Entretien de Mgr di Noia sur la Commission Ecclesia et la FSSPX – 1er juillet 2012


Natif du New Yorker, le secré­taire de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, nous parle de son nou­veau rôle et des défis qui l” attendent.

Dans un sou­ci de pré­ser­ver les pour­par­lers pour une pos­sible récon­ci­lia­tion, le pape Benoît XVI a nom­mé l’ar­che­vêque amé­ri­cain J. Augustine Di Noia, vice-​président de la com­mis­sion char­gée d’ai­der à inté­grer la Fraternité Saint-​Pie X dans la pleine com­mu­nion avec Rome. 

Âgé de 68 ans, ori­gi­naire de la République domi­ni­caine, natif du Bronx, NY, il a été jus­qu’à pré­sent secré­taire de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, il devient vice-​président de la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei.

Il a don­né une inter­view au cor­res­pon­dant Edward Pentin le 27 juin der­nier au sujet de son nou­veau poste, des quelques obs­tacles inhé­rents aux pour­par­lers de réin­té­gra­tion de la Fraternité dans la pleine com­mu­nion, et ses espoirs pour un succès. 

Comme l’ar­che­vêque di Noia n’a pas encore com­men­cé de tra­vailler à la Commission, il a pré­fé­ré ne pas com­men­ter les rap­ports d’une « fuite » de la FSSPX qui disait que celle-​ci avait trou­vé le pré­am­bule doc­tri­nale « clai­re­ment inac­cep­table. » Il s’a­git du docu­ment qui est cen­sé consti­tuer la base d’une récon­ci­lia­tion avec Rome.

NCR – Quelle a été votre réac­tion quand vous avez été nom­mé ? Cela fut-​il une sur­prise ?
Ce fut une sur­prise, mais, ce genre de choses est tou­jours une sur­prise. D’être nom­mé ici [en tant que secré­taire de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements] a déjà été une surprise.

A quelle étape le Vatican en est-​il de ses entre­tiens avec la FSSPX ?
Pour être hon­nête, je ne sais pas. J’ai un sché­ma de ren­sei­gne­ments abruptes en fonc­tion des pro­blèmes à mesure que le dia­logue s’est déve­lop­pé. Quand je suis arri­vé ici, j’ai étu­dié l’his­toire de la réforme et j’ai exa­mi­né de prés le Concile, j’ai donc beau­coup appris sur les objec­tions qui viennent de ce monde. J’ai lu les livres de Romano Amerio et Roberto de Mattei sur le Concile [Vatican II], et, bien sûr, j’ai étu­dié le Concile pen­dant des années, de sorte que j’ai idée de leurs pro­blèmes et de ce que je peux dis­cu­ter avec eux.

Un autre fac­teur de grande impor­tance, auto­bio­gra­phique pour moi, c’est que j’ai pas­sé toute ma vie reli­gieuse, jus­qu’à ce que je vienne ici à Rome, dans un prieu­ré Dominicain, essen­tiel­le­ment à Washington ou à New Haven. Dans ces endroits, l’her­mé­neu­tique de la conti­nui­té et de la réforme, si je puis m’ex­pri­mer ain­si, a été vécue. Je n’ai jamais éprou­vé le Concile comme une rup­ture. Il est inté­res­sant – que lorsque j’ai com­men­cé à lire cette lit­té­ra­ture tra­di­tio­na­liste et l’in­ter­pré­ta­tion que j’ai com­men­cé à en com­prendre, que, dans un cer­tain sens, il y a des pro­blèmes qui sont réels. Mais si on cesse de croire que l’Esprit Saint pré­serve l’Église de l’er­reur, on coupe ses amarres.

Les conciles ne peuvent pas – quelles que soient leurs inter­pré­ta­tions, de droite ou de gauche, ou quelles que soient les inten­tions des auteurs sur les docu­ments du Concile – être induits en erreur. Tous les docu­ments tiennent debout. Le schisme n’est pas la réponse. Je suis donc favo­rable à la fra­ter­ni­té, mais la solu­tion n’est pas la rup­ture d’a­vec l’Église.

