Instruction de la Sacrée Congrégation des Affaires ecclésiastiques Extraordinaires sur l’Action populaire chrétienne en Italie.
Personne n’ignore comment se sont manifestées, surtout en ces derniers temps, des divergences d’opinions sur la manière de développer et de promouvoir l’action démocratique chrétienne en Italie ; ces divergences n’ont pas peu contribué à troubler l’union et l’harmonie si désirées et si recommandées par le Saint-Père. C’est pour ce motif que, voulant supprimer toute cause de malentendu et de dissentiment parmi les catholiques Italiens, et désireux en même temps de répondre à de nombreuses questions posées de divers côtés, le Souverain Pontife a ordonné d’envoyer la présente Instruction aux Révérendissimes évêques d’Italie.
I. Dans son Encyclique Graves de communi, du 18 janvier 1901, sa Sainteté disait : Il n’est pas permis de donner un sens politique à la Démocratie chrétienne ; – il faut mettre de côté tout sens politique ; – (les préceptes de la nature et de l’Évangile) sont et restent en dehors des partis et des vicissitudes des événements ; – Les projets et l’action des catholiques ne doivent point avoir pour but de préférer et de préparer une forme de gouvernement plutôt qu’une autre.
Voici comment doivent s’entendre ces paroles :
a) Les institutions démocratiques chrétiennes, quel qu’en soit le caractère, doivent être considérées comme des manifestations de l’action populaire chrétienne, basée sur le droit naturel et sur les préceptes de l’Evangile. Il ne faut donc pas les envisager comme des moyens employés à atteindre des fins politiques ou destinés à changer une forme de gouvernement.
b) L’action démocratique chrétienne étant basée sur la justice et sur la charité évangélique, a un champ tellement vaste que, comprise et pratiquée suivant la lettre et l’esprit du Saint-Siège, elle répond aux plus généreuses activités des catholiques et renferme, toute proportion gardée, l’action même de l’Église parmi le peuple. La Lettre Permoti nos, adressée au cardinal-archevêque de Malines le 10 juillet 1895, indique en ces termes quelle est l’étendue de l’action populaire chrétienne : « La question sociale offre plus d’un aspect à qui l’examine sérieusement. Elle se rapporte, sans doute, aux biens extérieurs, mais surtout à la religion et à la morale ; en outre, elle se rattache naturellement aux règles de la législation civile, si bien que, somme toute, elle embrasse l’ensemble des droits et des devoirs de toutes classes de la société. Aussi les principes évangéliques de justice et de charité – rappelés par Nous –appliqués dans les faits et à la pratique de la vie, doivent-ils nécessairement atteindre la conduite et les multiples intérêts des particuliers. »
c) Par conséquent, dans les programmes, conférences et journaux démocratiques chrétiens, on peut traiter toutes les questions qui tendent au triomphe de la justice et à la pratique de la charité en faveur du peuple, et qui constituent le véritable objet de la démocratie chrétienne.
d) Les journaux démocratiques chrétiens peuvent également donner des informations et des appréciations sur les faits et opinions politiques, mais sans prétendre parler au nom de l’Eglise, ni imposer leur manière de voir dans les matières où la discussion est libre, comme si ceux qui pensent autrement qu’eux n’étaient pas de sincères catholiques.
