : Inter prae­ci­puas machi­na­tiones, cujus sanc­tiones Nos quoque incul­ca­vi­mus in Encyc. Ep. data 9 novemb. 1846. []
  6. Vid. Reg. 4 ex iis quae a Patribus in Conc. Trid. delec­tis conscrip­tae et a Pio IV appro­ba­tae fue­runt in Const. Dominici gre­gis, 24 mart. 1564, et addi­tio­nem eidem fac­tam a Congr. Indicis, auc­to­ri­tate Ben. XIV, 17 jun. 1757 quae omnia prae­mit­ti solent Indici libr. pro­hib. []
  7. Vid. Tridentini sess. IV in Decret. de Editione et usu sacro­rum Librorum []
  8. Ex actis Ephesini Concilii, Act. III, et S. Petri Chrysologi Epist. ad Eutychen. []
  9. Leo M. Serm. in anniv. Assumpt. suae []
  10. Ex Concilio oecu­me­ni­co Florentino in Def. Seu Decr. Unionis []
  11. S. Petri, Epist. I, c. II, 13, seq. []
  12. S. Pauli Epist. ad Romanos, XIII, I, seq. []
  13. Exodii, XX, 15, 17. – Deuteronomii V, 19, 21. []
  14. Matthaei XIX 23, seq. – Lucae VI, 4 ; XVIII, 22, seq. – Epist. Jacobi V, 1, seq. []
  15. Tridentinum, Sess. XXIV, c. 4. – Bened. XIV, Const. Etsi minime, 7 febr. 1742. []
  16. In Encyclica Litteris ea de re ad omnes Episcopos datis 14 junii 1761. []
  17. S. Augustinus de Moribus Cathol. Ecclesiae, lib. I. []
23 avril 1791
Sur la révolte des peuples d'Avignon et du Comtat Venaissin, faisant partie des États du pape, avec la lettre d'envoi à l'archevêque d'Avignon. Où se trouve stigmatisée la déclaration des droits de l'homme
  • Pie VI