Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

2 février 1904

Lettre encyclique Ad diem illum

Anniversaire de la définition de l'Immaculée Conception

Table des matières

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, le 2 février 1904

Aux patriarches, pri­mats, arche­vêques, évêques et autres ordi­naires en paix et en com­mu­nion avec le siège apos­to­lique
A nos véné­rables frères les patriarches, pri­mats, arche­vêques, évêques et autres ordi­naires en paix et en com­mu­nion avec le siège apos­to­lique
Pie X, pape.

Vénérables frères, salut et béné­dic­tion apostolique.

Le 50e anniversaire de la définition de l’Immaculée Conception

Le cours du temps nous ramè­ne­ra dans peu de mois à ce jour d’incomparable allé­gresse où, entou­ré d’une magni­fique cou­ronne de car­di­naux et d’évêques – il y a de cela cin­quante ans -, Notre pré­dé­ces­seur Pie IX, pon­tife de sainte mémoire, décla­ra et pro­cla­ma de révé­la­tion divine, par l’autorité du magis­tère apos­to­lique, que Marie a été, dès le pre­mier ins­tant de sa concep­tion, tota­le­ment exempte de la tache ori­gi­nelle. Proclamation dont nul n’ignore qu’elle fut accueillie par tous les fidèles de l’univers d’un tel cœur, avec de tels trans­ports de joie et d’enthousiasme, qu’il n’y eut jamais, de mémoire d’homme, mani­fes­ta­tion de pié­té soit à l’égard de l’auguste Mère de Dieu, soit envers le Vicaire de Jésus-​Christ, ni si gran­diose, ni si unanime.

Aujourd’hui, véné­rables frères, bien qu’à la dis­tance d’un demi-​siècle, ne pouvons-​nous espé­rer que le sou­ve­nir ravi­vé de la Vierge Immaculée pro­voque en nos âmes comme un écho de ces saintes allé­gresses et renou­velle les spec­tacles magni­fiques de foi et d’amour envers l’auguste Mère de Dieu, qui se contem­plèrent en ce pas­sé déjà loin­tain ? Ce qui Nous le fait dési­rer ardem­ment, c’est un sen­ti­ment, que Nous avons tou­jours nour­ri en Notre cœur, de pié­té envers la bien­heu­reuse Vierge aus­si bien que de gra­ti­tude pro­fonde pour ses bien­faits. Ce qui, d’ailleurs, Nous en donne l’assurance, c’est le zèle des catho­liques, per­pé­tuel­le­ment en éveil et qui va au-​devant de tout nou­vel hon­neur, de tout nou­veau témoi­gnage d’amour à rendre à la sublime Vierge. Cependant, Nous ne vou­lons pas dis­si­mu­ler qu’une chose avive gran­de­ment en Nous ce désir : c’est qu’il Nous semble, à en croire un secret pres­sen­ti­ment de votre âme, que Nous pou­vons nous pro­mettre pour un ave­nir peu éloi­gné l’accomplissement des hautes espé­rances, et assu­ré­ment non témé­raires, que fit conce­voir à notre pré­dé­ces­seur Pie IX et à tout l’épiscopat catho­lique la défi­ni­tion solen­nelle du dogme de l’Immaculée Conception de Marie.

Bienfaits de la définition de 1854

Ces espé­rances, à la véri­té, il en est peu qui ne se lamentent de ne les avoir point vues jusqu’ici se réa­li­ser, et qui n’empruntent à Jérémie cette parole : Nous avons atten­du la paix, et ce bien n’est pas venu : le temps de la gué­ri­son, et voi­ci la ter­reur (Jer. VIII, 15). Mais ne faut-​il pas taxer de peu de foi des hommes qui négligent ain­si de péné­trer ou de consi­dé­rer sous leur vrai jour les œuvres de Dieu ? Qui pour­rait comp­ter, en effet, qui pour­rait sup­pu­ter les tré­sors secrets de grâces que, durant tout ce temps, Dieu a ver­sés dans son Église à la prière de la Vierge ? Et, lais­sant même cela, que dire de ce concile du Vatican, si admi­rable d’opportunité ? et de la défi­ni­tion de l’infaillibilité pon­ti­fi­cale, for­mule si bien à point à l’encontre des erreurs qui allaient sitôt sur­gir ? et de cet élan de pié­té, enfin, chose nou­velle et véri­ta­ble­ment inouïe, qui fait affluer, depuis long­temps déjà, aux pieds du Vicaire de Jésus-​Christ, pour le véné­rer face à face, les fidèles de toute langue et de tout cli­mat ? Et n’est-ce pas un admi­rable effet de la divine Providence que nos deux pré­dé­ces­seurs, Pie IX et Léon XIII, aient pu, en des temps si trou­blés, gou­ver­ner sain­te­ment l’Église, dans des condi­tions de durée qui n’avaient été accor­dées à aucun autre pon­ti­fi­cat ? A quoi il faut ajou­ter que Pie IX n’avait pas plus tôt décla­ré de croyance catho­lique la concep­tion sans tache de Marie que, dans la ville de Lourdes, s’inauguraient de mer­veilleuses mani­fes­ta­tions de la Vierge, et ce fut, on le sait, l’origine de ces temples éle­vés en l’honneur de l’Immaculée Mère de Dieu, ouvrages de haute magni­fi­cence et d’immense tra­vail, où des pro­diges quo­ti­diens, dus à son inter­ces­sion, four­nissent de splen­dides argu­ments pour confondre l’incrédulité moderne. – Tant et de si insignes bien­faits accor­dés par Dieu sur les pieuses sol­li­ci­ta­tions de Marie, durant les cin­quante années qui vont finir, ne doivent-​ils pas nous faire espé­rer le salut pour un temps plus pro­chain que nous ne l’avions cru ? Aussi bien est-​ce comme une loi de la Providence divine, l’expérience nous l’apprend, que des der­nières extré­mi­tés du mal à la déli­vrance il n’y a jamais bien loin. Son temps est près de venir, et ses jours ne sont pas loin. Car le Seigneur pren­dra Jacob en pitié, et en Israël encore il aura son élu (Is. XIV, 1). C’est donc avec une entière confiance que nous pou­vons attendre nous-​mêmes de nous écrier sous peu : Le Seigneur a bri­sé la verge des impies. La terre est dans la paix et le silence ; elle s’est réjouie et elle a exul­té (Is. XIV, 5 et 7).