e) Et il ne suffit pas que les démocrates chrétiens ne parlent point au nom de l’Eglise lorsqu’ils traitent de sujets purement politiques ; en Italie, il est aussi nécessaire qu’ils s’abstiennent de participer à une action politique quelconque, suivant l’esprit et la lettre de ces deux avertissements pontificaux : « Autant le concours des catholiques aux élections administratives est à louer et plus que jamais à favoriser, autant il faut l’éviter dans les élections politiques, comme non expédient pour des raisons d’ordre très élevé, dont une des principales est la situation faite au Souverain Pontife, laquelle, à coup sûr, ne peut être compatible avec l’entière liberté et indépendance de son ministère apostolique. » [1] – « Dans l’état actuel des choses, l’action des catholiques italiens, demeurant étrangère à la politique, se concentre sur le terrain social et religieux ; elle a pour but de moraliser les populations, de les rendre obéissantes à l’Église et à son Chef, de les éloigner des périls du socialisme et de l’anarchie, de leur inculquer le respect du principe d’autorité, enfin de soulager l’indigence par les œuvres si nombreuses de la charité chrétienne. « [2]
f) C’est une obligation pour tous les journalistes catholiques, et conséquemment aussi pour les démocrates chrétiens et pour quiconque veut s’occuper d’action catholique, de maintenir toujours vifs dans le peuple le sentiment et la conviction de la situation intolérable où se trouve réduit le Saint-Siège depuis l’invasion de ses États ; ils ne doivent laisser passer aucune occasion opportune de faire connaître et rappeler les solennelles et incessantes protestations du Saint-Père, ainsi que les motifs très élevés qui les inspirent. Les vrais catholiques doivent avoir toujours présents à la mémoire les nombreux et très graves documents émanés des Souverains Pontifes Pie IX et Léon XIII, revendiquant les droits sacrés et l’indépendance du Siège apostolique ; on devra rappeler avec les Vicaires de Jésus-Christ que « en vain cherche-t-on à dénaturer le caractère de cette lutte en y mêlant des intérêts humains, et des fins politiques, comme si, même lorsque Nous revendiquons la souveraineté pontificale pour sauvegarder l’indépendance du Chef de l’Église et sa liberté, il ne s’agissait pas d’intérêts éminemment religieux. » [3] Il convient, en outre, de ne pas perdre de vue les décrets et les déclarations des Sacrées Congrégations et principalement les règles données en diverses occasions par la Sacrée Pénitencerie concernant les cas pratiques qui présentent quelque connexité avec l’invasion des États de l’Église.
II. Pour la fondation et la direction des périodiques, y compris ceux d’action populaire chrétienne, le clergé doit fidèlement observer les prescriptions de l’article 42 de la Constitution apostolique Officiorum, 25 janvier 1894 [4]. En outre, les journalistes démocrates chrétiens, comme sous les journalistes catholiques, doivent mettre en pratique ces avertissements du Saint-Père : « Que la règle de conduite des écrivains soit de se soumettre avec une fidélité empressée aux évêques, à qui l’Esprit-Saint a confié la direction de l’Eglise de Dieu ; qu’ils respectent leur autorité et qu’ils n’entreprennent rien sans leur volonté ; car dans les combats pour la religion, ils sont les chefs qu’il faut suivre. » [5] – « Le devoir des journalistes, en tout ce qui touche aux intérêts religieux et à l’action de l’Eglise dans la société, est de se soumettre pleinement d’esprit et de cœur, comme tous les autres fidèles, à leurs évêques et au Souverain Pontife ; d’exécuter et de faire connaître leurs ordres, de seconder leurs initiatives spontanément et sans réserve ; de respecter et faire respecter leurs décisions. » [6] – « Ou ne doit pas croire que ceux-là seuls manquent à leurs devoirs de catholiques qui rejettent ouvertement l’autorité de leurs chefs ; ils y manquent aussi ceux qui s’opposent à cette autorité par d’habiles tergiversations, par des voies obliques et dissimulées, La vertu vraie et sincère de l’obéissance ne se contente pas de paroles ; elle consiste surtout dans la soumission de l’esprit et de la volonté… Si des journalistes osent enfreindre ces prescriptions et se guider suivant leur appréciation personnelle, soit en préjugeant les questions que le Saint-Siège n’a pas encore tranchées, soit en lésant l’autorité des évêques et en s’arrogeant pour eux-mêmes une autorité qu’ils ne sauraient avoir, qu’ils en soient bien convaincus : c’est en vain qu’ils prétendent conserver le glorieux nom de catholique, ou servir les intérêts de la très sainte et très noble cause qu’ils ont entrepris de défendre et d’exalter. » [7] – Les journalistes catholiques devront travailler à ne jamais mériter le très grave reproche de « s’attaquer mutuellement dans leurs journaux par des injures quotidiennes et publiques ; d’interpréter à leur guise les documents très clairs par lesquels l’autorité ecclésiastique blâme leur manière d’agir ; de différer toujours et avec astuce de se rendre à ces graves admonitions ; enfin, de refuser leur confiance à leurs propres pasteurs et, bien qu’obéissants en paroles, de mépriser en fait leur autorité et leur direction. » [8]
III. Quand les écrits démocratiques chrétiens traitent spécialement de questions concernant la religion, la morale chrétienne et l’éthique naturelle, ils sont soumis à la censure préalable de l’Ordinaire, suivant l’article 41 de la Constitution apostolique Officiorum [9]. En outre les ecclésiastiques, suivant les prescriptions de l’article 42 de la même Constitution, cité ci-dessus, doivent obtenir le consentement préalable de l’Ordinaire même pour la publication d’écrits d’un caractère purement technique.