Cela étant le cas, pour­quoi pensez-​vous que cer­tains catho­liques ont déci­dé de s’en tenir à « gelé » la tra­di­tion, pour ain­si dire, plu­tôt que d’en­trer en pleine com­mu­nion ?
Je ne sais hon­nê­te­ment pas, je ne peux que spé­cu­ler. Pour dire pour­quoi les gens sont tra­di­tio­na­listes, je dois dire que cela dépend de leurs expé­riences. La litur­gie a été un fac­teur, ce fut une ter­rible révo­lu­tion et un choc pour les gens. Beaucoup de ces gens se sentent aban­don­nés, comme si l’Église les avait lais­sés sur le quai avec le navire. Ainsi, les rai­sons sont très com­pli­quées et varient d’un type de tra­di­tio­na­lisme à l’autre et en fonc­tion des pays, cultures et contextes dans les­quels elles se sont manifestées.

Un autre pro­blème est qu’il y a une inca­pa­ci­té à recon­naître un simple fait de l’his­toire de l’Église : que tous les désac­cords théo­lo­giques ne doivent pas être un sujet de divi­sion. Ainsi, par exemple, les jésuites et les domi­ni­cains ont eu un désac­cord énorme au 16ème siècle au sujet de la théo­lo­gie de la grâce. En fin de compte, le pape leur a inter­dit d’ap­pe­ler héré­tiques les autres et ils se sou­mirent. Le pape a dit, « Vous pou­vez conti­nuer à gar­der votre opi­nion théo­lo­gique », mais il a refu­sé de don­ner une déter­mi­na­tion doc­tri­nale, affir­mant que les jésuites ou les domi­ni­cains avaient rai­son. Dans le cas pré­sent, il s’a­git d’un exemple très inté­res­sant, car il montre que le catho­li­cisme est suf­fi­sam­ment large pour inclure une quan­ti­té énorme de diver­si­tés théo­lo­giques et de débats. Parfois, l’Église peut inter­ve­nir, mais seule­ment quand elle voit les gens glis­ser dans l’hé­ré­sie et, par consé­quent la rup­ture de la communion.

Vous avez tra­vaillé en étroite col­la­bo­ra­tion avec le pape Benoît XVI dans le pas­sé. Quelle est l’im­por­tance de cette récon­ci­lia­tion pour lui ?
Le pape espère la récon­ci­lia­tion – C’est le tra­vail du pape. Le minis­tère de Pierre est avant tout de pré­ser­ver l’u­ni­té de l’Église. Donc, en dehors de tout inté­rêt per­son­nel que le pape Benoît pour­rait avoir, il par­tage son inquié­tude avec Jean-​Paul II. Comme vous le savez, il a été impli­qué dans ce pro­ces­sus depuis le début.

Le Pape se penche dans le pas­sé pour les accueillir, mais il ne va pas céder sur la ques­tion de l’au­then­ti­ci­té de l’en­sei­gne­ment de Vatican II ni sur une série d’actes du magistère.

La Société Saint-​Pie X fait valoir que le Concile Vatican II a pro­mul­gué un ensei­gne­ment qui ne serait pas infaillible et irré­for­mable. Qu’il est pas­to­ral et non dog­ma­tique. Si c’est le cas, pour­quoi est-​il si impor­tant d’être d’ac­cord avec elle ?
C’est un sujet assez dog­ma­tique pour elle. La sacra­men­ta­li­té de l’or­di­na­tion épis­co­pale, pour prendre un exemple, est un déve­lop­pe­ment de l’en­sei­gne­ment de l’é­pis­co­pat, il est donc doctrinale.

Traditionnellement, les doc­trines étaient for­mu­lées comme dogmes assor­tis d’a­na­thèmes. Il n’y a rien de cela dans ce cas, mais c’est cer­tai­ne­ment empli du magis­tère ordi­naire et d’une révi­sion de celui-​ci. C’est riche du point de vue doc­tri­nal. Mais a‑t-​elle pour but de cla­ri­fier ce que Trente ou Vatican a lais­sé ouvert, dois-​je regar­der cela avec l’é­clai­rage de l’Écriture et de la Tradition ?