Mais, si le cin­quan­tième anni­ver­saire de l’acte pon­ti­fi­cal par lequel fut décla­rée sans souillure la concep­tion de Marie, doit pro­vo­quer au sein du peuple chré­tien d’enthousiastes élans, la rai­son en est sur­tout dans une néces­si­té qu’ont expo­sée Nos pré­cé­dentes Lettres ency­cliques, Nous vou­lons dire de tout res­tau­rer en Jésus-​Christ. Car, qui ne tient pour éta­bli qu’il n’est route ni plus sûre ni plus facile que Marie par où les hommes puissent arri­ver jusqu’à Jésus-​Christ, et obte­nir, moyen­nant Jésus-​Christ, cette par­faite adop­tion des fils, qui fait saint et sans tache sous le regard de Dieu ?

Marie, fondement de notre foi

Certes, s’il a été dit avec véri­té à la Vierge : Bienheureuse qui avez cru, car les choses s’accompliront qui vous ont été dites par le Seigneur (Luc. I, 45), savoir qu’elle conce­vrait et enfan­te­rait le Fils de Dieu ; si, consé­quem­ment, elle a accueilli dans son sein celui qui par nature est Vérité, de façon que, engen­dré dans un nou­vel ordre et par une nou­velle nais­sance …, invi­sible en lui-​même, il se ren­dît visible dans notre chair (S. Léon le Grand, Serm. 2 de Nativ. Domini, c. II) ; du moment que le Fils de Dieu est l’auteur et le consom­ma­teur de notre foi (Héb. XII, 2), il est de toute néces­si­té que Marie soit dite par­ti­ci­pante des divins mys­tères et en quelque sorte leur gar­dienne, et que sur elle aus­si, comme sur le plus noble fon­de­ment après Jésus-​Christ, repose la foi de tous les siècles.

Comment en serait-​il autre­ment ? Dieu n’eût-il pu, par une autre voie que Marie, nous octroyer le répa­ra­teur de l’humanité et le fon­da­teur de la foi ? Mais, puisqu’il a plu à l’éternelle Providence que l’Homme-Dieu nous fût don­né par la Vierge, et puisque celle-​ci, l’ayant eu de la féconde ver­tu du divin Esprit, l’a por­té en réa­li­té dans son sein, que reste-​t-​il si ce n’est que nous rece­vions Jésus des mains de Marie ?

Aussi, voyons-​nous que dans les Saintes Écritures, par­tout où est pro­phé­ti­sée la grâce qui doit nous adve­nir(I Pe. 1, 10), par­tout aus­si, ou peu s’en faut, le Sauveur des hommes y appa­raît en com­pa­gnie de sa sainte Mère. Il sor­ti­ra, l’Agneau domi­na­teur de la terre, mais de la pierre du désert ; elle mon­te­ra, la fleur, mais de la tige de Jessé. A voir, dans l’avenir, Marie écra­ser la tête du ser­pent, Adam contient les larmes que la malé­dic­tion arra­chait à son cœur. Marie occupe la pen­sée de Noé dans les flancs de l’arche libé­ra­trice ; d’Abraham, empê­ché d’immoler son fils ; de Jacob, contem­plant l’échelle où montent et d’où des­cendent les anges ; de Moïse, en admi­ra­tion devant le buis­son qui brûle sans se consu­mer ; de David, chan­tant et sau­tant en condui­sant l’arche divine ; d’Elie, aper­ce­vant la petite nuée qui monte de la mer. Et, sans nous étendre davan­tage, nous trou­vons en Marie, après Jésus, la fin de la loi, la véri­té des images et des oracles.

Elle nous fait connaître Jésus.

Qu’il appar­tienne à la Vierge, sur­tout à elle, de conduire à la connais­sance de Jésus, c’est de quoi l’on ne peut dou­ter, si l’on consi­dère, entre autres choses, que, seule au monde, elle a eu avec lui, dans une com­mu­nau­té de toit et dans une fami­lia­ri­té intime de trente années, ces rela­tions étroites qui sont de mise entre une mère et son fils. Les admi­rables mys­tères de la nais­sance et de l’enfance de Jésus, ceux notam­ment qui se rap­portent à son incar­na­tion, prin­cipe et fon­de­ment de notre foi, à qui ont-​ils été plus ample­ment dévoi­lés qu’à sa Mère ? Elle conser­vait et repas­sait dans son cœur (Luc 2, 19) ce qu’elle avait vu de ses actes à Bethléem, ce qu’elle en avait vu à Jérusalem dans le temple ; mais ini­tiée encore à ses conseils et aux des­seins secrets de sa volon­té, elle a vécu, doit-​on dire, la vie même de son Fils. Non, per­sonne au monde comme elle n’a connu à fond Jésus ; per­sonne n’est meilleur maître et meilleur guide pour faire connaître Jésus.