IV. Dans les fondations de Cercles, Sociétés, etc., on veillera avec soin aux points suivants : 1° les règlements, programmes, manuels et autres documents auront une rédaction et un esprit nettement chrétiens ; 2° les bannières et autres insignes n’auront rien de commun avec les insignes d’origine socialiste ; 3° les statuts et règlements seront préalablement examinés et approuvés par l’Ordinaire ; faute de cette approbation, aucune de ces institutions ne pourra se donner ni être considérée comme une institution catholique, digne de la confiance du clergé et des laïques catholiques ; fous les actes et discours seront pleins de l’Esprit de Jésus-Christ, et, ayant avant tout pour but le règne de Dieu, contribueront efficacement au bien temporel des ouvriers et des pauvres et au progrès de la civilisation chrétienne. Dans toutes les œuvres qui doivent avoir l’autorisation préalable ou la permission de l’autorité ecclésiastique, on devra aviser cette autorité à temps pour lui permettre d’étudier les mesures et les précautions à prendre. En résumé, le Saint-Siège veut – et d’ailleurs la notion même de la hiérarchie ecclésiastique l’exige – que les laïques catholiques ne précèdent pas, niais suivent leurs pasteurs ; ceux-ci, de leur côté, ne négligeront pas de promouvoir avec tout leur zèle et une sollicitude particulière Faction populaire chrétienne, si nécessaire de nos jours et si fréquemment recommandée par le Saint-Père.
V. Les souscriptions et quêtes pour les œuvres d’action sociale et démocratique chrétienne sont soumises à l’autorité et la surveillance de l’Ordinaire. Gomme en certaines circonstances et des cas particuliers ces quêtes pourraient être des causes d’agitation ou de dissipation dans les Séminaires et autres écoles soumises à l’Ordinaire et même dans les maisons et les collèges de religieux, sans le préalable et exprès consentement de leur Evêque ou de leur supérieur respectif.
VI. Aucun journal, même catholique et organe d’action populaire chrétienne, ne peut être introduit dans les Séminaires, collèges et écoles dépendant de l’autorité ecclésiastique, sans la permission expresse des supérieurs immédiats ; ceux-ci devront absolument avoir d’abord l’autorisation de leur propre évêque pour chaque journal et chaque revue. En règle générale, il ne convient pas que le temps destiné à la formation ecclésiastique et à l’étude soit employé à lire les journaux, particulièrement ceux qui exigent chez leurs lecteurs des garanties spéciales d’expérience et un véritable esprit de piété chrétienne. Les supérieurs d’Ordres et de Congrégations n’oublieront pas ces règles et devront les faire observer dans leurs familles religieuses.