Il y a des évo­lu­tions doc­tri­nales ici et là. Et la fra­ter­ni­té pense, bien sûr, que tout l’en­sei­gne­ment sur la liber­té reli­gieuse est une rup­ture d’a­vec la Tradition. Cependant, cer­taines per­sonnes très intel­li­gentes ont essayé de sou­li­gner qu’il s’a­git d’un déve­lop­pe­ment cohérent.

Ce que j’ai ten­té de mon­trer, c’est que tout ce qu’ils ont à faire est de dire qu’il n’y a rien dans le Concile qui est contraire à la Tradition et que tous les textes, ou cha­cune de leurs par­ties dis­cu­tables, doivent être lues dans le contexte du Concile – et lues à la lumière de la Tradition. Il me semble, en dépit de leurs dif­fi­cul­tés, qu’ils devraient être en mesure de le faire.

Que dites-​vous à l’ar­gu­ment que si les docu­ments du Concile ne sont ni infaillibles ni immuables alors ils ne sont donc pas contrai­gnants ?
Dire qu’ils ne sont pas contrai­gnants est un sophisme. Le Concile contient des pans entiers du magis­tère ordi­naire, ce qui est de foi divine.

Maintenant, la Constitution pas­to­rale « sur l’Église de notre temps » « Gaudium et spes » fait des com­men­taires sur la nature de la socié­té dont géné­ra­le­ment, tout le monde croit aujourd’­hui qu’ils étaient trop opti­mistes. Eh bien, ce n’est pas de fide divi­na. Ce n’est pas pré­ci­sé, c’est très impré­cis. Mais le Concile est rem­pli du magis­tère ordi­naire. Lorsque je tra­vaillais à la Conférence épis­co­pale [US], et que je par­lais, par exemple, de Veritatis Splendor, les gens me deman­daient : « Est-​ce infaillible ? » Je dirais, « La ques­tion la plus impor­tante est la sui­vante : Est-​ce vrai ? »

Ce que que je vou­lais dire était : La plus grande atten­tion est sur l’in­failli­bi­li­té. C’est pour­quoi Jean-​Paul II et Benoît XVI ont déci­dé de ne plus défi­nir quoi que ce soit infailli­ble­ment, parce que vous voyez qu’il arrive la chose sui­vante : Les gens disent : « Je ne dois croire que ce qui a été défi­ni infailli­ble­ment. » Or, ce n’est pas suf­fi­sant. Voilà pour­quoi il y a une dis­tinc­tion entre le magis­tère ordi­naire et extra­or­di­naire. Le magis­tère extra­or­di­naire, c’est ce que l’Église défi­nit, et cela implique presque tou­jours des dif­fé­rends sur ce qui a été pro­ba­ble­ment défi­ni. Église n’au­rait peut-​être jamais eu à dire que Marie était la Mère de Dieu, si Nestorius ne l’a­vait pas nié. Mais avec le magis­tère ordi­naire, il y a de grandes parts, que nous croyons être de Fide divi­na, qui n’ont jamais été défi­nies. C’est pour­quoi les gens ont par­lé du magis­tère ordi­naire, en essayant de sor­tir de cette lec­ture réduc­trice qui dit que vous n’a­vez qu’à croire ce qui infaillible. Donc, non, le Concile ne rend pas son ensei­gne­ment obli­ga­toire. Les Pères ont écrit comme évêques de l’Église, en union avec le Pape, c’est pour­quoi le Concile est si important.

Pourtant, le car­di­nal Ratzinger a sou­li­gné que le Concile ne devait pas être consi­dé­ré comme une sorte de « super­dog­ma. »
Il n’a pas cher­ché à défi­nir infailli­ble­ment aucune doc­trine ; c’est ce qu’il dit, mais il ne veut pas dire qu’il ne contient pas de grandes parts de magis­tère ordinaire.

Si vous pre­nez les consti­tu­tions dog­ma­tiques, elles sont appe­lés, consti­tu­tions dog­ma­tiques – Révélation divine « Dei Verbum », « Lumen Gentium », ces deux sûre­ment, mais d’autres, aussi.