Il suit de là, et Nous l’avons déjà insi­nué, que per­sonne ne la vaut, non plus, pour unir les hommes à Jésus. Si, en effet, selon la doc­trine du divin Maître, la vie éter­nelle consiste à vous connaître, vous qui êtes le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-​Christ (Jean XVII, 3) : comme nous par­ve­nons par Marie à la connais­sance de Jésus-​Christ, par elle aus­si, il nous est plus facile d’acquérir la vie dont il est le prin­cipe et la source.

Elle est la Mère des membres du Christ.

Et main­te­nant, pour peu que nous consi­dé­rions com­bien de motifs et com­bien pres­sants invitent cette Mère très sainte à nous don­ner lar­ge­ment de l’abondance de ces tré­sors, quels sur­croîts n’y pui­se­ra pas notre espérance !

Marie n’est-elle pas la Mère de Dieu ? Elle est donc aus­si notre Mère.

Car un prin­cipe à poser, c’est que Jésus, Verbe fait chair, est en même temps le Sauveur du genre humain. Or, en tant que Dieu-​Homme, il a un corps comme les autres hommes ; en tant que Rédempteur de notre race, un corps spi­ri­tuel, ou, comme on dit, mys­tique, qui n’est autre que la socié­té des chré­tiens liés à lui par la foi. Nombreux comme nous sommes, nous fai­sons un seul corps en Jésus-​Christ (Rom. XII, 5). Or, la Vierge n’a pas seule­ment conçu le Fils de Dieu afin que, rece­vant d’elle la nature humaine, il devint homme ; mais afin qu’il devînt encore, moyen­nant cette nature reçue d’elle, le Sauveur des hommes. Ce qui explique la parole des anges aux ber­gers : Un Sauveur vous est né, qui est le Christ, le Seigneur (Luc II, 11).

Aussi, dans le chaste sein de la Vierge, où Jésus a pris une chair mor­telle, là même il s’est adjoint un corps spi­ri­tuel for­mé de tous ceux qui devaient croire en lui : et l’on peut dire que, tenant Jésus dans son sein, Marie y por­tait encore tous ceux dont la vie du Sauveur ren­fer­mait la vie.

Nous tous donc, qui, unis au Christ, sommes, comme parle l’Apôtre, les membres de son corps issus de sa chair et de ses os (Ephes. V, 30), nous devons nous dire ori­gi­naires du sein de la Vierge, d’où nous sor­tîmes un jour à l’instar d’un corps atta­ché à sa tête.

C’est pour cela que nous sommes appe­lés, en un sens spi­ri­tuel, à la véri­té, et tout mys­tique, les fils de Marie, et qu’elle est, de son côté, notre Mère à tous. Mère selon l’esprit, Mère véri­table néan­moins des membres de Jésus-​Christ, que nous sommes nous-​mêmes (S. Aug., Lib. de S. Virginitate, c. VI). Si donc la bien­heu­reuse Vierge est tout à la fois Mère de Dieu et des hommes, qui peut dou­ter qu’elle ne s’emploie de toutes ses forces, auprès de son Fils, tête du corps de l’Église (Coloss. I, 18), afin qu’il répande sur nous qui sommes ses membres les dons de sa grâce, celui notam­ment de la connaître et de vivre par lui (I Joan. IV, 9) ?

Mais il n’est pas seule­ment à la louange de la Vierge qu’elle a four­ni la matière de sa chair au Fils unique de Dieu, devant naître avec des membres humains (S. Bède le Vénérable., l. IV, in Luc. XI), et qu’elle a ain­si pré­pa­ré une vic­time pour le salut des hommes ; sa mis­sion fut encore de la gar­der, cette vic­time, de la nour­rir et de la pré­sen­ter au jour vou­lu, à l’autel.

Aussi, entre Marie et Jésus, per­pé­tuelle socié­té de vie et de souf­france, qui fait qu’on peut leur appli­quer à égal titre cette parole du Prophète : Ma vie s’est consu­mée dans la dou­leur et mes années dans les gémis­se­ments (Ps. XXX, 11). Et quand vint pour Jésus l’heure suprême, on vit la Vierge debout auprès de la croix, sai­sie sans doute par l’horreur du spec­tacle, heu­reuse pour­tant de ce que son Fils s’immolait pour le salut du genre humain, et, d’ailleurs, par­ti­ci­pant tel­le­ment à ses dou­leurs que de prendre sur elle les tour­ments qu’il endu­rait lui eût paru, si la chose eût été pos­sible, infi­ni­ment pré­fé­rable (S. Bonav., I Sent., d. 48, ad Litt., dub. 4).

La consé­quence de cette com­mu­nau­té de sen­ti­ments et de souf­frances entre Marie et Jésus, c’est que Marie méri­ta très légi­ti­me­ment de deve­nir la répa­ra­trice de l’humanité déchue (Eadmer, De Excellentia Virg. Mariæ, c. IX), et, par­tant, la dis­pen­sa­trice de tous les tré­sors que Jésus nous a acquis par sa mort et par son sang.

Certes, l’on ne peut dire que la dis­pen­sa­tion de ces tré­sors ne soit un droit propre et par­ti­cu­lier de Jésus-​Christ, car ils sont le fruit exclu­sif de sa mort, et lui-​même est, de par sa nature, le média­teur de Dieu et des hommes.

Toutefois, en rai­son de cette socié­té de dou­leurs et d’angoisses, déjà men­tion­née, entre la Mère et le Fils a été don­né à cette auguste Vierge d’être auprès de son Fils unique la très puis­sante média­trice et avo­cate du monde entier (Pie IX, in Bull. Ineffabilis).