VII. Les conférences sur la démocratie chrétienne devant être souvent, et quant à la forme et quant au fond, la défense de la doctrine catholique contre les erreurs socialistes, elles exigent de fortes études et une prudence particulière ; par suite, aucun prêtre ni aucun clerc ne pourra en donner sans a permission de l’Ordinaire du lieu. A ces conférences s’appliquent les règles suivantes de l’Instruction de la Sacrée Congrégation des Évêques et Réguliers, du 31 juillet 1894, sur la prédication :
« S’il s’agit de prêtres de leur diocèse, les évêques ne leur confieront jamais un ministère aussi auguste sans les avoir éprouvés ou par voie d’examen ou de toute autre manière opportune Nisi prius de vita et scientia et moribus probati fuerint [10]. Quand il s’agira de prêtres d’un autre diocèse, ils ne leur permettront pas de prêcher dans le leur, surtout dans les occasions plus solennelles, s’ils ne présentent des lettres de leur propre évêque ou de leur propre supérieur régulier qui donnent bon témoignage de leurs mœurs et de leur capacité pour cette fonction. Les supérieurs des religieux, de quelque Ordre, Société ou Congrégation que ce soit, ne permettront à aucun de leurs sujets de prêcher, et encore moins le présenteront-ils aux Ordinaires avec des lettres testimoniales avant de s’être très bien assurés et de la régularité de sa conduite et de la rectitude de sa méthode dans la prédication de la parole divine. Que si les Ordinaires, après avoir accepté un prédicateur sur les bonnes recommandations qu’il a présentées, le voyaient ensuite, dans l’exercice de son ministère, dévier des règles et des enseignements donnés en cette Lettre, ils le rappelleront promptement au devoir par une réprimande opportune ; si elle ne suffit pas, qu’ils lui retirent la mission confiée, et qu’ils usent même des peines canoniques si la nature du cas le demande. » Le motif de ces précautions est clairement indiqué en ces termes dans le même document : « Quant à ces conférences qui visent à défendre la religion des attaques de ses ennemis, elles sont de temps en temps nécessaires, mais c’est une charge qui n’est pas faite pour toutes les épaules ; elle est faite, seulement pour les plus robustes. Et encore, ces puissants orateurs doivent, en cette matière, user d’une grande prudence ; il convient de ne faire ces discours apologétiques que lorsque, d’après les lieux, les temps et les auditoires, il en est véritablement besoin, et qu’on peut en espérer un vrai profit, ce dont les juges les plus compétents ne peuvent être évidemment que les Ordinaires ; il convient de les faire de manière que la démonstration ait ses profondes assises dans la doctrine sacrée beaucoup plus que dans les arguments humains et naturels ; il convient de les faire avec tant de solidité et de clarté que l’on évite le danger de laisser certains esprits plus impressionnés par les erreurs que par les vérités qu’on y a opposées, plus atteints par les objections que par les réponses. »
– Pour que toutes ces règles soient mieux observées, aucun prêtre ou clerc ne prendra part à aucune réunion qui voudrait se soustraire à la vigilance pastorale et à l’action de l’Ordinaire.
VIII. Les doctrines socialistes contenant dans leur ensemble de véritables hérésies, les conférences contradictoires avec les socialistes sont soumises aux décrets du Saint-Siège relatifs aux discussions publiques avec les hérétiques. Le décret de la Sacrée Congrégation de la Propagande du 7 février 1645 résume ainsi la législation toujours en vigueur sur cette matière :
« 1° Les conférences et discussions publiques entre catholiques et hérétiques sont permises chaque fois qu’on espère qu’elles produiront un plus grand bien et qu’elles sont accompagnées de certaines autres circonstances déterminées par les théologiens, comme étaient, par exemple, les discussions soutenues par saint Augustin contre les Donatistes et autres hérétiques ;
« 2° Le Saint-Siège et les Pontifes romains, considérant que souvent ces discussions, conférences et réunions contradictoires ne produisaient aucun fruit, ou même avaient une issue fâcheuse, les ont fréquemment prohibées et ordonné aux supérieurs ecclésiastiques de chercher à les supprimer ; et, lorsque cela leur serait impossible, de travailler au moins à ce qu’elles n’aient pas lieu sans l’intervention de l’autorité apostolique, et que les orateurs soient des personnages capables de faire triompher la vérité chrétienne. » A maintes reprises la S. C. de la Propagande a donné par écrit à ses missionnaires des ordres identiques, leur enjoignant de ne pas entrer publiquement en discussion avec les hérétiques.