Qu’apporterait la fra­ter­ni­té Saint-​Pie X comme impact posi­tif sur l’Église si elle se récon­ci­liait ?
Les tra­di­tio­na­listes qui sont main­te­nant dans l’Église, tels que la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pierre, ont appor­té ce qui tient à cœur au pape : la solen­ni­té de la manière dont ils célèbrent la litur­gie, en par­ti­cu­lier dans le domaine de la litur­gie, ils sont un témoi­gnage de la viva­ci­té de la tra­di­tion litur­gique conti­nue d’a­vant le Concile, c’est le mes­sage de Summorum Pontificum. La chose est la sui­vante : Ils ne peuvent pas dire que le Novus Ordo est inva­lide, mais leur célé­bra­tion du Missel de 1962 est quelque chose qui reste attrac­tif et qui nour­rit la foi, même de ceux qui n’ont aucune expé­rience de celui-​ci. C’est donc un fac­teur très important.

J’ai essayé de trou­ver une ana­lo­gie à cet effet. Disons que la Constitution amé­ri­caine peut être lue d’au moins deux façons : la lec­ture des his­to­riens qui s’in­té­ressent au contexte his­to­rique et s’ac­tivent à faire la lumière sur sa signi­fi­ca­tion : les auteurs, les inten­tions des rédac­teurs, les anté­cé­dents des auteurs et de tout ce qui est le tra­vail his­to­rique sur la Constitution. Donc, vous avez une Constitution, vous pou­vez étu­dier l’his­toire et jeter beau­coup de lumière sur la signi­fi­ca­tion de celle-ci.

Toutefois, lorsque la Cour suprême uti­lise la Constitution, quand elle est lue comme un docu­ment vivant ins­ti­tu­tion­nelle sur lequel les ins­ti­tu­tions d’un pays sont fon­dées, c’est une lec­ture dif­fé­rente. Donc, de ce que les rédac­teurs ont pen­sé, et non seule­ment des experts de qui elle dépend – On peut éta­blir un paral­lèle avec les évêques, les experts sont paral­lèles aux periti .

Ces docu­ments ont une indé­pen­dance entre eux. Je dis sou­vent que ce que les pères conci­liaires pen­saient ne pré­sente pas d’im­por­tance parce que c’est la façon dont vous l’ap­pli­quez aujourd’­hui qui compte. C’est un docu­ment vivant.

Pourtant, c’est la façon dont elle a été appli­quée qui est le pro­blème.
Ce qui a été très impor­tant pour les théo­lo­giens, les per­sonnes en charge de com­prendre ce qu’est le Concile, a été de l” inter­pré­té de façon abrupte en rup­ture. Je pense au livre de Louis Bouyer – qu’il a écrit en 1968 – appe­lé « La décom­po­si­tion du catho­li­cisme ». Ensuite, il y a Xavier Rynne, ils ont façon­né la com­pré­hen­sion pour le monde occi­den­tal du Concile en écri­vant ces articles dans The New Yorker.

Le pape a écrit avec brio, de nom­breuses fois, sou­vent, mais, voyez-​vous, en par­tie, les tra­di­tio­na­listes ont réagi avec rai­son contre les inter­pré­ta­tions fan­tai­sistes du Concile par les progressistes.

Que peuvent-​ils appor­ter de posi­tif ?
S’ils sont accep­tés par l’Église et ren­dus à la pleine com­mu­nion, ils seront une sorte de témoi­gnage vivant de la conti­nui­té. Ils peuvent être par­fai­te­ment heu­reux d’être dans l’Église catho­lique, de sorte qu’ils seraient un témoi­gnage vivant pour mon­trer que la conti­nui­té avant et après le Concile est réel.

Mais ce n’est que s’ils sont conformes aux condi­tions du Vatican ?
C’est plus que cela. Ce n’est pas comme un décret – arrêt sur le rouge, allez sur le vert – parce que l’adhé­sion et la pleine com­mu­nion impliquent la foi selon laquelle l’Esprit Saint est la pré­ser­va­tion de l’Église contre les erreurs et que la com­mu­nion avec le Siège de Pierre fait par­tie de la réa­li­té pour être en pleine com­mu­nion. Ce n’est pas optionnel.