La source est donc Jésus Christ : de la plé­ni­tude de qui nous avons tout reçu (Joan. I, 16) ; par qui tout le corps, lié et ren­du com­pact moyen­nant les join­tures de com­mu­ni­ca­tion, prend les accrois­se­ments propres au corps et s’édifie dans la cha­ri­té (Ephes. IV, 16). Mais Marie, comme le remarque jus­te­ment saint Bernard, est l’aque­duc (Serm. de temp., in Nativ. B. V., » De Aquæductu « , n. 4) ; ou, si l’on veut, cette par­tie médiane qui a pour propre de rat­ta­cher le corps à la tête et de trans­mettre au corps les influences et effi­ca­ci­tés de la tête, Nous vou­lons dire le cou. Oui, dit saint Bernardin de Sienne, elle est le cou de notre chef, moyen­nant lequel celui-​ci com­mu­nique à son corps mys­tique tous les dons spi­ri­tuels (S. Bernardin de Sienne, Quadrag. de Evangelio æter­no, Serm. X, a. III, c.3). Il s’en faut donc gran­de­ment, on le voit, que Nous attri­buions à la Mère de Dieu une ver­tu pro­duc­trice de la grâce, ver­tu qui est de Dieu seul. Néanmoins, parce que Marie l’emporte sur tous en sain­te­té et en union avec Jésus-​Christ et qu’elle a été asso­ciée par Jésus-​Christ à l’œuvre de la rédemp­tion, elle nous mérite de congruo, comme disent les théo­lo­giens, ce que Jésus-​Christ nous a méri­té de condi­gno, et elle est le ministre suprême de la dis­pen­sa­tion des grâces. Lui, Jésus, siège à la droite de la majes­té divine dans la subli­mi­té des cieux (Hebr. I, 3). Elle, Marie, se tient à la droite de son Fils ; refuge si assu­ré et secours si fidèle contre tous les dan­gers, que l’on n’a rien à craindre, à déses­pé­rer de rien sous sa conduite, sous ses aus­pices, sous son patro­nage, sous sa pro­tec­tion (Pie IX, in Bull. Ineffabilis).

Ces prin­cipes posés, et pour reve­nir à notre des­sein, qui ne recon­naî­tra que c’est à juste titre que Nous avons affir­mé de Marie que, com­pagne assi­due de Jésus, de la mai­son de Nazareth au pla­teau du Calvaire, ini­tiée plus que toute autre aux secrets de son cœur, dis­pen­sa­trice, comme de droit mater­nel, des tré­sors de ses mérites, elle est, pour toutes ces causes, d’un secours très cer­tain et très effi­cace pour arri­ver à la connais­sance et à l’amour de Jésus-​Christ ? Ces hommes, hélas ! nous en four­nissent dans leur conduite une preuve trop péremp­toire qui, séduits par les arti­fices du démon ou trom­pés par de fausses doc­trines, croient pou­voir se pas­ser du secours de la Vierge. Infortunés, qui négligent Marie sous pré­texte d’honneur à rendre à Jésus-​Christ ! Comme si l’on pou­vait trou­ver l’Enfant autre­ment qu’avec la Mère !

La vraie dévotion : la conversion du cœur

S’il en est ain­si, Vénérables Frères, c’est à ce but que doivent sur­tout viser toutes les solen­ni­tés qui se pré­parent par­tout en l’honneur de la Sainte et Immaculée Conception de Marie. Nul hom­mage, en effet, ne lui est plus agréable, nul ne lui est plus doux, que si nous connais­sons et aimons véri­ta­ble­ment Jésus-​Christ. Que les foules emplissent donc les temples, qu’il se célèbre des fêtes pom­peuses, qu’il y ait des réjouis­sances publiques : ce sont choses émi­nem­ment propres à ravi­ver la foi. Mais nous n’aurons là, s’il ne s’y ajoute les sen­ti­ments du cœur, que pure forme, que simples appa­rences de pié­té. A ce spec­tacle, la Vierge, emprun­tant les paroles de Jésus-​Christ, nous adres­se­ra ce juste reproche : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi (Matth. XV, 8).

Car enfin, pour être de bon aloi, le culte de la Mère de Dieu doit jaillir du cœur ; les actes du corps n’ont ici uti­li­té ni valeur s’ils sont iso­lés des actes de l’âme. Or, ceux-​ci ne peuvent se rap­por­ter qu’à un seul objet, qui est que nous obser­vions plei­ne­ment ce que le divin Fils de Marie com­mande. Car, si l’amour véri­table est celui-​là seul qui a la ver­tu d’unir les volon­tés, il est de toute néces­si­té que nous ayons cette même volon­té avec Marie de ser­vir Jésus Notre-​Seigneur. La recom­man­da­tion que fit cette Vierge très pru­dente aux ser­vi­teurs des noces de Cana, elle nous l’adresse à nous-​mêmes : Faites tout ce qu’il vous dira (Jean. II, 5). Or, voi­ci la parole de Jésus-​Christ : Si vous vou­lez entrer dans la vie, obser­vez les com­man­de­ments (Matth. XIX, 17).

Que cha­cun se per­suade donc bien de cette véri­té que, si sa pié­té à l’égard de la bien­heu­reuse Vierge ne le retient pas de pécher ou ne lui ins­pire pas la volon­té d’amender une vie cou­pable, c’est là une pié­té fal­la­cieuse et men­son­gère, dépour­vue qu’elle est de son effet propre et de son fruit naturel.