Un des motifs pour lesquels le Saint-Siège a interdit ces débats publics est indiqué dans un autre décret du 8 mars 1625, par ces mots qui ont encore aujourd’hui une douloureuse actualité : « Parce que souvent ou la fausse éloquence, ou l’audace, ou le genre d’auditoire font que l’erreur applaudie l’emporte sur la vérité. »
IX. En certains écrits et discours, on a souvent remarqué un langage inexact et peu conforme à la modération et à la charité chrétiennes. En conséquence, les catholiques qui veulent mériter la bénédiction de Dieu et la confiance de l’autorité ecclésiastique, auront pour règle les principes suivants :
a) L’action démocratique chrétienne ne doit pas être considérée comme une chose nouvelle ; elle est aussi ancienne que les préceptes et les enseignements de l’Evangile. Jésus-Christ a ennobli la pauvreté et a imposé aux riches de graves devoirs à l’égard des pauvres et des ouvriers. « Il fallait rapprocher les deux classes, établir entre elles un lien religieux et indissoluble. Ce fut le rôle de la charité. Elle créa un lien social et lui donna une force et une douceur inconnues jusqu’alors ; elle inventa, en se multipliant elle-même, un remède à tous les maux, une consolation à toutes les douleurs, et elle sut, par ses innombrables œuvres et institutions, susciter une noble émulation de zèle, de générosité et d’abnégation. » (Discours du Saint-Père aux ouvriers français, 30 octobre 1889.) « En tout temps et sans cesse, il Nous plaît de le répéter ici, l’Eglise s’est préoccupée avec toute sa sollicitude du sort des classes pauvres et des ouvriers. Quand sa parole était écoutée et obéie par les peuples, sa liberté d’action moins entravée, et qu’elle pouvait disposer dp ressources plus considérables, l’Eglise venait en aide aux pauvres et aux travailleurs, non seulement par les largesses de sa charité, mais encore en suscitant et favorisant ces grandes institutions que furent les corporations, lesquelles ont si largement contribué au progrès des arts et des métiers, en procurant aux ouvriers eux-mêmes une amélioration dans leur condition économique et un plus grand bien-être. Du reste, ce que l’Église a enseigné et mis en pratique eu d’autres temps, elle le proclame et cherche à le réaliser encore aujourd’hui. » [11]
La Sainte Église peut avec raison se vanter d’avoir toujours été l’initiatrice de toutes ces éludes de sociologie que quelques-uns veulent maintenant présenter comme une chose nouvelle. « C’est une grande gloire de l’Église d’avoir perfectionné la science du Droit ; on ne pourra jamais nier qu’elle ait grandement contribué par ses doctrines, ses exemples et ses institutions, à la solution de ces problèmes complexes sur lesquels s’acharnent les spécialistes des sciences économiques cl sociales. » [12]
b) Il faut considérer comme absolument contraire au véritable esprit de charité et, par suite, même de la démocratie chrétienne, un langage qui pourrait inspirer au peuple de l’aversion pour les classes supérieures de la société. Jésus-Christ a voulu unir tous les hommes par le lien de la charité, qui est la perfection de la justice, pour que, animés d’un amour réciproque, ils travaillent à se faire du bien les uns aux autres. Sur ce devoir d’aide mutuelle qui incombe à toutes les classes de la société, écoutez les enseignements du Souverain Pontife dans l’Encyclique Graves de communi : « Il faut mettre la démocratie chrétienne à couvert d’un autre grief : à savoir qu’elle consacre ses soins aux intérêts des classes inférieures, mais en paraissant laisser de côté les classes supérieures, dont l’utilité n’est pas moindre pour la conservation et l’amélioration de l’État […] A cause de l’union naturelle du peuple avec les autres classes de la société, union dont la fraternité chrétienne rend les liens encore plus étroits, ces classes elles-mêmes ressentent l’influence de tous les soins empressés apportés au soulagement du peuple, d’autant plus que, pour obtenir un bon résultat, il est convenable qu’elles soient appelées à prendre leur part d’action. […] On doit surtout faire appel au bienveillant concours de ceux à qui leur situation, leur fortune, leur culture d’esprit ou leur culture morale assurent dans la société plus d’influence. A défaut de ce concours, à peine est-il possible de faire quelque chose de vraiment efficace pour améliorer, comme on le voudrait, la vie du peuple. Le moyen le plus sûr et le plus rapide d’y arriver est que les citoyens les plus hauts placés mettent en commun les énergies d’un zèle qui sait se multiplier. »