Donc, s’ils sont conformes, ils doivent accep­ter les exi­gences néces­saires pour être plei­ne­ment catho­liques, non pas sim­ple­ment ce que le pape dit ou ce que je dis. … Ils ont à dire : « . Bon, alors, vous êtes un catho­lique » ». « Oui, je crois que l’Église est pré­ser­vée de l’er­reur par le Saint-​Esprit » Alors je peux dire, « OK, puis ; vous êtes catholique ».

La socié­té a été nour­rie par des per­sonnes qui uti­lisent le mot « erreur ». « Erreur » est un mot vague dans la tra­di­tion catho­lique. Il y a dif­fé­rents niveaux d’er­reur. Parfois, cela signi­fie qu’on est tom­bé dans l’hé­ré­sie, et par­fois cela signi­fie qu’on est [?].

Votre nou­veau poste est aus­si vice-​président d’Ecclesia Dei, mais on ne sait pas qui vous rem­pla­cez.
Il y avait un vice-​président pen­dant un cer­tain temps, Mgr. Camille Perl. Cependant, ce qu’ils ont fait est de rem­plir une posi­tion qui, je crois a été vide pen­dant trois ans. Je ne sais pas quand Mgr. Perl est entré en retraite.

Certains ont fait valoir que vous avez appor­té votre aide dans la pré­pa­ra­tion d’une struc­ture cano­nique pour le cas où la Fraternité devrait se récon­ci­lier. Est-​ce basé sur le tra­vail consi­dé­rable que vous avez fait pour aider à créer l’or­di­na­riat angli­can ?
Je ne sais pas ; le Pape ne m’a pas dit pour­quoi il m’a choi­si. J’ai été impli­qué dans l’or­di­na­riat, dès le début. J’étais sous-​secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, impli­qué dans les dis­cus­sions qui ont conduit à la for­ma­tion de l’or­di­na­riat, mais je ne suis pas un cano­niste. Je n’ai pas eu un rôle direct dans la com­po­si­tion de la consti­tu­tion, mais, oui, j’ai l’ex­pé­rience, peut-​être du dialogue.

Les angli­cans qui sont venus à Rome cher­cher la pleine com­mu­nion venaient sou­vent me voir. Donc je sup­pose que je dois avoir une sorte d’au­ra qui les attire vers moi [rires].

La per­cep­tion d’un affai­blis­se­ment du dogme salus Ecclesiam nul­la (pas de salut hors de l’Eglise) est-​elle une grande par­tie du pro­blème, comme cer­tains tra­di­tio­na­listes l’af­firment ? Est-​ce que la com­pré­hen­sion actuelle du dogme contre­dit son ensei­gne­ment du pas­sé ?
Je ne sais pas si vous pou­vez jeter le blâme sur le Concile à pro­pos de l’é­mer­gence d’une ten­dance théo­lo­gique qui a sou­li­gné la pos­si­bi­li­té du salut des non-​chrétiens. Mais l’Église a tou­jours affir­mé cela, et elle ne l’a jamais nié. … [Karl] Rahner eut un effet désas­treux sur ce point avec son « chris­tia­nisme ano­nyme ». Mais le Concile ne modi­fie pas l’en­sei­gne­ment de l’Église.

Et pour­tant, ils argu­mentent sur ce point ?
C’est un très bon exemple de deux des choses que nous avons men­tion­nées : le dan­ger de la lec­ture de ce que cela a été lu par Rahner, au lieu que ça ait été lu à la lumière de la Tradition.

Ils affirment que le salut n’est plus qu’à peine pro­cla­mé.
Ralph Martin est d’ac­cord avec cela. Nous avons une crise, parce que l’Église a été infec­tée par l’i­dée que nous n’a­vons pas à être inquiets ou anxieux ou que nous ne pre­nons plus suf­fi­sam­ment le devoir d’an­non­cer le Christ au sérieux. Mais ce n’est pas à cause de Vatican II, mais de la mau­vaise théo­lo­gie. C’est pour­quoi Dominus Iesus fai­sait par­tie de la réponse à la théo­lo­gie des reli­gions. La ques­tion n’est pas qu’ex­tra Ecclesiam nul­la salus a une longue his­toire. Mais ils par­laient d’hé­ré­tiques, et non pas de non-​croyants. Cette for­mule répond aux pro­blèmes d’hé­ré­sies. Elle a son histoire.