La sainteté divine exigeait l’Immaculée Conception

Que si quelqu’un désire à ces choses une confir­ma­tion, il est facile de la trou­ver dans le dogme même de la Conception Immaculée de Marie. Car, pour omettre la tra­di­tion, source de véri­té aus­si bien que la Sainte Écriture, com­ment cette per­sua­sion de l’Immaculée Conception de la Vierge a‑t-​elle paru de tout temps si conforme au sens catho­lique, qu’on a pu la tenir comme incor­po­rée et comme innée à l’âme des fidèles ? Nous avons en hor­reur de dire de cette femme – c’est la réponse de Denys le Chartreux – que, devant écra­ser un jour la tête du ser­pent, elle ait jamais été écra­sée par lui, et que, mère de Dieu, elle ait jamais été fille du démon (III Sent., d. II, q. 1). Non, l’intelligence chré­tienne ne pou­vait se faire à cette idée que la chair du Christ, sainte, sans tache et inno­cente, eût pris ori­gine au sein de Marie, d’une chair ayant jamais, ne fût-​ce que pour un rapide ins­tant, contrac­té quelque souillure. Et pour­quoi cela, si ce n’est qu’une oppo­si­tion infi­nie sépare Dieu du péché ? C’est là, sans contre­dit, l’origine de cette convic­tion com­mune à tous les chré­tiens, que Jésus-​Christ avant même que, revê­tu de la nature humaine, il nous lavât de nos péchés dans son sang (cf. Apoc. VII, 14), dut accor­der à Marie cette grâce et ce pri­vi­lège spé­cial d’être pré­ser­vée et exempte, dès le pre­mier ins­tant de sa concep­tion, de toute conta­gion de la tache originelle.

Si donc Dieu a en telle hor­reur le péché que d’avoir vou­lu affran­chir la future Mère de son Fils non seule­ment de ces taches qui se contractent volon­tai­re­ment, mais, par une faveur spé­ciale et en pré­vi­sion des mérites de Jésus-​Christ, de cette autre encore dont une sorte de funeste héri­tage nous trans­met à nous tous, les enfants d’Adam, la triste marque, qui peut dou­ter que ce ne soit un devoir pour qui­conque pré­tend à gagner par ses hom­mages le cœur de Marie, de cor­ri­ger ce qu’il peut y avoir en lui d’habitudes vicieuses et dépra­vées, et de domp­ter les pas­sions qui l’incitent au mal ?

La dévotion mène à l’imitation des vertus de Marie

Quiconque veut, en outre, – et qui ne doit le vou­loir ? – que sa dévo­tion envers la Vierge soit digne d’elle et par­faite, doit aller plus loin, et tendre, par tous les efforts, à l’imitation de ses exemples. C’est une loi divine, en effet, que ceux-​là seuls obtiennent l’éternelle béa­ti­tude qui se trouvent avoir repro­duit en eux, par une fidèle imi­ta­tion, la forme de la patience et de la sain­te­té de Jésus-​Christ : car ceux qu’il a connus dans sa pres­cience, il les a pré­des­ti­nés pour être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-​ci soit l’aîné entre plu­sieurs frères (Rom. VIII, 29). Mais telle est géné­ra­le­ment notre infir­mi­té, que la subli­mi­té de cet exem­plaire aisé­ment nous décou­rage. Aussi a‑ce été, de la part de Dieu, une atten­tion toute pro­vi­den­tielle, que de nous en pro­po­ser un autre aus­si rap­pro­ché de Jésus-​Christ qu’il est per­mis à l’humaine nature, et néan­moins mer­veilleu­se­ment accom­mo­dé à notre fai­blesse. C’est la Mère de Dieu, et nul autre. Telle fut Marie, dit à ce sujet saint Ambroise, que sa vie, à elle seule, est pour tous un ensei­gne­ment. D’où il conclut avec beau­coup de jus­tesse : Ayez donc sous vos yeux, dépeintes comme dans une image, la vir­gi­ni­té et la vie de la bien­heu­reuse Vierge, laquelle réflé­chit, ain­si qu’un miroir, l’éclat de la pure­té et la forme même de la ver­tu (De Virginib., l. II, c. II).

Or, s’il convient à des fils de ne lais­ser aucune des ver­tus de cette Mère très sainte sans l’imiter, tou­te­fois désirons-​Nous que les fidèles s’appliquent de pré­fé­rence aux prin­ci­pales et qui sont comme les nerfs et les join­tures de la vie chré­tienne, Nous vou­lons dire la foi, l’espérance et la cha­ri­té à l’égard de Dieu et du pro­chain. Vertus dont la vie de Marie porte, dans toutes ses phases, la rayon­nante empreinte, mais qui attei­gnirent à leur plus haut degré de splen­deur dans le temps qu’elle assis­ta son Fils mou­rant. – Jésus est cloué à la croix, et on lui reproche, en le mau­dis­sant, de s’être fait le Fils de Dieu (Joan. XIX, 7). Marie, elle, avec une indé­fec­tible constance, recon­naît et adore en lui la divi­ni­té. Elle l’ensevelit après sa mort, mais sans dou­ter un seul ins­tant de sa résur­rec­tion. Quant à la cha­ri­té dont elle brille pour Dieu, cette ver­tu va jusqu’à la rendre par­ti­ci­pante des tour­ments de Jésus-​Christ et l’associée de sa Passion ; avec lui, d’ailleurs, et comme arra­chée au sen­ti­ment de sa propre dou­leur, elle implore par­don pour les bour­reaux, mal­gré ce cri de leur haine : Que son sang soit sur nous et sur nos enfants (Matth. XXVII, 25).

L’Immaculée Conception, rempart de la foi

Mais, afin que l’on ne croie pas que Nous ayons per­du de vue Notre sujet, qui est le mys­tère de l’Immaculée Conception, que de secours effi­caces n’y trouve-​t-​on pas, et dans leur propre source, pour conser­ver ces mêmes ver­tus et les pra­ti­quer comme il convient !