c) Il serait souverainement injuste de présenter les associations et œuvres catholiques fondées jusqu’à ce jour comme ayant peu mérité de l’action populaire chrétienne, alors que, au contraire, le Saint-Père a décerné les éloges suivants à l’épiscopat, au clergé italien et à ces œuvres au moment où elles étaient persécutées : « Par vos généreux efforts, Vénérables Frères, et par ceux du clergé et des fidèles qui vous sont confiés, on obtint des résultats heureux et salutaires qui pouvaient en faire présager de plus grands encore dans un avenir prochain. Des centaines d’associations et des Comités surgirent en diverses contrées d’Italie, et leur zèle infatigable fit naître des caisses rurales, des fourneaux économiques, des asiles de nuit, des cercles de récréations pour les fêtes, des œuvres de catéchisme, d’autres ayant pour but l’assistance des malades ou la tutelle des veuves et des orphelins, et tant d’autres institutions de bienfaisance. » [13]
d) On ne pourrait approuver dans les publications catholiques un langage qui, s’inspirant de nouveautés malsaines, semblerait railler la piété des fidèles et pousser à de nouvelles orientations de la vie chrétienne, à de nouvelles directions de l’Église, à de nouvelles aspirations de l’âme moderne, une nouvelle vocation sociale du clergé, une nouvelle civilisation chrétienne, etc. Pour éviter toute tendance dangereuse, tous les catholiques se rappelleront et appliqueront à leur situation ces graves avertissements donnés par le Saint-Père au clergé français :
« Assurément, il y a des nouveautés, avantageuses, propres à faire avancer le royaume de Dieu dans les âmes et dans la société. Mais, nous dit l’Évangile [14], c’est au père de famille, et non aux enfants et aux serviteurs, qu’il appartient de les examiner et, s’il le juge à propos, de leur donner droit de cité, à côté des usages anciens et vénérables qui composent l’autre partie de son trésor. » [15] – On sait que le Siège apostolique « a de tout temps réglé la discipline, sans toucher à ce qui est de droit divin, de façon à tenir compte des mœurs et des exigences des nations si diverses que l’Église réunit dans son sein. Et qui peut douter que celle-ci ne soit prête à agir encore de même si le salut des âmes le demande ? Toutefois, ce n’est pas au gré des particuliers facilement trompés par les apparences du bien que la question se doit résoudre ; mais c’est à l’Église qu’il convient de porter un jugement, et tous doivent y acquiescer, sous peine d’encourir la censure portée par Notre prédécesseur Pie VI. Celui-ci a déclaré la proposition 73 du Synode de Pistoie « injurieuse pour l’Église et l’Esprit de Dieu qui la régit, en tant qu’elle soumet à la discussion la discipline établie et approuvée par l’Église, comme si l’Église pouvait établir une discipline inutile et trop lourde pour la liberté chrétienne. » Et le dessein des novateurs est encore plus dangereux et plus opposé à la doctrine et à la discipline catholiques. Ils pensent qu’« il faut introduire une certaine liberté dans l’Église, afin que la puissance et la vigilance de l’autorité étant, jusqu’à un certain point, restreintes, il soit permis à chaque fidèle de développer librement son initiative et son activité ». [16]
e) Plus encore que les simples fidèles, les prêtres, et spécialement les jeunes, doivent avoir en horreur cet esprit de nouveauté ; et bien qu’il soit très désirable que ceux-ci aillent au peuple, conformément à la volonté du Saint-Père, néanmoins ils doivent procéder en cela avec la nécessaire subordination à leurs supérieurs ecclésiastiques, mettant ainsi en pratique ces très importants avertissements donnés par l’auguste Pontife même à ceux qui ont déjà mérité de justes éloges pour avoir fait preuve de grande activité et d’esprit de sacrifice dans l’action populaire chrétienne :