Le Concile a dit qu’il y a des élé­ments de la grâce dans les autres reli­gions, et je ne pense pas que cela doit être rétrac­té. Je les ai vus, je les connais – j’ai ren­con­tré des luthé­riens et des angli­cans qui sont saints.

Certains tra­di­tio­na­listes disent fré­quem­ment que l’hu­ma­nisme laïque gagne sou­vent sur les affir­ma­tions dog­ma­tiques de l’Église moderne. Pour don­ner un exemple : Le Saint-​Père a dit qu’il n’au­rait pas levé l’ex­com­mu­ni­ca­tion de Mgr Williamson s’il avait été au cou­rant de son anti-​sémitisme. Mais tan­dis que l’an­ti­sé­mi­tisme est ignoble, les tra­di­tio­na­listes disent que de telles opi­nions ne sont pas une posi­tion dog­ma­tique. Et pour­tant, les hommes poli­tiques catho­liques peuvent s’ex­pri­mer libre­ment contre le dogme et res­ter en pleine com­mu­nion avec l’Église. Que dites-​vous à un tel argu­ment ?
C’est un piège. Edward Norman, dans son très bon livre « sécu­la­ri­sa­tion », dit qu’il n’y a aucun doute que ce qu’il appelle la sécu­la­ri­sa­tion interne, l’hu­ma­nisme laïque, a défi­ni­ti­ve­ment enva­hi cer­taines par­ties de l’Eglise. Ils [FSSPX] ont pro­ba­ble­ment rai­son sur ce point, et je pour­rais leur don­ner une plus longue liste d’exemples que ce qu’ils pour­raient sans doute le faire.

Toutefois, ten­ter de défendre Williamson sur cet argu­ment est dégoû­tant et odieux. Un poli­ti­cien est-​il la même chose qu’un évêque ? Permettez-​moi de m’ar­rê­ter. C’est immonde, c’est un sophisme.

Veulent-​ils une excom­mu­ni­ca­tion géné­rale de tous ceux qui sont pro-​choix ? Et pour­tant, voi­ci une per­sonne, un évêque, qui pro­clame ouver­te­ment une posi­tion que l’Église tente déses­pé­ré­ment de sup­pri­mer, dans l’Église elle-​même, l’anti-sémitisme !

Dans la décla­ra­tion de la CDF qui a accom­pa­gné par votre nomi­na­tion, il est dit que votre expé­rience « faci­li­te­ra le déve­lop­pe­ment de cer­taines dis­po­si­tions litur­giques sou­hai­tées dans la célé­bra­tion du Missel romain de 1962, com­mu­né­ment connu sous le nom du rite tri­den­tin. Pourriez-​vous expli­quer cela plus en détail ?
Il y a deux choses : Dans le calen­drier, il y a beau­coup de saints qu’on aime­rait ajou­ter, mais le Missel romain est fixe. Il faut qu’il y ait un dia­logue entre eux et la Congrégation pour le Culte Divin sur la façon d’in­cor­po­rer des élé­ments du calen­drier romain. Sur la façon dont il s’est déve­lop­pé au cours des 50 der­nières années. Et puis les pré­faces : l’an­cien Missel romain de 1962 a un nombre très limi­té de pré­faces, et ils sont éga­le­ment inté­res­sés à inté­grer quelques-​unes des pré­faces. Mais c’est l’é­di­tion de 1962, qui peut révi­ser l’é­di­tion de 1962 du Missel ?

En effet, le Novus Ordo, le Missel romain actuel, est une révi­sion du Missel romain de 1962. Donc la ques­tion est : Comment peuvent-​ils faire cela ? Je ne sais pas, mais le tra­vail doit être fait. Nous avons déjà eu deux réunions, entre des repré­sen­tants de la congré­ga­tion et des repré­sen­tants de Ecclesia Dei, pour dis­cu­ter de la façon dont cela pour­rait être fait.