D’où partent, en réa­li­té, les enne­mis de la reli­gion pour semer tant et de si graves erreurs, dont la foi d’un si grand nombre se trouve ébran­lée ? Ils com­mencent par nier la chute pri­mi­tive de l’homme et sa déchéance. Pures fables, donc, que la tache ori­gi­nelle et tous les maux qui en ont été la suite : les sources de l’humanité viciées, viciant à leur tour toute la race humaine ; consé­quem­ment, le mal intro­duit par­mi les hommes, et entraî­nant la néces­si­té d’un rédemp­teur. Tout cela reje­té, il est aisé de com­prendre qu’il ne reste plus de place ni au Christ, ni à l’Église, ni à la grâce, ni à quoi que ce soit qui passe la nature. C’est l’édifice de la foi ren­ver­sé de fond en comble. – Or, que les peuples croient et qu’ils pro­fessent que la Vierge Marie a été, dès le pre­mier ins­tant de sa concep­tion, pré­ser­vée de toute souillure : dès lors, il est néces­saire qu’ils admettent, et la faute ori­gi­nelle, et la réha­bi­li­ta­tion de l’humanité par Jésus-​Christ, et l’Évangile et l’Église, et enfin la loi de la souf­france : en ver­tu de quoi tout ce qu’il y a de ratio­na­lisme et de maté­ria­lisme au monde est arra­ché par la racine et détruit, et il reste cette gloire à la sagesse chré­tienne d’avoir conser­vé et défen­du la vérité.

De plus, c’est une per­ver­si­té com­mune aux enne­mis de la foi, sur­tout à notre époque, de répu­dier, et de pro­cla­mer qu’il les faut répu­dier, tout res­pect et toute obéis­sance à l’égard de l’autorité de l’Église, voire même de tout pou­voir humain, dans la pen­sée qu’il leur sera plus facile ensuite de venir à bout de la foi.C’est ici l’origine de l’anar­chisme, doc­trine la plus nui­sible et la plus per­ni­cieuse qui soit à toute espèce d’ordre, natu­rel et surnaturel.

Or, une telle peste, éga­le­ment fatale à la socié­té et au nom chré­tien, trouve sa ruine dans le dogme de l’Immaculée Conception de Marie, par l’obligation qu’il impose de recon­naître à l’Église un pou­voir, devant lequel non seule­ment la volon­té ait à plier, mais encore l’esprit. Car c’est par l’effet d’une sou­mis­sion de ce genre que le peuple chré­tien adresse cette louange à la Vierge : Vous êtes toute belle, ô Marie, et la tache ori­gi­nelle n’est point en vous (Alléluia de la messe de l’Immaculée Conception).

Et par là se trouve jus­ti­fié une fois de plus ce que l’Église affirme d’elle, que, seule, elle a exter­mi­né les héré­sies dans le monde entier.

Que si la foi, comme dit l’Apôtre, n’est pas autre chose que le fon­de­ment des choses à espé­rer (Hebr. XI, 1), on convien­dra aisé­ment que par le fait que l’Immaculée Conception de Marie confirme notre foi, par là aus­si elle ravive en nous l’espérance. D’autant plus que si la Vierge a été affran­chie de la tache ori­gi­nelle, c’est parce qu’elle devait être la Mère du Christ : or, elle fut Mère du Christ afin que nos âmes pussent revivre à l’espérance des biens éternels.

Et main­te­nant, pour omettre ici la cha­ri­té à l’égard de Dieu, qui ne trou­ve­rait dans la contem­pla­tion de la Vierge imma­cu­lée un sti­mu­lant à gar­der reli­gieu­se­ment le pré­cepte de Jésus-​Christ, celui qu’il a décla­ré sien par excel­lence, savoir que nous nous aimions les uns les autres, comme il nous a aimés ?

Marie veille sur l’Eglise.

Un grand signe – c’est en ces termes que l’apôtre saint Jean décrit une vision divine – un grand signe est appa­ru dans le ciel : une femme, revê­tue du soleil, ayant sous ses pieds la lune, et, autour de sa tête, une cou­ronne de douze étoiles (Apoc. XII, 1). Or, nul n’ignore que cette femme signi­fie la Vierge Marie, qui, sans atteinte pour son inté­gri­té, engen­dra notre Chef. Et l’Apôtre de pour­suivre : Ayant un fruit en son sein, l’enfantement lui arra­chait de grands cris et lui cau­sait de cruelles dou­leurs (Apoc. XII, 2). Saint Jean vit donc la très sainte Mère de Dieu au sein de l’éternelle béa­ti­tude et tou­te­fois en tra­vail d’un mys­té­rieux enfan­te­ment. Quel enfan­te­ment ? Le nôtre assu­ré­ment, à nous qui, rete­nus encore dans cet exil, avons besoin d’être engen­drés au par­fait amour de Dieu et à l’éternelle féli­ci­té. Quant aux dou­leurs de l’enfantement, elles marquent l’ardeur et l’amour avec les­quels Marie veille sur nous du haut du ciel, et tra­vaille, par d’infatigables prières, à por­ter à sa plé­ni­tude le nombre des élus.

C’est notre désir que tous les fidèles s’appliquent à acqué­rir cette ver­tu de cha­ri­té, et pro­fitent sur­tout pour cela des fêtes extra­or­di­naires qui vont se célé­brer en l’honneur de la Conception imma­cu­lée de Marie.

Avec quelle rage, avec quelle fré­né­sie n’attaque-t-on pas aujourd’hui Jésus-​Christ et la reli­gion qu’il a fon­dée ! Quel dan­ger donc pour un grand nombre, dan­ger actuel et pres­sant, de se lais­ser entraî­ner aux enva­his­se­ments de l’erreur et de perdre la foi ! C’est pour­quoi que celui qui pense être debout prenne garde de tom­ber (I Cor. X, 12). Mais que tous aus­si adressent à Dieu, avec l’appui de la Vierge, d’humbles et ins­tantes prières, afin qu’il ramène au che­min de la véri­té ceux qui ont eu le mal­heur de s’en écar­ter. Car Nous savons d’expérience que la prière qui jaillit de la cha­ri­té et qui s’appuie sur l’intercession de Marie n’a jamais été vaine.