« Nous connaissons, et le monde entier connaît comme Nous, les qualités qui vous distinguent. Pas une bonne œuvre dont vous ne soyez ou les inspirateurs ou les apôtres. Dociles aux conseils que nous avons donnés dans Notre Encyclique Rerum Novarum, vous allez au peuple, aux ouvriers, aux pauvres. Vous cherchez par tous les moyens à leur venir en aide, à les moraliser et à rendre leur sort moins dur. Dans ce but, vous provoquez des réunions et des Congrès ; vous fondez des patronages, des cercles, des caisses rurales, des bureaux d’assistance et de placement pour les travailleurs. Vous vous ingéniez à introduire des réformes dans l’ordre économique et social, el, pour un si difficile labeur, vous n’hésitez pas à faire de notables sacrifices de temps et d’argent. C’est encore pour cela que vous écrivez des livres ou des articles dans les journaux et les revues périodiques. Toutes ces choses en elles-mêmes sont très louables, et vous y donnez des preuves non équivoques de bon vouloir, d’intelligent et généreux dévouement aux besoins les plus pressants de la société contemporaine et des âmes. Toutefois, très chers Fils, Nous croyons devoir appeler paternellement votre attention sur quelques principes fondamentaux, auxquels vous ne manquerez pas de vous conformer si vous voulez que votre action soit réellement fructueuse et féconde. Souvenez-vous avant toute chose que, pour être profitable au bien et digne d’être loué, le zèle doit être « accompagné de discrétion, de rectitude et de pureté. » Ainsi s’exprime le grave et judicieux Thomas A‑Kempis Mais la discrétion dans les œuvres et dans le choix des moyens pour les faire réussir est d’autant plus indispensable que les temps présents sont plus troublés et hérissés de difficultés nombreuses. Tel acte, telle mesure, telle pratique de zèle pourront être excellents en eux-mêmes, lesquels, vu les circonstances, ne produiront que des résultats fâcheux. Les prêtres éviteront cet inconvénient et ce malheur si, avant d’agir et dans l’action, ils ont soin de se conformer à l’ordre établi et aux règles de la discipline. Or, la discipline ecclésiastique exige l’union entre les divers membres de la hiérarchie, le respect et l’obéissance des inférieurs à l’égard des supérieurs, si donc, Nos chers Fils, comme tel est certainement votre cas, vous désirez que, dans la lutte formidable engagée contre l’Église par les sectes antichrétiennes et par la cité du démon, la victoire reste il Dieu et à son Église, il est d’une absolue nécessité que vous combattiez tous ensemble, en grand ordre et en exacte discipline, sous le commandement de vos chefs hiérarchiques. N’écoutez pas ces hommes néfastes qui, tout en se disant chrétiens et catholiques, jettent la zizanie dans le champ du Seigneur et sèment la division dans son Église en attaquant et souvent même en calomniant les évêques « établis par l’Esprit-Saint pour régir l’Église de Dieu [17]. » Ne lisez ni leurs brochures ni leurs journaux. Un bon prêtre ne doit autoriser en aucune manière ni leurs idées ni la licence de leur langage. Pourrait-il jamais oublier que, le jour de son ordination, il a solennellement promis à son évêque, en face des saints autels, obedientiam et reverentiam ? Par-dessus tout, Nos chers Fils, rappelez-vous que la condition indispensable du vrai zèle sacerdotal et le meilleur gage du succès dans les œuvres auxquelles l’obéissance hiérarchique vous consacre, c’est la pureté et la sainteté de la vie. » [18]