Mention a été faite de vos bonnes rela­tions avec la com­mu­nau­té juive. Quelle est la qua­li­té de ces rela­tions ?
J’ai eu des rela­tions longues et chaudes et conti­nues avec divers diri­geants juifs de l’é­poque où j’é­tais aux États-​Unis, lorsque je tra­vaillais à la confé­rence des évêques. Ils venaient me voir chaque année. Je ne sais pas s’ils n’ont rien dit en public, mais par télé­phone ils sont très heu­reux. Ils savent que je suis sen­sible à leurs préoccupations.

Nostra Aetate (docu­ment consi­dé­ré par beau­coup pour avoir contri­bué à favo­ri­ser de meilleures rela­tions judéo-​catholiques) est un pro­blème pour la FSSPX.
Oui, mais souvenez-​vous : Si vous pre­nez la consti­tu­tion exac­te­ment, en tant que juriste, il y a l’as­pect large et l’as­pect strict, et c’est un désac­cord qui peut être défen­du par deux juges en même temps. Encore une fois, s’ils veulent prendre une stricte lec­ture de ces textes conci­liaires, ils sont par­fai­te­ment libres de le faire théo­lo­gi­que­ment. Mais cela ne signi­fie pas qu’ils doivent être hors de l’Église, ils doivent débattre sur la base de la théologie.

S’ils croient que Nostra Aetate est mal inter­pré­té, alors qu’ils entrent dans la bataille pour l’in­ter­pré­ter cor­rec­te­ment. Plutôt que de s’é­loi­gner du champ, ils doivent jouer le jeu.

Pourriez nous dire si une récon­ci­lia­tion est oppor­tune, étant don­né les pro­blèmes dans l’Église et la socié­té ?
C’est mon sen­ti­ment, rappelez-​vous que jus­qu’à ce que Benoît XVI pro­nonce en Décembre 2005 son dis­cours à la Curie, lors­qu’il a fait son fameux dis­cours sur l’her­mé­neu­tique de la conti­nui­té, qu’on ne pou­vait même pas par­ler de ces choses. Donc, Benoît nous a libé­rés pour la pre­mière fois.

On peut, main­te­nant cri­ti­quer De Lubac, [le car­di­nal Yves] Congar, [le Père Marie-​Dominique] Chenu. Et de nom­breux jeunes ont écrit des mémoires et des livres qui étaient en quelque sorte impos­sible avant. Je dirais donc que la lec­ture pro­gres­siste domi­nante du Concile est en recul. Elle n’a jamais été en retrait aupa­ra­vant. Mais l’in­sis­tance sur la conti­nui­té -, ils doivent l’ac­cep­ter aussi.

Les tra­di­tio­na­listes doivent chan­ger leur opi­nion selon laquelle le Concil est en rup­ture et en discontinuité.

Il s’a­git d’une dis­tinc­tion que [l’his­to­rien Roberto] Mattei fait. Le Concile a été vécu comme une rup­ture, mais la doc­trine et la théo­lo­gie doivent être lues dans la conti­nui­té – sinon, on peut tout aus­si bien jeter l’éponge.

Pensez-​vous que la FSSPX ne gar­de­ra pas ses craintes et ses pré­oc­cu­pa­tions s’ils se récon­ci­lient ?
Comment pourront-​elles ne pas être gar­dées ? Qui leur dira quoi faire ? La seule chose que je leur dis est la sui­vante : le Concile Vatican II n’est pas en rup­ture avec la Tradition.

Êtes-​vous opti­miste ou pes­si­miste quant à la récon­ci­lia­tion ?
Je ne suis ni l’un ni l’autre, je ne sais pas. Je pense que ce sera un acte de grâce.

En fait, je vais deman­der aux Dominicains de com­men­cer à prier. J’espère que ça arri­ve­ra. Le pape ne veut pas que cela conti­nue – une autre secte, une autre division.

Edward Pentin est le cor­res­pon­dant de « Register », Rome.