Assurément, il n’y a pas à attendre que les attaques contre l’Église cessent jamais : car il est néces­saire que des héré­sies se pro­duisent, afin que les âmes de foi éprou­vée soient mani­fes­tées par­mi vous (I Cor. XI, 19). Mais la Vierge ne lais­se­ra pas, de son côté, de nous sou­te­nir dans nos épreuves, si dures soient-​elles, et de pour­suivre la lutte qu’elle a enga­gée dès sa concep­tion, en sorte que quo­ti­dien­ne­ment nous pour­rons répé­ter cette parole : Aujourd’hui a été bri­sée par elle la tête de l’antique ser­pent (Off. Imm. Conc. Aux II Vêpres à Magnif.).

Indiction du jubilé

Et afin que les tré­sors des grâces célestes, plus lar­ge­ment ouverts que d’ordinaire, nous aident à joindre l’imitation de la Bienheureuse Vierge aux hom­mages que nous lui ren­drons, plus solen­nels, durant toute cette année ; et afin que nous arri­vions plus faci­le­ment ain­si à tout res­tau­rer en Jésus-​Christ, confor­mé­ment à l’exemple de Nos pré­dé­ces­seurs au début de leur pon­ti­fi­cat, nous avons réso­lu d’accorder à tout l’univers une indul­gence extra­or­di­naire, sous forme de jubilé.

C’est pour­quoi, Nous appuyant sur la misé­ri­corde du Dieu tout-​puissant et sur l’autorité des bien­heu­reux apôtres, Pierre et Paul ; au nom de ce pou­voir de lier et de délier qui Nous a été confié, mal­gré notre indi­gni­té : à tous et à cha­cun des fidèles de l’un et de l’autre sexe, rési­dant dans cette ville de Rome, ou s’y trou­vant de pas­sage, qui auront visi­té trois fois les quatre basi­liques patriar­cales, à par­tir du Ier dimanche de la Quadragésime, 21 février, jusqu’au 2 juin inclu­si­ve­ment, jour où se célèbre la solen­ni­té du Très Saint-​Sacrement, et qui, pen­dant un cer­tain temps, auront pieu­se­ment prié pour la liber­té et l’exaltation de l’Église catho­lique et du Siège apos­to­lique, pour l’extirpation des héré­sies et la conver­sion des pécheurs, pour la concorde de tous les princes chré­tiens, pour la paix et l’unité de tout le peuple fidèle, et selon nos inten­tions ; qui auront, durant la période indi­quée, et hors des jours non com­pris dans l’indult qua­dra­gé­si­mal, jeû­né une fois, ne fai­sant usage que d’aliments maigres ; qui, ayant confes­sé leurs péchés, auront reçu le sacre­ment de l’Eucharistie ; de même, à tous les autres, de tout pays, rési­dant hors de Rome, qui, durant la période sus­dite, ou dans le cours de trois mois, à déter­mi­ner exac­te­ment par l’Ordinaire, et même non conti­nus, s’il le juge bon pour la com­mo­di­té des fidèles, et en tout cas avant le 8 décembre, auront visi­té trois fois l’église cathé­drale, ou, à son défaut l’église parois­siale, ou, à son défaut encore, la prin­ci­pale église du lieu, et qui auront dévo­te­ment accom­pli les autres œuvres ci-​dessus indi­quées, Nous concé­dons et accor­dons l’indulgence plé­nière de tous leurs péchés ; per­met­tant aus­si que cette indul­gence, gagnable une seule fois, puisse être appli­quée, par manière de suf­frage, aux âmes qui ont quit­té cette vie en grâce avec Dieu.

Nous accor­dons en outre que les voya­geurs de terre et de mer, en accom­plis­sant, dès leur retour à leur domi­cile, les œuvres mar­quées plus haut, puissent gagner la même indulgence.

Aux confes­seurs approu­vés de fait par leurs propres Ordinaires, Nous don­nons la facul­té de com­muer en d’autres œuvres de pié­té celles pres­crites par Nous, et ce, en faveur des Réguliers de l’un et de l’autre sexe et de toutes les autres per­sonnes, quelles qu’elles soient, qui ne pour­raient accom­plir ces der­nières, avec facul­té aus­si de dis­pen­ser de la com­mu­nion ceux des enfants qui n’auraient pas encore été admis à la recevoir.

De plus, à tous et à cha­cun des fidèles, tant laïques qu’ecclésiastiques, soit régu­liers, soit sécu­liers, de quelque Ordre ou Institut que ce soit, y inclus ceux qui demandent une men­tion spé­ciale, Nous accor­dons la per­mis­sion de se choi­sir, pour l’effet dont il s’agit, un prêtre quel­conque, tant régu­lier que sécu­lier, entre les prêtres effec­ti­ve­ment approu­vés (et de cette facul­té pour­ront user encore les reli­gieuses, les novices et autres per­sonnes habi­tant les monas­tères cloî­trés, pour­vu que le confes­seur, dans ce cas, soit approu­vé pour les reli­gieuses), lequel prêtre, les per­sonnes sus­dites se pré­sen­tant à lui, pen­dant la période mar­quée, et lui fai­sant leur confes­sion avec l’intention de gagner l’indulgence du jubi­lé et d’accomplir les autres œuvres qui y sont requises, pour­ra, pour cette fois seule­ment et uni­que­ment au for de la conscience, les absoudre de toute excom­mu­ni­ca­tion, sus­pense et autres sen­tences et cen­sures ecclé­sias­tiques, por­tées et infli­gées pour quelque cause que ce soit, par la loi ou par le juge, même dans les cas réser­vés d’une manière spé­ciale, qu’ils le soient à n’importe qui, fût-​ce au Souverain Pontife et au Siège apos­to­lique, ain­si que de tous les péchés ou délits réser­vés aux Ordinaires et à Nous-​même et au Siège apos­to­lique, non tou­te­fois sans avoir enjoint au préa­lable une péni­tence salu­taire et tout ce que le droit pres­crit qu’il soit enjoint, et s’il s’agit d’hérésie, sans l’abjuration et la rétrac­ta­tion des erreurs exi­gée par le droit ; de com­muer, en outre, toute espèce de vœux, même émis sous ser­ment et réserves au Siège apos­to­lique (excep­tion faite de ceux de chas­te­té, d’entrée en reli­gion, ou empor­tant une obli­ga­tion accep­tée par un tiers), de com­muer ces vœux, disons-​Nous, en d’autres œuvres pieuses et salu­taires, et s’il s’agit de péni­tents consti­tués dans les ordres, et même régu­liers, de les dis­pen­ser de toute irré­gu­la­ri­té contraire à l’exercice de l’ordre ou à l’avancement à quelque ordre supé­rieur, mais contrac­tée seule­ment pour vio­la­tion de censure.