f) Également, en s’occupant de l’action populaire chrétienne, que les prêtres le fassent toujours avec dignité et sans compromettre cet esprit ecclésiastique d’où émanent tout leur prestige et toute leur force. Les enseignements et décrets du Concile de Trente sur la vie et la conduite des clercs sont aujourd’hui plus nécessaires encore que par le passé. « A ces recommandations du saint Concile, écrivait le Saint-Père dans la Lettre au clergé français que nous venons de citer, que Nous voudrions, Nos chers Fils, graver dans tous vos cœurs, manqueraient assurément les prêtres qui adopteraient dans leurs prédications un langage peu en harmonie avec la dignité de leur sacerdoce et la sainteté de la parole de Dieu, qui assisteraient à des réunions populaires où leur présence ne servirait qu’à exciter les passions des impies et des ennemis de l’Église, et les exposeraient eux-mêmes aux plus grossières injures, sans profit pour personne et au grand étonnement, sinon au scandale, des pieux fidèles, qui prendraient les manières d’être et d’agir et l’esprit des séculiers. Assurément, le sel a besoin d’être mélangé à la masse qu’il doit préserver de la corruption, en même temps que lui-même se défend contre elle sous peine de perdre toute saveur et de n’être plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds [19]. De même le prêtre, sel de la terre, dans son contact obligé avec la société qui l’entoure, doit-il conserver la modestie, la gravité, la sainteté dans son maintien, ses actes, ses paroles, et ne pas se laisser envahir par la légèreté, la dissipation, la vanité des gens du monde. »
En faisant parvenir la présente Instruction aux Révérendissimes Ordinaires d’Italie, Sa Sainteté a la confiance que tous, collaborant à l’action populaire chrétienne, les plus âgés avec leur expérience, et les jeunes avec leur saint enthousiasme, on parviendra à obtenir ces salutaires effets de paix et de concorde que Sa Sainteté a tant à cœur, suivant ce qu’Elle répétait encore dans le Bref adressé au Congrès de Tarente en août 1901, et dans le discours prononcé le 23 décembre de la même année devant le Sacré-Collège. « Nous demandions, disait le Saint-Père, le concours unanime et la coopération concordante de toutes les bonnes volontés. Qu’ils viennent, les jeunes, qu’ils apportent volontiers l’énergique et ardente activité qui caractérise leur âge ; qu’ils viennent, ceux qui ont la maturité, et qu’ils apportent avec confiance, outre leur foi éprouvée, la pondération et le jugement, fruits de l’expérience. Unique et commun est le but, égal et également sincère doit être le zèle chez les uns et chez les autres. Pas de défiance, mais une confiance réciproque ; pas de critiques, mais une tolérance chrétienne ; pas de froideur, mais une mutuelle charité. »
Rome, 27 janvier 1902.
M. Card. Rampolla.
Source : Lettres apostoliques de S. S. Léon XIII, tome 7, La Bonne Presse – ASS, vol. 34, p. 401.
- Lettre à S. Em. le cardinal Parocchi, 14 mai 1895.[↩]
- Lettre aux évêques, au clergé et au peuple d’Italie, 5 août 1898.[↩]
- Discours au Sacré-Collège, 23 décembre 1890.[↩]
- « Les membres du clergé, séculier ne doivent pas publier de livres même traitant d’arts et sciences purement naturels sans consulter leur Ordinaire, donnant ainsi l’exemple de l’obéissance à son égard. Il leur est également interdit de prendre, sans l’autorisation préalable de l’Ordinaire, la direction de journaux ou publications périodiques. »[↩]
- Encyclique Nobilissima Gallorum gens, 8 février 1884.[↩]
- Lettre Epístola tua, à l’Archevêque de Paris, 17 juin 1885.[↩]
- Lettre Est sane molestum, à l’Archevêque de Tours, 17 décembre 1888.[↩]
- Lettre Cum huic, à l’Evêque d’Urgel, 20 mars 1893.[↩]
- « Tous les fidèles sont tenus de soumettre préalablement à la censure ecclésiastique au moins les livres qui traitent des divines Ecritures, de la Théologie, de l’Histoire ecclésiastique, du Droit Canon, de la Théologie naturelle, de l’Éthique et autres sciences religieuses ou morales du même genre, et en général tous les écrits qui traitent spécialement de la religion et des mœurs. »[↩]
- Conc. Trid., sess. V., cap. II, De Reform.[↩]
- Discours du Saint-Père aux ouvriers français, 18 octobre 1887.[↩]
- Motu proprio Ut mysticam sponsam Christi, 14 mars 1891.[↩]
- Encyclique Spesse volte, 5 août 1898.[↩]
- Matth., xiii, 5.[↩]
- Encyclique Depuis le jour, 8 septembre 1899.[↩]
- Lettre Testem benevolentiæ, au cardinal-archevêque de Baltimore, 22 janvier 1892.[↩]
- Act., XX, 28.[↩]
- Lettre au Clergé français, 8 septembre 1899.[↩]
- Matth., v, 13.[↩]