Nous n’entendons pas, d’ailleurs, par les pré­sentes, dis­pen­ser des autres irré­gu­la­ri­tés, quelles qu’elles soient et contrac­tées de quelque façon que ce soit, ou par délit ou par défaut, soit publique, soit occulte, ou par chose infa­mante, ou par quelque autre inca­pa­ci­té ou inha­bi­li­té ; comme Nous ne vou­lons pas non plus déro­ger à la Constitution pro­mul­guée par Benoît XIV, d’heureuse mémoire, laquelle débute par ces mots : Sacramentum pœni­ten­tiæ, avec les décla­ra­tions y annexées ; ni enfin que les pré­sentes puissent ou doivent être d’aucune espèce d’utilité à ceux que Nous-​même et le Siège apos­to­lique, ou quelque pré­lat ou juge ecclé­sias­tique aurait nom­mé­ment excom­mu­niés, sus­pen­dus, inter­dits ou décla­rés sous le coup d’autres sen­tences ou cen­sures, ou qui auraient été publi­que­ment dénon­cés, à moins qu’ils n’aient don­né satis­fac­tion, durant la période sus­dite, et qu’ils ne se soient accor­dés, s’il y avait lieu, avec les parties.

A quoi il Nous plaît d’ajouter que Nous vou­lons et accor­dons que, même durant tout ce temps du jubi­lé, cha­cun garde inté­gra­le­ment le pri­vi­lège de gagner, sans en excep­ter les plé­nières, toutes les indul­gences accor­dées par Nous ou par nos prédécesseurs.

« L’arc-en-ciel »

Nous met­tons fin à ces lettres, véné­rables frères, en expri­mant à nou­veau la grande espé­rance que Nous avons au cœur, qui est que, moyen­nant les grâces extra­or­di­naires de ce jubi­lé, accor­dé par Nous sous les aus­pices de la Vierge Immaculée, beau­coup qui se sont misé­ra­ble­ment sépa­rés de Jésus-​Christ revien­dront à lui, et que refleu­ri­ra, dans le peuple chré­tien, l’amour des ver­tus et l’ardeur de la pié­té. Il y a cin­quante ans, quand Pie IX, Notre pré­dé­ces­seur, décla­ra que la Conception Immaculée de la bien­heu­reuse Mère de Jésus-​Christ devait être tenue de foi catho­lique, on vit, Nous l’avons rap­pe­lé, une abon­dance incroyable de grâces se répandre sur la terre, et un accrois­se­ment d’espérance en la Vierge ame­ner par­tout un pro­grès consi­dé­rable dans l’antique reli­gion des peuples. Qu’est-ce donc qui Nous empêche d’attendre quelque chose de mieux encore pour l’avenir ? Certes, Nous tra­ver­sons une époque funeste, et Nous avons le droit de pous­ser cette plainte du Prophète : Il n’est plus de véri­té, il n’est plus de misé­ri­corde, il n’est plus de science sur la terre. La malé­dic­tion et le men­songe et l’homicide et le vol et l’adultère débordent par­tout (Os. IV, 1–2). Cependant, du milieu de ce qu’on peut appe­ler un déluge de maux, l’œil contemple, sem­blable à un arc-​en-​ciel, la Vierge très clé­mente, arbitre de paix entre Dieu et les hommes. Je pla­ce­rai un arc dans la nue et il sera un signe d’alliance entre moi et la terre (Gen. IX, 13). Que la tem­pête se déchaîne donc, et qu’une nuit épaisse enve­loppe le ciel : nul ne doit trem­bler. La vue de Marie apai­se­ra Dieu et il par­don­ne­ra. L’arc-en-ciel sera dans la nue, et à le voir je me sou­vien­drai du pacte éter­nel (Gen. IX, 16). Et il n’y aura plus de déluge pour englou­tir toute chair (Ib., 15). Nul doute que si Nous Nous confions, comme il convient, en Marie, sur­tout dans le temps que nous célé­bre­rons avec une plus ardente pié­té son Immaculée Conception, nul doute, disons-​Nous, que Nous ne sen­tions qu’elle est tou­jours cette Vierge très puis­sante qui, de son pied vir­gi­nal, a bri­sé la tête du ser­pent (Off. Imm. Conc. B. V. M.).

Comme gage de ces grâces, véné­rables frères, Nous vous accor­dons dans le Seigneur, avec toute l’effusion de votre cœur, à vous et à vos peuples, la béné­dic­tion apostolique.

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, le 2 février 1904, de notre Pontificat la pre­mière année

Pie X, Pape